samedi 27 avril 2019

Fédération Ouverte des Quinconces - Universelle

L'épopée du quatrième Quinconces supporte d'être encore écrite. Son dernier chapitre loin d'être refermé, des prolongations s'imposent. Cette belle aventure d'affinités électives pour un ballon (même pas rond) devenue amitié ovale déroule son fil en quittant le monde virtuel - dont on connait les limites - pour pénétrer dans la vraie vie, celle du partage sensible et des regards qui n'ont pas besoin de mots pour exprimer l'essentiel, qu'on ne voit bien qu'avec le cœur.
Un an, ça va faire long... Un an avant de se revoir, ou de se découvrir. Règle immarcescible de ce jeu, le groupe enveloppe l'individu. Personne n'est irremplaçable. Au présent, l'équipe s'est construite entre la cuisine et le salon ; des liens tissés de la terrasse à la piscine se prolongèrent sur le terrain : Tautor y laissa un genou, Ritchie des illusions, Le Gé son empreinte, Paco son sceau. Désormais marqueur de nos élucubrations en Quinconces, Uzerche fait jaillir l'idée qu'il n'est pas inutile de réfléchir concrètement au présent d'un jeu, d'un sport, d'une passion qui scelle notre histoire commune, laquelle est appelée à s'élargir de nouveaux visages, année après année.
Puisqu'une liste se constitue autour de Florian Grill et de Jean-Marc Lhermet, pourquoi n'aurions-nous pas, nous aussi, notre carte à jouer ? Alors que nous devisions, auto et mobiles, Le Gé, Philippe, Paco et moi, sur la route en direction de Paris, l'idée nous a semblé intéressante. En tout cas, elle prolonge en pente douce ce beau week-end de bloggeurs.
Fin décembre 2020 s'ouvrira la guerre des bulletins, le combat des urnes, le défi des chefs, l'affrontement électif qui consistera à visiter le maximum de clubs pour ensuite prendre d'assaut Marcoussis et occuper le fauteuil présidentiel. C'est l'occasion pour les Quinconces réunis en Limousin de se positionner sur le champ.
Nous avons choisi notre sigle : FOQ-U ! Fédération Ouverte des Quinconces - Universelle ! Durant les trois jours passés dans ce gite, nous avons constaté qu'il y avait entre nous assez de neurones et de matière grise pour gérer ici le quotidien du rugby français. Concentrés, admirez Le Gé, Tautor, Pom, Lulure, Jean-Yves, Pipiou et Paco entourant Pierre Villepreux de profondes réflexions. Respect ! Notre première réunion de travail (Ritchie, Tautor, Le Gé, Philippe et Lulure) en zone liquide à l'abri du vent offre elle-aussi autre chose que de vagues perspectives, ainsi qu'en témoigne l'organigramme ci-dessous.
Le Gé d'évidence aux finances, Snaileater à l'audit et à l'animation musicale, Jean-Yves à l'éthique et au sponsoring (Traban remplacera BMW), Pipiou à l'éducation et au suivi scolaire, Philippe aux assurances et à la formation, Paco à la stratégie et au développement, Lulure à l'intendance, l'hospitalité et l'hébergement, Tautor au médical, au vélo de Max et à la lutte anti-dopage, Pom à l'international et aux déplacements, Christian à la convention entre clubs pros, rugby amateur et XV de France, Sergio à la charte et au magazine fédéral, Georges aux médias et à la communication...
Poussé par l'amicale pression de Paco, de Philippe et du Gé, j'ai pour ma part accepté le poste de directeur général. Mais refusé la présidence qu'il nous semble élégant, pertinent et visionnaire de proposer à Pimprenelle. Une femme au pouvoir, voilà bien l'avenir ! Nous verrons ensuite si d'autres candidatures se font jour lors du cinquième Quinconces qui se tiendra, ainsi que nous en avons décidé en assemblée, au même endroit les 24, 25 et 26 avril 2020, notez-le sur vos agendas si ce n'est déjà fait !
Nos prestigieux invités, qui nous ont fait l'honneur de se déplacer, disposent d'une place d'importance dans l'organigramme de la FOQ-U : à tout seigneur tout honneur, Pierre Villepreux sera en charge du projet de jeu, Joël Jutge - peut-il en être autrement - de l'arbitrage, et Jean-Louis Dupont des territoires et du rugby amateur.
Une question cruciale mérite notre attention : la création d'un comité de la cuisine pour l'année prochaine ! Tautor, Snaeileater et Lulure auront pour charge de gérer les menus, considérant que nous avions de quoi restaurer trente personnes pendant une semaine, soit trois fois d'abondance. Sans pour autant mériter un régime, il faudra agaper juste à défaut d'ouvrir large-large...
Les chantiers qui s'offrent à nous d'ici avril prochain sont nombreux, riches et variés : phase finale, Coupe du monde, nouveau staff tricolore et lancement de la campagne électorale. Forte de ses soutiens, amis et contributeurs qui n'ont pas eu la chance, la joie et le bonheur de vivre le Quinconces d'Uzerche de l'An I mais dont on sait qu'ils font corps au sein du blog, la FOQ-U promet de s'attaquer immédiatement à tous les grands sujets rebondissants qui traverseront la planète ovale. C'est notre souhait le plus ardent, notre raison d'azertyr.
D'Afrique en Amériques, nous couvrons une géographique de sentiments qui relie l'improbable et l'étonnant, l'aspiration verticale et l'ouverture horizontale. Puisse cette chronique qui n'appartient qu'à nous poursuivre l'aspiration née autour de partages au long des trois jours d'harmonie, anciens et nouveaux en mêlée, soudés, unis (ci-dessus Philippe, Paco, Georges, Ritchie, Lulure, Le Gé, Snaileater, Pipiou et Pom). Elle n'a pas tardé à le faire, la parfois triste réalité du rugby peut toujours essayer de nous rattraper, elle ne parviendra pas à nous rejoindre.

lundi 15 avril 2019

L'avocat du jeu

Comme d'habitude, Sergio nous attendait peu après 16h, vendredi dernier, sous la vigne vierge, lieu-dit Le Champ, à Uzerche, cadre de notre quatrième Quinconces. Snaileater et Philippe inspirés à la guitare côté salon, Tautor et Lulure généreux au piano côté cuisine : "En avant, les moujiks !", lança Jean-Yves. Vedette américaine, le Lomagnol Jean-Louis Dupont fut à l'honneur, mêlant avec verve agriculture biologique et initiation rugbystique jusqu'au bout de la nuit.
Samedi, dix matinaux s'élancèrent autour d'une beuchigue délivrée par Pipiou (il n'apparait pas sur la photo d'équipe ci-dessus, appelé d'urgence à d'autres activités). Le quatuor des survêtement (François, Philippe, Tautor puis Lulure, Ritchie) fut battu, cinq essais à quatre, par la short team (Le Gé, Pom, Snail, Pipiou) sans que l'arbitrage de Georges, librement inspiré du modèle danois, ne soit contesté. La chronique retiendra qu'avant de se vriller le genou sur une figure libre, Tautor inscrivit le premier essai sur son premier ballon - la marque des grands attaquants -, que Le Gé planta d'une interception fulgurante au long cours l'essai de la victoire, et que François remporta le concours du meilleur vieux rugbyman (cf. photo ci-dessous) en pleine crise d'intervalle.
Ainsi s'ébrouèrent les Quinconces en attendant d'entrer dans le lard. Après la formation il y a deux ans, et le jeu de mouvement l'année dernière à Treignac, l'arbitrage occupait cette fois-ci notre journée, avec comme invité Joël Jutge (pour son CV, lire la précédente chronique), aéropage relevé par la présence de Christian Badin et de Pierre Villepreux, lequel donna le coup d'envoi aux agapes dès les figues farcies au foie-gras en rappelant le principe actionné dans les années soixante : "Nous étions tous d'accord avec l'arbitrage parce qu'on gagnait !"
Il y a, vous vous en doutez, tellement à raconter qu'une chronique n'y suffira pas (et d'ailleurs une autre suivra, n'ayez crainte...). Alors retraçons maintenant l'intervention de notre invité, Joël Jutge, arbitre puis dirigeant international. En préambule, "toute règle correspond à un des trois critères essentiels : équité, continuité, sécurité. Si la règle nous ramène toujours au jeu, le jeu, lui, a toujours un temps d'avance sur la règle. Dans ce contexte, l'arbitre fait ce qu'il peut, pas ce qu'il veut," nous précisa-t-il. Décryptant la règle de l'avantage, le Tarnais avoua qu'elle "avait été un changement terrible, qui ne correspondait pas aux principes" pré-cités, et que l'arbitre devait toujours "apprécier le gain tactique, à savoir si l'équipe porteuse du ballon pouvait jouer telle qu'elle l'entendait," aune subtile.
Concernant la zone de plaquage, il assura, en parlant du défenseur : "Mettre la main sur le ballon ne suffit pas. Il faut laisser deux à trois secondes pour que le rapport de force soit en faveur de l'attaquant plaqué et au sol. Le défenseur qui résistera alors sera récompensé, mais s'il est emporté, tant pis pour lui." Quant à la mêlée, il insista sur la notion de "stabilité". On signalera au passage que notre orateur fut à l'origine, en 2012, du premier signal donné par l'arbitre pour l'introduction, petit rappel historique.
Deuxième acte. Nous avons appris que seulement 20% des personnes compétentes réunies depuis 2012 tous les quatre ans pour faire évoluer ou changer les règles du jeu sont des arbitres ; que cette commission fut conçue en 2005 et qu'auparavant, les règles étaient présentées et testées par des étudiants sud-africains à l'université de Stellenbosch, puis à Exeter (Angleterre). Ce qui pouvait créer un décalage, les jeunes amateurs n'étant pas formatés comme les joueurs professionnels. L'accent fut ensuite mis sur la force de proposition néo-zélandaise et ses remarquables présentations qui captent l'attention des quinze membres de la commission chargée d'agir sur le règlement.
Joël Jutge nous rappela qu'aucune règle ne peut être modifiée un an avant une Coupe du monde, sauf si elle améliore la sécurité du joueur. C'est pourquoi on regrettera que rien n'ait été fait très vite pour rabaisser la zone de plaquage. Il nous confia - c'est un scoop - que la prochaine règle testée viendrait du rugby à XIII : "Il s'agira d'autoriser le coup de pied indirect une fois dans le camp adverse, en bénéficiant du lancer en touche. Le troisième rideau (défense profonde) devra ainsi être renforcé et le premier rideau (défense sur la ligne d'avantage) dégarni d'autant, créant donc des espaces pour les attaquants."
Et de conclure avec optimisme son intervention : "Le jeu va en s'améliorant. J'ai confiance dans le législateur et je crois en l'intelligence des entraîneurs. Après 2019, le jeu devra se pratiquer debout : il y trop de laxisme dans l'arbitrage au sol, trop de déblayages. Les pick-and-go à trois joueurs soudés face à la défense seront sans doute interdits. Il en va de la sécurité des joueurs qui défendent." Puis vint le tour de table ovale.
Le Gé : y a-t-il omerta au niveau de l'arbitrage ? "Une hypocrisie, plutôt". Tautor : les Néo-Zélandais changent-ils les règles à leur avantage ou pour le bien commun ? "Ils ont un réel pouvoir, mais aussi un temps d'avance. Ils réfléchissent en priorité à ce qui peut les avantager. Mais ils jouent tellement bien qu'ils sont écoutés." Pom : pourquoi les arbitres ont un tel déficit d'image en France ? "A cause de la focale des médias. La télé, à travers ses consultants qui sont d'anciens internationaux, devrait davantage éduquer le public." Lulure : pourquoi tolérer autant de percussions autour des rucks ? "L'arbitrage est faible dans ce domaine. On ne veut pas arrêter le jeu car on pense que ces chocs sont marginaux." Jean-Yves : les mêlées sont peu intéressantes pour le jeu. Les arbitres en ont-ils conscience ? "Les règles sont très précises mais nous sommes impuissants. Il faudrait que les piliers changent leurs attitudes. Et que les arbitres distribuent davantage de cartons."
Pierre Villepreux y alla, lui aussi, de sa question : ne pourrait-on pas changer la règle de la passe en avant ? L'autoriser à condition que le partenaire soit placé au départ en arrière du lanceur ? Réponse de Joël Jutge : "Ce serait un tel bouleversement... Mais on a bien permis les passages à vide..."
Puis vint le tour de Pipiou : puisque le jeu est en avance sur la règle, a-t-on de mauvaises habitudes, en France ? "Oui, les joueurs passent trop par le sol. Mais c'est de la responsabilité des entraîneurs. L'arbitre doit s'occuper de la règle, pas se poser des questions métaphysiques. Il n'en a pas le temps." Paco (François Barbier) : pourquoi n'y a-t-il pas à l'international la même interprétation du carton rouge qu'en France ? "Les différences sont culturelles, la faiblesse est humaine. L'arbitre vidéo devrait davantage challenger l'arbitre de champ. On y travaille..." Christian Badin : les obstructions et les antijeu sont insupportables. Que faire ? "L'arbitrage est faible sur les obstructions et les courses coupées sous les balles hautes. D'autant qu'on a constaté 25% d'augmentation du jeu au pied dans le dernier Tournoi."
Place à Sergio, maintenant : pourquoi les arbitres sont aussi laxistes sur les balles au sol qui tardent à être libérées par le plaqué ? "La consigne est d'accepter un roulement du plaqué au sol pour présenter son ballon à un partenaire. On en tolère deux, ça dure parfois dix secondes : c'est trop long..." Snaileater : comment relier rugby et arbitrage ? : "L'arbitre doit comprendre ce que veulent faire les équipes. Sinon, il est déconnecté et commet des erreurs." Devant la limpidité de cette réponse en regard de la complexité de la question, notre aréopage tomba alors définitivement sous le charme de notre intervenant.
Georges prit la relève : il faut instaurer la loi Molière ! Pourquoi parler anglais dans le Top 14 ? "L'arbitre doit se faire comprendre et pour cela parler dans la langue du joueur." Philippe : avez-vous le pouvoir de sortir du terrain un joueur anormalement énervé ? "S'il y a outrage verbal, oui. Mais le reste est affaire du médecin du match." La débat est alors parti vers le dopage, puis sur le cas Fritz : impossible à résumer. Puis Pimprenelle apporta la dernière touche : pourquoi le XIII a-t-il autant d'influence sur le XV ? "Parce que depuis quinze ans, les treizistes réfléchissent à l'évolution de leur pratique pour la rendre toujours plus spectaculaire. Principalement en Australie où le XIII est le sport numéro un, avec les meilleurs techniciens."
Se quitter fut difficile, dimanche. Nous avons fixé le Quinconces V à Uzerche le 24, 25 et 26 avril 2020. Notre acronyme sera désormais le style au BIC (Bienveillance-Intelligence-Convivialité), si Paco me permet d'essaimer ainsi et ici sa pensée. Nouveaux venus chaleureusement accueillis, visages sur des patronymes et des pseudos, plaisir de se revoir, impatience à se retrouver - un an, c'est long -, ce week-end en Limousin s'est hissé sur des sommets que nous n'attendions pas aussi dégagés. Il faudra juste penser à créer un atelier cuisine car il y avait à déguster pour trente personnes pendant une semaine : nous sommes donc repartis avec nos coffres davantage remplis qu'ils ne l'étaient à l'aller.
A coup sûr, a été affinée notre vision des règles et de leur influence, du rôle de l'arbitre et de la naissance des nouvelles règles jusqu'à leur application. Nous attendions, plantés sur nos convictions et aussi nos certitudes, un décryptage sur l'arbitrage de haut niveau : nous l'avons eu. Mais nous avons surtout été éclairés autant qu'enrichis par les lumières de notre invité, magnifique avocat du jeu. C'est bien simple, quand Joël Jutge est parti, et nous ensuite après lui, sont restées en écho du jeu dans nos esprits de belles phrases de rugby.





lundi 8 avril 2019

Unis vers Uzerche

Ainsi va la vie de ce blog dont l'existence a le mérite de faire coexister des paroles légères et puissantes, décalées ou profondes, venues de tous les âges. D'alimenter surtout la réflexion autour de sujets d'actualité ou d'humeurs déconnectées. Inscrits au club-house de cette association virtuelle, les Quinconces - en souvenir de notre première rencontre dans une brasserie bordelaise - regroupent une belle brochette de passionnés tombés dans la marmite ovale.
Après les interventions appréciées d'Eric Laylavoix en 2017, puis de Pierre Villepreux l'année dernière, ces Quinconces vont former dès vendredi après-midi et jusqu'au déjeuner de dimanche un nouveau pack autour de l'arbitre international Joël Jutge. S'ils souhaitent se faire dédicacer l'ouvrage à Uzerche, ceux qui séjourneront au "champ" auront le temps de se procurer "Le rugby et ses règles" (éditions Bamboo, 2014), bande dessinée que notre intervenant a co-écrite avec Béka et Poupard, 
Considéré comme l'un des meilleurs arbitres français, Joël Jutge, toulousain d'adoption né Lavaur, s'inscrit dans une lignée d'où émergent, entre autres, Bernard Marie, Georges Domercq et René Hourquet. Poussin au sein de l'Entente de la vallée de Girou, formé à l'école de rugby du TOAC, ce demi de mêlée génération Ougier et Sadourny eut ensuite le bonheur d'être sacré deux fois champion de France juniors Bélascain (ex-Reichel) avec Colomiers en 1985 et 1986.
Senior à Cahors (Groupe B) entre 1986 et 1991, Joël dirigea sa première rencontre de Top 16 six ans après ses débuts d'arbitre. Deux saisons plus tard, il fut choisi pour Espagne-Fidji (39-20) à Avezzano (Italie) : le Castrais José Diaz et le Montois Waisale Serevi étaient sur la feuille de match... Sa fierté ? Il disputera en septembre prochain sa cinquième Coupe du monde : arbitre en 2003 et 2007, membre du staff tricolore en 2011, à la tête de la commission arbitrale de World Rugby en 2015, sélectionneur des arbitres européens au Japon.
On ajoutera pour faire bonne mesure qu'il fut membre de la Direction technique nationale de l'arbitrage entre 1999 et 2012, en charge du secteur professionnel. Samedi, à partir de 14h30, il décryptera l'arbitrage actuel en choisissant trois phases : la règle d'avantage, le plaquage et la mêlée. Puis nous expliquera le fonctionnement de l'institution internationale à partir de la question suivante : comment va-t-on de la proposition d'une idée à son application en match ?
Son intervention se conclura avec l'évocation du futur de ce jeu à travers l'évolution et le changement des règles, ce qui lui permettra de tracer pour nous les prochaines tendances dans le sillage des nations influentes. Il sera temps alors, vers 15h30, d'ouvrir en grand le débat. Pendant une heure et demie, les questions ne manqueront pas de fuser. Confidences, éclairages, précisions : en présence des internationaux et amis du blog que sont Pierre Villepreux, Christian Badin et Jean-Louis Dupont, il faut aussi s'attendre à quelques rebonds savoureux.
Que de chemin parcouru depuis le mois d'août 2011... Que de réflexions ovales partagées et bonifiées par des moments comme celui qui s'annonce autour des spécialités culinaires que chacun aura pris soin d'apporter, nourritures terrestres et spirituelles pour ce nouveau passage du virtuel au réel, le quatrième de notre histoire collective toujours renouvelée. De nouveaux visages et un point de rencontre à découvrir : après Treignac, Uzerche donc, perle du Limousin.
Merci à Lulure II, aka Frédéric, d'avoir si bien travaillé dans l'amont pour nous trouver ce gîte. En autogestion le temps d'un week-end, cette unité de temps, de lieu et d'action marque la fabrique du blog depuis maintenant huit saisons. Pom, Snaileater, Jean-Yves, Lulure, Pimprenelle, Le Gé, François, Sergio, Tautor, Christian, Pipiou, Georges, Philippe et Vincent-le-Jeune, vous êtes attendus.






jeudi 4 avril 2019

L'autre soi

Ils sont cent qui représentent les écoles de rugby jusqu'à l'équipe nationale. Depuis plusieurs jours, glorieux et inconnus se posaient la même question : que faire pour relancer le XV de France ? Mardi et mercredi, elle sera posée par référendum aux présidents des clubs de rugby amateur. Ne soyez pas surpris : c'était une promesse de campagne. Alors, êtes-vous favorable à ce qu'un "étranger" (je déteste ce mot) dirige le XV de France ?
Pas certain que les bénévoles de clubs amateurs soient les mieux placés pour décider du choix d'un professionnel du management au chevet de ce XV de France, lequel claudique dans les zones internationales avec seulement 37 % de victoires en test-matchs depuis le mois de janvier 2012. Ecroulée sous les ères Saint-André, Novès et Brunel - qui pourtant savaient bâtir - la sélection nationale périclite saison après saison. Qui la redressera ?
Oublions un instant le Mondial 2019 et le stress d'une victoire impérative en ouverture, le 21 septembre, face aux Argentins. Hier denrée mineure - Pierre Albaladejo me rappelait qu'international, il avait refusé deux tournées d'été chez les gauchos sous prétexte qu'il n'apprendrait rien d'ovale là-bas et qu'il avait par ailleurs du boulot au camping  -, l'Argentine est aujourd'hui notre ennemi majeur. Nous aurons le temps d'y revenir.
Gatland, Jones, Hansen ? Why not. Laissons la porte ouverte. Les premiers dirigeants d'importance du rugby français étaient l'un Américain (Allan Muhr), l'autre Ecossais (Cyril Rutherford). Les joueurs nés au-delà de nos frontières - Melville, Van Heerden, Benazzi, De Villiers,Marsh, Nakaitaci, Spedding, Le Roux, Vakatawa, Willemse, etc. - ont chanté La Marseillaise, ce que Jean-Pierre Rives a toujours refusé de faire parce qu'il détestait l'idée qu'il faille faire couler "un sang impur" dans nos sillons.
L'Argentin Gonzalo Quesada et l'Anglais David Ellis ont renforcé le staff technique tricolore, ce qui n'a jamais suscité la moindre polémique. Le dernier tabou tombera-t-il ? Ce serait surtout un camouflet pour les théoriciens français, de Deleplace à Peuchlestrade, en passant par Villepreux, Barrière, Quilis, Barthez, Saby, etc. Ce serait certainement aussi la fin d'un savoir-jouer à la française, ce flair travaillé qui consiste à lancer des actions spectaculaires dans un courant contraire.
La démocratie antique impliquait à tour de rôle des citoyens libres, cultivés, concernés, engagés dans la vie de la cité, la res publica. Cet aréopage, microcosme ovale, est constitué ici d'un philosophe et d'un historien, d'anciens internationaux (41), de chroniqueurs-consultants (15), d'entraîneurs (13), de dirigeants (11), d'anciens joueurs professionnels (6) et amateurs (4), de théoriciens (2), d'éducateurs (2), de préparateurs mentaux (2) et physiques (2).
Pas invité au RIC de Bernard Laporte, ce club des cent a été consulté et, comme vous pouvez le lire en cliquant ici (version internet de L'Equipe), le "non" l'a emporté - 54 % -  sans que cette préférence soit significative en termes purement statistiques. Dans ce bloc du "non", tous pensent qu'il y a assez de techniciens français de qualité pour subvenir aux besoins de la cause et relancer le XV de France.
Mais au fil de la discussion que j'ai eue avec chacun d'entre eux, à l'évidence le problème n'est pas dans le choix de tel ou d'untel pour s'occuper du XV de France - sujet cosmétique - mais dans l'absence de projet fédéral, d'une vision à long terme, et surtout de liens de subordination entre les clubs pros et la FFR pour mettre l'équipe de France en évidence au milieu de la vitrine.
En miroir, dans une approche humaniste, Pierre Albaladejo, Jean-Pierre Rives, Jérôme Bianchi, Eric Blondeau, Thomas Castaignède, Benoît Dauga, André Herrero, Dominique Harize, Cédric Heymans, Thomas Lombard, Jean-Pierre Lux, Franck Mesnel, Philippe Sella, Robins Tchale-Watchou et Dimitri Yachvili, pour ne citer que les plus connus des intervenants, se sont déclarés favorables à l'ouverture.
Blogeur de Côté Ouvert, le philosophe Christophe Schaeffer propose de "mettre ainsi les internationaux français dans une zone d'inconfort pour aller chercher en eux quelque chose qu'ils ont perdu." Pour l'ancien international Christian Badin, "le jeu qui était le nôtre n'est plus. Seul quelqu'un d'extérieur pourra faire taire tout le monde et parvenir à accorder chacun autour du XV de France." L'éducateur Philippe Glatigny, au contraire, évoque "notre estampille et les racines du rugby français," soulignant "les capacités de certains entraîneurs français qui éviteront qu'on se coupe de notre histoire."
"Nous avons des joueurs étrangers dans nos clubs, constate le Biterrois Claude Saurel, coach globe-trotter (Géorgie, Russie, Maroc, Tunisie). Pourquoi être restrictif concernant les entraîneurs ?" Didier Camberabero veut profiter de cette occasion pour "faire table rase", Jean-Michel Aguirre pour mettre "fin aux querelles de chapelles." Ce que Thierry Roudil, préparateur physique et grand voyageur, résume en deux phrases : "La France est huitième nation mondiale. Il y a dans sept pays des techniciens dont la voix portera quand celle des entraîneurs français n'est pas entendue par leurs joueurs."
Les adeptes du "non" ne forment pas un bloc compact : leur spectre va du "travail sur l'identité du rugby français", dixit le psychologue du sport et ancien deuxième-ligne international Yann Le Meur, à l'inéquation d'un "copier/coller du modèle anglo-saxon" assure le préparateur physique du RC Toulon, Thibault Giroud, qui a travaillé dans des staffs anglo-saxons. Bertrand Fourcade, qui entraîna Tarbes et l'Italie, en fait une synthèse : "Notre rugby plagie les Anglo-Saxons avec ses temps programmés. Il faut revenir à notre jeu, inventif."
Ainsi se dessine l'avenir des Tricolores, têtes lourdes, épaules basses et bilan percé. Puiser chez soi ou s'ouvrir à l'autre. Altérité/ipséité : d'Aristote à Paul Ricoeur, cette réflexion traverse la pensée occidentale. Ne pourrait-on pas imaginer réenchanter une identité en se tournant vers un nouveau paradigme ? Le sujet, clivant, tiraille les esprits ovales. Une chose est sûre : étranger ou indigène, d'ailleurs ou d'ici, il est surtout temps d'en finir avec les vieilles ficelles, les cautères sur jambe de bois et le bris de vaisselle.