samedi 28 septembre 2019

A couper le sifflet

Même si le Japon a enthousiasmé la planète ovale avec son succès sur l'Irlande, ex-numéro on mondial, s'il ne fallait retenir qu'un seul match ce serait celui-là. Désordonné, viscéral, inattendu, une rencontre profondément attachante conçue hors du moule convenu qu'on nous sert depuis le début de ce Mondial japonais. Des en-avants en pagaille mais du suspense découpé au hachoir pour accoucher du succès le moins programmé de tous, une victoire de l'Uruguay (30-27), ce voisin dont on ne parle jamais, ou si peu, sur des Fidjiens annoncés comme la sensation du moment après leur demi-heure de folie jubilatoire face à l'Australie et s'éteignant au fil des passes, touchés par un mélange rebutant de morgue, de fainéantise et d'individualisme.
Les Uruguayens, eux, dont les fleurons évoluent dans notre ProD2, ont montré de quoi le rugby était fait, démontré que sans cœur et sans cerveau, sans passion et sans amour, il n'y a pas de jeu possible.  Quand les garnements tricolores, puérils et ridicules mais ça ne tue pas, s'amusent à cibler les journalistes, coupables de publier avant l'heure la composition d'une équipe que le monde entier nous envie avant l'arrivée du typhon Mitag sur Fukuoka mercredi, les Uruguayens nous rappellent que le rugby n'est pas un sport mais un état d'esprit et, même, un un art de vivre une belle jeunesse à plusieurs, serrés, soudés, solidaires, un élan de compacts et d'épais portant autant au cœur de la défense adverse le ballon qu'en eux cette joie de jouer.
C'était un match de Tier 3, ce qui est péjoratif je le concède, mais une réalité qui saute aux yeux. Des ballons tombés, des mauvais choix sidérants de bêtise côté fidjien, du jeu à une passe, des petits tas et des actions de raccrocs côté uruguayen. Le genre de match à ne pas montrer dans une école de rugby. Encore que. C'est un conte, ce résultat contre toute attente, et même une allégorie.
Nous avons tous envie de nous plonger dans son sens profond, caché, dans ce qu'il nous dit de cette activité, cette discipline devenue spectacle à tout prix et qui finalement sombre, match après match, dans les canevas stéréotypés. Pour preuve : ce samedi j'ai arrêté de regarder Argentine-Tonga au bout de la demi-heure de jeu pour vous écrire. De toute façon, les grosses nations boursouflées du biceps, des pectoraux et de l'égo n'ont que trente minutes dans les jambes et dans la tête tant leurs ressources créatives sont limitées. Le bonus offensif acquis, elles saturent. Et nous aussi.
Mis à part l'intense choc entre la Nouvelle-Zélande et l'Afrique du  Sud (23-13) du deuxième jour, et ce tonitruant Irlande-Japon qui a vu le pays hôte lancer enfin son Mondial avec un succès enthousiasmant (19-12) et un style de jeu qui devrait faire florès, cette compétition nous livre, avouons-le, beaucoup trop de surgelé par ailleurs qu'on avale sans fin avec une pointe de wasabi. Et comme si cette orgie de rencontres formatées façon Top 14 avec sa litanie de ballons portés et de pick-and-go, de combinaisons téléphonées et de coups de pieds dans la boîte derrière des rucks statiques, ne suffisait pas voilà que World Rugby, l'instance mondiale sensée protéger l'avenir de ce sport, s'est prend à son maillon le plus exposé et donc le plus sensible : l'arbitrage !
Au bout d'une semaine de compétition, les gros pardessus sont en effet tombés à bras raccourcis sur leurs directeurs de jeu au motif qu'ils ne distribuaient pas assez de cartons rouges,. Sans doute veulent-ils légaliser le rugby à quatorze, voire à treize, ce qui n'est idiot s'ils souhaitent dégager des espaces à ce jeu qui en demande de plus en plus et en offre de moins en moins. Mais ce désaveu choquant fragilise surtout la profession ovale la plus exposée.
C'est un signal inquiétant envoyé d'en haut parce qu'il va ruisseler jusque dans les séries régionales de chez nous. Inquiétant car la recherche d'un bouc-émissaire - et le rugby est une société à part entière - est toujours le signe d'un modèle essoufflé. Et, pour le cas qui nous occupe et nous inquiète, à l'image d'une mêlée en difficulté il indique une éthique fléchissante.


samedi 21 septembre 2019

L'éveil à la lumière

C'est donc fait. Dans le désordre. Mais quelle que soit la manière - brouillonne et enthousiaste -, la France vient de passer l'écueil argentin d'entrée de Mondial japonais et, visiblement, c'est bien pour l'instant l'essentiel tellement l'incertitude primait avant le coup d'envoi. Nous pouvons maintenant apprécier le reste de cette Coupe du monde en attendant le 12 octobre et le choc contre l'Angleterre. Car entre temps, on imagine que les Tricolores auront su s'imposer sans faillir et sans nous faire trembler face aux Etats-Unis, puis aux Tonga.
Je faisais partie de ceux qui n'envisageaient pas un succès français devant les Pumas, lequel se finalement joue (23-21) sur un drop-goal réussi par l'ouvreur remplaçant Camille Lopez quand l'infortuné arrière argentin Emiliano Boffelli manque d'un rien l'ultime but de pénalité, une queue de typhon détournant tout en haut des poteaux le ballon. A quoi tient une victoire ? A un hors-jeu de Louis Picamoles non décelé sur son interception. A une trajectoire, celle des Tricolores était rectiligne en première période, celle des Pumas resserrée ensuite autour de ballons portés derrière le champ du coq.
Quel samedi de rugby ! Une heure de magie fidjienne au réveil avant que, là-aussi, les groupés pénétrants ne sauvent l'Australie d'un fiasco retentissant après une heure de passe-passe. Puis une finale avant la lettre entre All Blacks et Springboks, remportée par les hommes de Steve Hansen,dont le génie consiste à placer son meilleur ouvreur, Beauden Barrett, à l'arrière, et deux inconnus, Sevuloni Reece et George Bridge, aux ailes pour lire et suivre ses inspirations.
All Blacks et Springboks ont immédiatement montré à quel niveau d'intensité se situait la barre, placée haut, pour espérer décrocher un titre mondial. Les Australiens sont un cran en dessous et l'entrée en jeu de l'Angleterre face aux Tonga n'a pas été concluante, même avec un bonus offensif. La façon, liminaire, dont les Irlandais ont battu l'Ecosse avec le bonus offensif ne laisse augurer rien de bon pour les Calédoniens, désormais sous la menace du Japon et des Samoa. Quant aux Gallois, ils se sont sortis sans dommage du piège géorgien et visent rien de moins qu'une finale.
Ce neuvième Mondial est donc lancé sur des pelouses synthétiques lisses comme des billards au-dessus desquelles planent la menace de typhons à (presque) guichets fermés. Quatre poules, certes, mais surtout autant de divisions d'écarts entre Namibiens et Springboks, par exemple, qui s'affronteront samedi prochain, après un Argentine-Tonga qu'on espère éclairant.
Il n'y avait donc aucune raison de craindre pour une troisième-ligne française composée au dernier moment, ni pour Romain Ntamack (re)lancé à l'ouverture et encore moins pour l'association de deux profils identiques au centre, à savoir Gaël Fickou et Virimi Vakatawa. L'honneur du XV de France est sauf et mis à part incident industriel sous l'empire américain, s'ouvre donc un quart de finale pour lequel l'adversaire - australien, gallois ou fidjien - est encore loin d'être choisi.
Maintenant, on sait que le talent français, celui de Charles Olivon, de Damian Penaud et d'Antoine Dupont, peut faire une différence dans les moments compliqués ; que la mêlée française, dans le sillage de son pilier droit Rabah Slimani, n'est pas mise à l'index du corps arbitral ; et que rien ne vaut le désordre pour que s'exprime une inspiration qu'on qualifie de French Flair. Autrement écrit, si le coq ne chante jamais aussi bien que les ergots dans le fumier, il symbolise aussi l'éveil à la lumière.

samedi 14 septembre 2019

Dans l'effet miroir

Ce qu'il y a d'intéressant avec la nation argentine, outre la beauté de sa gent féminine, la tendresse de sa viande et la sensualité du tango (vous pouvez intervertir) c'est qu'elle nous présente un miroir. Du moins en ce qui concerne le rugby. Ca tombe bien, samedi matin, nous saurons. Nous saurons si les espoirs placés dans ce XV de France bleu pâle méritaient toute notre attention, si le voyage japonais va se poursuivre au moins jusqu'aux quarts de finale. Savoir si l'humiliation d'une élimination trop rapide, dès la phase de poule, témoigne d'un déclin annoncé depuis plus de dix ans.
Dans ce miroir se reflètera le potentiel d'une équipe de France qui attendait cette occasion pour exprimer son talent ou bien le désarroi d'un groupe disparate, sans âme ni jeu, partie immergée d'un iceberg de soucis dont les résultats sportifs sont le moindre. Dans tous les cas de figures, ce reflet  raconte surtout l'ascension d'une nation qui a fait du rugby un levier d'éducation, avant de valoriser ses maigres ressources et les bonifier au maximum pour se hisser parmi les meilleures quand, dans le même temps, nous persévérons à gâcher notre patrimoine.
Jamais dans l'histoire d'une Coupe du monde le France-Argentine de ce samedi aura autant d'importance. Il dépasse même en intensité dramatique le match d 'ouverture de l'édition 2007 remporté avec maestria par les Pumas au Stade de France. Dans une poule qui comprend aussi l'Angleterre, favorite à la première place, le perdant de ce duel de latins sera condamné à additionner les essais face aux Etats-Unis et au Tonga pour espérer terminer à la deuxième place.
Après deux mois de préparation, le XV de France conserve une demi-douzaine d'interrogations, preuve de l'état d'incertitude dans lequel il se trouve au moment de jouer son Mondial sur un match, le premier, d'entrée de compétition. Son capitaine Guilhem Guirado n'est pas titulaire indiscutable, la place de deuxième-ligne aux cotés de Sébastien Vahaamahina n'est pas acquise, le chantier de la troisième-ligne est loin d'être achevé, le poste d'ouvreur fait toujours débat et l'association au centre fluctue. La sérénité fait défaut. Une faille dans laquelle ne manqueront pas de s'engouffrer les Argentins.
Pour préparer ce moment qui oscille entre angoisse et excitation, je vous conseille un peu de lecture. Tout d'abord la revue Tampon, qui verse dans la nostalgie savoureuse avec en particulier une succulente interview de David Campese et une story vintage des Tricolores modèle 1987. Puis l'ouvrage très fouillé de Marc Duzan sur les Histoires secrètes des Bleus (Hugo Sport éditions), vestiaires et coulisses racontés par le menu. De leur côté, Julien Schramm et Bruno Kauffmann, anciens du XV de France de la presse, plongent dans la psyché des internationaux français à l'heure de leur première sélection (Première cape, éditions Glénat) et c'est émouvant. De quoi tenir avec le choc.
Se trouve aussi dans les meilleurs kiosques et librairies le hors-série de L'Equipe sur lequel j'ai bossé tout le mois d'août : il compte huit portraits de géants (Kirwan, Campese, Lomu, Eales, Wilkinson, Habana, McCaw et Carter) rédigés par les reporters du quotidien, et autant d'interviews exclusives (Garuet, Cambé, Benazzi, Lamaison, Magne, Clerc, Yachvili, Szarzewski) réalisées par votre serviteur, gorgées d'anecdotes qui expliquent mieux que de longs discours les raisons pour lesquelles la France n'a toujours pas été championne du monde, alors que Néo-Zélandais, Australiens, Sud-Africains et Anglais sont titrés.
Car c'est bien de cela dont il s'agit : au-delà des petites histoires, des confidences, des sagas et des décryptages, ressort l'incapacité de la deuxième nation en nombre de licenciés à s'inscrire au palmarès du trophée Webb-Ellis quand la Nouvelle-Zélande vise au Japon un quatrième trophée. Samedi, on saura. D'autant que se présente aussi dans la foulée ce même jour un affrontement explosif entre All Blacks et Springboks, must ovale à ne manquer sous aucun prétexte entre les deux plus sérieux prétendants à ce neuvième sacre mondial.

mardi 3 septembre 2019

On se fait des sushis ?

Voilà. C'est fait. En trois minutes chrono. Sur TF1. Entre deux écrans de publicité. La séquence d'annonce de la liste des 31 Tricolores pour le Japon a livré son secret et si j'étais l'agent de Matthieu Jalibert, je lui conseillerais d'apprendre illico le japonais en dix leçons, de buter en Geta, en Zori et en Setta et de vérifier son passeport. Sait-on jamais. L'histoire des Coupes du monde regorge d'appelés de la dernière minute - Thierry Dusautoir en est la parfaite illustration - ou en cours de compétition : il suffit de se souvenir comment et pourquoi Jean-Baptiste Lafond, Fabien Galthié, Albert Cigagna ou Rémy Grosso rejoignirent les Tricolores.
Laisser dans le Top 14 le meilleur ouvreur français et demander au plus performant flanker-coureur-soutien-relais dont on dispose en la personne de François Cros de rejoindre Toulouse plutôt que Tokyo sont autant d'aberrations qui interrogent la santé mentale de nos sélectionneurs.  Nous en sommes donc arrivés à espérer que les plus remarquables joueurs français à leur poste gagnent finalement le Japon d'une façon ou d'une autre pour redonner un peu de brillant à une équipe de France qui en manque cruellement.
Jamais depuis la grande débandade de l'été 1991 sélection nationale n'avait été aussi mal constituée, agglomérée, alignée, proposée, présentée, dirigée... Avant même le début de la compétition, elle s'est inclinée par chaos en perdant ses repères. Cela-dit, cette chienlit qui inquiète maintenant tout le monde fait écho à une certaine cohérence qui maintient son trajet depuis quelques temps déjà. Il suffit de récapituler les errements pour s'apercevoir que l'abattement qui nous habite est fils de logique. Et c'est bien cela - davantage que la perspective d'être éliminé pour la première fois dès la fin des matches de poule - qui nous désespère.
Jacques Brunel a maintenu Guilhem Guirado capitaine tricolore au lieu de tourner la page et de promouvoir un jeune leader capable d'emmener ensuite avec ce supplément d'expérience le XV de France au Mondial 2023. Embarqué presque contre son gré dans cette galère à la demande du président de la FFR Bernard Laporte après le limogeage de Guy Novès, il n'a pas eu d'autre choix d'appeler comme adjoints des techniciens en rupture de banc - Elissalde, Bonnaire, Bruno. Devant le fiasco de cette expédition, il a ensuite accepté que ses successeurs (Galthié, Labit, Giroud) montent à bord en cours de route pour changer de cap.
Et vous voudriez, en plus, que ce montage de fortune fonctionne ? Il y a quelques décennies, mon confrère et voisin Francis Delteral avait signé un éditorial au sujet des bricolages tactico-techniques de Jacques Fouroux intitulé "Clavettes et boulons", stigmatisant les errements du coach tricolore de l'époque, soulignant son manque de vision, ses aménagements à courte vue, ses choix à l'emporte pièce. Une époque - à partir des années 60 et l'avènement de Denis Lalanne - où les journalistes de sport n'hésitaient pas à donner leur avis étayé, a éditorialiser, à critiquer, à s'engager.
Jusqu'à prendre position, voire parti. Quelques exemples : Jean Gachassin à la place de Guy Camberabero, Maso et Trillo plutôt que Lux et Dourthe, Astre de préférence Fouroux, Charvet mais pas Andrieu, Blanco arrière et pas ailier. Ils appelèrent à la sélection de Laurent Cabannes, Alain Penaud, Thomas Castaignède, Imanol Harinordoquy, Frédéric Michalak... Ils allèrent jusqu'à militer (c'était à la fin des années 90) pour que Pierre Villepreux intègre le staff tricolore. Parmi ces plumitifs, Christian Montaignac et Jean Cormier furent les plus investis. Depuis, il est convenu d'accompagner la procession la main dans la corbeille de roses plutôt que de porter le fer dans la plaie.
Il faut l'écrire, même si ça déplait en haut lieu et désespère aussi Billancourt, l'équipe de France part disputer la Coupe du monde 2019 au Japon avec un capitaine qui n'est pas titulaire à son poste, une troisième-ligne fantôme dont on ne connait absolument pas la composition, une interrogation coupable au poste de demi d'ouverture et un trou au centre de la ligne de trois-quarts. Sans compter qu'aucun observateur un tant soit peu technicien n'est capable d'identifier la structure du jeu pratiqué lors des trois test-matches de préparation.
En off, les divers consultants des grands médias français sont pessimistes et interloqués. Mais à moins trois semaines du coup d'envoi, personne ne se risquera à prédire un fiasco, même si tous les signaux sont - c'est le cas aujourd'hui - au rouge. Chacun veut encore croire que dans ce sport professionnel de combat collectif tout, et surtout l'espoir, reste possible. Comme si avec une mêlée d'airain (Poirot, Chat, Slimani, Vahaamahina, Iturria) et une relance de quatre-vingt dix mètres (Fickou, Dupont, Huget), ce XV de France pouvait renverser d'entrée de compétition l'Argentine.
Se qualifier pour un quart de finale de Coupe du monde a toujours été pour les Tricolores depuis 1987 un minima ovale. Mais aujourd'hui, huitième nation mondiale avec le deuxième plus grand nombre de licenciés - on peut parler de gâchis -, la France ne dispose d'aucune marge de manœuvre. Triste réalité. Trente-et-un Tricolores partiront samedi pour le Pays du Soleil Levant en classe éco. Leur objectif est d'une terrifiante modestie et nos rêves écornés.