dimanche 27 juin 2021

Vouloir ne suffit pas

 Sam Simmonds a été élu, cette saison, meilleur joueur du championnat anglais. Il inscrit ci-dessus son vingt-et-unième essai, plongeant comme on décoche une flèche, corps et esprit tendus vers l'en-but. Ce que vous ne voyez pas, et pour cause, c'est qu'avant qu'il ne dépose le ballon, la défense des Harlequins était parvenue à l'arrêter. Du moins le croyait-elle. Sam Simmonds évolue troisième-ligne centre, ce poste que les techniciens sud-africains des premières grandes heures du rugby springbok considéraient comme le rouage essentiel à la bonne marche d'une équipe au point d'y placer leur meilleur joueur.

Samedi, à Twickenham, les Chiefs d'Exeter se sont inclinés d'un souffle (40-38) au terme d'une finale ébouriffante durant laquelle pas moins de onze essais furent inscrits, chaque équipe refusant à tour de rôle de tenter les buts de pénalités, même placés sous les poteaux adverses, celui de la 66e faisant exception à cette règle que les clubs français seraient bien inspirés de suivre à la lettre autant qu'à l'esprit. Cela dit, impossible de comparer la finale du Top 14 et celle du Premiership, ne serait-ce que parce que le bouclier de Brennus n'a pas d'équivalent au monde et que des internationaux français de renom se feraient couper un bras sur le champ pour avoir, avant cela, le bonheur de soulever ce bout de bois. 

Reste qu'à la litanie de buts de pénalité et les fulgurances de drop-goals, les Anglais qui furent naguère nos maîtres en matière de jeu au pied et de pragmatisme froid préfèrent aujourd'hui l'ivresse de jouer à la mains ou de viser des pénaltouches à la manière des Rochelais inscrivant le seul essai de leur triste finale derrière un ballon porté à trois minutes de la fin, choix qui doit aujourd'hui les interroger, du moins pour ne pas l'avoir fait plus tôt au lieu de laisser à leur ouvreur de poche Ihaia West le soin de manquer au pied ce qui leur aurait permis de gonfler leurs voiles au score. 

Puisque le duel des charnières - Thomas Ramos enfilant le maillot numéro dix au débotté avant de l'offrir à son copain Romain Ntamack, titulaire malheureux de manquer l'apothéose, et c'est aussi et surtout pour cela que j'aime le rugby - tourna très vite à l'avantage des Toulousains, combien de temps faudra-t-il aux dirigeants rochelais pour recruter (à défaut de former) un demi d'ouverture digne de ce nom pour qu'enfin les efforts méritants de ce club vertueux soient récompensés à leur juste valeur ? Deux finales perdues, est-ce assez ou bien attendent-ils d'autres désillusions avant que de se déciller et se décider ? 

Nous voilà arrivés au terme d'une saison qui sacre, de ce côté-ci de la Manche, le meilleur club, premier à l'issue de la saison régulière, champion d'Europe et surtout champion de France Espoirs, ce qui en dit long sur son potentiel et sa réserve. Cette réserve émise par Ugo Mola à l'heure de savourer ce doublé historique. Le coach toulousain a besoin de souffler. Il n'est pas le seul. Son hésitation à l'instant de repartir pour une nouvelle quête raconte le stress dont furent enveloppés joueurs, techniciens et dirigeants. Il laisse des marques. 

Du stress, le groupe France ne doit pas en manquer, parti en Australie disputer trois tests-matches en dix jours avec un effectif considérablement rajeuni et inexpérimenté, contraint de laisser les finalistes à leurs célébrations pour cause de restrictions sanitaires, de convention et de calendrier à rallonge. A deux ans de la Coupe du monde, que sortira-t-il de cette tournée si ramassée ? Souhaitons juste au XV de France, sur la lancée de son Tournoi, de poursuivre dans la voie du jeu de mouvement, de préférer jouer à la main des pénalités plutôt que d'arrêter l'horloge pour les convertir au pied. 

Ressourcez-vous maintenant - c'est l'intersaison - en plaçant quelques livres dans votre besace. Je vous ai proposé l'anthologie des poèmes de Michel Sitjar, conseillé La Totale (éditions Gasgogne). Vous pouvez aussi vous munir d'Oser Savoir (éditions les défricheurs), regard porté par l'auteur de ces lignes sur Kant et les Lumières. Pour ma part, j'opte pour Pétrarque. Dans son petit opuscule intitulé L'ascension du mont Ventoux, sommet que les coureurs du Tour de France emprunteront deux fois lors de la présente édition, le poète notait cet aphorisme d'Ovide, un de ses maîtres à penser, que je fais mien le temps d'un été : "Vouloir ne suffit pas : tu dois désirer pour réussir."

dimanche 20 juin 2021

Mieux que les autres

Comme l'indique son histoire, le jeu de balle tel que pratiqué au Collège de Rugby n'a été rien d'autre, à ses débuts, qu'une discipline pédagogique pour encourager les étudiants à former équipe, à respecter les règles édictées et à mettre leur corps, autant que leur coeur, à l'épreuve dans un combat collectif où il était déconseillé de prendre le ballon à la main et de courir avec sous peine d'encourir un châtiment physique - croc-en-jambe au mieux, fracture tibia-péroné au pire - parfaitement désagréable.

Aucun arbitre n'était désigné pour faire observer le règlement rédigé par les joueurs eux-mêmes, si ce n'est le capitaine de chaque formation. Une parfaite connaissance de l'articulation de cette loi librement consentie par tous constituait un socle au-dessus duquel pouvaient s'exercer ensuite le mouvement. Les vertus de cette pratique faisaient de l'établissement de Rugby l'un des fleurons pré-universitaire du Royaume-Uni, presque l'égal de ses prestigieux concurrents, Eton, Winchester and so on.

C'est pourquoi je ne cesse d'être surpris par les débats qui agitent les cénacles, les aréopages, les cercles - fussent-ils ovales - jusqu'aux reluisants plateaux de télévision dès qu'une décision arbitrale rappelle les joueurs au présupposé de base, à savoir la maîtrise de leurs attitudes et de leurs gestes. Vaines querelles puisque la décision du directeur de jeu, soutenue par son arbitre vidéo et de multiples passages à la table de montage, n'est pas rétractable, surtout en ce qui concerne les brutalités, l'antijeu et les fautes répétées.

Il est ironique de constater que si le Racing 92 a su emporter son derby de barrage en profitant de l'indiscipline du Stade Français, il est tombé face à La Rochelle en demie, plombé par une quinzaine de pénalités sifflées contre lui. Les fautes sont très souvent un baromètre : au-delà de onze dans une rencontre de haut-niveau, elles signalent qu'un tel manque de maîtrise a pour cause un déficit, qu'il soit en conquête, en replacement défensif, en perte de lucidité due à la fatigue.

Bordeaux-Bègles, qui peut se targuer d'avoir poussé le Stade Toulousain dans ses derniers retranchements - comme La Rochelle en finale de Coupe d'Europe -, s'est emmêlé samedi dernier de la même façon dans un excès de précipitation, cette écume de motivation sur laquelle il n'est jamais bon de surfer trop longtemps. Quatre fois au moins dans ce match serré, l'UBB eut l'opportunité de sceller un succès, et c'est un carton rouge pour plaquage non-maîtrisé et donc dangereux - tout un symbole - qui précipita sa chute.

La tâche des entraîneurs d'élite dans les champs physique, technique, tactique, voire psychologique - si, si, ils y travaillent, le pli est en train de prendre - devrait aussi se prolonger dans l'étude du règlement. Car, enfin, il est inconcevable que des joueurs professionnels ne connaissent pas précisément les bases du jeu qu'ils pratiquent. J'insisterais, pour ma part, sur l'aspect éducationnel, à savoir la capacité à prendre du recul sur les événements, cette lucidité dans l'action qui sépare les grands joueurs des autres.

Cette prise de hauteur fut illustrée de façon cruelle par les Bleuets lors de leur rencontre inaugurale face à l'Angleterre dans le Tournoi des Six Nations moins de vingt ans disputé à Cardiff, dans ce que les Gallois nomment improprement l'Arms Park pour des raisons commerciales et qui n'est en fait que le terrain annexe de cet emplacement mythique sur lequel, comme à Pompéi, s'élève le Millenium Stadium sur de multiples strates de béton.

Magnifiques de fluidité et d'efficacité offensive en première période jusqu'à mener 19-3, ils courbèrent ensuite l'échine devant le pack blanc, et les poupons roses et joufflus de Sa Majesté refirent leur handicap de mauls en groupés pénétrants pour marquer cinq essais et l'emporter, 38-22, le sourire aux lèvres après avoir relu leurs fondamentaux en attaquant par la première page, celle qui commence devant.

Les penseurs latins encourageaient leurs élèves à "étudier, non pour savoir plus, mais pour savoir mieux que les autres". Qui des Rochelais ou des Toulousains saura le mieux maîtriser les règles du jeu, vendredi soir à Saint-Denis ? Et dans la fusion, la confusion, l'ébullition, l'engagement total, l'ultime combat, qui placera au bon endroit, si l'on veut tirer un enseignement de cette phase finale, le levier qui leur permettra de soulever le Bouclier de Brennus ? Le succès se trouve dans la question. 

dimanche 13 juin 2021

L'extase du contre-ut

 

Sur les plateaux de cette balance immanente, que pèse la raison face à la passion ? Implacable, la phase finale aux matches couperets a ceci d'exceptionnel qu'elle ramène nos pensées vers ce qui semble la source même du sport tel que nous l'attendons, fait pour gommer de notre quotidien la grisaille, l'ennui, la routine, jusqu'aux failles dépressives. Une sorte d'opium à usage festif entre deux arrêtés préfectoraux interdisant toute pratique collective.
Si les tribunes d'Aguilera culbutaient allégrement la jauge généreusement élargie pour l'occasion, le jeu proposé dans ce derby de barrage sur l'Atlantique, même s'il offrit presque quarante minutes de temps effectif, a touché le fond de l'indigence tolérée à ce niveau de compétition. Mais qu'importe le flacon, donc, puisque l'unanimité s'est faite autour de l'émotion distillée. Reste que la part des anges, cette évaporation naturelle des gestes techniques, n'a pas laissé grand-chose à voir si ce n'est un engagement forcené à la limite du catch à quinze.
Qu'une saison se décide et qu'une autre se dessine sur un médiocre coup de pied face aux poteaux après cent minutes d'affrontement fratricide raconte ce qu'une défaite a de cruel quand elle ne peut pas être compensée par un match retour. Et nos pensées vont vers l'infortuné Aymeric Luc, ailier détonnant dont la fiche de poste ne comprenait pas, jusqu'à samedi dernier, l'obligation de réussir un tir au but. Mais ce sport se nomme, l'Histoire témoigne, Football-Rugby. Il s'agissait donc bien là d'un coup de pied au culte.
Invité par Jean Trillo au Parc des Princes, j'ai assisté en mai 1984 à la fameuse finale entre Béziers et Agen, refermée sur l'épisode des tirs au but. 21-21 à l'issue de la prolongation, égalité parfaite dans tous les domaines, essai, transformation, but et drop. La perspective d'une tournée du XV de France en Nouvelle-Zélande modifia l'épilogue parce qu'à cette époque, on ne se privait pas des finalistes pour un voyage dans l'hémisphère sud... L'arbitre, l'urbain M. Yché, alla s'informer auprès du délégué sportif, lequel prit alors ses ordres d'Albert Ferrasse, tout-puissant président de la FFR assis en tribune officielle, tandis que certains finalistes attendaient l'issue en fumant une clope...
Le résultat fut catastrophique. Comme aux jeux du cirque fut décidé une série de tirs au but, ce qui d'ailleurs n'était pas inscrit dans le règlement, et en commençant par le côté droit sur la ligne des vingt-deux mètres, autre bizarrerie. Contre toute logique, trois buteurs de chaque équipe frappèrent successivement : Agen ouvrit le bal et seul Bernard Viviès réussit son tir. Le Biterrois Philippe Bonhoure, qui était samedi arbitre vidéo à Aguilera, a bien évidemment dû se remémorer sa frappe manquée qui obligea les six buteurs à poursuivre cette torture, côté gauche.
Ironie dont on ne guérit pas, c'est du meilleur buteur agenais que vint le drame, sous la tribune présidentielle. "Même trente-sept ans après, c'est toujours douloureux, avoue l'ancien demi d'ouverture international agenais Bernard Viviès, que j'ai joint au téléphone. J'ai mis longtemps à cicatriser : plus de dix ans. Cet épisode douloureux m'a poursuivi toute la fin de ma carrière de joueur, et j'ai joué jusqu'à trente-huit ans avec Nîmes. Juste après ce derby, j'ai reçu plein de textos (rires). Maintenant, ça fait partie de ma vie. Ce qui est terrible, c'est qu'on ne se souvient que de moi alors que je suis le seul à avoir mis un but... Pierre Montlaur en manque deux, Philippe Mothe en manque un. Alors oui, je me suis mis à la place du petit Aymeric Luc..." ajoute l'actuel responsable fédéral du XV de France.
Le rugby serait le grand perdant de ce barrage cédant sous le flot des émotions s'il ne prenait pas soin d'Aymeric Luc, submergé par la culpabilité. Que les Bayonnais se souviennent qu'ils ont perdu ce derby en refusant de tenter par deux fois un but de pénalité bien placé qui, à 3-3, leur aurait sans doute donné un avantage définitif. Ils l'ont ensuite perdu en ne tentant pas, se prenant peut-être pour des All Blacks - remember Cardiff 2007 - le drop-goal victorieux à la dernière seconde quand leur ouvreur Maxime Lafage s'était ostensiblement placé dans l'axe des poteaux biarrots...
Tout pèse, jusqu'au plus infime détail, dans cette phase finale qui est au rugby ce que le contre-ut est à l'opéra et l'estocade à l'art du toreo. Ainsi le plaquage décapsuleur de Maxime Lucu sur Arthur Iturria plongeant pour l'essai du break à Chaban-Delmas ;  ainsi le premier ballon négociable, comme un défi, dans les mains de Gaël Fickou poignardant d'un raffut son ancienne équipe dès l'entame d'un autre derby, plus au nord, dans la salle des fêtes de La Défense la mal-nommée tant l'attaque fut reine. Il y a fort à penser que les demi-finales lilloises à venir - La Rochelle-Racing, puis Toulouse-Bordeaux - basculeront elles aussi sur un regard, une initiative, un geste. On espère juste qu'il n'y aura pas besoin de faire appel au Procureur de la République pour juger du dépassement d'arbitraire.

lundi 7 juin 2021

Rien que l'épopée

"C'est l'heure où les adeptes du strapping se pressent autour de la boîte à pharmacie tandis que notre soigneur, hilare, muni d'une paire de ciseaux, tente de répartir les bandes d'Elastoplast entre tous les rapaces, joyeuse pagaille dans ce vestiaire où tous déballent leur équipement. Mais on sent que ça monte ; là, il y en a encore qui crânent, balancent quelques vannes chuchotées, mais chacun sait au fond de lui que c'est parti, le match arrive, il est là, palpable, et la boule de stress qui nous prépare au combat n'a plus à être cachée. On l'a tous et on la partage désormais. Pas de pudeur, on va y aller ensemble.

Nous connaissons la valeur de l'équipe que nous allons affronter, nous savons qu'elle développe un jeu plus complet que le nôtre, mais putain, y'a pas que ça, ooh non ! On ne va pas les laisser gagner chez nous... Oh ça non ! Oh que non ! Notre capitaine distribue les maillots dans l'ordre de la feuille de match. Les rituels se mettent en place dans un mysticisme qu'aucun ne songe à commenter ; l'un enfile le même vieux tee-shirt qu'il porte sous son maillot depuis son première match en première, il y a bien des années ; l'autre sort sa paire de crampons dégueulasses - il ne les nettoie jamais - et les chausse en respectant soigneusement une chronologie qui nous échappe ; tous massent vigoureusement leurs mollets et leurs cuisses avec un cocktail à base d'Algipan ; et celui-là se gargarise avec du Synthol qu'il recrache bruyamment dans les douches en poussant des rugissements ; et celui-ci balance des coups de boule dans tout ce qui passe à sa portée.

Ouais, ça vient, ça monte doucement dans le bruissement de l'Elasto qu'on détache de la bande plastifiée pour enserrer la tête de ceux qui jouent en tronche, dans les éclaboussures d'huile camphrée, dans l'odeur médicamenteuse des baumes chauffants. Et puis parfois, une interjection, de type sommaire, résonne : "Ils vont pas nous baiser, merde !", ou de type consigne impérative : "Et toi, tu t'appliques sur les lancers de pizzas, d'accord ?" Le vieux masseur distribue des chewing-gums en faisant le tour du vestiaire, prenant le temps d'ajuster une virgule de vaseline sur les arêtes nasales avant qu'on entre sur le terrain.

L'équipe au complet est maintenant réunie dans les douches, épaules contre épaules. Notre capitaine annonce les modalités sur un ton péremptoire dans le vacarme des crampons sur le carrelage : "Echauffement sans ballon, on s'en branle du ballon ! Aujourd'hui les gars, on va remuer de la viande pendant quatre-vingt minutes... Ne vous attendez pas à autre chose, je me fous de la manière, je veux des copains... On s'engueule pas, quand y'en a un qui fait une connerie, on s'y met deux fois plus... On sort en bloc, on regarde personne, on ne dit pas bonjour à maman, direction l'en-but du côté du tennis, on parle à personne, on est de vrais cons, on reste concentrés sur ce qu'on a à faire... Bordel, vous êtes prêts les gars ?"

L'équipe se concentre en piétinant devant la porte du vestiaire. Le bruissement de ce magma humain est ponctué de profondes expirations ; les regards se croisent et se verrouillent sur un clin d'oeil complice, parfois on se prend mutuellement la tête à deux mains pour un petit coup de boule d'encouragement, et ça renâcle, et ça trépigne, et ça se tape les épaules et les pectoraux du plat de la main... Il est temps ; le capitaine hoche la tête vers l'entraîneur qui s'efface, la porte s'ouvre. Meute compacte, nous sortons."

C'est la lutte finale. Moment singulier au terme de vingt-six journées à classer et déclasser, vingt-six matches, d'aout à juin, faits pour suer, saigner, se souder et se lier. Des brèves défaites évacuées aux longues nuits de victoires arrosées, et inversement, instants de communion cosmiques, d'entraînements foireux, de passes aveugles, de remplacements précipités, d'efforts inexorables et de confusions épiques. C'est l'heure où les statistiques n'ont plus aucun sens, où l'équipe n'est pas composée des meilleurs joueurs de l'effectif mais des plus fiables, des plus solides, des plus hermétiques au stress. C'est l'heure où tombe le couperet, sans match retour.

Les Girondins reçoivent les Montagnards tandis que l'Ile-de-France se découpe en clans irréconciliables à l'heure de monter sur Seine : noeuds papillons roses contre éclairs fuchsia. Les porteurs de croix catelan affrontent vendredi soir les hérauts de Blanche de Castille, ce qui est plus viscéral que d'être pro ou anti Fickou qui, de toute façon, est natif de La Seyne. Dans quelques instants, ne resteront que des souvenirs qui, floutés, finiront par s'estomper, émotions nébuleuses entre amertume et dérision. Le vainqueur, parce qu'il y en aura forcément un, et même deux ce week-end, tapera sur l'épaule du perdant, encore accroupi sur le gazon, le regard dans le vague ; "Allez, relève-toi mec, relève-toi..." Il lui donnera l'accolade et ajoutera dans un souffle : "Vous avez une fameuse équipe... C'était un sacré match ! On se retrouve après, pour la bière ?"

Les yeux humides dans les vestiaires, les remerciements chuchotés en de furtives étreintes, quelques grossièretés vociférées en signe de dérision, des bourrades complices quand il n'y a plus de mot. Il ne restera de ces duels qu'une ligne de résultat et elle ne sera pas dans les palmarès car il y a encore long à vivre pour soulever le Bouclier de Brennus. Cette phase finale est le chemin d'une croix lourde à porter, trois stations crescendo situées en altitude où désormais seuls six clubs ont accès. Toulon, Castres, Lyon et Montpellier sont restés dans la vallée de larmes mais deux d'entre eux, le Racing 92 ou le Stade Français, Bordeaux ou Clermont, déchanteront à leur tour. Faites vos jeux !

Merci à Charette, aka Bruno Sarraude, pour cette passe à hauteur d'auteur et cinq paragraphes de son succulent roman ovale, Epopée (Edilivre, 2018), dont je ne saurais trop vous conseiller la lecture.