lundi 28 mars 2022

Le derby des psaumes


On peut être le meilleur joueur du monde et pas obligatoirement le héros de son village. En l'occurrence, il semblerait qu'Antoine Dupont soit aussi le sujet le plus remarquable de Castelnau-Magnoac, village blotti entre deux collines, avec Lannemezan en limite d'horizon. Il est le champion de sa rue et même les bergers qui dorment un peu plus haut lui reconnaissent la sagesse que n'ont pas tous les enfants sur le berceau desquels toutes les fées se sont penchées.
Et vous voudriez que nous quittions le Tournoi des Six Nations par la petite porte du Championnat domestique sans profiter encore une fois du sacre de Saint-Denis dans cette basilique contemporaine qu'est le Stade de France désormais hissé au rang d'écrin, lui qui fut si longtemps le plus froid des réceptacles, enceinte hybride construite en forme de soucoupe volante pour recevoir tous les types de spectacles mais qui n'est véritablement adaptée à aucun ?
Comme vous, j'ai envie de rester encore un peu sous le charme d'un Grand Chelem parmi les plus aboutis qu'il m'a été permis de suivre depuis 1977. Chacun de ces succès sans partage a son histoire, ses histoires, mécanismes souterrains qui demeurent au secret. La grande différence avec les éditions précédentes, c'est qu'aujourd'hui rien n'est caché, tout est filmé, avec l'accord des joueurs et la complicité du staff pour la plus grande publicité fédérale.
Ce crochet intérieur permet de partager, grâce à des épisodes d'une dizaine de minutes, la vie du groupe France, lequel ne se préoccupe pas de la présence de la caméra, version 3.0 de la médiatisation maîtrisée en interne et savamment distillée au grand public, à l'image de ce que font aussi les candidats à la présidence de la République. Les Bleus furent ainsi au contact de la Légion Etrangère et du saltimbanque Patrick Sébastien, de l'acteur Jean Dujardin et du philosophe Charles Pépin, lequel eut la bonne idée de leur parler pendant une demi-heure des mystères de la construction d'une équipe et des ressorts de la confiance en soi.
Nous n'avons pas fini d'évoquer le retour des Bleus dans leurs clubs respectifs et de mesurer l'effet qu'ils ont sur le Top 14. Auscultons les contenus de matches de la journée passée : Paul Willemse a boosté Montpellier en difficulté, Atonio et Alldritt ont éteint les Racingmen, Dupont, Baille, Marchand, Cros, Ramos et Flament se sont employés à faire ployer Lyon. Sans parler de Villière et de Gros qui enchantèrent Mayol. Il y a encore une journée de Championnat à disputer, le week-end prochain avant de basculer sur l'Europe. L'effet Grand Chelem n'est pas prêt de s'évanouir. 
Je lis un peu partout et ici même le mot "chelemard". C'est franchement laid... Pourquoi utiliser une expression si moche pour évoquer un succès qui touche au sublime ? Ce mot était tout juste bon pour le clan de 77 qui se distinguait en faisant bande à part et assumait cet hermétisme. Ces Chelemards n'avaient du raffinement qu'une lointaine idée et jouaient de leurs pesanteurs pour mieux éloigner les intrus. Dupont et ses amis ne méritent pas ce mot disgracieux.
Il n'aura échappé à personne que nous allons bientôt passer au derby. Mais qu'est-ce donc qu'un derby ? Désormais, seul le choc entre le Racing 92 et le Stade Français mérite ce label. Pour le reste - Clermont-Brive, Toulouse-Castres, La Rochelle - Bordeaux-Bègles -, on parlera d'opposition au mieux, d'inimitié au pire. Rien à voir avec la guerre des clochers qui opposait Lombez à Samatan, la rivalité entre Brive et Tulle, voire l'affrontement Albi-Carmaux. Le marketing est passé par là.
Derby ou pas, prenez quand même soin d'Antoine Dupont. Ses récentes performances et son charisme "six-nationesque" ont fait naître une croyance qui se répand comme la bonne parole : sans lui, le XV de France ne serait pas tout à fait le même... On l'a vu distribuer les bons ballons comme d'autres multiplient les pains. De nombreux convertis se rendent aux stades en chantant des psaumes, agrémentent leurs ordonnances de quelques Pater Noster et autres Ave Maria, allument des cierges devant les vestiaires et prient le soir à l'heure du prime-time. Comme s'il était possible de laisser des prochains succès bleus la clé sur l'autel.

dimanche 20 mars 2022

Un Ange passe

Les internationaux disposent d'un sixième sens dès qu'ils évoquent leur matrice, ce XV de France dont ils sont issus, qui les a fait naître. Interrogés en amont de ce France-Angleterre dont on espère qu'il sera le camp de base d'une belle ascension jusqu'au sommet Webb-Ellis mais dont on évitera de faire l'alpha et l'omega du savoir-faire bleu, ils ont été unanimes sans se concerter. « Je suis confiant : sans le surestimer, ce XV de France est tout à fait capable de passer cet écueil » prophétisait Philippe Sella. Olivier Magne, lui, voyait « le XV d'Angleterre en situation défavorable, fébrile, peu sûr de son rugby, de ses forces, de son caractère, de son organisation tactique. De sa relation, aussi, avec son entraîneur, qui a l’air très compliquée. Tout est réuni pour que cette équipe d’Angleterre se fasse corriger au Stade de France. Et je ne vois pas comment une défaite française pourrait survenir. » 

Pis, « l’Angleterre peut encaisser une défaite record, surenchérissait Thomas Castaignède. Ce n’est pas le meilleur XV de Rose du XXIe siècle. Les Anglais sont en période de transition et s’ils nous redonnent les ballons au pied, ils vont être punis sévèrement. » Pour Serge Betsen, « il faut que l’équipe de France garde la discipline qu’elle a montrée face aux Gallois. Dans ce contexte, une victoire contre l’Angleterre démontrerait qu’on a franchi un nouveau palier. » Ce qui est donc le cas. Et Marc Andreu de conclure : « Toutes les nations du Tournoi se valent, que ce soit par la qualité des joueurs ou des systèmes de jeu. Ce qui fait la force du XV de France, c’est son état d’esprit positif. » Ca, c'était avant.

Grand Chelem, donc, le dixième, et de belle facture. On peut y distinguer la structure sur laquelle Fabien Galthié et son staff vont monter l'attente. Défense, occupation du terrain, conquête. Je connais quelques entraîneurs que ce triptyque va enjouer, eux qui insistèrent pour qu'il soit le socle du XV de France dont ils avaient la charge, et je pense là plus précisément à Jacques Fouroux et à Pierre Berbizier, qui ne cessèrent de l'imprimer dans l'esprit de leurs joueurs. Avec les résultats que l'on connait. Quatre Tournois remportés d'affilée entre 1986 et 1989 pour Fouroux, trois tournées victorieuses en séries de test-matches pour Berbizier en Argentine, Afrique du Sud et Nouvelle-Zélande entre 1992 et 1994.

Pour autant, ces réussites, on le sait, n'offrirent aucunes garanties à l'heure de disputer la Coupe du monde. Toute la difficulté que rencontre le rugby français est résumée dans ce hiatus. Forte du plus gros réservoir de joueurs au monde - derrière l'Angleterre -, la France n'a d'autre position, quand les planètes sont alignées, que d'occuper la première ou la deuxième place du Tournoi des Six Nations. Tout autre classement doit être considéré comme un échec. Pour cela, les clubs et l'équipe de France fonctionnent en synergie. C'est fait. Et que la FFR et la LNR se tiennent côte à côté. Le symbole ne vous a pas échappé: René Bouscatel et Bernard Laporte étaient - c'est une première dans le Tournoi - épaule contre épaule au moment de la remise du trophée à Antoine Dupont. Dans ces cas-là, en amont, le XV de France a tout loisir de s'exprimer. 

On peut donc regretter les années de querelles, les occasions perdues, le potentiel gâché, les discordes et les tensions. Rudyard Kipling, en écrivant Le Livre de la Jungle, pensait aux Français, querelleurs et forts en gueule, quand il dépeignait le peuple singe, ces Bandar-Log et leur chef King Louis. Que de générations sacrifiées sur l'autel des pouvoirs institutionnels et des luttes d'égo, quand on y pense. Ce Grand Chelem 2022 pourrait être celui du grand coup de gomme tant il met en exergue l'impérieuse nécessité d'avancer liés, comme on le dit d'un ballon porté, groupé, pénétrant, à proximité de l'en-but adverse. Cette arme sur le terrain l'est aussi en coulisses.

Bien sûr, nous pourrions évoquer ligne après ligne ce Grand Chelem porteur d'espoirs. Savourons l'instant. Sans chercher à regarder au-delà du trophée. Il suffit au bonheur des convertis. Il sera temps, l'année prochaine, de chroniquer l'édition 2023. Sans doute ma dernière avant de remiser le clavier. Mais nous n'en sommes pas encore là. Carpe Diem. Ce jour que ne pourra plus cueillir Martin Aramburu, compadre argentin lâchement assassiné de cinq balles dans le dos par un nervis d'extrême droite connu des services de police, la veille de ce Crunch, non loin de la Rue de la Soif où sont fêtées tant de victoires et noyées autant de défaites.

Je veux garder vif en mémoire le geste de Josh Adams offrant à Ange Capuozzo, son vis-à-vis, la médaille du meilleur joueur du dernier Galles-Italie remporté avec panache et conviction par la Nazionale ; Capuozzo, auteur d'une relance slalom géant passant en revue la moitié des Poireaux soudain plantés pour offrir d'un délice de passe intérieure l'essai à son coéquipier Padovani. Tout le rugby en un plan séquence. Le jeune et frêle grenoblois se rendit dans le vestiaire gallois redonner à son généreux adversaire cette médaille qui ne lui revenait pas. Ce jeu n'a que faire de breloques.

samedi 12 mars 2022

Le dixième est en route

Les entraîneurs avec lesquels j'échange régulièrement l'affirment : de toutes les composantes, la défense n'est pas la plus compliquée à mettre en place. Contrairement à d'autres aspects du jeu, la conquête et l'attaque, par exemple. Mais c'est un socle sans lequel il est impossible de construire quoi que ce soit de pérenne. Cela dit, poussée à ce degré de technicité, la défense made in Edwards - Shaun, pas Gareth - frise la volupté. Un master class à montrer en boucle. Forgée dans les vertus qui composent ce jeu de rugby - solidarité, engagement, abnégation, dépouillement - la défense bleue n'a jamais rompu.

Vous avez sûrement entendu cet axiome : "La défense décide du vainqueur, l'attaque de l'écart au score." Le XV de France n'a développé que trois offensives et isncrit un essai. Somptueux, au demeurant. Il a défendu devant sa ligne à treize reprises. Et n'a rien encaissé même si les Gallois ont payé d'une défaite leur incapacité à franchir, faute de vitesse d'intervention et d'imagination. Les coaches de football américain assurent, eux, que si "l'attaque fait gagner des matches, la défense permet de remporter des titres". Pris à la lettre, cela augure du meilleur. Mais l'Angleterre, qui s'avance samedi prochain à Saint-Denis, saura placer la barre un peu plus haut que ne le firent les tenants du Poireau.

Chaque fois qu'un XV de France a disputé une finale de Coupe du monde - 1987, 1999, 2011 - il est toujours parvenu auparavant à décrocher un Grand Chelem. Pour l'équipe de Dubroca, ce fut quelques mois en amont. Pour la génération Ibanez, il s'agissait d'un doublé - historique. Quand à celle emmenée par Dusautoir, elle fit chuter l'Angleterre à Saint-Denis sous la pluie. C'est dire si la rencontre de samedi revêt une importance non dissimulée. Dans sa quête aussi effrénée que désordonnée depuis trente-cinq ans pour la conquête du trophée Webb-Ellis, le rugby français n'en finit pas de mesurer l'impact de cette dernière levée.

Il est curieux, d'ailleurs, que le Tournoi, qu'il soit des Cinq ou des Six Nations, s'inscrive entre deux pôles très éloignés l'un de l'autre. D'un côté le bonheur d'une participation, d'un voyage, d'un partage, supporteurs et joueurs mêlés dans le souvenir d'un match épique sans parvenir à se rappeler du score, si ce n'est d'une troisième mi-temps homérique enveloppée de rires et de regards. De l'autre le Grand Chelem comme balise absolue. A l'image des grandes dates de l'Histoire de France apprises par coeur et conservées comme des reliques, les années de Grand Chelems sont gravées dans le marbre et je ne vous ferai pas l'injure de les aligner ici.

Le Tournoi est nominal. Zéro ou un. Soit un vague souvenir enfoui sous un amas d'émotions variées, soit l'éclat d'une réussite absolue qui traverse le temps sans outrage. Ceux de 1968 n'ont rien oublié de leur saga abracabrantesque passée par Grenoble, commencée dans le deuil et terminée au petit matin d'une longue fiesta germanopratine dont les écarts, certains irracontables, demeurent enfouis rue Princesse. Ceux de 2002 ont prévu de se revoir à l'occasion du France-Angleterre qui s'annonce. Et on devine sans peine l'envie des coéquipiers d'Antoine Dupont d'entrer à leur tour dans cette confrérie.

En difficulté depuis le dernier Tournoi, Eddie Jones a encore perdu une occasion de se taire. Promettre l'enfer aux Irlandais, samedi à Twickenham, annoncer que ses joueurs allaient "les pourchasser partout, jusque dans le rue. Partout où ils seront, nous serons là, en face d'eux", était totalement déplacé. Son deuxième-ligne, Charlie Ewels, prit cette injonction à la lettre, percuta son vis-à-vis James Ryan sans ballon et récolta illico un carton rouge. En infériorité numérique, le XV de la Rose n'avait aucune chance de l'emporter. Mais, vexé, surmotivé, il a démontré sa puissance en mêlée, côté gauche. Aussi sa pugnacité en défense et sa rigueur tactique dans l'adversité. De quoi inquiéter avant The Crunch, final digne d'un mouvement symphonique qu'on espère être hymne à la joie.

De tous les compositeurs, Ludwig van Beethoven est celui - ce n'est que mon avis - qui a le sondé cet univers. Sa "première" porte l'héritage de ses précedesseurs, Joseph Haydn en particulier. Sa neuvième symphonie, elle, ouvre le champ des possibles, lequel couvrira un siècle de Franz Schubert à Gustav Malher, prenant soin d'irriguer au passage Anton Bruckner et Richard Wagner. Il en est de même pour ce dixième Grand Chelem qui s'offre au XV de France : sa perspective est vertigineuse. En cas de succès, j'imagine bien ce personnage de film - dont je vous laisse trouver le titre - déclamer : "C'est un oiseau tissé en fil de paradis, un nectar argenté coulant dans une cabine spatiale, et la pesanteur devenue une simple plaisanterie."

mardi 1 mars 2022

La harpe et le sillon

Sur le mur d'enceinte de Murrayfield est désormais gravée depuis le 26 février 2022 cette inscription : "C'est avec un parfait mépris pour les règles du rugby tel que joué à son époque que Gaël Fickou prit le ballon dans ses mains dans l'axe des poteaux écossais et, d'une foulée chaloupée, courut dans un large travers pour s'en aller marquer, seul, en coin, après avoir passé en revue la moitié de la défense adverse." Une plaque presque identique ornait le mur d'enceinte du Lansdowne Road de Dublin que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître, les moins de trente non plus, avant qu'il ne soit démoli. Elle rendait hommage à l'Australien David Campese en des termes similaires. C'était le 27 octobre 1991, en demi-finale de Coupe du monde. Cette action est gravée à jamais dans ma mémoire. Un large travers, aussi, devant la défense néo-zélandaise pour marquer en coin, au pied de son rival, l'immense John Kirwan.

C'est le privilège des princes que de faire fi des règles et des coutumes pour créer leur propre univers. Gaël Fickou, c'est désormais une certitude pour ceux qui en doutaient encore, fait partie de ces êtres à part, joueurs uniques dans leur genre, capables de repousser les frontières du réel, de faire vieillir les normes. Car enfin, il n'y a pas pire injure à jeter au visage d'un trois-quarts que de lui reprocher de courir en travers pour manger l'espace de ses partenaires, leur dénier une existence. Un acte d'égoïsme absolu qui était souvent, lorsque je jouais, la certitude de passer le dimanche suivant du poste d'ouvreur au mieux à celui d'ailier, mais le plus souvent de remplaçant.

Gaël Fickou, comme David Campese, et quelques autres aussi dont vous pourrez alimenter la liste en apportant un commentaire ci-dessous, ne s'est pas offert un luxe, encore moins un choix par défaut. Non, il a d'abord regardé comment s'étalait la défense, où étaient ses partenaires. Suivez son regard : il vise les intervalles, tente de redresser sa course, amorce un cadrage sur la passe, se ravise, et voyant qu'au fil de ses foulées les solutions se réduisent décide de viser le poteau de touche - que les footeux nomment le corner par un anglicisme dont ils ne partagent pas l'usage - sans le moindre doute sur l'issue de son arc-de-cercle. On en oublierait qu'il émarge aujourd'hui à soixante-neuf sélections, soit davantage que Vincent Clerc et Christophe Dominici (67), autant que Philippe Saint-André, pour ne parler que de la période récente, ce qui lui offre un petit pécule de confiance à distribuer.

Demain, il lui arrivera sans doute de commettre un de ces impairs magnifiques, comme David Campese en 1989, jour de match face aux Lions britanniques et irlandais, qui balança dans le vide une passe en arrière : cette cagade grandiose permit à l'ailier gallois Ieuan Evans, tout heureux, de marquer, et aux Lions de remporter la série de tests. Peut-être manquera-t-il une balle cruciale, du genre de celle que laissa tomber devant lui l'indéboulonnable capitaine écossais Stuart Hogg en fin de première période face aux Tricolores, samedi dernier, alors qu'il n'avait plus qu'à courir vingt mètres pour marquer un essai qui aurait peut-être - je dis bien peut-être car rien n'est moins sûr compte tenu de la valeur de ce XV de France - changé la face du match.

Quand ce n'est pas un mauvais réflexe ou un geste mal ajusté qui transforme l'or en plomb, c'est parfois le ballon qui s'y colle d'un rebond. Voyez plutôt celui qui échappa au pied de Maxime Médard, dimanche soir en clôture de la 19ème journée de Top 14 passée inaperçue entre trois tranches de Six Nations. Ce rebond fit le bonheur du Girondin Jean-Baptiste Dubié mais pas celui de Max Médard, le JPR d'Ernest-Wallon, que l'on vit glisser au sol de dépit et de honte, le pied gauche - mais alors vraiment très gauche - encore en l'air, frappant le vide là où aurait dû se présenter l'ogive.

Mais c'est toute la beauté de ce jeu que de compter, quand les temps semblent faciles, sur le sort contraire qu'inflige un rebond. Ce ballon est ovale. Il ne tourne donc pas rond, c'est un fait. Un fait exprès. Pour nous rappeler que rien ne rebondit parfaitement là où on l'attend et qu'il faut anticiper le pire. Regardez ses partenaires : ils se sont approchés de lui pour le réconforter, qui d'une tape amicale, qui lui ébouriffant les cheveux sur l'air du "Ne t'en fais pas, rien de grave..." Car le rugby, s'il tolère les exploits individuels, n'existe qu'à travers l'équipe et son esprit. Et puis entendez le public scander son prénom, "Maxime, Maxime". Supporter, c'est se souvenir de tout ce que les héros ont apporté.

Comme beaucoup, j'ai hâte d'être à vendredi. Pas le prochain, non, l'autre, le suivant. Onze mars. Vingt-et-une heure. Le toit sera fermé. Ou ouvert. Qu'importe. Le feu jaillira des torches galloises installées à la sortie des vestiaires au moment de l'entrée des équipes. Les chants descendront des tribunes comme ils descendaient naguère des vertes vallées de la Rhondda, quand le charbon coulait dans les veines minières. Le public aura entonné Delilah pour patienter. Gareth Edwards, qui déteste se voir en statue quand il se rend chez son horloger, ne se sera pas privé de dire tout le bien qu'il pense d'Antoine Dupont en direct à la télévision, et il sera vite l'heure des hymnes. Rendez-vous au premier ruck.