dimanche 24 avril 2022

Brennus au deuxième tour

Certains titres de champion de France se gagnent sans aucune difficulté majeure mais dans l'indifférence la plus glaciale. C'est le cas du football et si les joueurs du PSG s'étaient enfermés dans un réfrigérateur géant pour s'autocongratuler après l'acquisition de leur titre domestique, ils n'auraient pas été plus congelés que ce qu'ils furent par l'accueil, ou plutôt l'absence de réception, de leurs adversaires, des passionnés de ballon rond et de sport en général, et, plus grave, de leurs propres supporteurs.
Rien de tel en rugby. Et c'est certainement la différence la plus visible entre ces deux sports collectifs de balle, cousins germains comme on le sait. En Top 14, la course au Brennus est lancée comme un sprint géant sur six tours de piste par élimination. Aujourd'hui, onze clubs sont encore mathématiquement en lice pour décrocher les six places qualificatives à la phase finale. Même si, de mon point de vue, seuls Lyon et Toulouse sont en ballotage - douze victoires chacun - pour le sixième ticket, qui sera très disputé.
Pas de calcul d'apothicaire, d'augure dans le marc de café, de petits arrangements entre amis, d'impasses : ne restent plus que trois journées pour se trouver dans les six premières lignes du classement. Jamais championnat n'a été aussi ouvert et incertain. Aucun club ne peut se targuer de dominer la compétition et jusqu'au bout de la nuit dans laquelle se plongera la finale, le 24 juin, nous avons deux mois devant nous d'incertitudes et de passion, puisqu'à la phase de qualification succèdera celle à élimination directe.
Avec sa cohorte d'intergalactiques sidérants, le PSG - 640 millions d'euros de budget - est devenu samedi soir champion de France sans forcer, à la petite semaine, dans l'indolence presque, encaissant à domicile et en supériorité numérique un résultat nul pour assoir son titre sans même s'en inquiéter face à l'une des équipes, Lens, qui pratiquent - avec Rennes, me dit-on - le jeu le plus affiné. Quand on aligne Navas, Donnaruma, Marquinhos, Ramos, Di Maria, Verratti, Messi, Neymar et Mbappé, que peut-on craindre sinon la suffisance et l'embourgeoisement ?
Il existe néanmoins un trait de plus en plus commun entre le rugby et le football, c'est le tiroir-caisse et son effet immédiat, le recrutement. Les Qatariens ont mis le paquet d'oseille pour rassembler des stars en bouquet - c'est comme les offres télé - sans se préoccuper de savoir si ça pouvait faire une équipe et la Champions League leur a rappelé de façon amère sans être cruelle que l'ensemble des onze joueurs doit toujours être supérieur à l'ensemble des parties pour constituer une entité susceptible de décrocher la timbale.
Je ne sais pas si, en Top 14, l'indifférence et l'achat compulsif vont de pair comme il semble que ce soit le cas en Ligue 1, mais le danger guette. Quand on a vu certains clubs français des années 2010 acheter à tout va des gros bras et d'autres prendre ce pli aujourd'hui, on peut craindre que le rugby ne soit pas capable d'infléchir cette course à l'armement. Chaque saison, les effectifs se transforment comme des organismes génétiquement modifiés et celui qui brillait dans le Béarn se retrouve devant l'Atlantique quand l'étoile du Midi-Pyrénées bascule sur la rade. La course au titre est la visée des présidents-propriétaires-mécènes. Pour le reste - lien social, identification régionale, fierté éducative, sentiment d'appartenance -, vous irez voir chez les vrais amateurs de séries régionales.
Pire que l'absence de passion autour du titre parisien dans le silence morbide du Parc des Princes si mal nommé ce samedi soir, nous enveloppe la froide indifférence de l'abstention à l'instant de déposer une feuille de match et d'élire pour cinq ans un capitaine de route et de vie. Lugubre perspective que celle d'être dirigé par défaut, négligence ou désintérêt au moment où la guerre frappe de plus en plus fort à nos portes, ce que l'on croyait impossible en Europe. "Ceux qui ne peuvent se rappeler le passé sont condamnés à le revivre", prophétisait au tout début du siècle dernier l'écrivain Georges Santayana, dans La vie de la Raison. A force de le répéter, ça finira bien par rentrer.

D'ici le 8 mai, je vous laisse les clés du club-house. Et notez dans votre agenda : rendez-vous pour Le Grand Maul du 20 au 22 mai à Saint-Paul-les Dax (40).

mardi 12 avril 2022

Effet de manche

Alors que la Coupe d'Europe est censée nous apporter un brin d'exotisme, certes tout relatif, en nous offrant un effet de Manche, ces huitièmes de finale en deux sets croupissent dans l'eau des derbys entre régionaux de l'épate et autres rencontres en chien de fusil. Leinster-Connacht, Bristol-Sale, La Rochelle-Bordeaux et Racing 92-Stade Français : quel est l'intérêt de cette première étape de phase finale sinon d'écrémer les représentants irlandais, anglais et français ?

Où sont passés les Gallois et les Ecossais ? C'est bien la limite de cette compétition tronquée dès son entame avec deux poules et des affrontements parcellaires. Mais il faut bien que le spectacle continue, n'est-ce pas, même si l'équité sportive doit en souffrir. A l'heure où le calendrier marque les organismes, il aurait été de bon ton de limiter la phase finale - comme le fait notre Top 14 - à quelques matches de barrages avant de se rendre directement en demi-finales. 

Le poussif derby d'Île-de-France en trois manches vire au chemin de croix d'un Stade Français incapable de se réinventer, même fort d'une centaine de millions d'euros. L'argent, et c'est heureux, n'achète pas tout et certainement pas l'esprit rugby. Mais cette implosion pose questions. Qu'est-ce qu'un club ? Qu'est-ce qu'une équipe ? Pourquoi un milliardaire a-t-il soudain envie d'être champion de France ? Quel parallèle tracer avec le Paris Qatar Saint-Germain ?

On constate aussi le coup d'arrêt bordelais. Mauvais récolte ? C'est pourtant la même équipe, ou presque, si l'on retranche une paire de deuxième-lignes et un ouvreur international, deux postes qui racontent le rugby, à savoir le devoir et l'orchestration, l'ombre et la lumière, deux façons d'attaquer la ligne d'avantage : dans l'affrontement et dans l'intervalle. Il y aurait beaucoup à écrire sur cette dichotomie qui est finalement un complément, et toute la richesse de ce jeu.

On suivra néanmoins avec intérêt la remontée de handicap des Toulousains à Belfast et des Clermontois à Leicester, ainsi que la façon dont Montpellier - la petite phalange qui monte, qui monte - va s'y prendre pour faire fructifier son bonus magnifiquement acquis pendant une heure à domicile et malencontreusement dépensé en fin de rencontre... Car si certaines oppositions manquent du charme que procure le mélange de genres, ce n'est pas le cas de ces trois-là, suspense à la clé.

J'ai lu une partie du buzz provoqué par la sortie dans les salles de cinéma du film sur le Stade Toulousain humblement titré Le Stade, comme s'il n'y en avait qu'un, ce que le Stade Rochelais et le Stade Français doivent apprécier, j'en suis persuadé. Historiquement, le stade, soit la distance d'environ 180 mètres, variait d'une cité l'autre. Ce documentaire en noir et rouge vaut surtout, semble-t-il, pour la présence "jeandujardinesque" du coach Mola, et j'offre un exemplaire de mon prochain ouvrage - De Pétrarque à Kerouac sur les pentes du mont Ventoux (éditions les défricheurs) - à celle ou celui qui livrera le décompte exact du nombre de fois où l'expression "putaing" est prononcée...

Cette apologie filmée des doubles champions - d'Europe et de France - en titre n'est pas la première tentative de rendre compte du rugby par un crochet intérieur. Au début de ma carrière de journaliste, en 1985, sortit Le cuir dans la peau, qui était une visite de Graulhet - là-aussi du rouge et du noir, mais en plus abrasif. Le battage médiatique de cette première immersion ovale resta très mesuré. Depuis, les docus filmés plongeant dans la psyché ovale n'ont pas manqué (on en compte 67). De Score (1980) à Ocean Apart (2020) en passant par Beau Joueur (2019) et le corpus de Christophe Vindis, je n'en tiens pas liste exhaustive. Alors je vous invite à déposer votre contribution afin de nourrir de cette chronique la fin.

mardi 5 avril 2022

La règle de trois

Elle a lieu, la guerre. A l'heure où montent les dictatures, où la bêtise des humains atteint des sommets de cynisme, où la perspective d'élections tire chaque jour davantage vers le bas les débats, une bataille en trois manches agrège quatre clubs français qui, par le hasard des calendriers domestiques et européens, se rencontrent ad nauseum. Trois matches qui sont autant de derbys. De quoi alimenter les chroniques en circuit fermé.
Les techniciens y trouveront plaisir à disséquer les compositions d'équipes, les modifications stratégiques, les combinaisons de jeu, les degrés de motivation. Les observateurs traqueront les petites phrases assassines, les messages subliminaux, les huis-clos revanchards, voire les claques sur le menton, et à ce titre le bord de touche à Chaban-Delmas sera ausculté et je parie qu'une caméra n'aura d'autre fonction que de suivre le deuxième round entre Christophe "The Bull" Urios et Ronan "Dodger" O'Gara.
Ainsi va le rugby d'ici, plus intéressé par des éclats de voix et des crochets éclairs que véritablement magnifié par le sillage doré d'un Grand Chelem en haut style. Huitièmes de finale, donc, de Coupe d'Europe en deux temps et, on l'espère, en trois mouvements. J'ai apprécié, comme beaucoup, la performance éblouissante du Racing 92 - sept essais - face au fantôme d'un Stade Français qui ne parvient toujours pas à digérer l'objectif fixé en début de saison par son capricieux propriétaire qui n'en peut plus de jeter des millions d'euros du côté de la  Porte de Saint-Cloud. Pour des clous. J'attends donc de voir fuser la réaction d'une équipe humiliée.
Tout comme m'intéresse - curiosité d'ordre purement anthropologique - la composition de l'Union Bordeaux-Bègles pour le déplacement en Aunis. Est-il possible de terrasser le surpuissant pack rochelais - Atonio, Priso, Skelton, Sazy, Alldritt - en utilisant une deuxième-ligne composée de joueurs qui ne sont en rien constitués pour ce type d'association ? Placer ensemble Cameron Woki et Louis Picamoles dans la cage bordelaise est-il un aveu d'impuissance, le signal d'une réduction d'effectif ou bien une projection stratégique dans un terme si long qu'il est difficile d'en voir les contours ?
Dans la situation actuelle où, à quatre journées de la fin de la phase régulière du Top 14, dix clubs - et j'y inclus Pau comme cadeau de Noël - visent les seules six places ouvertes à la qualification, il me parait complétement irréaliste d'imaginer qu'une équipe puisse vraiment jouer sur les trois tableaux sans se brûler les crampons. Les épreuves sont triples et concomitantes : doublons, Championnat de France et Coupe d'Europe. Ce n'est pas un calendrier, c'est un parcours du combattant. C'est la guerre de trop !
Ce n'est pas un secret, la compétition à très haute intensité telle que vécue par l'élite du rugby, et pas seulement français, se prépare en amont en ajustant quatre curseurs : physique, technique, stratégique et psychologique. Et, qu'on le veuille ou pas, c'est bien le cérébral qui, en dernier lieu, fait la différence. Et il suffit de constater le rejet - souvent mal  justifié - de la plupart des clubs de s'adjoindre un préparateur mental pour imaginer qui aura finalement les derniers maux.
Mais nous n'échangerions pas notre passe de trois pour suivre le football français qui se satisfait, contraint et forcé, d'une Ligue 1 transparente derrière l'hégémonie parisienne, ce PSG affriolant comme une danseuse orientale du ventre - mou, le ventre, mou - lors de ses prestations domestiques, de ses passes et de ses passements de jambes, mais friable comme une biscotte dès que le niveau s'élève pour passer au cran européen. Le psychique, on vous dit. Et il va en falloir, de la dureté mentale, pour réciter week-end après week-end, cette fameuse règle ovale de trois.