L'heure d'hiver en automne est au remplissage de novembre. L'idée ? Attirer le chaland en multipliant les rencontres. Jusqu'à trois en quatre jours. Du jamais vu. Comme s'il n'y avait pas assez de rugby par ailleurs sur les chaînes, payantes ou pas. Mais en ce mois, il s'agit pour la fédération de remplir urgemment ses caisses en nationalisant les Barbarians français juste avant qu'ils affrontent les Maoris (Bordeaux, vendredi 10) et en organisant un match surnuméraire à Lyon entre des bleus pâles laissés pour compte et une équipe de kiwis-bis (mardi 14).
Si l'on ajoute à ces deux «couturières» provinciales les tests-matchs face aux All Blacks et au Springboks, soixante-neuf joueurs seront de la revue bleue, étalonnés face à ce qui se fait de mieux à l'heure actuelle dans l'hémisphère sud. Pour savoir, ça on va savoir ! Attention, cependant : cette année, notre liste «Elite» - qui ne sert plus à rien un an après sa création - s'est entraînée pendant plusieurs semaines à Marcoussis à soulever de la fonte et à courir autour du terrain. Aucune excuse ne sera retenue en cas, possible, de nouvelle déroute.
Le staff tricolore et la nouvelle présidence fédérale n'ont pas encore tout essayé : puisque les derniers nommés ont un besoin urgent de liquidité, on leur conseillera de (re)monter le fameux match de sélection entre les Probables et les Possibles qui a fut éclore quelques talents éphémères et mourir de vieilles certitudes au cours de rencontres naguère considérées comme un pensum mais qu'il suffirait de peindre aux couleurs d'une saine concurrence - je suggère de décliner à tous les temps «le groupe vit bien» - pour attirer là-aussi le chaland.
Il y a tout juste vingt ans, en novembre 1997 et dans le cadre de l'inutile Coupe Latine, l'équipe de France s'entraînait dans un stade de football situé à l'octroi de Bagnères - Pouzac, précisément. J'y étais - et les dirigeants du club bigourdan n'avaient rien trouvé de mieux que de faire payer cinquante francs (dix euros d'aujourd'hui) l'entrée au stade au motif que les Tricolores allaient s'ébrouer face à l'équipe locale. La gestion des guichets avait été laissée à l'entière discrétion du trésorier de Bagnères-de-Bigorre, le staff tricolore, Jo Maso en tête, fermant les yeux - un peu gêné quand même - sur ce détournement de fonds du public.
Cette faute de goût avait été commise avec - soi-disant - l'aval fédéral au motif, déjà, qu'il fallait bien faire vivre les petits clubs, s'était justifié Roland Bertranne. Mais sans s'appesantir. En fait de match entre Bagnères et le XV de France, il s'agissait seulement de dix minutes d'opposition raisonnée. Mille spectateurs grugés avaient payé pour ne rien voir et au milieu d'eux était assis le président de l'époque, Bernard Lapasset, pas le moins du moins embarrassé. C'est à ça qu'on reconnait les grands commis. Un autre millier était resté derrière les grilles, frustré.
Cet épisode peu glorieux m'a donné une idée. Puisque la Fédération a besoin d'argent frais, pourquoi ne pas organiser un tournoi de gala pendant les tests de novembre. Avec ce que le Championnat compte de retraités internationaux au chômage technique (cf. photo avec Nonu, Ashton et Radradra dans la même action) pendant les tournées d'automne, il y a de quoi générer huit équipes thématiques. C'est dire la richesse de notre compétition domestique.
Pourraient ainsi s'affronter en quarts de finale, demies et finale une sélection des meilleurs étrangers (All Star), une sélection sud-africaine (Rainbow), celle des îles du pacifique (Magics), un best of des natifs de l'hémisphère sud tendance kiwi, deux XV de France des oubliés, des "Coqs en pâte" et un même un agrégat des "laissés pour compte" qui aurait fière allure si vous prenez le temps d'en apprécier la composition. Eurosports et Canal Plus accueillent assez de techniciens pour qu'il ne faille pas aller chercher bien loin pour trouver qui encadrera ces sélections.
Si le staff tricolore a lancé comme une martingale 69 joueurs dans sa grande revue, je vous assure que ces 105 joueurs-là rempliraient les stades et les caisses. Imaginez la façon dont ces huit équipes pourraient se mettre à jouer. Ca fait rêver, non ? Il y a une telle pléthore de non-sélectionnables dans le Top 14 qu'une liste cachée non-exhaustive (Kakovin, Ulugia, Asiechvili, Cittadini, Steenkamp, Maka, Uys, Houston, Botica, Mieres, Betham,Vatubua, Ngwenya, Ensor, Toeava, D. Armitage, etc.) recèle des remplaçants de luxe susceptibles de s'intégrer à tout moment en guest-stars si besoin, voire même de constituer une équipe de substitution, c'est dire...
All Star : Radradra - Ashton, Nonu, C. Smith, Nadolo - (o) Cruden, (m) Pienaar - Botia, Vito, Isa - Willemse, Nakarawa - Tameifuna, B. du Plessis, J. du Plessis.
Rainbow Team : Lambie - Kolbe, F. Steyn, Ebersohn, Jordaan - (o) M. Steyn, (m) Januarie - Hauman, Vermeulen, Alberts - Marais, Kruger - M. Van der Merwe, Jenneker, Buckle.
Pacific Magics : Nagusa - Votu, Waisea, Talebula, Tuisova - (o) Murimurivalu, (m) Kockott - Manoa, Koyamaibole, Fa'asalele - Qovu, Tekori - Johnston, Leiatua, Afatia.
Southern Barbarians : Taylor - D. Smith, Wulf, Carter, Rokocoko - (o) Slade, (m) McLeod - Gill, Lee, Eaton - Timani, Carizza - Atonio, Forbes, Gomez-Kodela.
Bleus foncés : Dulin - Fall, Fofana, Danty, Palisson - (o) Michalak, (m) Parra - Nyanga, Claassen, Lapandry - Lamboley, Jacquet - Boughanmi, Kayser, Chiocci.
Coqs en pâte : Le Bourhis - Arias, Mignardi, David, Grosso, (o) Tales, (m) Bézy - Puricelli, Lakafia, Lauret - Demotte, Samson - Brugnaut, Bonfils, Pelo.
Toasties : Rattez - Arnold, Tomane, Holmes, Strettle - (o) Urdapilleta, (m) Tomas - Fernandez-Lobbe, T. Gray, Kolelishvili - Capo-Ortega, Gorgodze - Zirakashvili, Bosch, Menini.
Héros oubliés : Abendanon - Fuatai, Fritz, Tuitavake, Masilevu - (o) Hickey, (m) J. Pélissié - Chalmers, S. Armitage, Caballero - Jones, Pierre - Cobilas, Szarzewski, Domingo.
Il faudra bien remercier au passage et chaleureusement les présidents de Clermont, Toulon, Montpellier, La Rochelle, Pau et le Racing pour leurs importantes contributions respectives au rayonnement mondial du Top 14. J'espère que la FFR, dans sa grande générosité, leur a fait payer leurs places pour assister aux rencontres du XV de France dont on espère, sincèrement, qu'elles ne tourneront pas question jeu au grand n'importe quoi. Parce que pour le reste, c'est déjà fait.
mardi 31 octobre 2017
mardi 24 octobre 2017
Marbre de coeurs rares
Après vingt-deux ans de professionnalisme le constat, retiré, est amer : «Personne ne maîtrise les flux des joueurs, le conflit entre clubs et fédération, et ne sait où va l'argent», écrit Rob Andrew, ancien boss du rugby anglais - et donc bien placé au cœur du réacteur pour savoir comment il fonctionne, ou pas - devenu plumitif le temps de la rédaction d'un ouvrage qui, sorti la semaine dernière, fait grand bruit de l'autre côté du Channel, mais seulement quelques vaguelettes chez nous alors qu'il dresse de ce sport un tableau pas très rose.
La multiplication des commotions liées aux plaquages tectoniques assénés par des joueurs hyper-entraînés - ils préfèrent percuter l'adversaire plutôt que de chercher l'intervalle - annonce des accidents gravissimes, dixit l'ancien entraîneur de Newcastle et mentor de Jonny Wilkinson. Pour lui, le danger viendrait du fait que le rugby à XXIII a suppléé le XV, une moitié d'équipe remplaçant les joueurs les plus fatigués de façon à maintenir à son plus haut niveau l'intensité du match.
Pendant ce temps, on apprend que les Barbarians Français, association créée en 1979 par les jeunes anciens du Grand Chelem 1977 viennent de passer avec âmes et bagages dans le giron de la FFR. Exit l'état d'esprit vanté par Jean-Pierre Rives et résumé par un «balle à l'aile, la vie est belle» qui raconte la liberté de jouer. Désormais, la sélection de ces jeunes gens sera confiée au staff tricolore. Tombe un pan de quarante ans sur la sépulture de Jacques Fouroux, preuve que rien n'est jamais écrit dans le marbre, fut-il de cœurs rares.
Pour passer du rugby de collusions au jeu de collisions, il nous faut rejoindre La Rochelle. Révélation du dernier Top 14, le Stade Rochelais est l'attraction du Champions Cup. On attend avec une impatience non dissimulée le dimanche 10 décembre d'un La Rochelle-Wasps jaune et noir à guichets fermés. D'ici là, tenter de comprendre comment une phalange hétéroclite parvient à franchir les défenses avec autant de facilité demande de cerner le «qui», d'analyser le «pourquoi» et de situer le «où».
Le Stade Rochelais dispose de plusieurs typologies de joueur : rapide et mince, puissant et dur, lourd et adroit, vif et athlétique. Et de quelques modèles complets, genre Victor "Victorius" Vito. Si vous alignez une équipe sur la largeur du terrain - un peu plus soixante-dix mètres - vous allez immédiatement vous apercevoir qu'un espace de cinq mètres sépare chaque joueur. L'équivalent de cinq bras tendus. Impossible de tenir ainsi une ligne de défense.
Huit adversaires sont concentrés en quelques mètres carrés sur les zones de combat que sont la touche et la mêlée, et disons quatre à chaque ruck. Ce qui laisse des zones libres ailleurs. A l'extrémité du champ se trouve la touche, considérée comme le meilleur plaqueur puisqu'au moment où vous sortez balle en main du terrain, le jeu s'arrête immédiatement et l'initiative de la remise est laissée à l'appréciation de l'adversaire.
Le staff rochelais a ainsi identifié le centre du terrain - situé entre l'extérieur de l'ouvreur et l'intérieur du deuxième centre - comme étant la porte au travers de laquelle il faut passer. Ils y envoient leur bestiaire : Qovu, Atonio, Boughanmi et Pelo pour peser et élargir l'encadrement ; Doumayrou, Priso et Sinzelle pour taper dans la cloison et desceller les gonds; Rattez et Lacroix en finesse, sur les appuis, afin de tester la charnière.
Pas une de ces quatre typologies peut être considérée comme étant la meilleure pour franchir : seule la fréquence de leur implication fait la différence, jusqu'à ce que la défense perde sa lucidité et ne sache plus «qui est qui», s'il faut coffrer en haut ou descendre aux chevilles, glisser ou aller chercher... Une alternance d'engagement dans cet espace défini qu'est la porte du centre, et toujours sur la ligne d'avantage : voilà l'une des clés du succès rochelais.
Quand vous comptez en supplément d'arme d'un Victor «Virtuose» Vito au sommet de son art, double champion du monde sacré meilleur joueur du Top 14 la saison passée, vous pouvez vous permettre de l'utiliser en libéro. Lui laisser autant de liberté qu'il le souhaite. L'impliquer dans la création, l'articulation et la finition comme un Campese de l'avant, pour ceux d'entre vous qui ont connu les années 80.
D'autant que le staff rochelais dispose avec Levani Botia d'un rhinocéros à ressort. Géniale, il faut l'avouer, l'idée de l'avoir remonté troisième-ligne aile sur les phases statiques de lancement, puis le réinstaller immédiatement après au centre, justement, là où sont fragilisées presque toutes les défenses une fois passés trois temps de jeu. Ce qui a aussi pour effet de densifier celle des Rochelais.
Cet engagement sur le front bas a un coût humain. Naguère, nous l'aurions évalué en contusions. Puis en ligaments. Aujourd'hui, il pèse son poids de commotions. Remplaçable dans ce rugby à 23 qui accepte aussi les jokers médicaux et pour cause, le joueur étant devenu chair à canon. Les commotions, Botia, ancien gardien de prison aux Fidji, ne les compte plus. Celles qu'il inflige comme celles qu'il encaisse. Seul contre tous.
La multiplication des commotions liées aux plaquages tectoniques assénés par des joueurs hyper-entraînés - ils préfèrent percuter l'adversaire plutôt que de chercher l'intervalle - annonce des accidents gravissimes, dixit l'ancien entraîneur de Newcastle et mentor de Jonny Wilkinson. Pour lui, le danger viendrait du fait que le rugby à XXIII a suppléé le XV, une moitié d'équipe remplaçant les joueurs les plus fatigués de façon à maintenir à son plus haut niveau l'intensité du match.
Pendant ce temps, on apprend que les Barbarians Français, association créée en 1979 par les jeunes anciens du Grand Chelem 1977 viennent de passer avec âmes et bagages dans le giron de la FFR. Exit l'état d'esprit vanté par Jean-Pierre Rives et résumé par un «balle à l'aile, la vie est belle» qui raconte la liberté de jouer. Désormais, la sélection de ces jeunes gens sera confiée au staff tricolore. Tombe un pan de quarante ans sur la sépulture de Jacques Fouroux, preuve que rien n'est jamais écrit dans le marbre, fut-il de cœurs rares.
Pour passer du rugby de collusions au jeu de collisions, il nous faut rejoindre La Rochelle. Révélation du dernier Top 14, le Stade Rochelais est l'attraction du Champions Cup. On attend avec une impatience non dissimulée le dimanche 10 décembre d'un La Rochelle-Wasps jaune et noir à guichets fermés. D'ici là, tenter de comprendre comment une phalange hétéroclite parvient à franchir les défenses avec autant de facilité demande de cerner le «qui», d'analyser le «pourquoi» et de situer le «où».
Le Stade Rochelais dispose de plusieurs typologies de joueur : rapide et mince, puissant et dur, lourd et adroit, vif et athlétique. Et de quelques modèles complets, genre Victor "Victorius" Vito. Si vous alignez une équipe sur la largeur du terrain - un peu plus soixante-dix mètres - vous allez immédiatement vous apercevoir qu'un espace de cinq mètres sépare chaque joueur. L'équivalent de cinq bras tendus. Impossible de tenir ainsi une ligne de défense.
Huit adversaires sont concentrés en quelques mètres carrés sur les zones de combat que sont la touche et la mêlée, et disons quatre à chaque ruck. Ce qui laisse des zones libres ailleurs. A l'extrémité du champ se trouve la touche, considérée comme le meilleur plaqueur puisqu'au moment où vous sortez balle en main du terrain, le jeu s'arrête immédiatement et l'initiative de la remise est laissée à l'appréciation de l'adversaire.
Le staff rochelais a ainsi identifié le centre du terrain - situé entre l'extérieur de l'ouvreur et l'intérieur du deuxième centre - comme étant la porte au travers de laquelle il faut passer. Ils y envoient leur bestiaire : Qovu, Atonio, Boughanmi et Pelo pour peser et élargir l'encadrement ; Doumayrou, Priso et Sinzelle pour taper dans la cloison et desceller les gonds; Rattez et Lacroix en finesse, sur les appuis, afin de tester la charnière.
Pas une de ces quatre typologies peut être considérée comme étant la meilleure pour franchir : seule la fréquence de leur implication fait la différence, jusqu'à ce que la défense perde sa lucidité et ne sache plus «qui est qui», s'il faut coffrer en haut ou descendre aux chevilles, glisser ou aller chercher... Une alternance d'engagement dans cet espace défini qu'est la porte du centre, et toujours sur la ligne d'avantage : voilà l'une des clés du succès rochelais.
Quand vous comptez en supplément d'arme d'un Victor «Virtuose» Vito au sommet de son art, double champion du monde sacré meilleur joueur du Top 14 la saison passée, vous pouvez vous permettre de l'utiliser en libéro. Lui laisser autant de liberté qu'il le souhaite. L'impliquer dans la création, l'articulation et la finition comme un Campese de l'avant, pour ceux d'entre vous qui ont connu les années 80.
D'autant que le staff rochelais dispose avec Levani Botia d'un rhinocéros à ressort. Géniale, il faut l'avouer, l'idée de l'avoir remonté troisième-ligne aile sur les phases statiques de lancement, puis le réinstaller immédiatement après au centre, justement, là où sont fragilisées presque toutes les défenses une fois passés trois temps de jeu. Ce qui a aussi pour effet de densifier celle des Rochelais.
Cet engagement sur le front bas a un coût humain. Naguère, nous l'aurions évalué en contusions. Puis en ligaments. Aujourd'hui, il pèse son poids de commotions. Remplaçable dans ce rugby à 23 qui accepte aussi les jokers médicaux et pour cause, le joueur étant devenu chair à canon. Les commotions, Botia, ancien gardien de prison aux Fidji, ne les compte plus. Celles qu'il inflige comme celles qu'il encaisse. Seul contre tous.
lundi 16 octobre 2017
L'Europe enlevée
A l'heure où la Coupe libère sa vingt-troisième édition, l'Europe se redécoupe en morceaux. La Belgique et la Grande-Bretagne hier. Aujourd'hui la Catalogne. Et demain ? La Corse, le pays Basque, la Bretagne ? La compétition ovale et bancale qui nous occupe oppose clubs, provinces et franchises, propriétaires privés et fédérations, et donc ne repose que sur un découpage administratif aléatoire. C'est toute son original, ce que vous semblez, comme moi, apprécier.
Soyons précis, l'expression Coupe d'Europe n'existe plus : elle a été dégagée par un taureau nommé Champions Cup. De Dublin, elle a migré vers Genève. L'écrivain James Joyce l'avait fait avant elle, si mes souvenirs sont bons. En fait, c'était Zurich, mais qu'importe. Nous avons là un objet biscornu, aussi particulier et original que le sont les règles de ce jeu. C'est bien ce qui rend cette compétition attachante.
Un moine irlandais, un roi de Bohème, Montesquieu puis Saint-Simon se sont successivement penchés sur le berceau de l'Europe. Et enfin Victor Hugo, qui nimba ce rêve de romantisme et lui donna ses lettres. Je ne sais pas si ce sentiment continue de prévaloir à l'heure actuelle ou s'il faut lui préférer l'idée de «composition baroque», c'est-à-dire un assemblage hétéroclite mêlant différentes sensibilités.
Transpirait samedi une opposition marquée entre le Leinster et Montpellier à Dublin en ouverture de la première journée. Vitesse, vista et technicité face à poids, canevas et obstination. Contraste saisissant, différence notable: quatre essais à deux. Bonus offensif pour l'un, défensif pour l'autre. Un résumé qui raconte mieux qu'un long compte-rendu détaillé ce qu'il advint de l'ogre du Top 14 en terre irlandaise.
Au delà de la défaite, nette, et de la difficulté des Héraultais à s'imposer dans le mouvement général, nous interroge l'inspiration du frêle Benoît Paillaugue au milieu des géants surpuissants : ou comment un lutin est capable d'effacer en deux appuis intérieurs la défense adverse tout en électrisant sa propre organisation offensive jusque là figée dans ses plans. Cette capacité à sortir du cadre, voilà bien l'esprit du jeu cher à William Webb Ellis.
Mais pour cela, précision technique et prise de décision immédiate sont demandées. La preuve, c'est ainsi que le Racing 92, Toulon et Clermont construisirent leurs premiers essais pour l'emporter - certes difficilement - face à Leicester, les Scarlets et aux Ospreys, La Rochelle y ajoutant en continuité la conservation du ballon devant les Harlequins de Londres et deux grosses doses d'acharnement : dans l'axe et devant son en-but.
La désormais baptisée Champions Cup façon football est toujours un excellent baromètre de forme avant les très attendus tests internationaux de novembre. Elle montre surtout clairement les forces et les limites du Top 14, que plus aucun entraîneur étranger de nous envie, si ce n'est pour venir y négocier un gros salaire en s'amusant d'y retrouver certains de ses compatriotes en pré-retraite bien dorée sur tranches.
En termes de préparation mentale, de technologie et de managérat, le rugby français est en retard. On le sait et on le regrette, il lui manque une vision panoramique, un projet assez large pour englober toutes les composantes du haut niveau. On en revient aux initiatives culottées du lutin Paillaugue : elles sont l'exception qui malheureusement confirme la règle, si l'on met à part la performance maritime qui montre aux clubs topquatorziens une voie à suivre.
Les réussites rochelaises et clermontoises correspondent à la hiérarchie dessinée en fin de saison dernière. Il faut s'attendre à ce que le deuxième tour européen, le week-end prochain, nous livre d'autres d'enseignements à partager, avec la visite de l'Ulster à La Rochelle, de Northampton à Clermont et d'Exeter à Montpellier, tandis que le Racing 92 et Castres se rendront respectivement au Munster et à Leicester.
Ah, j'allais oublier mais en y réfléchissant bien, on peut s'en passer : la direction bicéphale de la FFR a décidé d'ouvrir davantage le XV de France aux supporteurs, aux partenaires et aux journalistes. En cette période de coqs maigres, il est vital de développer l'élan public, de faire entrer des sous dans les caisses et de communiquer positivement via les médias. A Marcoussis, Bernard et Serge présentent la gamme hiver de leurs produits cosmétiques. Ils servent à masquer les cernes sous les Bleus.
PS: Le Tour de France annonce son départ pour le 7 juillet depuis l'île de Noirmoutier. N'en croyez rien: il commencera en fait le 17, à Annecy.
Soyons précis, l'expression Coupe d'Europe n'existe plus : elle a été dégagée par un taureau nommé Champions Cup. De Dublin, elle a migré vers Genève. L'écrivain James Joyce l'avait fait avant elle, si mes souvenirs sont bons. En fait, c'était Zurich, mais qu'importe. Nous avons là un objet biscornu, aussi particulier et original que le sont les règles de ce jeu. C'est bien ce qui rend cette compétition attachante.
Un moine irlandais, un roi de Bohème, Montesquieu puis Saint-Simon se sont successivement penchés sur le berceau de l'Europe. Et enfin Victor Hugo, qui nimba ce rêve de romantisme et lui donna ses lettres. Je ne sais pas si ce sentiment continue de prévaloir à l'heure actuelle ou s'il faut lui préférer l'idée de «composition baroque», c'est-à-dire un assemblage hétéroclite mêlant différentes sensibilités.
Transpirait samedi une opposition marquée entre le Leinster et Montpellier à Dublin en ouverture de la première journée. Vitesse, vista et technicité face à poids, canevas et obstination. Contraste saisissant, différence notable: quatre essais à deux. Bonus offensif pour l'un, défensif pour l'autre. Un résumé qui raconte mieux qu'un long compte-rendu détaillé ce qu'il advint de l'ogre du Top 14 en terre irlandaise.
Au delà de la défaite, nette, et de la difficulté des Héraultais à s'imposer dans le mouvement général, nous interroge l'inspiration du frêle Benoît Paillaugue au milieu des géants surpuissants : ou comment un lutin est capable d'effacer en deux appuis intérieurs la défense adverse tout en électrisant sa propre organisation offensive jusque là figée dans ses plans. Cette capacité à sortir du cadre, voilà bien l'esprit du jeu cher à William Webb Ellis.
Mais pour cela, précision technique et prise de décision immédiate sont demandées. La preuve, c'est ainsi que le Racing 92, Toulon et Clermont construisirent leurs premiers essais pour l'emporter - certes difficilement - face à Leicester, les Scarlets et aux Ospreys, La Rochelle y ajoutant en continuité la conservation du ballon devant les Harlequins de Londres et deux grosses doses d'acharnement : dans l'axe et devant son en-but.
La désormais baptisée Champions Cup façon football est toujours un excellent baromètre de forme avant les très attendus tests internationaux de novembre. Elle montre surtout clairement les forces et les limites du Top 14, que plus aucun entraîneur étranger de nous envie, si ce n'est pour venir y négocier un gros salaire en s'amusant d'y retrouver certains de ses compatriotes en pré-retraite bien dorée sur tranches.
En termes de préparation mentale, de technologie et de managérat, le rugby français est en retard. On le sait et on le regrette, il lui manque une vision panoramique, un projet assez large pour englober toutes les composantes du haut niveau. On en revient aux initiatives culottées du lutin Paillaugue : elles sont l'exception qui malheureusement confirme la règle, si l'on met à part la performance maritime qui montre aux clubs topquatorziens une voie à suivre.
Les réussites rochelaises et clermontoises correspondent à la hiérarchie dessinée en fin de saison dernière. Il faut s'attendre à ce que le deuxième tour européen, le week-end prochain, nous livre d'autres d'enseignements à partager, avec la visite de l'Ulster à La Rochelle, de Northampton à Clermont et d'Exeter à Montpellier, tandis que le Racing 92 et Castres se rendront respectivement au Munster et à Leicester.
Ah, j'allais oublier mais en y réfléchissant bien, on peut s'en passer : la direction bicéphale de la FFR a décidé d'ouvrir davantage le XV de France aux supporteurs, aux partenaires et aux journalistes. En cette période de coqs maigres, il est vital de développer l'élan public, de faire entrer des sous dans les caisses et de communiquer positivement via les médias. A Marcoussis, Bernard et Serge présentent la gamme hiver de leurs produits cosmétiques. Ils servent à masquer les cernes sous les Bleus.
PS: Le Tour de France annonce son départ pour le 7 juillet depuis l'île de Noirmoutier. N'en croyez rien: il commencera en fait le 17, à Annecy.
vendredi 6 octobre 2017
Crochet intérieur
Sans aucun mauvais esprit et surtout pas provocateur, j'aime poser cette question à mes interlocuteurs, pour la plupart joueurs professionnels : «Pourquoi joues-tu au rugby ?» Souvent, la réponse est longue à venir. Parce qu'elle oblige à réfléchir en profondeur, à effectuer un crochet intérieur. Parce qu'elle déstabilise. Parce qu'elle interroge vraiment.
Pourquoi exerce-t-on telle ou telle profession ? Médecin, enseignant, journaliste, fonctionnaire, entrepreneur, ingénieur, commerçant, ouvrier : la question s'adresse à chacun d'entre nous, qui que nous soyons, quoi que nous fassions. Et tout autant qu'un joueur de rugby, il est toujours intéressant d'y répondre avec la plus grande franchise.
Je ne sais pas si Frédéric Michalak a vraiment choisi le rugby pour en faire sa profession. Je crois que c'est plutôt le rugby qui l'a choisi, l'a pris par la main lui qui aimait le football et le basket, se rêvait en Michael Jordan et tentait des passes impossibles avec une balle ovale, autant que des coups de pieds brossés en banane façon Zidane.
Au moment où la génération montante vient d'être foutue dehors de Marcoussis, il est urgent de savourer les derniers délires des génies de naguère, à commencer par les relances, les feintes et les passes de ce Frédéric-là, aucunement des facéties mais bien une technique mûrie au soleil de l'inspiration, et qui articule aujourd'hui le jeu de Lyon.
Avec Aurélien Rougerie et Vincent Clerc, «Michoco» ou «Cacolak», ainsi surnommé par l'inénarrable Christian Califano, est le dernier de son genre, amateur dans l'âme, professionnel par contrat, entièrement naturel, entré dans le buzz en défilant pour un couturier diamant à l'oreille, agenda de premier rôle, humilité jamais démentie, musicien et artiste peintre par envie.
Rien de formaté chez lui. Ou alors XXL. Frédéric Michalak est un maillon de pur métal, alliage du passé et de l'avenir quand il devient actionnaire principal du club de Blagnac qui place à sa tête Christophe Deylaud, tout en prenant sous son aile le jeune demi de mêlée du LOU, Baptiste Couilloud, international moins de vingt ans promis à un futur radieux pour peu que.
La filiation Deylaud-Michalak-Couilloud, ce lien tendu comme une passe tirée au cordeau que rien n'altère. Toute l'essence du rugby tracée dans ces traits d'union qui forment une ligne. Mieux, une lignée. Comme avant cela celles magnifiquement portées par Boniface-Nadal-Castaignède, ou Maso-Sangalli-Codorniou jusqu'à incandescence.
Nous aussi participons au jeu des sept familles en choisissant notre équipe parce qu'elle a un style. Et le style, c'est l'être. En rugby comme en littérature, en sport comme en art. Le style de l'UBB ou de Toulon, d'Agen ou de Lyon, de La Rochelle, de Toulouse ou de Clermont, défini par de subtiles variations, ici la ligne d'avantage, là les blocs, ailleurs une vision d'ensemble faite d'accords et de cohérence.
Le style, c'est ce qui caractérise le mieux Frédéric Michalak quand il choisit d'associer son mentor au projet dont il est, lui, porteur à Blagnac, et son filleul à sa dernière saison sous les couleurs du LOU sans pour autant en faire un disciple. A cet instant, le style c'est la vie. Qu'est-ce que l'existence sinon une traversée. Et une telle circumnavigation ne vaut pas grand chose si l'on n'a rien partagé, rien reçu, rien donné.
On dit que nous devenons éternel dans les gestes de nos enfants. Et qu'il faut donner au moins autant qu'on a reçu. Michalak, comme d'autres avant lui, s'inscrit dans cette perspective, cette ouverture à un poste charnière dont il a occupé les deux versants, les deux battants. Alors si la passe en arrière est l'acte fondateur du rugby tel que nous le connaissons, c'est bien de transmission dont nous sommes à la fois porteurs et garants.
Pourquoi exerce-t-on telle ou telle profession ? Médecin, enseignant, journaliste, fonctionnaire, entrepreneur, ingénieur, commerçant, ouvrier : la question s'adresse à chacun d'entre nous, qui que nous soyons, quoi que nous fassions. Et tout autant qu'un joueur de rugby, il est toujours intéressant d'y répondre avec la plus grande franchise.
Je ne sais pas si Frédéric Michalak a vraiment choisi le rugby pour en faire sa profession. Je crois que c'est plutôt le rugby qui l'a choisi, l'a pris par la main lui qui aimait le football et le basket, se rêvait en Michael Jordan et tentait des passes impossibles avec une balle ovale, autant que des coups de pieds brossés en banane façon Zidane.
Au moment où la génération montante vient d'être foutue dehors de Marcoussis, il est urgent de savourer les derniers délires des génies de naguère, à commencer par les relances, les feintes et les passes de ce Frédéric-là, aucunement des facéties mais bien une technique mûrie au soleil de l'inspiration, et qui articule aujourd'hui le jeu de Lyon.
Avec Aurélien Rougerie et Vincent Clerc, «Michoco» ou «Cacolak», ainsi surnommé par l'inénarrable Christian Califano, est le dernier de son genre, amateur dans l'âme, professionnel par contrat, entièrement naturel, entré dans le buzz en défilant pour un couturier diamant à l'oreille, agenda de premier rôle, humilité jamais démentie, musicien et artiste peintre par envie.
Rien de formaté chez lui. Ou alors XXL. Frédéric Michalak est un maillon de pur métal, alliage du passé et de l'avenir quand il devient actionnaire principal du club de Blagnac qui place à sa tête Christophe Deylaud, tout en prenant sous son aile le jeune demi de mêlée du LOU, Baptiste Couilloud, international moins de vingt ans promis à un futur radieux pour peu que.
La filiation Deylaud-Michalak-Couilloud, ce lien tendu comme une passe tirée au cordeau que rien n'altère. Toute l'essence du rugby tracée dans ces traits d'union qui forment une ligne. Mieux, une lignée. Comme avant cela celles magnifiquement portées par Boniface-Nadal-Castaignède, ou Maso-Sangalli-Codorniou jusqu'à incandescence.
Nous aussi participons au jeu des sept familles en choisissant notre équipe parce qu'elle a un style. Et le style, c'est l'être. En rugby comme en littérature, en sport comme en art. Le style de l'UBB ou de Toulon, d'Agen ou de Lyon, de La Rochelle, de Toulouse ou de Clermont, défini par de subtiles variations, ici la ligne d'avantage, là les blocs, ailleurs une vision d'ensemble faite d'accords et de cohérence.
Le style, c'est ce qui caractérise le mieux Frédéric Michalak quand il choisit d'associer son mentor au projet dont il est, lui, porteur à Blagnac, et son filleul à sa dernière saison sous les couleurs du LOU sans pour autant en faire un disciple. A cet instant, le style c'est la vie. Qu'est-ce que l'existence sinon une traversée. Et une telle circumnavigation ne vaut pas grand chose si l'on n'a rien partagé, rien reçu, rien donné.
On dit que nous devenons éternel dans les gestes de nos enfants. Et qu'il faut donner au moins autant qu'on a reçu. Michalak, comme d'autres avant lui, s'inscrit dans cette perspective, cette ouverture à un poste charnière dont il a occupé les deux versants, les deux battants. Alors si la passe en arrière est l'acte fondateur du rugby tel que nous le connaissons, c'est bien de transmission dont nous sommes à la fois porteurs et garants.