Imaginez un
lac des Pyrénées allongé sous un ciel pur, étoilée, lumineux. Son eau est
immobile. Tout autour, des flancs abrupts couverts de gros rochers montent vers
les sommets. Le silence est épais, palpable, rassurant. Loin de tout, de la
méchanceté, de l’aigreur, du ressentiment, de la jalousie, loin des fracas
d’une société déréglée qui fait du stress son viatique, repose Philippe Escot,
là-haut. Sa figure se reflète dans cette eau étale. Il est au bord de ce lac,
il pêche, il respire, calme. Tous ceux qui l’ont un jour accompagné sur ses
hauteurs enneigées savent que là-haut il repose en paix.
Philippe
était gardien de la paix, la tête dans les étoiles et le cœur sur la main. Il
aimait le sport, tous les sports, et il en pratiquait beaucoup. Il aimait le rugby,
celui de Balma où il avait joué, et du Stade Toulousain. Il en suivait tous les exploits et quand la défaite était au rendez-vous, il ne se lamentait pas car il savait qu'arrivaient toujours des jours meilleurs. Il n'avait pas tort, le preuve. Il aimait la nature, voyageait partout en Europe et vers les îles lointaines. C'est en Martinique qu'il est parti. Il aimait surtout l'Irlande, pour ses torrents poissonneux, ses pintes joufflues et ses habitants, généreux. Son rugby aussi, cela va sans dire. Il était mon cousin et nous étions frères. En l'église Saint-Joseph de Balma, le père Gérard Batisse, ancien treiziste et aumônier militaire, cita Aragon et Eluard, Saint-Exupéry et Picasso, lança une Marseillaise et fit sortir le cercueil recouvert du drapeau tricolore sous une salve d'applaudissements nourris. Immense hommage que celui-là.
Un être humain, seul, n’est pas grand-chose. Il n’est que ce qu’il croit être. C’est dans l’Autre que nous trouvons un sens à notre existence. Nous existons par le regard de l’autre et grâce à lui. Combien de fois a-t-il plongé vers nous son regard lumineux, son sourire épanoui ? Combien de fois a-t-il trouvé les mots justes, ceux qui touchent et qui résonnent aujourd’hui et résonneront longtemps en nous ? Quand on aime, on ne compte pas. Fidèle en amitié, Philippe n’a jamais était comptable de sa générosité.
Des vingt dernières années, nous avons effectué plusieurs fois, tous les deux, l'ascension de la Carança, magnifique, pour nous ressourcer ensemble. Un jour où nous péchions, enfin lui surtout, dans ce lac de montagne où il a posé sa ligne pour l’éternité, il avait hameçonné plus de truites que nécessaire pour notre dîner. Alors il a remis délicatement les plus petites dans le courant. Aujourd'hui je me pose cette question : pourquoi le destin n’a pas fait de même avec lui, trop jeune pour s’éloigner ainsi ?
Oui, c’est
injuste de partir si tôt, à cinquante-six ans, quand il y a tant à partager devant soi !
Mais nous ne sommes pas maîtres de cette justice-là, celle qui fait que des
abrutis vivent centenaires. Gariguette nous a envoyé cet extrait d'un ouvrage de Christian Bobin : «La mort tombe dans la
vie comme une pierre dans un étang : d’abord, éclaboussures, affolements dans
les buissons, battements d’ailes et fuites en tous sens. Ensuite, grands
cercles sur l’eau, de plus en plus larges. Enfin, le calme à nouveau, mais pas
du tout le même silence qu’auparavant, un silence, comment dire :
assourdissant.»
Mais le silence n'est pas l'oubli. On ne disparait que lorsque la mémoire s'efface. Nous gardons ceux qui partent et que nous aimions en restant fidèle à leurs idéaux. Lui était généreux en toute occasion auprès de ceux qui avaient besoin de nous.