dimanche 25 mai 2025

Tous aux Quinconces

C'est là où tout a commencé. Une équipe de fondus doués pour mouler la gothique et friser l'azerty. Le point de contact avait été fixé à l'avance par Bernard Larrère, dit "Landais", avec le relais de "Lethiophe", aka Christophe Bedou, local de l'étape... Après quatre ans passés sur le support de L'Equipe, Côté Ouvert avait migré vers d'autres cieux. Arrêter de chroniquer m'avait traversé l'esprit mais un groupe de fidèles bloggeurs m'encourager à prolonger. Ce que je fis.

Rendez-vous donc aux Quinconces, à quelques heures du coup d'envoi de la première demi-finale du Top 14, cuvée 2015. Le métro bordelais allait nous rapprocher, plus tard, du Matmut Atlantique pris d'assaut et il me faudrait revenir à pied dans la nuit, deux heures de marche, pour rejoindre mon hôtel une fois mes reportages rédigés et envoyés. Mais ce calvaire n'était rien en regard du plaisir d'avoir découvert une fine équipe de connaisseurs qui allait redonner vie à ce blog, tel que vous le lisez aujourd'hui.

Après avoir signé une charte d'amitié sur l'une des nappes de la brasserie - elle est pieusement conservée dans ma bibliothèque -, nos échanges fusèrent avec autant de passion que de vivacité. Irréductibles, enthousiastes, généreux, tous appréciaient ce moment fondateur, les grandes gueules se frottant aux taiseux, les malins aux pugnaces. Et avant qu'il ne soit l'heure de se quitter après s'être découvert, l'idée d'une rencontre annuelle émergea. D'abord à Treignac. Puis à Uzerche.

Créée en 2006 par un président visionnaire, Laurent Marti, sur les décombres du Stade Bordelais et du Club Athlétique Bèglais, neuf Brennus à eux deux, l'Union Bordeaux-Bègles n'était alors pas invitée en phase finale et regardait de très loin la Coupe d'Europe. Comme le Stade Rochelais avant elle, l'UBB a donc remporté ce trophée intercontinental de haute lutte, soixante minutes durant, face aux Saints de Northampton dans un Principality Stadium de Cardiff refermé, sorte de Scala parfaitement conçue pour ce genre d'opéra ovale.

Que ces UBBistes, après avoir remplacé les Girondins du ballon rond dans le cœur des Aquitains, choisissent de fêter leur premier grand titre sur la place des Quinconces n'est pas pour nous déplaire, d'autant que samedi, nous étions tous Bordelais. Mieux que n'importe qu'elle autre équipe, l'UBB dispose de la plus belle ligne d'attaque digne d'éloge - Buros, Bielle-Biarrey, Depoortere, Moefana, Penaud - lancée par une charnière hors-pair - Jalibert-Lucu. Mais c'est d'abord un pack de fiers à bras qui étouffa les Anglais, reléguant le jeune roi Henry Pollock au rang de troupier.

Alerté par la polémique qui enfle outre-Manche à l'initiative du staff des Saints, on espère que les gestes et les propos que les joueurs Bordelais consacrèrent au coup de sifflet final à ce prodige un peu trop présomptueux n'ont pas dépassés les bornes du bon esprit, certes vachard, mais bien fait pour rappeler aux inconséquents que le rugby demeure une école d'humilité et que deux siècles de pratique n'ont pas altéré son ADN dont les invariants restent dignité, primauté de l'autorité, goût du sacrifice, canalisation de l'énergie, développement du leadership, sentiment d'appartenance et praxis.

L'UBB a donc débloqué son compteur et ouvert son armoire à trophées. Une barrière est tombée, et je crois bien que la présence de mon ami Eric Blondeau, ancien trois-quarts landais passé par l'université de Poitiers et le PORC, développeur de performance qui œuvra dans la plus grande discrétion à Clermont à l'époque du titre de 2010 sous l'ère Cotter, n'est pas étrangère à la dureté mentale dont firent preuve ces Girondins, force psychologique qui leur permit de rester devant au score, de garder la tête froide, de ne pas paniquer face aux ultimes attaques anglaises pour soulever cette coupe qui appelle d'autres succès.   

dimanche 11 mai 2025

D'un même élan

 

Ne jamais oublier que le jeu de football tel que pratiqué à Rugby fut développé par des étudiants de Cambridge et d'Oxford après avoir été "inventé" ou plutôt légendé au sein du fameux College qui a fait de William Webb Ellis son messie. Quant à la passe, longtemps ignorée, elle provient de la modélisation du jeu d'échecs à l'initiative d'un dénommé Vassal, soucieux d'éclairer une pratique au sein de laquelle l'affrontement et le déplacement du ballon au pied étaient devenus trop prégnants, ouvrant ainsi le débat qui continue d'animer nos discussions sur la définition de ce sport qui mêle, et c'est heureux, combat et évitement.
Major de sa promotion à l'Ecole Centrale il y a de cela plus d'un siècle - le temps passe vite -, Marcel Communeau, fleuron d'une génération du Stade Français qui dominait le rugby français - là aussi, la roue tourne - proposa aux avants, dont il était l'âme, de redoubler les trois-quarts, décision stratégique qui lui valut d'être exclu de l'équipe première au motif que son exemple pouvait détourner les "bourriques" des tâches ingrates dans lesquelles elles étaient alors cantonnées. Les sélectionneurs du XV de France, eux, en firent un capitaine dont le charisme le disputait aux qualités physiques.
Dès 1983, me précise l'ami Pascal Yvon, Centrale-Paris - plus précisément Jojo, Carlo et Pierrot - organisa un tournoi universitaire international (Edimbourg, Dublin, Cardiff) à sept. La fac de Toulouse, avec à sa tête l'inénarrable Pierre Chadebech, bien soutenu par Denis Charvet, fut battue en finale par Cardiff University. Une référence. Et Christian Nieto avait même poussé plus loin en mettant sur pied un tournoi féminin, une première européenne à l'échelle des grandes écoles, remporté par les Centraliennes ! Le journal L'Equipe s'était d'ailleurs, à l'époque, fendu d'une coupe récompensant, dixit "la belle tenue d'une des équipes participantes", si l'on en croit l'article publié.
Depuis 2005 - j'y étais, diront certains - les Centraliens ont repris le flambeau en organisant un tournoi de rugby à sept où la passe et le plaquage appuyé sont érigés en viatique, compétition devenue au fil des éditions mixte et internationale. Elle s'est disputée la semaine dernière dans l'écrin du club d'Orsay cher à Paul Tremsal où pendant deux jours et sur deux terrains, une kyrielle d'équipes se sont affrontées, sous le parrainage de Juan Imhoff et de Jérôme Daret, entre autres mentors.
Il faut avoir vu les filles de la sélection basque et les Néo-Zélandaises à forte densité maori s'engager, et avant cela, Fidjiennes et Sud-Africaines partager, bras dessus bras dessous, un chant d'adieu à l'issue de la petite finale pour saisir à quel point les femmes sont sans aucun doute l'avenir de ce jeu, ainsi que le chantait le poète. Les unes pleuraient d'émotion à l'issue de la défaite et leurs larmes se mêlaient à la ferveur de celles qui les avaient vaincues mais sublimaient leur peine dans un bel élan de sororité. Merci à Maxime, Manon, Inès, Pétronie, Hèlène et Alexy, sans oublier l'inoxydable Matthieu, de m'avoir permis de partager cette fête.
Quelques jours plus tard, le RC Toulon délocalisait sa plus belle affiche au stade vélodrome de Marseille en battant un record d'affluence que l'OM n'avait fait qu'effleurer, mais les dirigeants varois n'avaient pas manqué l'occasion de rendre hommage à toutes les écoles de rugby de la région qui défilèrent ainsi fièrement autour du terrain juste avant le coup d'envoi. Le trait commun entre un tournoi organisé par des universitaires et le prime-time du Top 14 est ainsi facilement identifiable : il est tissé d'émotion, d'engagement et de passion. 
Il faudra bien, un jour très prochain, se pencher sur l'avenir du bénévole, tant le joug administratif les écrase alors que la manne financière se rétrécit. Réfléchir à doter ces amateurs, sans lesquels rien d'ovale n'existerait, d'un authentique statut propre à les protéger, les valoriser, les encourager à poursuivre cette voie vertueuse qui tend, malheureusement, à se paver d'écueils. Nous avons tous, gravés, les noms de ceux qui nous ont donné les premières clefs de ce jeu, à commencer par la façon de bien lacer nos chaussures à crampons et d'en graisser régulièrement le cuir.
L'autre lien qui rassemble la pratique du rugby dans toute sa diversité n'est pas sur mais à côté du terrain, point de convergence qui dépasse les divisions. Il suffit de se laisser porter après le coup de sifflet final. Que ce soit sur l'avenue du Prado ou pas loin de la sortie des vestiaires, il y a toujours une buvette, une cabane à frites ou un barbecue ventrèche-merguez pour rassembler celles et ceux qui se sont affrontés, ou qui ont encouragé leurs champions. On y rejoue les matches, on y fraternise sans avoir besoin de se ressembler. Je mesure ma chance d'avoir, en quelques heures, vécu ce trait d'union. Plus de quarante années passées à raconter l'odyssée du ballon de rugby sous toutes ses coutures n'ont pas encore tari ma source.