On ne peut que s'en désoler. Car il n'y a rien de réjouissant à voir Guy Novès quitter la plus haute fonction sportive par une porte dérobée, comme un pestiféré. Après Philippe Saint-André, c'est au tour du manager toulousain multi-titré de constater à ses dépends à quel point il est difficile pour le XV de France d'exister dans un contexte presque tout entier tourné vers les clubs d'élite. On ne lutte pas contre une entité économique de cette puissance, qui a son propre mode de fonctionnement et même un style estampillé qui alterne le jeu debout virevoltant et celui à une passe franchement lénifiant.
Que Novès, qui est grand-père, soit remplacé par plus ancien que lui ne place donc pas l'explication de ses échecs sur le terrain de l'abîme générationnel. On peut seulement considérer que depuis la Coupe du monde 2011 que lâcha Marc Lièvremont en proie à des soucis personnels bien plus épais que la défense tongienne, le XV de France est en roue libre, sans projet novateur susceptible d'intéresser les internationaux qui le composent et se coltinent tous les jours en club des plans de jeu bien mieux dessinés.
Marcoussis, formidable outil, n'a pas su actualiser son mode d'emploi et le mettre au goût d'une modernité qui avance plus vite qu'un ballon porté au pas de charge. Il y a trop de retard dans les méthodes de management et de préparation, dans la réflexion autour des tactiques bleues depuis huit ans pour qu'un homme, aussi charismatique soit-il - et Guy Novès en est l'illustration - puisse inverser le courant devenu contraire. Comme ses prédécesseurs, celui que ses pairs avaient considéré comme le meilleur entraîneur d'Europe, a ramé.
Son échec, six défaites et un match nul depuis juin dernier, est le nôtre, tous autant que nous sommes. Il est celui du rugby français : des bénévoles qui déforment des mômes à force de rentre-dedans jusqu'aux médias qui volent au secours de la victoire et font du premier gamin un peu doué une star à la une pour attirer le lecteur lambda de la télé réalité.
Il convient ici d'éviter l'ingratitude et, en cette période troublée, - une de plus - rendre au championnat de France ce que l'équipe nationale lui doit. De 1910 à 1990, c'est parce que les clubs français étaient structurés, culturellement ancrés, formateurs et riches de fortes personnalités et de particularités tactiques bien comprises que les Tricolores, à savoir la crème de cette émulsion, purent exister dans le concert international et s'illustrer à de nombreuses reprises.
Des leaders hors normes - citons Marcel Communeau, Jean Prat, Lucien Mias, François Moncla, Michel Crauste, Walter Spanghero, Jacques Fouroux, Jean-Pierre Rives, Serge Blanco - surent fédérer un amalgame autour d'une haute idée de ce que pouvait représenter le XV de France, le Tournoi des Cinq nations, Colombes puis le Parc des Princes. Aujourd'hui, pour les deux dernières générations qui se sont succédées pour porter le coq sur le cœur, une pintade aurait tout aussi bien pu faire l'affaire.
Quelque chose s'est brisé, une certaine idée de la sélection nationale, de l'équipe de France, de l'engagement, de l'honneur et de la fierté qui vont avec, la capacité à se sublimer dans ces moments privilégiés. Fred Michalak s'en est allé, il avait débuté en 2001, et avec lui part l'insouciance et la joie de jouer. Il était le dernier du genre. Depuis, sont arrivés à Marcoussis des joueurs soucieux de leur image avant même d'avoir réussi quelque chose de remarquable sur le terrain.
Le nouveau manager tricolore et son staff de pigistes pourront-ils changer cet état d'esprit ? Auront-ils le temps de construire un plan tactique viable d'ici le coup d'envoi de France-Irlande ? Outre choisir quinze joueurs compatibles et conscients du haut niveau, le problème reste structurel, pas conjoncturel. Tant que LNR et FFR, clubs et équipe nationale, ne travailleront pas en bonne intelligence sur un projet commun, les fusibles sauteront les uns après les autres sans que la lumière soit.
Si tout cela, et d'autres choses encore, nous lassent profondément, nous restons néanmoins attachés à ce sport et à sa culture, aux vertus qu'il véhicule, aux traits qui le caractérisent. Il reste tant à transmettre... Les être creux et veules qui tournent autour de son axe ne viendront pas à bout d'une idée ovale dont la forme pointe bien au-dessus des petites magouilles, des calculs d'apothicaires et des propos de basse cour.
En attendant de vous retrouver pour une nouvelle chronique lundi 16 janvier 2018 (peut-être avant, selon inspiration), je vous souhaite tout le bonheur du monde pour la nouvelle année !
dimanche 24 décembre 2017
lundi 18 décembre 2017
Petite note bleue
Etage entre les joutes domestiques parfois obtuses et peu fécondes et le niveau international dont on sait qu'il ne fonctionne plus désormais - pour notre plus grand plaisir - que sur les longues séquences de jeu debout, la Coupe d'Europe a parfaitement rempli sa fonction qui consiste à alimenter le spectacle de la meilleure des façons, à savoir en additionnant les initiatives et les essais. J'ai surtout aimé le couplet de l'arbitre irlandais, M. Clancy, admonestant les Rochelais Rene Ranger et Vincent Pelo coupables de critiques envers son arbitrage : «Messieurs, gardez votre calme ! Le jeu est plus important que nous...» Tout est dit.
La nostalgie est une maladie, c'est acté, mais on peut avoir aimé ce qui se jouait avant et apprécier ce qui nous est proposé aujourd'hui. Tout en veillant à ce que demain ne bascule pas dans l'idolâtrerie et le préfabriqué, à ce que les valeurs hormonales vantées par le Docteur Pack, alias Lucien Mias, ne deviennent pas l'hormone de croissance du docteur Jabuse, c'est-à-dire un assommoir pour bêtes de somme.
Pourquoi donc appuyer sur la touche rembobinage ? Parce qu'il était question samedi dernier, Racingmen et Olympiens mêlés, de dire adieu à Colombes entre tribunes d'Honneur et Marathon, sur ce terrain meuble et bombé large à n'en pas voir la ligne de touche, long comme le souvenir d'un match des Cinq Nations perdu dans un virage vide d'apparence mais chargé d'histoires puisque nombreux furent ceux, comme François Moncla, qui découvrirent l'endroit et la magie du Tournoi debout dans cet arrondi de ciment.
Je vous parle de François Moncla parce que dans un entretien qu'il m'a accordé pour lequipe.fr, l'ancien capitaine du XV de France et sociétaire du Racing-Club de France, club d'élégance aujourd'hui disparu et remplacé par une entreprise de spectacle sportif, a fait sonner chez le musicien que je suis une petite note bleue dont l'harmonique ne cesse de m'interroger depuis, et que je voudrais vous faire entendre.
Imaginez les Tricolores espacés au moment des hymnes, chacun dans son monde intérieur pensant qui à son père, qui à son premier éducateur, que sais-je encore. Quand c'est au tour de La Marseillaise, aucun joueur ne chante. C'était ainsi à l'époque et ça n'a changé qu'en 1977 à l'instigation de Jacques Fouroux. François Moncla, qui compte déjà une poignée de sélections, constate dès la première mesure que l'une des tribunes a commencé deux temps plus tard et deux tons plus bas.
Artiste dans l'âme derrière une rude écorce de Béarnais intransigeant, rigoureux et secret, Moncla a gardé ces mesures dans son armoire aux souvenirs à la plus belle place. Etonnant, émouvant. Voilà comment quelques notes captées dressent en creux le portrait intimiste et subtil d'un sportif visiblement hors du commun qui a, entre 1959 et 1961, remporté dans ce stade olympique trois Tournois consécutifs et fait trembler les Springboks d'Avril Malan, mais considère la musique comme le meilleur des viatiques.
Chacun d'entre nous garde en lui son Colombes intime. Pour moi, c'est un premier et minuscule compte-rendu de quatre phrases pour L'Equipe en septembre 1985 lors de la visite du Stade Toulousain en Challenge Du-Manoir. Puis la montée au terrain en passant par le fameux tunnel à l'initiative d'Eric Blanc et de Franck Mesnel. Plein de flotte, le tunnel, pas éclairé, glissant, étroit, courbe. Mais quelle récompense de sortir en pleine lumière derrière l'en-but gauche...
Nous avions hurlé comme des gamins les prénoms de plusieurs de nos héros, «Dédé! Jo ! Jeannot ! Walter ! Benoît ! Pierrot !», et ces cris du cœurs résonnent encore en moi. J'avais vingt-cinq ans et découvrais qu'écrire sur ce que ce jeu a de plus noble, de plus profond, de plus riche et de plus généreux, allait me remplir d'éthique, de réflexion, d'expérience et d'altérité à un point que je commence juste aujourd'hui à mesurer.
Joueur à oublier devenu par chance et culot passeur de mots, j'ai essayé depuis cette inoubliable sortie du tunnel de rester un honnête messager, honnête dans le sens de fidèle. Fidèle à mes premières convictions, lesquelles sont souvent les plus belles : soit, pour résumer, le rugby comme un art de vivre, le rugby au centre, le ballon au milieu et tout autour des êtres passionnés, habités, certains - peu mais choisis - devenus des amis.
La chance d'utiliser tous les quinze jours, samedi matin, le terrain annexe numéro 1 avec l'équipe de la presse - Deltéral, Schramm, Rivière, Calmejane, Lemoine, Bouzinac, Margot, Danne, Planquart, Clévenot, Crépin, Tynelski, Holtz - et d'avoir pris possession du vestiaire de l'équipe de France pour enfiler un maillot ; d'avoir partagé sur le terrain olympique chaque lundi la séance de jeu à toucher du Racing-Club de France version showbiz et apprécié les monstrueux appuis de Mesnel, les géniales inspirations de Cabannes, les «cab-debs» irrésistibles de Lafond, tel est mon Colombes, mémoires sauvés du temps.
Le magazine Flair Play devient désormais Intercalé. Pensez à vous abonner : c'est la meilleure façon de le recevoir. http://flair-play.com/
La nostalgie est une maladie, c'est acté, mais on peut avoir aimé ce qui se jouait avant et apprécier ce qui nous est proposé aujourd'hui. Tout en veillant à ce que demain ne bascule pas dans l'idolâtrerie et le préfabriqué, à ce que les valeurs hormonales vantées par le Docteur Pack, alias Lucien Mias, ne deviennent pas l'hormone de croissance du docteur Jabuse, c'est-à-dire un assommoir pour bêtes de somme.
Pourquoi donc appuyer sur la touche rembobinage ? Parce qu'il était question samedi dernier, Racingmen et Olympiens mêlés, de dire adieu à Colombes entre tribunes d'Honneur et Marathon, sur ce terrain meuble et bombé large à n'en pas voir la ligne de touche, long comme le souvenir d'un match des Cinq Nations perdu dans un virage vide d'apparence mais chargé d'histoires puisque nombreux furent ceux, comme François Moncla, qui découvrirent l'endroit et la magie du Tournoi debout dans cet arrondi de ciment.
Je vous parle de François Moncla parce que dans un entretien qu'il m'a accordé pour lequipe.fr, l'ancien capitaine du XV de France et sociétaire du Racing-Club de France, club d'élégance aujourd'hui disparu et remplacé par une entreprise de spectacle sportif, a fait sonner chez le musicien que je suis une petite note bleue dont l'harmonique ne cesse de m'interroger depuis, et que je voudrais vous faire entendre.
Imaginez les Tricolores espacés au moment des hymnes, chacun dans son monde intérieur pensant qui à son père, qui à son premier éducateur, que sais-je encore. Quand c'est au tour de La Marseillaise, aucun joueur ne chante. C'était ainsi à l'époque et ça n'a changé qu'en 1977 à l'instigation de Jacques Fouroux. François Moncla, qui compte déjà une poignée de sélections, constate dès la première mesure que l'une des tribunes a commencé deux temps plus tard et deux tons plus bas.
Artiste dans l'âme derrière une rude écorce de Béarnais intransigeant, rigoureux et secret, Moncla a gardé ces mesures dans son armoire aux souvenirs à la plus belle place. Etonnant, émouvant. Voilà comment quelques notes captées dressent en creux le portrait intimiste et subtil d'un sportif visiblement hors du commun qui a, entre 1959 et 1961, remporté dans ce stade olympique trois Tournois consécutifs et fait trembler les Springboks d'Avril Malan, mais considère la musique comme le meilleur des viatiques.
Chacun d'entre nous garde en lui son Colombes intime. Pour moi, c'est un premier et minuscule compte-rendu de quatre phrases pour L'Equipe en septembre 1985 lors de la visite du Stade Toulousain en Challenge Du-Manoir. Puis la montée au terrain en passant par le fameux tunnel à l'initiative d'Eric Blanc et de Franck Mesnel. Plein de flotte, le tunnel, pas éclairé, glissant, étroit, courbe. Mais quelle récompense de sortir en pleine lumière derrière l'en-but gauche...
Nous avions hurlé comme des gamins les prénoms de plusieurs de nos héros, «Dédé! Jo ! Jeannot ! Walter ! Benoît ! Pierrot !», et ces cris du cœurs résonnent encore en moi. J'avais vingt-cinq ans et découvrais qu'écrire sur ce que ce jeu a de plus noble, de plus profond, de plus riche et de plus généreux, allait me remplir d'éthique, de réflexion, d'expérience et d'altérité à un point que je commence juste aujourd'hui à mesurer.
Joueur à oublier devenu par chance et culot passeur de mots, j'ai essayé depuis cette inoubliable sortie du tunnel de rester un honnête messager, honnête dans le sens de fidèle. Fidèle à mes premières convictions, lesquelles sont souvent les plus belles : soit, pour résumer, le rugby comme un art de vivre, le rugby au centre, le ballon au milieu et tout autour des êtres passionnés, habités, certains - peu mais choisis - devenus des amis.
La chance d'utiliser tous les quinze jours, samedi matin, le terrain annexe numéro 1 avec l'équipe de la presse - Deltéral, Schramm, Rivière, Calmejane, Lemoine, Bouzinac, Margot, Danne, Planquart, Clévenot, Crépin, Tynelski, Holtz - et d'avoir pris possession du vestiaire de l'équipe de France pour enfiler un maillot ; d'avoir partagé sur le terrain olympique chaque lundi la séance de jeu à toucher du Racing-Club de France version showbiz et apprécié les monstrueux appuis de Mesnel, les géniales inspirations de Cabannes, les «cab-debs» irrésistibles de Lafond, tel est mon Colombes, mémoires sauvés du temps.
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lundi 11 décembre 2017
Un déclic, pas des clics
Après la vilaine collection d'automne, le défilé des essais, des bonus et des victoires en Coupe d'Europe raconte à quel point le XV de France est un fiasco en soi qui n'est pas totalement imputable au reste du rugby français. Car enfin voici que les internationaux atones de novembre se transforment après quelques jours de repos en attaquants tranchants. Prenez l'exemple de Damian Penaud : transparent sous le maillot tricolore, étincelant dans celui de Clermont. De quoi nous interroger.
Les courses de soutien demeurent le meilleur moyen de bonifier les brèches ouvertes. Quand je vois des percussions aveugles, tant de bêtise me commotionne. Apprécions plutôt l'art de viser les intervalles entre deux défenseurs, puis les convergences de joueurs autour du porteur du ballon, les leurres pour écarter les adversaires. Les Wasps, par exemple, surclassés par les Rochelais, ont néanmoins inscrit leur premier essai sur une action semblable à celle créée en première main par les All Blacks face au pays de Galles deux semaines plus tôt...
L'agenda de la FFR n'est pas calqué sur celui des supporteurs du XV de France. Après avoir obtenu de haute lutte l'organisation du Mondial 2023 en France, puis savouré une victoire à la soviétique - onze sur treize - lors des récentes élections au sein des nouvelles régions, Bernard Laporte se penche maintenant, avec l'aide de Serge Simon, sur le cas de Guy Novès, de son staff et du jeu tricolore. Car il n'est pas possible que l'équipe de France, vitrine de notre rugby, soit ainsi éteinte quand partout ailleurs il fait jour.
Montpellier, sous la houlette de Vern Cotter, parvient en quelques mois à passer du rugby serré à la sud-africaine à une partition plus épanouie, en témoigne son succès bonifié à Glasgow. La Rochelle donne une leçon de vivacité, de pertinence tactique et de rugby complet aux Wasps, dans le sillage de Priso, Bourgarit, Jolmes, Balès, Doumayrou, Rattez et Aguillon. Clermont ridiculise les doubles champions d'Europe en titre comme jamais ils ne l'ont été dans leur histoire. Comme quoi, il est n'est pas encore l'heure de désespérer. A condition de trancher dans le vif avant le Tournoi 2018.
Certes, la construction tactique des équipes nationales est sans doute plus sophistiquée que celles de clubs. Mais je ne suis pas certain qu'il faille tout compliquer en ce qui concerne le XV de France. J'apprends, à travers quelques échanges, que nos internationaux seraient fatigués d'avoir été trop préparés au mois d'août ? Je les ai trouvé plutôt fringants, au contraire, à l'image de Chat, Bastareaud ou Doumayrou, pour ne prendre qu'eux trois. Le souci est ailleurs.
Trop d'analyses vidéo, de statistiques et de combinaisons leur sont infusées à Marcoussis en un laps de temps trop court pour être consacré à cette partie informatisée qui ne sert surtout qu'à rassurer un staff qui n'a pas l'air de fonctionner en interne sur la même longueur d'onde. Quant à la figure tutélaire de Guy Novès, il apparait qu'elle tétanise les joueurs au lieu de les galvaniser, l'effet inverse de ce qu'avait souhaité avec conviction l'ancien coach toulousain à sa prise de fonction.
Une décision sera prise fin décembre. La FFR l'a inscrite sur son agenda et en maîtrise l'annonce. Rien n'a fuité, si ce n'est un tour de table avec les acteurs du rugby français. Au regard des récentes performances, il faudrait plutôt penser à débaucher pour une pige de trois mois le duo rochelais Collazo-Garbajosa, ou le kiwi Cotter, qui a déjà fait des miracles à Clermont et en Ecosse. Le Tournoi des Six Nations 2018 approche à grandes enjambées : il est trop tard pour annoncer un grand projet fédérateur des toutes les strates rugbystiques françaises.
Le XV de France, désormais en situation d'urgence, a besoin d'un défibrillateur, d'un entraîneur entraînant qui libère les énergies, d'un technicien qui parle aux hommes et aux âmes. Car on voit bien qu'elles sont nombreuses, ces forces vitales, à n'avoir besoin que d'un déclic pour s'exprimer, plutôt que d'un projet enregistré sur ordinateur dans lequel risquer, une nouvelle fois, de s'engluer à l'heure où se présente déjà l'Irlande. Ce sera samedi trois février d'une année qu'on espère vraiment nouvelle.
En guise d'épilogue. Après la venue de Castres en Champions Cup, plus aucune rencontre de rugby de haut niveau ne se déroulera sur la grasse pelouse bombée du stade Yves-du-Manoir de Colombes dont la particularité demeure pour l'éternité ce tunnel creusé sous le terrain et qui mène du couloir des vestiaires jusque derrière l'en-but gauche et qui vit sortir plusieurs générations d'internationaux. Ceci clos un chapitre de notre histoire : le Racing 92 va désormais évoluer dans une salle de spectacle. Difficile d'imaginer métaphore plus parlante.
A noter : le magazine Flair Play s'appelle désormais Intercalé. Pensez à vous abonner : c'est le meilleur moyen de le recevoir. http://flair-play.com/
Les courses de soutien demeurent le meilleur moyen de bonifier les brèches ouvertes. Quand je vois des percussions aveugles, tant de bêtise me commotionne. Apprécions plutôt l'art de viser les intervalles entre deux défenseurs, puis les convergences de joueurs autour du porteur du ballon, les leurres pour écarter les adversaires. Les Wasps, par exemple, surclassés par les Rochelais, ont néanmoins inscrit leur premier essai sur une action semblable à celle créée en première main par les All Blacks face au pays de Galles deux semaines plus tôt...
L'agenda de la FFR n'est pas calqué sur celui des supporteurs du XV de France. Après avoir obtenu de haute lutte l'organisation du Mondial 2023 en France, puis savouré une victoire à la soviétique - onze sur treize - lors des récentes élections au sein des nouvelles régions, Bernard Laporte se penche maintenant, avec l'aide de Serge Simon, sur le cas de Guy Novès, de son staff et du jeu tricolore. Car il n'est pas possible que l'équipe de France, vitrine de notre rugby, soit ainsi éteinte quand partout ailleurs il fait jour.
Montpellier, sous la houlette de Vern Cotter, parvient en quelques mois à passer du rugby serré à la sud-africaine à une partition plus épanouie, en témoigne son succès bonifié à Glasgow. La Rochelle donne une leçon de vivacité, de pertinence tactique et de rugby complet aux Wasps, dans le sillage de Priso, Bourgarit, Jolmes, Balès, Doumayrou, Rattez et Aguillon. Clermont ridiculise les doubles champions d'Europe en titre comme jamais ils ne l'ont été dans leur histoire. Comme quoi, il est n'est pas encore l'heure de désespérer. A condition de trancher dans le vif avant le Tournoi 2018.
Certes, la construction tactique des équipes nationales est sans doute plus sophistiquée que celles de clubs. Mais je ne suis pas certain qu'il faille tout compliquer en ce qui concerne le XV de France. J'apprends, à travers quelques échanges, que nos internationaux seraient fatigués d'avoir été trop préparés au mois d'août ? Je les ai trouvé plutôt fringants, au contraire, à l'image de Chat, Bastareaud ou Doumayrou, pour ne prendre qu'eux trois. Le souci est ailleurs.
Trop d'analyses vidéo, de statistiques et de combinaisons leur sont infusées à Marcoussis en un laps de temps trop court pour être consacré à cette partie informatisée qui ne sert surtout qu'à rassurer un staff qui n'a pas l'air de fonctionner en interne sur la même longueur d'onde. Quant à la figure tutélaire de Guy Novès, il apparait qu'elle tétanise les joueurs au lieu de les galvaniser, l'effet inverse de ce qu'avait souhaité avec conviction l'ancien coach toulousain à sa prise de fonction.
Une décision sera prise fin décembre. La FFR l'a inscrite sur son agenda et en maîtrise l'annonce. Rien n'a fuité, si ce n'est un tour de table avec les acteurs du rugby français. Au regard des récentes performances, il faudrait plutôt penser à débaucher pour une pige de trois mois le duo rochelais Collazo-Garbajosa, ou le kiwi Cotter, qui a déjà fait des miracles à Clermont et en Ecosse. Le Tournoi des Six Nations 2018 approche à grandes enjambées : il est trop tard pour annoncer un grand projet fédérateur des toutes les strates rugbystiques françaises.
Le XV de France, désormais en situation d'urgence, a besoin d'un défibrillateur, d'un entraîneur entraînant qui libère les énergies, d'un technicien qui parle aux hommes et aux âmes. Car on voit bien qu'elles sont nombreuses, ces forces vitales, à n'avoir besoin que d'un déclic pour s'exprimer, plutôt que d'un projet enregistré sur ordinateur dans lequel risquer, une nouvelle fois, de s'engluer à l'heure où se présente déjà l'Irlande. Ce sera samedi trois février d'une année qu'on espère vraiment nouvelle.
En guise d'épilogue. Après la venue de Castres en Champions Cup, plus aucune rencontre de rugby de haut niveau ne se déroulera sur la grasse pelouse bombée du stade Yves-du-Manoir de Colombes dont la particularité demeure pour l'éternité ce tunnel creusé sous le terrain et qui mène du couloir des vestiaires jusque derrière l'en-but gauche et qui vit sortir plusieurs générations d'internationaux. Ceci clos un chapitre de notre histoire : le Racing 92 va désormais évoluer dans une salle de spectacle. Difficile d'imaginer métaphore plus parlante.
A noter : le magazine Flair Play s'appelle désormais Intercalé. Pensez à vous abonner : c'est le meilleur moyen de le recevoir. http://flair-play.com/
mardi 5 décembre 2017
Légende d'automne
Sur ce plateau, la température est tombée de plusieurs degrés. Saturé de buzz et de brèves, j'y effectue un retour aux sources, moi dont le père est natif de Lembras. Belvès reçoit Sarlat. Recevoir prend là tout son sens profond. De cette chaleur humaine qui donne au rugby de terroir une saveur sans pareille. Quand s'est ouverte peu après midi la salle de réception sur de longues tables achalandées depuis déjà un bon quart d'heure autour d'un potage bouillant, montait le brouhaha des échanges passionnés, dirigeants, invités, visiteurs et partenaires mêlés. Une invitation à ne pas manquer.
Nous sommes quelques amis choisis par Montaigne et La Boétie, serrés comme liés, et autour de nous défilaient les bénévoles dans un ballet de plats copieux à passer. Nos échanges peinent à prendre voix, couverts par les annonces des résultats de la bourriche dont on sait au moment de sortir nos billets que les bénéfices vont directement dans les caisses de l'école de rugby. Personne n'est venu là pour prendre mais bien pour donner. Servir. Ce verbe trouve échos dans cet avant-match embué, terminé par un café soutenu.
En lever de rideau, la réserve de Belvès prend la leçon, donnée par celle de Sarlat; mais son avance au score est telle que ces juniors barbus se laissent aller au plaisir du jeu sans contingences sous les applaudissements d'un public déjà compacté dans l'unique tribune aux bancs de bois, rehaussés par quelques cris d'encouragements dont on remarque qu'ils émanent d'une brochette de jeunes filles bourgeonnantes venues se faire entendre et capter un regard.
Le soleil disparait à la mi-temps. Et du coup la température descend encore d'un cran. Mais pas l'intensité du match entre équipes premières. Menés à la pause, les joueurs de Belvès ne se sont pas réchauffés dans le vestiaire, non, ils sont revenus illico sur le terrain, visages fermés, vexés. Décidés. Il y avait là un Géorgien sosie de Gorgodze, deux Iliens vite blessés, dont l'un - centre casqué - sur commotion, et quelques beaux gabarits. Une chandelle, un groupé-pénétrant et une bagarre générale plus tard, Belvès prenait son match en mains. Mais perdait un de ses piliers sur carton rouge, note artistique décernée pour un crochet du droit devant l'arbitre.
En supériorité numérique, Sarlat remontera une partie de son handicap au score, 34-25, fiertés intactes des deux côtés. Un fiston est sur la feuille de match, et son père partage avec moi un corona. Chacun des spectateurs a d'ailleurs un ami, un voisin, une relation ou un membre de sa famille sur le terrain. Le jeu ? Plaisant. Du rugby engagé et pas seulement frontal, de belles percées proprement conçues, des ballons portés à dix et plus quand il le fallait, du jeu au pied d'occupation, de gros tampons, de la solidité dans les rucks, de la solidarité partout.
Ce dimanche de Fédérale 3, personne autour de moi n'a évoqué le XV de France ou l'affaire Laporte/Flessel qui alimentent pourtant les médias. Les événements d'en haut n'influent pas sur le rugby d'ici, lequel relie toujours avec autant d'élans les êtres par un dimanche d'automne qui ressemble déjà à l'hiver. On se donne rendez-vous au match retour, pour ce qu'il promet. La veille, Castres a écrit son histoire à Ernest-Wallon, mais je n'ai pas vu - mais pas cherché non plus - le grand écran plat qui doit servir dans les campagnes à suivre la dernière rencontre de Top 14 de la journée.
Nous sommes quelques amis choisis par Montaigne et La Boétie, serrés comme liés, et autour de nous défilaient les bénévoles dans un ballet de plats copieux à passer. Nos échanges peinent à prendre voix, couverts par les annonces des résultats de la bourriche dont on sait au moment de sortir nos billets que les bénéfices vont directement dans les caisses de l'école de rugby. Personne n'est venu là pour prendre mais bien pour donner. Servir. Ce verbe trouve échos dans cet avant-match embué, terminé par un café soutenu.
En lever de rideau, la réserve de Belvès prend la leçon, donnée par celle de Sarlat; mais son avance au score est telle que ces juniors barbus se laissent aller au plaisir du jeu sans contingences sous les applaudissements d'un public déjà compacté dans l'unique tribune aux bancs de bois, rehaussés par quelques cris d'encouragements dont on remarque qu'ils émanent d'une brochette de jeunes filles bourgeonnantes venues se faire entendre et capter un regard.
Le soleil disparait à la mi-temps. Et du coup la température descend encore d'un cran. Mais pas l'intensité du match entre équipes premières. Menés à la pause, les joueurs de Belvès ne se sont pas réchauffés dans le vestiaire, non, ils sont revenus illico sur le terrain, visages fermés, vexés. Décidés. Il y avait là un Géorgien sosie de Gorgodze, deux Iliens vite blessés, dont l'un - centre casqué - sur commotion, et quelques beaux gabarits. Une chandelle, un groupé-pénétrant et une bagarre générale plus tard, Belvès prenait son match en mains. Mais perdait un de ses piliers sur carton rouge, note artistique décernée pour un crochet du droit devant l'arbitre.
En supériorité numérique, Sarlat remontera une partie de son handicap au score, 34-25, fiertés intactes des deux côtés. Un fiston est sur la feuille de match, et son père partage avec moi un corona. Chacun des spectateurs a d'ailleurs un ami, un voisin, une relation ou un membre de sa famille sur le terrain. Le jeu ? Plaisant. Du rugby engagé et pas seulement frontal, de belles percées proprement conçues, des ballons portés à dix et plus quand il le fallait, du jeu au pied d'occupation, de gros tampons, de la solidité dans les rucks, de la solidarité partout.
Ce dimanche de Fédérale 3, personne autour de moi n'a évoqué le XV de France ou l'affaire Laporte/Flessel qui alimentent pourtant les médias. Les événements d'en haut n'influent pas sur le rugby d'ici, lequel relie toujours avec autant d'élans les êtres par un dimanche d'automne qui ressemble déjà à l'hiver. On se donne rendez-vous au match retour, pour ce qu'il promet. La veille, Castres a écrit son histoire à Ernest-Wallon, mais je n'ai pas vu - mais pas cherché non plus - le grand écran plat qui doit servir dans les campagnes à suivre la dernière rencontre de Top 14 de la journée.
mercredi 29 novembre 2017
Agir, maintenant
Depuis la défaite du XV de France face au Japon (23-23), défaite morale s'entend, les constats se multiplient comme des rocking-chairs qui bougent d'avant en arrière ; ça ne nous avance pas. Avant de savoir où l'on va, il est bon de savoir d'où l'on vient, certes, mais ça fait un bout de temps - depuis la Coupe du monde 2011 - que même les plus lents à la détente sont parvenus à se faire une idée du marasme dans lequel pataugent les Tricolores.
Passons à l'étape suivante : trouver au mal des remèdes qui pourraient être mis en œuvre rapidement et donner des résultats probants sans attendre la Coupe du monde 2023. D'autres nations ont connu des périodes difficiles, pour ne pas dire troublées. Elles ont su, avec courage et intelligence, prendre des décisions parfois radicales. Passées au tamis français, en voici dix.
1- Former des gamins au plus haut niveau ; pas seulement au jeu mais aussi à ce qui l'entoure. Action mise en œuvre au sein des clubs de Top 14 et de ProD2 à condition d'être suivie par l'encadrement du XV de France (voir 6 et 8). Davantage que le rapport taille-poids en fonction des postes, développer les conditions de réussite au plus haut niveau en axant le travail dans quatre domaines : psychologique, technique, tactique et physique.
2- Choisir un nouveau capitaine. Guilhem Guirado est rôti. Trop habitué à la défaite. Ressorti abattu de ce novembre calamiteux. Qui fait suite à une tournée manquée en Afrique du Sud. Il suffisait de l'écouter au coup de sifflet final sur le bord de touche de la U Arena pour constater qu'il est au bord de la dépression. Dix-huit capitanats: six succès. Dont une série de six défaites d'affilée.
3- Tirer un trait sur les «anciens» qui stagnent depuis 2012. Exit Slimani - visé par les arbitres, il coûte cher -, Maestri, Picamoles - qui fonctionne au diesel -, Trinh-Duc, Bastareaud, Huget et Spedding. Le présent ne leur appartient plus. Ils font du sur-place, et ça ne date pas de samedi dernier.
4- Lancer une nouvelle vague bleue en lui conservant un crédit d'apprentissage. Jeunes, débridés, neufs et enthousiastes, Priso, Pélissié, Colombe, Iturria, Lambey, Jelonch, Galletier, Couilloud, Carbonel, Jalibert, Boudehent, Regard, Dupichot et Cordin, entre autres, ne sont pas traumatisés par les échecs.
5- Comportements déplacés, bagarre entre membres du staff, retards, absences, manque de concentration, coups de gueule, coups de blues : le régime carcéral de Marcoussis est contre productif. Regrouper des personnalités (Berbizier, Villepreux, Rufo, Onesta, Yachvili, Tillinac, Guillard, Albaladejo) autour du nouveau capitaine bleu, deux ou trois joueurs clés et d'un bon scribe pour rédiger une charte éthique. Les grandes nations en ont une, plus utile qu'un cahier de jeu sur disque dur.
6- Pas besoin de passer les diplômes d'entraîneur en quarante heures chrono. Il suffit de regarder les tests internationaux pour s'inspirer du rugby qui gagne. Quel est-il ? Attitude à la percussion et au plaquage afin que les soutiens ne se consomment pas dans les rucks, déplacement pertinent des joueurs en défense, attaque avec des leurres en deux vagues, combinaisons autour des conquêtes en première main, angles de courses précis, jeu au pied de pression...
7- Armer l'équipe de France d'un préparateur mental indépendant. Gilbert Enoka chez les All Blacks, Eric Blondeau avec l'Ecosse de Cotter. Pas de salarié fédéral mais un développeur de performance qui libére les esprits, évite que les joueurs évoluent avec une boule au ventre, un poids sur les épaules, la peur de mal faire. Il s'attaquera d'abord au staff, souvent porteur de tensions inutiles et corrosives.
8- De nombreuses nations (à l 'exception de l'Afrique du Sud et de la Nouvelle-Zélande) se sont ouvertes à l'étranger. Avec succès. Quelques pistes ? Wayne Smith - qui adore la France et le jeu à la toulousaine -,Vern Cotter, Jake White... L'Anglais Ben Ryan s'occupe bien de France 7 ! C'est donc possible. Rien de honteux à casser la routine française, même si Olivier Magne, Fabrice Landreau, Christophe Urios, Laurent Travers, Xavier Garbajosa, Fabien Galthié, Jean-Baptiste Elissalde ou Raphaël Ibanez sont légitimes.
9- Au départ, quand on m'a annoncé que les Barbarians Français devenaient la succursale du XV de France, j'ai craint que le stress qui habite les locataires de Marcoussis fondent sur le dernier concept de rugby en liberté tel que souhaité par Jean-Pierre Rives. Il n'en a rien été et le match contre les Maori a été un régal pour l'esprit comme pour les yeux. Développer cette ouverture Barbarians en offrant l'opportunité à de jeunes talents de s'exprimer sans retenue lors de rencontres internationales bis, encadrés par quelques ainés, comme le furent Fred Michalak puis Aurélien Rougerie.
10- Persévérer dans la veine des JIFF - même si ce n'est pas la panacée - et un minimum de seize joueurs sélectionnables sur une feuille de match de Top 14 et de ProD2. L'étendre à la Fédérale 1 poule Elite, puis à toute la Fédérale (1,2,3). En ce qui concerne les trois divisions pros et semi-pros, acter une incitation financière chaque fois qu'un Espoir est titularisé.
Passons à l'étape suivante : trouver au mal des remèdes qui pourraient être mis en œuvre rapidement et donner des résultats probants sans attendre la Coupe du monde 2023. D'autres nations ont connu des périodes difficiles, pour ne pas dire troublées. Elles ont su, avec courage et intelligence, prendre des décisions parfois radicales. Passées au tamis français, en voici dix.
1- Former des gamins au plus haut niveau ; pas seulement au jeu mais aussi à ce qui l'entoure. Action mise en œuvre au sein des clubs de Top 14 et de ProD2 à condition d'être suivie par l'encadrement du XV de France (voir 6 et 8). Davantage que le rapport taille-poids en fonction des postes, développer les conditions de réussite au plus haut niveau en axant le travail dans quatre domaines : psychologique, technique, tactique et physique.
2- Choisir un nouveau capitaine. Guilhem Guirado est rôti. Trop habitué à la défaite. Ressorti abattu de ce novembre calamiteux. Qui fait suite à une tournée manquée en Afrique du Sud. Il suffisait de l'écouter au coup de sifflet final sur le bord de touche de la U Arena pour constater qu'il est au bord de la dépression. Dix-huit capitanats: six succès. Dont une série de six défaites d'affilée.
3- Tirer un trait sur les «anciens» qui stagnent depuis 2012. Exit Slimani - visé par les arbitres, il coûte cher -, Maestri, Picamoles - qui fonctionne au diesel -, Trinh-Duc, Bastareaud, Huget et Spedding. Le présent ne leur appartient plus. Ils font du sur-place, et ça ne date pas de samedi dernier.
4- Lancer une nouvelle vague bleue en lui conservant un crédit d'apprentissage. Jeunes, débridés, neufs et enthousiastes, Priso, Pélissié, Colombe, Iturria, Lambey, Jelonch, Galletier, Couilloud, Carbonel, Jalibert, Boudehent, Regard, Dupichot et Cordin, entre autres, ne sont pas traumatisés par les échecs.
5- Comportements déplacés, bagarre entre membres du staff, retards, absences, manque de concentration, coups de gueule, coups de blues : le régime carcéral de Marcoussis est contre productif. Regrouper des personnalités (Berbizier, Villepreux, Rufo, Onesta, Yachvili, Tillinac, Guillard, Albaladejo) autour du nouveau capitaine bleu, deux ou trois joueurs clés et d'un bon scribe pour rédiger une charte éthique. Les grandes nations en ont une, plus utile qu'un cahier de jeu sur disque dur.
6- Pas besoin de passer les diplômes d'entraîneur en quarante heures chrono. Il suffit de regarder les tests internationaux pour s'inspirer du rugby qui gagne. Quel est-il ? Attitude à la percussion et au plaquage afin que les soutiens ne se consomment pas dans les rucks, déplacement pertinent des joueurs en défense, attaque avec des leurres en deux vagues, combinaisons autour des conquêtes en première main, angles de courses précis, jeu au pied de pression...
7- Armer l'équipe de France d'un préparateur mental indépendant. Gilbert Enoka chez les All Blacks, Eric Blondeau avec l'Ecosse de Cotter. Pas de salarié fédéral mais un développeur de performance qui libére les esprits, évite que les joueurs évoluent avec une boule au ventre, un poids sur les épaules, la peur de mal faire. Il s'attaquera d'abord au staff, souvent porteur de tensions inutiles et corrosives.
8- De nombreuses nations (à l 'exception de l'Afrique du Sud et de la Nouvelle-Zélande) se sont ouvertes à l'étranger. Avec succès. Quelques pistes ? Wayne Smith - qui adore la France et le jeu à la toulousaine -,Vern Cotter, Jake White... L'Anglais Ben Ryan s'occupe bien de France 7 ! C'est donc possible. Rien de honteux à casser la routine française, même si Olivier Magne, Fabrice Landreau, Christophe Urios, Laurent Travers, Xavier Garbajosa, Fabien Galthié, Jean-Baptiste Elissalde ou Raphaël Ibanez sont légitimes.
9- Au départ, quand on m'a annoncé que les Barbarians Français devenaient la succursale du XV de France, j'ai craint que le stress qui habite les locataires de Marcoussis fondent sur le dernier concept de rugby en liberté tel que souhaité par Jean-Pierre Rives. Il n'en a rien été et le match contre les Maori a été un régal pour l'esprit comme pour les yeux. Développer cette ouverture Barbarians en offrant l'opportunité à de jeunes talents de s'exprimer sans retenue lors de rencontres internationales bis, encadrés par quelques ainés, comme le furent Fred Michalak puis Aurélien Rougerie.
10- Persévérer dans la veine des JIFF - même si ce n'est pas la panacée - et un minimum de seize joueurs sélectionnables sur une feuille de match de Top 14 et de ProD2. L'étendre à la Fédérale 1 poule Elite, puis à toute la Fédérale (1,2,3). En ce qui concerne les trois divisions pros et semi-pros, acter une incitation financière chaque fois qu'un Espoir est titularisé.
dimanche 26 novembre 2017
Chant du refus
Tout ça pour quoi ? Je reprends à dessein le titre de l'entretien accordé par Yannick Bru à François Trillo dans le magazine Flair Play, sixième du nom et promis à une nouvelle vie, l'année prochaine. Beaucoup de bruit pour rien, souffle aussi le grand Bill - pas Beaumont, l'autre, celui qui entraînait Stratford-Upon-Avon. Si peu de rugby et beaucoup de bleus à l'âme. Rien de tranchant. Le XV de France est-il toujours le cœur de notre passion ? Je suis furieux d'avoir à y répondre car le mystère des échecs bleus répétés, dévastateur, me plonge dans un abîme de perplexité brutale.
Qu'est-ce que le rugby sinon un élargissement de la vie, une métaphore visant à amplifier nos pensées, une geste propre à nous extraire de l'humaine condition, champ lexical qui déborde, obère les frontières, agrandit la circulation des liens, regroupe les énergies, estompe le brouillard qu'on croyait scellé, dénonce le médiocre contrat, chasse la sécheresse et la solitude et le froid. Frère de littérature, le rugby est une poésie ; une langue qui s'invente de tout son corps.
Tu as bien fait de partir, Jean Trillo ! Tes passes et tes percées «réfractaires à la malveillance, à la sottise» des sélectionneurs de Toulouse, de la Cité d'Antin, de la rue de Liège puis de Marcoussis, «ainsi qu'au ronronnement d'abeille stérile» des réseaux sociaux un peu fous, «tu as bien fait de les éparpiller aux vents du large.» Tu as bien fait de partir, Pierre Albaladejo ! Vous aussi, André Herrero, Walter Spanghero, Didier Codorniou, Patrick Nadal, Max Barrau, Jean-Luc Sadourny.
«Vous avez eu raison d'abandonner le boulevard des paresseux, les estaminets de pisse-lyres (...) pour le bonjour des simples.» Tu as bien fait de partir, Jo Maso, André Boniface, Jean-Michel Aguirre, Alain Paco ! «Nous sommes quelques-uns à croire sans preuve le bonheur possible avec toi. (...) Si les volcans changent peu de place, leur lave parcourt le grand vide du monde et lui apporte des vertus qui chantent dans ses plaies.»
La prose poétique de ce monument qu'est René Char, 1,92m, ancien deuxième-ligne dans l'Hérault, nous transperce comme un ballon porté. Un stade lui rend hommage, et c'est heureux, à Bédarieux, au cœur de ce triangle dessiné entre Montpellier, Castres et Béziers qu'on appelle pays d'Orb. Au milieu, nous y revenons toujours, coule une rivière. Constatons avec ce géant que notre automne est une agonie. Personnellement, je ne la trouve pas très affable.
René Char écrit dans Feuillets d'Hypnos dédiés gardien de but Albert Camus - la main, toujours : «On ne se bat bien que pour les causes qu'on modèle soi-même et avec lesquelles on se brûle en s'identifiant.» Ce à quoi Camus répond : «Ce que je sais de la morale, c'est au football que je le dois.» Char prolonge l'échange en précisant que «toute l'autorité, la tactique et l'ingéniosité ne remplacent pas une parcelle de conviction au service de la vérité.» Nous y voilà.
C'est bien de conviction dont manque cruellement ce XV de France de triste figure. L'atonie qui prévalait sous Philippe Saint-André est encore présente sous Guy Novès, la peur de mal faire en plus. Avouons-le, les joueurs appelés aujourd'hui n'ont aucun charisme : de Poirot à Spedding, en passant par Picamoles, ils suivent les consignes, apprennent mollement le cahier de jeu installé sur disque dur qu'ils récitent ensuite comme les élèves peu inspirés ânonnent des alexandrins trop longs pour leur respiration naturelle.
Il est bien fini le temps des légendes. Quel international français inspire notre élan et les générations à venir, refaçonne le mythe ovale ? J'ai beau chercher, je ne trouve pas. Ce XV de France est composé de soldats, pas de figures, de personnalités ni d'hommes aux couleurs vives. Olivier Margot, chantre et ami, publie justement chez Lattès un recueil de mémoires sauvées du vent (Le temps des légendes), déclarations d'amour à quelques champions croisés ou choyés - Jazy, Cerdan, Kopa, Mimoun, Anquetil, Ostermeyer, Killy - au milieu desquels s'élèvent regroupés Albaladejo, Boniface et Herrero.
Le rugby est âme collective. Sans elle point d'ancrage, de cap à tenir, de voyages effectués, de vie rêvée. Tout ce qui construit la différence entre une sélection et une équipe se trouve dans le lien tissé par les individus qui se comptent quinze, ou vingt-trois. On parle de projet de jeu mais seules quelques nations réussissent à l'exprimer au point de le rendre facile à observer. Ce n'est pas le cas des Français depuis plus de dix ans.
«Ne t'attarde pas à l'ornière des résultats», écrit le poète. Ils sont pourtant la conséquence de tout ce qui précède : confiance, plaisir, union, appropriation, liberté, charte, aspiration, inspiration, équilibre, harmonie, humilité, engagement, identité. Ce qu'on aime quand jouent l'Ecosse ou la Nouvelle-Zélande, par exemple. Ne nous attardons pas, donc. Tant que la nuit nous appartient, accélérons le pas sans nous retourner sur l'aurore qui tarde à se lever.
mardi 21 novembre 2017
Gazon interdit
Le pire est toujours à venir, et si les désolantes prestations de service minimum d'un XV de France qui s'exprime avec un entrain de sénateurs plongent les supporteurs bleus dans l'atonie, il est encore possible de descendre un cran en-dessous. La perspective d'un France-Japon à l'U Arena, ce samedi, ouvre le champ des possibles. Jamais les Tricolores ne se sont couchés face au Soleil Levant. Il y a un début à tout. Demandez aux Springboks !
Au-delà du score, intéressons-nous à l'écrin. Une salle dédiée aux spectacles en tous genres et à l'acoustique pour le moins critiquable si l'on en croit ceux qui sont allés écouter les Rolling Stones dans cette boîte de Nanterre. Mais surtout un test sur pelouse synthétique. Une première pour le XV de France. Qui n'y est pas du tout préparé. Encore une preuve de l'amateurisme crasse qui préside au destin de l'équipe nationale.
Pas d'entraînement sur cette surface dure qui demande appuis et crampons particuliers. Les Tricolores vont découvrir le terrain en même temps que leurs adversaires : souhaitons que le sol ne se dérobe pas sous leurs pieds. Habitués à évoluer sur des pelouses semi-synthétiques en championnat, les Cherry Blossoms vont bénéficier d'un avantage. Un comble. Comme si le XV de France, déjà bien mal en point, avait besoin de ça.
De la même façon, le staff tricolore a vu son responsable mêlée quitter Marcoussis précipitamment à l'appel de son club, l'UBB, au motif qu'une pénurie de piliers menace l'édifice girondin. Là aussi, on croit rêver. Sauf à penser que le rugby n'est pas encore passé professionnel derrière les grilles de Marcoussis, comment peut-on contracter Jean-Baptiste Poux pour s'occuper des avants français alors qu'il est encore joueur ?
Si j'en crois la rumeur, Sir Clive Woodward devrait traverser le Channel pour superviser le staff tricolore : sans doute est-ce pour éviter que certains en viennent une nouvelle fois aux mains comme ce fut le cas en Afrique du Sud, cet été ! Le chevalier de la Rose en 2003, qu'on a vu calamiteux à la tête des Lions britanniques et irlandais deux saisons plus tard, aurait donc en sa possession un baume du tigre à passer sur les bleus.
On résume : dans une caisse et sur tapis vert synthétique face à une nation classée onzième mondiale, la France peut perdre en ce mois de novembre son quatrième match d'affilée au moment où elle vient d'obtenir l'organisation de la Coupe du monde pour 2023. Heureusement, il y a le Top 14. Ne riez pas. Quarante-huit essais inscrits en sept rencontres lors de la dernière journée : un record ! Et un magnifique Toulon-Racing en clôture.
Franchement, de quoi se plaint-on ? Le fameux principe des vases communicants fonctionne à plein. Pendant que les internationaux français s'échinent à produire le plus mauvais jeu jamais pratiqué par un XV de France depuis le début des années 70, quelques jeunes inconnus de vingt ans et une poignée de briscards en fin de carrière font mousser le Championnat en s'amusant sans contrainte à déguster le doublon.
Du terrain de Raeburn Place, avec sa butte de terre et sa minuscule tribune en bois, à la salle de spectacles baptisée U Arena, des brumes d'Edimbourg au béton de Nanterre, de l'amateurisme éclairé au professionnalisme cynique, ainsi va cette industrie qu'on appelle encore rugby; un sport qui ne se transforme qu'à l'image de notre société laquelle perd en lumière, sous l'éclairage des différentes révélations médiatiques, ce qu'elle gagne en éblouissements.
Au-delà du score, intéressons-nous à l'écrin. Une salle dédiée aux spectacles en tous genres et à l'acoustique pour le moins critiquable si l'on en croit ceux qui sont allés écouter les Rolling Stones dans cette boîte de Nanterre. Mais surtout un test sur pelouse synthétique. Une première pour le XV de France. Qui n'y est pas du tout préparé. Encore une preuve de l'amateurisme crasse qui préside au destin de l'équipe nationale.
Pas d'entraînement sur cette surface dure qui demande appuis et crampons particuliers. Les Tricolores vont découvrir le terrain en même temps que leurs adversaires : souhaitons que le sol ne se dérobe pas sous leurs pieds. Habitués à évoluer sur des pelouses semi-synthétiques en championnat, les Cherry Blossoms vont bénéficier d'un avantage. Un comble. Comme si le XV de France, déjà bien mal en point, avait besoin de ça.
De la même façon, le staff tricolore a vu son responsable mêlée quitter Marcoussis précipitamment à l'appel de son club, l'UBB, au motif qu'une pénurie de piliers menace l'édifice girondin. Là aussi, on croit rêver. Sauf à penser que le rugby n'est pas encore passé professionnel derrière les grilles de Marcoussis, comment peut-on contracter Jean-Baptiste Poux pour s'occuper des avants français alors qu'il est encore joueur ?
Si j'en crois la rumeur, Sir Clive Woodward devrait traverser le Channel pour superviser le staff tricolore : sans doute est-ce pour éviter que certains en viennent une nouvelle fois aux mains comme ce fut le cas en Afrique du Sud, cet été ! Le chevalier de la Rose en 2003, qu'on a vu calamiteux à la tête des Lions britanniques et irlandais deux saisons plus tard, aurait donc en sa possession un baume du tigre à passer sur les bleus.
On résume : dans une caisse et sur tapis vert synthétique face à une nation classée onzième mondiale, la France peut perdre en ce mois de novembre son quatrième match d'affilée au moment où elle vient d'obtenir l'organisation de la Coupe du monde pour 2023. Heureusement, il y a le Top 14. Ne riez pas. Quarante-huit essais inscrits en sept rencontres lors de la dernière journée : un record ! Et un magnifique Toulon-Racing en clôture.
Franchement, de quoi se plaint-on ? Le fameux principe des vases communicants fonctionne à plein. Pendant que les internationaux français s'échinent à produire le plus mauvais jeu jamais pratiqué par un XV de France depuis le début des années 70, quelques jeunes inconnus de vingt ans et une poignée de briscards en fin de carrière font mousser le Championnat en s'amusant sans contrainte à déguster le doublon.
Du terrain de Raeburn Place, avec sa butte de terre et sa minuscule tribune en bois, à la salle de spectacles baptisée U Arena, des brumes d'Edimbourg au béton de Nanterre, de l'amateurisme éclairé au professionnalisme cynique, ainsi va cette industrie qu'on appelle encore rugby; un sport qui ne se transforme qu'à l'image de notre société laquelle perd en lumière, sous l'éclairage des différentes révélations médiatiques, ce qu'elle gagne en éblouissements.
mardi 14 novembre 2017
Rongé au mythe
Une Marseillaise monte dans la nuit de Saint-Denis, des drapeaux tricolores volent dans le vent sibérien venu de la plaine pour envelopper trois essais : accepté, refusé et de pénalité. Puis quitter le Stade de France sans être transformé, partir comme on est venu, ni subjugué, ni transporté ni même rempli. Peut-être un peu gonflé. Il n'y a qu'un compte-rendu à écrire. Pas de récit.
Il nous manque un pilier droit qui ne serait pas cartonné, une touche d'élévation dans l'alignement, du rôle dans le ruck et une ouverture symphonique. Il nous manque, ô mon capitaine, un leader majuscule qui saurait mettre du baume sur les mots. Sans doute aussi une partition qui éviterait de trop faire sonner les percussions. Nous sommes d'accord.
Après tout qu'importe le score quand on a l'ivresse. Car ce qui fait le plus défaut au rugby français ce n'est pas un titre mondial mais bien une épopée épique qu'on moulerait dans la gothique, une histoire bien illustrée à se transmettre sur un pas, une chanson de geste pour lier l'obus et l'aigu, le pré et le large, celui qu'on croyait frêle et celui qui n'y croyait pas.
Bordeaux, Saint-Denis, Lyon, Nanterre... Nous traverserons l'automne en novembre sans avoir vibré autrement qu'en découvrant ces petits Barbarians se livrer sans retenue dans le sillage vintage d'Aurélien Rougerie, perçant au centre et s'envoyant comme à ses plus belles heures, je veux parler d'un certain soir de finale à Auckland. C'était en 2011. Déjà si loin.
Je n'ai pas l'impression que nous ayons beaucoup vibré depuis l'essai de Thierry Dusautoir au pied des poteaux de l'Eden Park. Six ans d'une traversée du désert, de Marc Lièvremont à Guy Novès en passant par Philippe Saint-André. Aucune remède au bleu pâle. De courtes victoires en lourdes défaites, les test-matches s'enchaînent sans être reliés à un dessein unique qui ferait sens.
Esprits chagrins et chroniqueurs critiques se gaussent depuis une décennie du French Flair. Peut-on leur donner tort ? Pour autant l'abandon de ce qui était encore craint par nos adversaire entre 1994 et 2009 - pour ne parler que de la période récente qui va de Thomas Castaignède à Cédric Heymans - signale la fin d'un savoir-faire, d'une marque, d'un label. Aussi d'une exigence autant que d'une lignée.
Ce récit, j'ai essayé de le tracer et de le transmettre pendant plus de trente ans, de le mettre en musique tout au long d'une rangée de livres. Voilà qu'ils moisissent maintenant dans ma cave entre une caisse de Château La Lagune 2000 et des maillots en épais coton. L'âge, sans doute. Mais je n'ai plus envie d'écrire d'ouvrages sur le XV de France. Il ne m'inspire plus.
Il suffirait pourtant que Teddy Thomas ou Gabriel Lacroix continuent de déborder, qu'Antoine Dupont, Baptiste Couilloud et Sekou Macalou percent encore pour qu'une étincelle jaillisse d'un brandon qu'on croyait éteint. Mais aucun retour de flamme n'a jamais alimenté durablement un feu de joie. Il faut davantage que des sursauts, des réactions d'orgueil et d'amour-propre, des engueulades à la mi-temps dans le vestiaire pour reconstruire un identité.
Coupe du monde 2023 ou pas, Novès, Galthié ou Tartempion, le rugby français a d'abord besoin d'être régénéré. Vous avez entendu le coup de gueule de Rougerie à l'issue de la victoire des Barbarians français sur les Maori All Blacks ? «Faites-les jouer !» Il s'adressait aux clubs de Top 14 en parlant des jeunes talents qui l'entouraient. De quoi nous mettre l'alarme à l'œil.
Mais les faire jouer à quoi ? Au concours de démonte défense ? Le XV de France manque d'essence et d'idées. Aveuglé, il n'a pas de projet, malgré ce qu'on entend à longueur de conférences de stress, et ce n'est pas un cahier de combinaisons enregistré sur le disque dur des ordinateurs de la Résidence à Marcoussis qui lui redonnera corps et âme.
La seule question qui vaille désormais dans le marasme dans lequel s'enlise le rugby de France, c'est le pourquoi?. Pourquoi je joue au rugby et pourquoi suis-je sélectionné en équipe nationale ? Quel sens je donne à mon investissement personnel ? Comment puis-je, grâce à ce formidable levier qu'est le rugby, devenir une meilleure personne ?
Cent chantiers s'ouvriraient pour relancer un jeu «à la française». Tous les jours chaque joueur consentira ne serait-ce qu'à améliorer de 1% chacune des composantes de sa performance individuelle, chaque entraîneur 1% de son management et de son rôle d'éducateur, chaque dirigeant 1% du contenu de ses tâches administratives, marketing et stratégiques.
Les All Blacks, littéralement tombés dans le caniveau en 2004, sont parvenus à se réinventer, s'enfermant à huit (dont Henry, Hansen, Smith, Umaga, McCaw et Lochore) pendant trois jours à Wellington pour repartir d'une page presque blanche. Sont sortis de leur brain storming le Kapa O Pango, de nouveaux commandements, une charte éthique, des rituels fédérateurs, un cadre de vie et un management participatif qu'ils questionnent et font évoluer chaque saison.
Homère propose des dieux et des mythes, des métaphores et des symboles, des aspirations et des tâches. Un récit double propre à forger notre imagination mais aussi notre âme humaine. D'autres auteurs ont ensuite creusé cette veine pour nous laisser en héritage douze travaux. Il n'est pas anodin que l'un d'eux consiste à nettoyer les écuries d'Augias.
Il nous manque un pilier droit qui ne serait pas cartonné, une touche d'élévation dans l'alignement, du rôle dans le ruck et une ouverture symphonique. Il nous manque, ô mon capitaine, un leader majuscule qui saurait mettre du baume sur les mots. Sans doute aussi une partition qui éviterait de trop faire sonner les percussions. Nous sommes d'accord.
Après tout qu'importe le score quand on a l'ivresse. Car ce qui fait le plus défaut au rugby français ce n'est pas un titre mondial mais bien une épopée épique qu'on moulerait dans la gothique, une histoire bien illustrée à se transmettre sur un pas, une chanson de geste pour lier l'obus et l'aigu, le pré et le large, celui qu'on croyait frêle et celui qui n'y croyait pas.
Bordeaux, Saint-Denis, Lyon, Nanterre... Nous traverserons l'automne en novembre sans avoir vibré autrement qu'en découvrant ces petits Barbarians se livrer sans retenue dans le sillage vintage d'Aurélien Rougerie, perçant au centre et s'envoyant comme à ses plus belles heures, je veux parler d'un certain soir de finale à Auckland. C'était en 2011. Déjà si loin.
Je n'ai pas l'impression que nous ayons beaucoup vibré depuis l'essai de Thierry Dusautoir au pied des poteaux de l'Eden Park. Six ans d'une traversée du désert, de Marc Lièvremont à Guy Novès en passant par Philippe Saint-André. Aucune remède au bleu pâle. De courtes victoires en lourdes défaites, les test-matches s'enchaînent sans être reliés à un dessein unique qui ferait sens.
Esprits chagrins et chroniqueurs critiques se gaussent depuis une décennie du French Flair. Peut-on leur donner tort ? Pour autant l'abandon de ce qui était encore craint par nos adversaire entre 1994 et 2009 - pour ne parler que de la période récente qui va de Thomas Castaignède à Cédric Heymans - signale la fin d'un savoir-faire, d'une marque, d'un label. Aussi d'une exigence autant que d'une lignée.
Ce récit, j'ai essayé de le tracer et de le transmettre pendant plus de trente ans, de le mettre en musique tout au long d'une rangée de livres. Voilà qu'ils moisissent maintenant dans ma cave entre une caisse de Château La Lagune 2000 et des maillots en épais coton. L'âge, sans doute. Mais je n'ai plus envie d'écrire d'ouvrages sur le XV de France. Il ne m'inspire plus.
Il suffirait pourtant que Teddy Thomas ou Gabriel Lacroix continuent de déborder, qu'Antoine Dupont, Baptiste Couilloud et Sekou Macalou percent encore pour qu'une étincelle jaillisse d'un brandon qu'on croyait éteint. Mais aucun retour de flamme n'a jamais alimenté durablement un feu de joie. Il faut davantage que des sursauts, des réactions d'orgueil et d'amour-propre, des engueulades à la mi-temps dans le vestiaire pour reconstruire un identité.
Coupe du monde 2023 ou pas, Novès, Galthié ou Tartempion, le rugby français a d'abord besoin d'être régénéré. Vous avez entendu le coup de gueule de Rougerie à l'issue de la victoire des Barbarians français sur les Maori All Blacks ? «Faites-les jouer !» Il s'adressait aux clubs de Top 14 en parlant des jeunes talents qui l'entouraient. De quoi nous mettre l'alarme à l'œil.
Mais les faire jouer à quoi ? Au concours de démonte défense ? Le XV de France manque d'essence et d'idées. Aveuglé, il n'a pas de projet, malgré ce qu'on entend à longueur de conférences de stress, et ce n'est pas un cahier de combinaisons enregistré sur le disque dur des ordinateurs de la Résidence à Marcoussis qui lui redonnera corps et âme.
La seule question qui vaille désormais dans le marasme dans lequel s'enlise le rugby de France, c'est le pourquoi?. Pourquoi je joue au rugby et pourquoi suis-je sélectionné en équipe nationale ? Quel sens je donne à mon investissement personnel ? Comment puis-je, grâce à ce formidable levier qu'est le rugby, devenir une meilleure personne ?
Cent chantiers s'ouvriraient pour relancer un jeu «à la française». Tous les jours chaque joueur consentira ne serait-ce qu'à améliorer de 1% chacune des composantes de sa performance individuelle, chaque entraîneur 1% de son management et de son rôle d'éducateur, chaque dirigeant 1% du contenu de ses tâches administratives, marketing et stratégiques.
Les All Blacks, littéralement tombés dans le caniveau en 2004, sont parvenus à se réinventer, s'enfermant à huit (dont Henry, Hansen, Smith, Umaga, McCaw et Lochore) pendant trois jours à Wellington pour repartir d'une page presque blanche. Sont sortis de leur brain storming le Kapa O Pango, de nouveaux commandements, une charte éthique, des rituels fédérateurs, un cadre de vie et un management participatif qu'ils questionnent et font évoluer chaque saison.
Homère propose des dieux et des mythes, des métaphores et des symboles, des aspirations et des tâches. Un récit double propre à forger notre imagination mais aussi notre âme humaine. D'autres auteurs ont ensuite creusé cette veine pour nous laisser en héritage douze travaux. Il n'est pas anodin que l'un d'eux consiste à nettoyer les écuries d'Augias.
mercredi 8 novembre 2017
Haere whakamua
Davantage que l'Angleterre - c'est un défi viscéral surnommé The Crunch - ou que l'Afrique du Sud - longtemps aux antipodes de nos canons, c'est face à la Nouvelle-Zélande que le XV de France passe de plus en plus régulièrement son test de solidité. Et nous sommes tous à la fois inquiets et intrigués avant l'annonce du résultat.
Samedi soir, nous saurons donc si la chute de la maison bleue s'intensifie, si nous amorçons un redressement notable, ou si les All Blacks en fin de saison n'apprécient pas le froid sibérien de la plaine Saint-Denis au point de lâcher une rencontre internationale. Ce dont ils ne sont pas coutumiers, il faut bien l'avouer.
Cette chronique de transition nous permet d'attendre au chaud le bilan des trois rencontres organisées sur quatre jours par la FFR. Soixante-neuf joueurs sont de la revue, certains d'entre eux ayant regagné leurs pénates depuis longtemps sur blessures, preuve que notre jeunesse pratique la dissimulation, celle des microtraumatismes de toutes sortes.
Depuis 1999, les anciens joueurs, les dirigeants et les leaders de jeu néo-zélandais n'ont eu de cesse d'améliorer leurs outils. De John Kirwan à Richie McCaw, quatre générations successives de All Blacks ont cogité pour reconnecter tactique, stratégie, physique, mental mais aussi culture et management. Tout a été refondu puis écrit. Noir sur blanc.
Tout y compris le haka, celui d'une tribu maori ayant été supplanté par une nouvelle version inventée de toute pièces par les joueurs eux-mêmes pour s'approprier le mythe dont ils sont les garants et les messagers. Ca vous en dit beaucoup sur leur investissement. On dépasse là le simple cadre du jeu de balle ovale pour aller vers une quête de sens.
Il arrive aux All Blacks de ne pas gagner des matches. Une fois toutes les dix rencontres. Mais ils ne perdent pas au jeu. Chaque échec est l'occasion pour eux d'avancer vers l'excellence. Il suffit de voir comment ils ont renouvelé leurs formes de jeu et engagé une nouvelle génération après avoir concédé une défaite à Wellington face aux Lions britanniques et irlandais.
Notre histoire récente et la leur sont intimement liées. Depuis la demi-finale de Coupe du monde 1999, d'ailleurs, et l'humiliation de Twickenham. Puis en 2007 à Cardiff, en quart de finale. Deux brasiers qui furent mis à profit pour brûler de vieilles certitudes et renforcer la conviction que - c'est Wilson Whineray qui l'affirmait à François Moncla dès 1961 - les grandes équipes ne meurent jamais.
Avons-nous la charité de croire que le XV de France qui dépérit sur son lit d'hôpital depuis 2012 va pouvoir se lever et marcher ? La naïveté d'imaginer Gabrillagues, Cancoriet, Dupont, Belleau et Doumayrou, lancés par obligation fédérale et injonction du président Laporte quoi qu'on en dise, ré-enchanter une triste réalité qui nous abime depuis maintenant six ans ?
Va de l'avant. Tel est le titre de cette chronique. C'est un des mantras des All Blacks. Pratiquer ce sport fait de solidarité, de dureté mentale, de sacrifices et d'intelligence, et pas seulement au plus haut niveau, c'est se définir en tant qu'être. Le match de Saint-Denis n'est pas simplement une rencontre internationale entre une nation double championne du monde et un XV de France constitué par hasard et nécessité. Non, c'est un test de caractère.
Samedi soir, nous saurons donc si la chute de la maison bleue s'intensifie, si nous amorçons un redressement notable, ou si les All Blacks en fin de saison n'apprécient pas le froid sibérien de la plaine Saint-Denis au point de lâcher une rencontre internationale. Ce dont ils ne sont pas coutumiers, il faut bien l'avouer.
Cette chronique de transition nous permet d'attendre au chaud le bilan des trois rencontres organisées sur quatre jours par la FFR. Soixante-neuf joueurs sont de la revue, certains d'entre eux ayant regagné leurs pénates depuis longtemps sur blessures, preuve que notre jeunesse pratique la dissimulation, celle des microtraumatismes de toutes sortes.
Depuis 1999, les anciens joueurs, les dirigeants et les leaders de jeu néo-zélandais n'ont eu de cesse d'améliorer leurs outils. De John Kirwan à Richie McCaw, quatre générations successives de All Blacks ont cogité pour reconnecter tactique, stratégie, physique, mental mais aussi culture et management. Tout a été refondu puis écrit. Noir sur blanc.
Tout y compris le haka, celui d'une tribu maori ayant été supplanté par une nouvelle version inventée de toute pièces par les joueurs eux-mêmes pour s'approprier le mythe dont ils sont les garants et les messagers. Ca vous en dit beaucoup sur leur investissement. On dépasse là le simple cadre du jeu de balle ovale pour aller vers une quête de sens.
Il arrive aux All Blacks de ne pas gagner des matches. Une fois toutes les dix rencontres. Mais ils ne perdent pas au jeu. Chaque échec est l'occasion pour eux d'avancer vers l'excellence. Il suffit de voir comment ils ont renouvelé leurs formes de jeu et engagé une nouvelle génération après avoir concédé une défaite à Wellington face aux Lions britanniques et irlandais.
Notre histoire récente et la leur sont intimement liées. Depuis la demi-finale de Coupe du monde 1999, d'ailleurs, et l'humiliation de Twickenham. Puis en 2007 à Cardiff, en quart de finale. Deux brasiers qui furent mis à profit pour brûler de vieilles certitudes et renforcer la conviction que - c'est Wilson Whineray qui l'affirmait à François Moncla dès 1961 - les grandes équipes ne meurent jamais.
Avons-nous la charité de croire que le XV de France qui dépérit sur son lit d'hôpital depuis 2012 va pouvoir se lever et marcher ? La naïveté d'imaginer Gabrillagues, Cancoriet, Dupont, Belleau et Doumayrou, lancés par obligation fédérale et injonction du président Laporte quoi qu'on en dise, ré-enchanter une triste réalité qui nous abime depuis maintenant six ans ?
Va de l'avant. Tel est le titre de cette chronique. C'est un des mantras des All Blacks. Pratiquer ce sport fait de solidarité, de dureté mentale, de sacrifices et d'intelligence, et pas seulement au plus haut niveau, c'est se définir en tant qu'être. Le match de Saint-Denis n'est pas simplement une rencontre internationale entre une nation double championne du monde et un XV de France constitué par hasard et nécessité. Non, c'est un test de caractère.
mardi 31 octobre 2017
Leurres divers
L'heure d'hiver en automne est au remplissage de novembre. L'idée ? Attirer le chaland en multipliant les rencontres. Jusqu'à trois en quatre jours. Du jamais vu. Comme s'il n'y avait pas assez de rugby par ailleurs sur les chaînes, payantes ou pas. Mais en ce mois, il s'agit pour la fédération de remplir urgemment ses caisses en nationalisant les Barbarians français juste avant qu'ils affrontent les Maoris (Bordeaux, vendredi 10) et en organisant un match surnuméraire à Lyon entre des bleus pâles laissés pour compte et une équipe de kiwis-bis (mardi 14).
Si l'on ajoute à ces deux «couturières» provinciales les tests-matchs face aux All Blacks et au Springboks, soixante-neuf joueurs seront de la revue bleue, étalonnés face à ce qui se fait de mieux à l'heure actuelle dans l'hémisphère sud. Pour savoir, ça on va savoir ! Attention, cependant : cette année, notre liste «Elite» - qui ne sert plus à rien un an après sa création - s'est entraînée pendant plusieurs semaines à Marcoussis à soulever de la fonte et à courir autour du terrain. Aucune excuse ne sera retenue en cas, possible, de nouvelle déroute.
Le staff tricolore et la nouvelle présidence fédérale n'ont pas encore tout essayé : puisque les derniers nommés ont un besoin urgent de liquidité, on leur conseillera de (re)monter le fameux match de sélection entre les Probables et les Possibles qui a fut éclore quelques talents éphémères et mourir de vieilles certitudes au cours de rencontres naguère considérées comme un pensum mais qu'il suffirait de peindre aux couleurs d'une saine concurrence - je suggère de décliner à tous les temps «le groupe vit bien» - pour attirer là-aussi le chaland.
Il y a tout juste vingt ans, en novembre 1997 et dans le cadre de l'inutile Coupe Latine, l'équipe de France s'entraînait dans un stade de football situé à l'octroi de Bagnères - Pouzac, précisément. J'y étais - et les dirigeants du club bigourdan n'avaient rien trouvé de mieux que de faire payer cinquante francs (dix euros d'aujourd'hui) l'entrée au stade au motif que les Tricolores allaient s'ébrouer face à l'équipe locale. La gestion des guichets avait été laissée à l'entière discrétion du trésorier de Bagnères-de-Bigorre, le staff tricolore, Jo Maso en tête, fermant les yeux - un peu gêné quand même - sur ce détournement de fonds du public.
Cette faute de goût avait été commise avec - soi-disant - l'aval fédéral au motif, déjà, qu'il fallait bien faire vivre les petits clubs, s'était justifié Roland Bertranne. Mais sans s'appesantir. En fait de match entre Bagnères et le XV de France, il s'agissait seulement de dix minutes d'opposition raisonnée. Mille spectateurs grugés avaient payé pour ne rien voir et au milieu d'eux était assis le président de l'époque, Bernard Lapasset, pas le moins du moins embarrassé. C'est à ça qu'on reconnait les grands commis. Un autre millier était resté derrière les grilles, frustré.
Cet épisode peu glorieux m'a donné une idée. Puisque la Fédération a besoin d'argent frais, pourquoi ne pas organiser un tournoi de gala pendant les tests de novembre. Avec ce que le Championnat compte de retraités internationaux au chômage technique (cf. photo avec Nonu, Ashton et Radradra dans la même action) pendant les tournées d'automne, il y a de quoi générer huit équipes thématiques. C'est dire la richesse de notre compétition domestique.
Pourraient ainsi s'affronter en quarts de finale, demies et finale une sélection des meilleurs étrangers (All Star), une sélection sud-africaine (Rainbow), celle des îles du pacifique (Magics), un best of des natifs de l'hémisphère sud tendance kiwi, deux XV de France des oubliés, des "Coqs en pâte" et un même un agrégat des "laissés pour compte" qui aurait fière allure si vous prenez le temps d'en apprécier la composition. Eurosports et Canal Plus accueillent assez de techniciens pour qu'il ne faille pas aller chercher bien loin pour trouver qui encadrera ces sélections.
Si le staff tricolore a lancé comme une martingale 69 joueurs dans sa grande revue, je vous assure que ces 105 joueurs-là rempliraient les stades et les caisses. Imaginez la façon dont ces huit équipes pourraient se mettre à jouer. Ca fait rêver, non ? Il y a une telle pléthore de non-sélectionnables dans le Top 14 qu'une liste cachée non-exhaustive (Kakovin, Ulugia, Asiechvili, Cittadini, Steenkamp, Maka, Uys, Houston, Botica, Mieres, Betham,Vatubua, Ngwenya, Ensor, Toeava, D. Armitage, etc.) recèle des remplaçants de luxe susceptibles de s'intégrer à tout moment en guest-stars si besoin, voire même de constituer une équipe de substitution, c'est dire...
All Star : Radradra - Ashton, Nonu, C. Smith, Nadolo - (o) Cruden, (m) Pienaar - Botia, Vito, Isa - Willemse, Nakarawa - Tameifuna, B. du Plessis, J. du Plessis.
Rainbow Team : Lambie - Kolbe, F. Steyn, Ebersohn, Jordaan - (o) M. Steyn, (m) Januarie - Hauman, Vermeulen, Alberts - Marais, Kruger - M. Van der Merwe, Jenneker, Buckle.
Pacific Magics : Nagusa - Votu, Waisea, Talebula, Tuisova - (o) Murimurivalu, (m) Kockott - Manoa, Koyamaibole, Fa'asalele - Qovu, Tekori - Johnston, Leiatua, Afatia.
Southern Barbarians : Taylor - D. Smith, Wulf, Carter, Rokocoko - (o) Slade, (m) McLeod - Gill, Lee, Eaton - Timani, Carizza - Atonio, Forbes, Gomez-Kodela.
Bleus foncés : Dulin - Fall, Fofana, Danty, Palisson - (o) Michalak, (m) Parra - Nyanga, Claassen, Lapandry - Lamboley, Jacquet - Boughanmi, Kayser, Chiocci.
Coqs en pâte : Le Bourhis - Arias, Mignardi, David, Grosso, (o) Tales, (m) Bézy - Puricelli, Lakafia, Lauret - Demotte, Samson - Brugnaut, Bonfils, Pelo.
Toasties : Rattez - Arnold, Tomane, Holmes, Strettle - (o) Urdapilleta, (m) Tomas - Fernandez-Lobbe, T. Gray, Kolelishvili - Capo-Ortega, Gorgodze - Zirakashvili, Bosch, Menini.
Héros oubliés : Abendanon - Fuatai, Fritz, Tuitavake, Masilevu - (o) Hickey, (m) J. Pélissié - Chalmers, S. Armitage, Caballero - Jones, Pierre - Cobilas, Szarzewski, Domingo.
Il faudra bien remercier au passage et chaleureusement les présidents de Clermont, Toulon, Montpellier, La Rochelle, Pau et le Racing pour leurs importantes contributions respectives au rayonnement mondial du Top 14. J'espère que la FFR, dans sa grande générosité, leur a fait payer leurs places pour assister aux rencontres du XV de France dont on espère, sincèrement, qu'elles ne tourneront pas question jeu au grand n'importe quoi. Parce que pour le reste, c'est déjà fait.
Si l'on ajoute à ces deux «couturières» provinciales les tests-matchs face aux All Blacks et au Springboks, soixante-neuf joueurs seront de la revue bleue, étalonnés face à ce qui se fait de mieux à l'heure actuelle dans l'hémisphère sud. Pour savoir, ça on va savoir ! Attention, cependant : cette année, notre liste «Elite» - qui ne sert plus à rien un an après sa création - s'est entraînée pendant plusieurs semaines à Marcoussis à soulever de la fonte et à courir autour du terrain. Aucune excuse ne sera retenue en cas, possible, de nouvelle déroute.
Le staff tricolore et la nouvelle présidence fédérale n'ont pas encore tout essayé : puisque les derniers nommés ont un besoin urgent de liquidité, on leur conseillera de (re)monter le fameux match de sélection entre les Probables et les Possibles qui a fut éclore quelques talents éphémères et mourir de vieilles certitudes au cours de rencontres naguère considérées comme un pensum mais qu'il suffirait de peindre aux couleurs d'une saine concurrence - je suggère de décliner à tous les temps «le groupe vit bien» - pour attirer là-aussi le chaland.
Il y a tout juste vingt ans, en novembre 1997 et dans le cadre de l'inutile Coupe Latine, l'équipe de France s'entraînait dans un stade de football situé à l'octroi de Bagnères - Pouzac, précisément. J'y étais - et les dirigeants du club bigourdan n'avaient rien trouvé de mieux que de faire payer cinquante francs (dix euros d'aujourd'hui) l'entrée au stade au motif que les Tricolores allaient s'ébrouer face à l'équipe locale. La gestion des guichets avait été laissée à l'entière discrétion du trésorier de Bagnères-de-Bigorre, le staff tricolore, Jo Maso en tête, fermant les yeux - un peu gêné quand même - sur ce détournement de fonds du public.
Cette faute de goût avait été commise avec - soi-disant - l'aval fédéral au motif, déjà, qu'il fallait bien faire vivre les petits clubs, s'était justifié Roland Bertranne. Mais sans s'appesantir. En fait de match entre Bagnères et le XV de France, il s'agissait seulement de dix minutes d'opposition raisonnée. Mille spectateurs grugés avaient payé pour ne rien voir et au milieu d'eux était assis le président de l'époque, Bernard Lapasset, pas le moins du moins embarrassé. C'est à ça qu'on reconnait les grands commis. Un autre millier était resté derrière les grilles, frustré.
Cet épisode peu glorieux m'a donné une idée. Puisque la Fédération a besoin d'argent frais, pourquoi ne pas organiser un tournoi de gala pendant les tests de novembre. Avec ce que le Championnat compte de retraités internationaux au chômage technique (cf. photo avec Nonu, Ashton et Radradra dans la même action) pendant les tournées d'automne, il y a de quoi générer huit équipes thématiques. C'est dire la richesse de notre compétition domestique.
Pourraient ainsi s'affronter en quarts de finale, demies et finale une sélection des meilleurs étrangers (All Star), une sélection sud-africaine (Rainbow), celle des îles du pacifique (Magics), un best of des natifs de l'hémisphère sud tendance kiwi, deux XV de France des oubliés, des "Coqs en pâte" et un même un agrégat des "laissés pour compte" qui aurait fière allure si vous prenez le temps d'en apprécier la composition. Eurosports et Canal Plus accueillent assez de techniciens pour qu'il ne faille pas aller chercher bien loin pour trouver qui encadrera ces sélections.
Si le staff tricolore a lancé comme une martingale 69 joueurs dans sa grande revue, je vous assure que ces 105 joueurs-là rempliraient les stades et les caisses. Imaginez la façon dont ces huit équipes pourraient se mettre à jouer. Ca fait rêver, non ? Il y a une telle pléthore de non-sélectionnables dans le Top 14 qu'une liste cachée non-exhaustive (Kakovin, Ulugia, Asiechvili, Cittadini, Steenkamp, Maka, Uys, Houston, Botica, Mieres, Betham,Vatubua, Ngwenya, Ensor, Toeava, D. Armitage, etc.) recèle des remplaçants de luxe susceptibles de s'intégrer à tout moment en guest-stars si besoin, voire même de constituer une équipe de substitution, c'est dire...
All Star : Radradra - Ashton, Nonu, C. Smith, Nadolo - (o) Cruden, (m) Pienaar - Botia, Vito, Isa - Willemse, Nakarawa - Tameifuna, B. du Plessis, J. du Plessis.
Rainbow Team : Lambie - Kolbe, F. Steyn, Ebersohn, Jordaan - (o) M. Steyn, (m) Januarie - Hauman, Vermeulen, Alberts - Marais, Kruger - M. Van der Merwe, Jenneker, Buckle.
Pacific Magics : Nagusa - Votu, Waisea, Talebula, Tuisova - (o) Murimurivalu, (m) Kockott - Manoa, Koyamaibole, Fa'asalele - Qovu, Tekori - Johnston, Leiatua, Afatia.
Southern Barbarians : Taylor - D. Smith, Wulf, Carter, Rokocoko - (o) Slade, (m) McLeod - Gill, Lee, Eaton - Timani, Carizza - Atonio, Forbes, Gomez-Kodela.
Bleus foncés : Dulin - Fall, Fofana, Danty, Palisson - (o) Michalak, (m) Parra - Nyanga, Claassen, Lapandry - Lamboley, Jacquet - Boughanmi, Kayser, Chiocci.
Coqs en pâte : Le Bourhis - Arias, Mignardi, David, Grosso, (o) Tales, (m) Bézy - Puricelli, Lakafia, Lauret - Demotte, Samson - Brugnaut, Bonfils, Pelo.
Toasties : Rattez - Arnold, Tomane, Holmes, Strettle - (o) Urdapilleta, (m) Tomas - Fernandez-Lobbe, T. Gray, Kolelishvili - Capo-Ortega, Gorgodze - Zirakashvili, Bosch, Menini.
Héros oubliés : Abendanon - Fuatai, Fritz, Tuitavake, Masilevu - (o) Hickey, (m) J. Pélissié - Chalmers, S. Armitage, Caballero - Jones, Pierre - Cobilas, Szarzewski, Domingo.
Il faudra bien remercier au passage et chaleureusement les présidents de Clermont, Toulon, Montpellier, La Rochelle, Pau et le Racing pour leurs importantes contributions respectives au rayonnement mondial du Top 14. J'espère que la FFR, dans sa grande générosité, leur a fait payer leurs places pour assister aux rencontres du XV de France dont on espère, sincèrement, qu'elles ne tourneront pas question jeu au grand n'importe quoi. Parce que pour le reste, c'est déjà fait.
mardi 24 octobre 2017
Marbre de coeurs rares
Après vingt-deux ans de professionnalisme le constat, retiré, est amer : «Personne ne maîtrise les flux des joueurs, le conflit entre clubs et fédération, et ne sait où va l'argent», écrit Rob Andrew, ancien boss du rugby anglais - et donc bien placé au cœur du réacteur pour savoir comment il fonctionne, ou pas - devenu plumitif le temps de la rédaction d'un ouvrage qui, sorti la semaine dernière, fait grand bruit de l'autre côté du Channel, mais seulement quelques vaguelettes chez nous alors qu'il dresse de ce sport un tableau pas très rose.
La multiplication des commotions liées aux plaquages tectoniques assénés par des joueurs hyper-entraînés - ils préfèrent percuter l'adversaire plutôt que de chercher l'intervalle - annonce des accidents gravissimes, dixit l'ancien entraîneur de Newcastle et mentor de Jonny Wilkinson. Pour lui, le danger viendrait du fait que le rugby à XXIII a suppléé le XV, une moitié d'équipe remplaçant les joueurs les plus fatigués de façon à maintenir à son plus haut niveau l'intensité du match.
Pendant ce temps, on apprend que les Barbarians Français, association créée en 1979 par les jeunes anciens du Grand Chelem 1977 viennent de passer avec âmes et bagages dans le giron de la FFR. Exit l'état d'esprit vanté par Jean-Pierre Rives et résumé par un «balle à l'aile, la vie est belle» qui raconte la liberté de jouer. Désormais, la sélection de ces jeunes gens sera confiée au staff tricolore. Tombe un pan de quarante ans sur la sépulture de Jacques Fouroux, preuve que rien n'est jamais écrit dans le marbre, fut-il de cœurs rares.
Pour passer du rugby de collusions au jeu de collisions, il nous faut rejoindre La Rochelle. Révélation du dernier Top 14, le Stade Rochelais est l'attraction du Champions Cup. On attend avec une impatience non dissimulée le dimanche 10 décembre d'un La Rochelle-Wasps jaune et noir à guichets fermés. D'ici là, tenter de comprendre comment une phalange hétéroclite parvient à franchir les défenses avec autant de facilité demande de cerner le «qui», d'analyser le «pourquoi» et de situer le «où».
Le Stade Rochelais dispose de plusieurs typologies de joueur : rapide et mince, puissant et dur, lourd et adroit, vif et athlétique. Et de quelques modèles complets, genre Victor "Victorius" Vito. Si vous alignez une équipe sur la largeur du terrain - un peu plus soixante-dix mètres - vous allez immédiatement vous apercevoir qu'un espace de cinq mètres sépare chaque joueur. L'équivalent de cinq bras tendus. Impossible de tenir ainsi une ligne de défense.
Huit adversaires sont concentrés en quelques mètres carrés sur les zones de combat que sont la touche et la mêlée, et disons quatre à chaque ruck. Ce qui laisse des zones libres ailleurs. A l'extrémité du champ se trouve la touche, considérée comme le meilleur plaqueur puisqu'au moment où vous sortez balle en main du terrain, le jeu s'arrête immédiatement et l'initiative de la remise est laissée à l'appréciation de l'adversaire.
Le staff rochelais a ainsi identifié le centre du terrain - situé entre l'extérieur de l'ouvreur et l'intérieur du deuxième centre - comme étant la porte au travers de laquelle il faut passer. Ils y envoient leur bestiaire : Qovu, Atonio, Boughanmi et Pelo pour peser et élargir l'encadrement ; Doumayrou, Priso et Sinzelle pour taper dans la cloison et desceller les gonds; Rattez et Lacroix en finesse, sur les appuis, afin de tester la charnière.
Pas une de ces quatre typologies peut être considérée comme étant la meilleure pour franchir : seule la fréquence de leur implication fait la différence, jusqu'à ce que la défense perde sa lucidité et ne sache plus «qui est qui», s'il faut coffrer en haut ou descendre aux chevilles, glisser ou aller chercher... Une alternance d'engagement dans cet espace défini qu'est la porte du centre, et toujours sur la ligne d'avantage : voilà l'une des clés du succès rochelais.
Quand vous comptez en supplément d'arme d'un Victor «Virtuose» Vito au sommet de son art, double champion du monde sacré meilleur joueur du Top 14 la saison passée, vous pouvez vous permettre de l'utiliser en libéro. Lui laisser autant de liberté qu'il le souhaite. L'impliquer dans la création, l'articulation et la finition comme un Campese de l'avant, pour ceux d'entre vous qui ont connu les années 80.
D'autant que le staff rochelais dispose avec Levani Botia d'un rhinocéros à ressort. Géniale, il faut l'avouer, l'idée de l'avoir remonté troisième-ligne aile sur les phases statiques de lancement, puis le réinstaller immédiatement après au centre, justement, là où sont fragilisées presque toutes les défenses une fois passés trois temps de jeu. Ce qui a aussi pour effet de densifier celle des Rochelais.
Cet engagement sur le front bas a un coût humain. Naguère, nous l'aurions évalué en contusions. Puis en ligaments. Aujourd'hui, il pèse son poids de commotions. Remplaçable dans ce rugby à 23 qui accepte aussi les jokers médicaux et pour cause, le joueur étant devenu chair à canon. Les commotions, Botia, ancien gardien de prison aux Fidji, ne les compte plus. Celles qu'il inflige comme celles qu'il encaisse. Seul contre tous.
La multiplication des commotions liées aux plaquages tectoniques assénés par des joueurs hyper-entraînés - ils préfèrent percuter l'adversaire plutôt que de chercher l'intervalle - annonce des accidents gravissimes, dixit l'ancien entraîneur de Newcastle et mentor de Jonny Wilkinson. Pour lui, le danger viendrait du fait que le rugby à XXIII a suppléé le XV, une moitié d'équipe remplaçant les joueurs les plus fatigués de façon à maintenir à son plus haut niveau l'intensité du match.
Pendant ce temps, on apprend que les Barbarians Français, association créée en 1979 par les jeunes anciens du Grand Chelem 1977 viennent de passer avec âmes et bagages dans le giron de la FFR. Exit l'état d'esprit vanté par Jean-Pierre Rives et résumé par un «balle à l'aile, la vie est belle» qui raconte la liberté de jouer. Désormais, la sélection de ces jeunes gens sera confiée au staff tricolore. Tombe un pan de quarante ans sur la sépulture de Jacques Fouroux, preuve que rien n'est jamais écrit dans le marbre, fut-il de cœurs rares.
Pour passer du rugby de collusions au jeu de collisions, il nous faut rejoindre La Rochelle. Révélation du dernier Top 14, le Stade Rochelais est l'attraction du Champions Cup. On attend avec une impatience non dissimulée le dimanche 10 décembre d'un La Rochelle-Wasps jaune et noir à guichets fermés. D'ici là, tenter de comprendre comment une phalange hétéroclite parvient à franchir les défenses avec autant de facilité demande de cerner le «qui», d'analyser le «pourquoi» et de situer le «où».
Le Stade Rochelais dispose de plusieurs typologies de joueur : rapide et mince, puissant et dur, lourd et adroit, vif et athlétique. Et de quelques modèles complets, genre Victor "Victorius" Vito. Si vous alignez une équipe sur la largeur du terrain - un peu plus soixante-dix mètres - vous allez immédiatement vous apercevoir qu'un espace de cinq mètres sépare chaque joueur. L'équivalent de cinq bras tendus. Impossible de tenir ainsi une ligne de défense.
Huit adversaires sont concentrés en quelques mètres carrés sur les zones de combat que sont la touche et la mêlée, et disons quatre à chaque ruck. Ce qui laisse des zones libres ailleurs. A l'extrémité du champ se trouve la touche, considérée comme le meilleur plaqueur puisqu'au moment où vous sortez balle en main du terrain, le jeu s'arrête immédiatement et l'initiative de la remise est laissée à l'appréciation de l'adversaire.
Le staff rochelais a ainsi identifié le centre du terrain - situé entre l'extérieur de l'ouvreur et l'intérieur du deuxième centre - comme étant la porte au travers de laquelle il faut passer. Ils y envoient leur bestiaire : Qovu, Atonio, Boughanmi et Pelo pour peser et élargir l'encadrement ; Doumayrou, Priso et Sinzelle pour taper dans la cloison et desceller les gonds; Rattez et Lacroix en finesse, sur les appuis, afin de tester la charnière.
Pas une de ces quatre typologies peut être considérée comme étant la meilleure pour franchir : seule la fréquence de leur implication fait la différence, jusqu'à ce que la défense perde sa lucidité et ne sache plus «qui est qui», s'il faut coffrer en haut ou descendre aux chevilles, glisser ou aller chercher... Une alternance d'engagement dans cet espace défini qu'est la porte du centre, et toujours sur la ligne d'avantage : voilà l'une des clés du succès rochelais.
Quand vous comptez en supplément d'arme d'un Victor «Virtuose» Vito au sommet de son art, double champion du monde sacré meilleur joueur du Top 14 la saison passée, vous pouvez vous permettre de l'utiliser en libéro. Lui laisser autant de liberté qu'il le souhaite. L'impliquer dans la création, l'articulation et la finition comme un Campese de l'avant, pour ceux d'entre vous qui ont connu les années 80.
D'autant que le staff rochelais dispose avec Levani Botia d'un rhinocéros à ressort. Géniale, il faut l'avouer, l'idée de l'avoir remonté troisième-ligne aile sur les phases statiques de lancement, puis le réinstaller immédiatement après au centre, justement, là où sont fragilisées presque toutes les défenses une fois passés trois temps de jeu. Ce qui a aussi pour effet de densifier celle des Rochelais.
Cet engagement sur le front bas a un coût humain. Naguère, nous l'aurions évalué en contusions. Puis en ligaments. Aujourd'hui, il pèse son poids de commotions. Remplaçable dans ce rugby à 23 qui accepte aussi les jokers médicaux et pour cause, le joueur étant devenu chair à canon. Les commotions, Botia, ancien gardien de prison aux Fidji, ne les compte plus. Celles qu'il inflige comme celles qu'il encaisse. Seul contre tous.
lundi 16 octobre 2017
L'Europe enlevée
A l'heure où la Coupe libère sa vingt-troisième édition, l'Europe se redécoupe en morceaux. La Belgique et la Grande-Bretagne hier. Aujourd'hui la Catalogne. Et demain ? La Corse, le pays Basque, la Bretagne ? La compétition ovale et bancale qui nous occupe oppose clubs, provinces et franchises, propriétaires privés et fédérations, et donc ne repose que sur un découpage administratif aléatoire. C'est toute son original, ce que vous semblez, comme moi, apprécier.
Soyons précis, l'expression Coupe d'Europe n'existe plus : elle a été dégagée par un taureau nommé Champions Cup. De Dublin, elle a migré vers Genève. L'écrivain James Joyce l'avait fait avant elle, si mes souvenirs sont bons. En fait, c'était Zurich, mais qu'importe. Nous avons là un objet biscornu, aussi particulier et original que le sont les règles de ce jeu. C'est bien ce qui rend cette compétition attachante.
Un moine irlandais, un roi de Bohème, Montesquieu puis Saint-Simon se sont successivement penchés sur le berceau de l'Europe. Et enfin Victor Hugo, qui nimba ce rêve de romantisme et lui donna ses lettres. Je ne sais pas si ce sentiment continue de prévaloir à l'heure actuelle ou s'il faut lui préférer l'idée de «composition baroque», c'est-à-dire un assemblage hétéroclite mêlant différentes sensibilités.
Transpirait samedi une opposition marquée entre le Leinster et Montpellier à Dublin en ouverture de la première journée. Vitesse, vista et technicité face à poids, canevas et obstination. Contraste saisissant, différence notable: quatre essais à deux. Bonus offensif pour l'un, défensif pour l'autre. Un résumé qui raconte mieux qu'un long compte-rendu détaillé ce qu'il advint de l'ogre du Top 14 en terre irlandaise.
Au delà de la défaite, nette, et de la difficulté des Héraultais à s'imposer dans le mouvement général, nous interroge l'inspiration du frêle Benoît Paillaugue au milieu des géants surpuissants : ou comment un lutin est capable d'effacer en deux appuis intérieurs la défense adverse tout en électrisant sa propre organisation offensive jusque là figée dans ses plans. Cette capacité à sortir du cadre, voilà bien l'esprit du jeu cher à William Webb Ellis.
Mais pour cela, précision technique et prise de décision immédiate sont demandées. La preuve, c'est ainsi que le Racing 92, Toulon et Clermont construisirent leurs premiers essais pour l'emporter - certes difficilement - face à Leicester, les Scarlets et aux Ospreys, La Rochelle y ajoutant en continuité la conservation du ballon devant les Harlequins de Londres et deux grosses doses d'acharnement : dans l'axe et devant son en-but.
La désormais baptisée Champions Cup façon football est toujours un excellent baromètre de forme avant les très attendus tests internationaux de novembre. Elle montre surtout clairement les forces et les limites du Top 14, que plus aucun entraîneur étranger de nous envie, si ce n'est pour venir y négocier un gros salaire en s'amusant d'y retrouver certains de ses compatriotes en pré-retraite bien dorée sur tranches.
En termes de préparation mentale, de technologie et de managérat, le rugby français est en retard. On le sait et on le regrette, il lui manque une vision panoramique, un projet assez large pour englober toutes les composantes du haut niveau. On en revient aux initiatives culottées du lutin Paillaugue : elles sont l'exception qui malheureusement confirme la règle, si l'on met à part la performance maritime qui montre aux clubs topquatorziens une voie à suivre.
Les réussites rochelaises et clermontoises correspondent à la hiérarchie dessinée en fin de saison dernière. Il faut s'attendre à ce que le deuxième tour européen, le week-end prochain, nous livre d'autres d'enseignements à partager, avec la visite de l'Ulster à La Rochelle, de Northampton à Clermont et d'Exeter à Montpellier, tandis que le Racing 92 et Castres se rendront respectivement au Munster et à Leicester.
Ah, j'allais oublier mais en y réfléchissant bien, on peut s'en passer : la direction bicéphale de la FFR a décidé d'ouvrir davantage le XV de France aux supporteurs, aux partenaires et aux journalistes. En cette période de coqs maigres, il est vital de développer l'élan public, de faire entrer des sous dans les caisses et de communiquer positivement via les médias. A Marcoussis, Bernard et Serge présentent la gamme hiver de leurs produits cosmétiques. Ils servent à masquer les cernes sous les Bleus.
PS: Le Tour de France annonce son départ pour le 7 juillet depuis l'île de Noirmoutier. N'en croyez rien: il commencera en fait le 17, à Annecy.
Soyons précis, l'expression Coupe d'Europe n'existe plus : elle a été dégagée par un taureau nommé Champions Cup. De Dublin, elle a migré vers Genève. L'écrivain James Joyce l'avait fait avant elle, si mes souvenirs sont bons. En fait, c'était Zurich, mais qu'importe. Nous avons là un objet biscornu, aussi particulier et original que le sont les règles de ce jeu. C'est bien ce qui rend cette compétition attachante.
Un moine irlandais, un roi de Bohème, Montesquieu puis Saint-Simon se sont successivement penchés sur le berceau de l'Europe. Et enfin Victor Hugo, qui nimba ce rêve de romantisme et lui donna ses lettres. Je ne sais pas si ce sentiment continue de prévaloir à l'heure actuelle ou s'il faut lui préférer l'idée de «composition baroque», c'est-à-dire un assemblage hétéroclite mêlant différentes sensibilités.
Transpirait samedi une opposition marquée entre le Leinster et Montpellier à Dublin en ouverture de la première journée. Vitesse, vista et technicité face à poids, canevas et obstination. Contraste saisissant, différence notable: quatre essais à deux. Bonus offensif pour l'un, défensif pour l'autre. Un résumé qui raconte mieux qu'un long compte-rendu détaillé ce qu'il advint de l'ogre du Top 14 en terre irlandaise.
Au delà de la défaite, nette, et de la difficulté des Héraultais à s'imposer dans le mouvement général, nous interroge l'inspiration du frêle Benoît Paillaugue au milieu des géants surpuissants : ou comment un lutin est capable d'effacer en deux appuis intérieurs la défense adverse tout en électrisant sa propre organisation offensive jusque là figée dans ses plans. Cette capacité à sortir du cadre, voilà bien l'esprit du jeu cher à William Webb Ellis.
Mais pour cela, précision technique et prise de décision immédiate sont demandées. La preuve, c'est ainsi que le Racing 92, Toulon et Clermont construisirent leurs premiers essais pour l'emporter - certes difficilement - face à Leicester, les Scarlets et aux Ospreys, La Rochelle y ajoutant en continuité la conservation du ballon devant les Harlequins de Londres et deux grosses doses d'acharnement : dans l'axe et devant son en-but.
La désormais baptisée Champions Cup façon football est toujours un excellent baromètre de forme avant les très attendus tests internationaux de novembre. Elle montre surtout clairement les forces et les limites du Top 14, que plus aucun entraîneur étranger de nous envie, si ce n'est pour venir y négocier un gros salaire en s'amusant d'y retrouver certains de ses compatriotes en pré-retraite bien dorée sur tranches.
En termes de préparation mentale, de technologie et de managérat, le rugby français est en retard. On le sait et on le regrette, il lui manque une vision panoramique, un projet assez large pour englober toutes les composantes du haut niveau. On en revient aux initiatives culottées du lutin Paillaugue : elles sont l'exception qui malheureusement confirme la règle, si l'on met à part la performance maritime qui montre aux clubs topquatorziens une voie à suivre.
Les réussites rochelaises et clermontoises correspondent à la hiérarchie dessinée en fin de saison dernière. Il faut s'attendre à ce que le deuxième tour européen, le week-end prochain, nous livre d'autres d'enseignements à partager, avec la visite de l'Ulster à La Rochelle, de Northampton à Clermont et d'Exeter à Montpellier, tandis que le Racing 92 et Castres se rendront respectivement au Munster et à Leicester.
Ah, j'allais oublier mais en y réfléchissant bien, on peut s'en passer : la direction bicéphale de la FFR a décidé d'ouvrir davantage le XV de France aux supporteurs, aux partenaires et aux journalistes. En cette période de coqs maigres, il est vital de développer l'élan public, de faire entrer des sous dans les caisses et de communiquer positivement via les médias. A Marcoussis, Bernard et Serge présentent la gamme hiver de leurs produits cosmétiques. Ils servent à masquer les cernes sous les Bleus.
PS: Le Tour de France annonce son départ pour le 7 juillet depuis l'île de Noirmoutier. N'en croyez rien: il commencera en fait le 17, à Annecy.
vendredi 6 octobre 2017
Crochet intérieur
Sans aucun mauvais esprit et surtout pas provocateur, j'aime poser cette question à mes interlocuteurs, pour la plupart joueurs professionnels : «Pourquoi joues-tu au rugby ?» Souvent, la réponse est longue à venir. Parce qu'elle oblige à réfléchir en profondeur, à effectuer un crochet intérieur. Parce qu'elle déstabilise. Parce qu'elle interroge vraiment.
Pourquoi exerce-t-on telle ou telle profession ? Médecin, enseignant, journaliste, fonctionnaire, entrepreneur, ingénieur, commerçant, ouvrier : la question s'adresse à chacun d'entre nous, qui que nous soyons, quoi que nous fassions. Et tout autant qu'un joueur de rugby, il est toujours intéressant d'y répondre avec la plus grande franchise.
Je ne sais pas si Frédéric Michalak a vraiment choisi le rugby pour en faire sa profession. Je crois que c'est plutôt le rugby qui l'a choisi, l'a pris par la main lui qui aimait le football et le basket, se rêvait en Michael Jordan et tentait des passes impossibles avec une balle ovale, autant que des coups de pieds brossés en banane façon Zidane.
Au moment où la génération montante vient d'être foutue dehors de Marcoussis, il est urgent de savourer les derniers délires des génies de naguère, à commencer par les relances, les feintes et les passes de ce Frédéric-là, aucunement des facéties mais bien une technique mûrie au soleil de l'inspiration, et qui articule aujourd'hui le jeu de Lyon.
Avec Aurélien Rougerie et Vincent Clerc, «Michoco» ou «Cacolak», ainsi surnommé par l'inénarrable Christian Califano, est le dernier de son genre, amateur dans l'âme, professionnel par contrat, entièrement naturel, entré dans le buzz en défilant pour un couturier diamant à l'oreille, agenda de premier rôle, humilité jamais démentie, musicien et artiste peintre par envie.
Rien de formaté chez lui. Ou alors XXL. Frédéric Michalak est un maillon de pur métal, alliage du passé et de l'avenir quand il devient actionnaire principal du club de Blagnac qui place à sa tête Christophe Deylaud, tout en prenant sous son aile le jeune demi de mêlée du LOU, Baptiste Couilloud, international moins de vingt ans promis à un futur radieux pour peu que.
La filiation Deylaud-Michalak-Couilloud, ce lien tendu comme une passe tirée au cordeau que rien n'altère. Toute l'essence du rugby tracée dans ces traits d'union qui forment une ligne. Mieux, une lignée. Comme avant cela celles magnifiquement portées par Boniface-Nadal-Castaignède, ou Maso-Sangalli-Codorniou jusqu'à incandescence.
Nous aussi participons au jeu des sept familles en choisissant notre équipe parce qu'elle a un style. Et le style, c'est l'être. En rugby comme en littérature, en sport comme en art. Le style de l'UBB ou de Toulon, d'Agen ou de Lyon, de La Rochelle, de Toulouse ou de Clermont, défini par de subtiles variations, ici la ligne d'avantage, là les blocs, ailleurs une vision d'ensemble faite d'accords et de cohérence.
Le style, c'est ce qui caractérise le mieux Frédéric Michalak quand il choisit d'associer son mentor au projet dont il est, lui, porteur à Blagnac, et son filleul à sa dernière saison sous les couleurs du LOU sans pour autant en faire un disciple. A cet instant, le style c'est la vie. Qu'est-ce que l'existence sinon une traversée. Et une telle circumnavigation ne vaut pas grand chose si l'on n'a rien partagé, rien reçu, rien donné.
On dit que nous devenons éternel dans les gestes de nos enfants. Et qu'il faut donner au moins autant qu'on a reçu. Michalak, comme d'autres avant lui, s'inscrit dans cette perspective, cette ouverture à un poste charnière dont il a occupé les deux versants, les deux battants. Alors si la passe en arrière est l'acte fondateur du rugby tel que nous le connaissons, c'est bien de transmission dont nous sommes à la fois porteurs et garants.
Pourquoi exerce-t-on telle ou telle profession ? Médecin, enseignant, journaliste, fonctionnaire, entrepreneur, ingénieur, commerçant, ouvrier : la question s'adresse à chacun d'entre nous, qui que nous soyons, quoi que nous fassions. Et tout autant qu'un joueur de rugby, il est toujours intéressant d'y répondre avec la plus grande franchise.
Je ne sais pas si Frédéric Michalak a vraiment choisi le rugby pour en faire sa profession. Je crois que c'est plutôt le rugby qui l'a choisi, l'a pris par la main lui qui aimait le football et le basket, se rêvait en Michael Jordan et tentait des passes impossibles avec une balle ovale, autant que des coups de pieds brossés en banane façon Zidane.
Au moment où la génération montante vient d'être foutue dehors de Marcoussis, il est urgent de savourer les derniers délires des génies de naguère, à commencer par les relances, les feintes et les passes de ce Frédéric-là, aucunement des facéties mais bien une technique mûrie au soleil de l'inspiration, et qui articule aujourd'hui le jeu de Lyon.
Avec Aurélien Rougerie et Vincent Clerc, «Michoco» ou «Cacolak», ainsi surnommé par l'inénarrable Christian Califano, est le dernier de son genre, amateur dans l'âme, professionnel par contrat, entièrement naturel, entré dans le buzz en défilant pour un couturier diamant à l'oreille, agenda de premier rôle, humilité jamais démentie, musicien et artiste peintre par envie.
Rien de formaté chez lui. Ou alors XXL. Frédéric Michalak est un maillon de pur métal, alliage du passé et de l'avenir quand il devient actionnaire principal du club de Blagnac qui place à sa tête Christophe Deylaud, tout en prenant sous son aile le jeune demi de mêlée du LOU, Baptiste Couilloud, international moins de vingt ans promis à un futur radieux pour peu que.
La filiation Deylaud-Michalak-Couilloud, ce lien tendu comme une passe tirée au cordeau que rien n'altère. Toute l'essence du rugby tracée dans ces traits d'union qui forment une ligne. Mieux, une lignée. Comme avant cela celles magnifiquement portées par Boniface-Nadal-Castaignède, ou Maso-Sangalli-Codorniou jusqu'à incandescence.
Nous aussi participons au jeu des sept familles en choisissant notre équipe parce qu'elle a un style. Et le style, c'est l'être. En rugby comme en littérature, en sport comme en art. Le style de l'UBB ou de Toulon, d'Agen ou de Lyon, de La Rochelle, de Toulouse ou de Clermont, défini par de subtiles variations, ici la ligne d'avantage, là les blocs, ailleurs une vision d'ensemble faite d'accords et de cohérence.
Le style, c'est ce qui caractérise le mieux Frédéric Michalak quand il choisit d'associer son mentor au projet dont il est, lui, porteur à Blagnac, et son filleul à sa dernière saison sous les couleurs du LOU sans pour autant en faire un disciple. A cet instant, le style c'est la vie. Qu'est-ce que l'existence sinon une traversée. Et une telle circumnavigation ne vaut pas grand chose si l'on n'a rien partagé, rien reçu, rien donné.
On dit que nous devenons éternel dans les gestes de nos enfants. Et qu'il faut donner au moins autant qu'on a reçu. Michalak, comme d'autres avant lui, s'inscrit dans cette perspective, cette ouverture à un poste charnière dont il a occupé les deux versants, les deux battants. Alors si la passe en arrière est l'acte fondateur du rugby tel que nous le connaissons, c'est bien de transmission dont nous sommes à la fois porteurs et garants.
mercredi 27 septembre 2017
Maison close
C'est passé inaperçu. Ou presque. Juste un faire-part de décès dans la presse une fois les portes fermées, les casiers vidés, les chambres closes. Comme si cette disparition était actée depuis longtemps. Bernard Laporte président depuis neuf mois, voici que disparaît le Pôle France. Et avec lui les Pôles Espoirs, anciens Sport Etudes, soit une certaine idée d'une tête bien faite dans un corps d'athlète, l'éducation au sens plein du terme. Exit donc de Marcoussis l'élite des jeunes, poussés dehors.
Il y a sûrement de bonnes raisons à ce que Marcatraz, comme la prison construite sur une île de la baie de San Francisco, soit laissé aux lierres et aux herbes folles, et je ne suis pas assez qualifié pour juger ici de leur bien fondé. Mais j'ai un lien particulier avec ce lieu. Marcoussis, c'est à quinze minutes de chez moi. J'y suis allé souvent. J'ai même assisté en 2002 au coup d'envoi du premier match, sous la pluie, un soir, entre deux sélections de je ne sais plus quoi sur le terrain d'honneur.
Deux ans plus tôt, j'avais effectué un voyage en Nouvelle-Zélande et découvert Palmerston North, qui était aux All Blacks ce que le domaine de Bellejame allait devenir pour les Tricolores : un laboratoire autant qu'une aire de jeux. Leur cœur de métier. Une première dans l'histoire ovale. D'autant que les techniciens néo-zélandais, Wayne Smith en tête, l'avaient adossé à l'université de Massey toute proche - une portée de drop -, spécialisée dans les études à distance de type CNED.
Désormais maire de Périgueux, Antoine Audi avait voulu le CNR de Linas-Marcoussis plus ambitieux que Palmerston North. Il y était parvenu. Dans tous les domaines. Hébergements - y compris de la FFR -, terrains, zones techniques... Les plans m'avaient franchement impressionné. Sans oublier la possibilité de rentabiliser les lieux en accueillant partenaires en séminaires et clubs en stages. Un outil sans pareil. Qui devait donner à termes au XV de France une avance sur la concurrence.
C'était l'époque où florissaient sur le territoire les Sports Etudes, qui deviendraient ensuite Pôles Espoirs, et dont les lycées Lakanal et Jolimont, à Sceaux et Toulouse, étaient depuis longtemps les fleurons d'où sortirent de magnifiques générations de joueurs. Notre Ivy League de rugby. Ces jeunes diplômés prêts à évoluer dans l'élite étaient éduqués au rugby deleplacien, c'est-à-dire à l'intelligence en mouvement et ça ne datait pas de Marcoussis. Mais cet écrin avait pour mission de rassembler les meilleurs pendant un an, assurer leur suivi scolaire autant que sportif sur des bases élevées.
Et puis j'ai appris que ça avait fermé. En catimini. Que les clubs étaient plus équipés que la DTN, qu'on s'entraînait mieux dans les centres de formation du Top 14 qu'à Marcoussis, que ce système mis en place par Villepreux et Skrela était donc obsolète. Surtout, m'a dit Villepreux au téléphone la semaine passée, la DTN n'avait pas su franchir le cap en ne structurant pas une équipe de moins de dix-neuf ans engagée dans une compétition type Challenge Européen. Le basket avait su le faire. Le rugby, conservateur, n'y parviendra pas.
Le problème d'un outil, aussi magnifique soit-il, c'est qu'il faut savoir à quoi il sert, comment l'utiliser et si possible, le perfectionner une fois qu'on en a la maîtrise. Un outil, seul, ne fonctionne pas. Il est inerte. Petit à petit, il faut croire que Marcoussis est devenu un corps mort. Un outil demande à ce qu'on se pose en permanence la question du sens, de son sens. Pourquoi a-t-on créé un jour le CNR de Bellejame : pour construire l'avenir. Il y avait sans doute de bons ouvriers dans ce complexe de l'Essonne. Mais pas d'architecte.
Ah ça pour promouvoir une candidature et organiser une compétition mondiale - disons plutôt internationale, ce sera plus juste - pour s'en mettre plein les fouilles sans trop se creuser, briller sans éclairer, faire venir les enfants de Jonah défendre quelque chose auquel ils ne comprennent rien, se compromettre dans des affaires de gestion d'images et de fadettes, nous sommes champions, nous les Français. Heureusement, le ridicule ne tue pas sinon il faudrait faire candidater tous les ans de nouveaux dirigeants.
Déboule sans crier gare le jeune toulonnais Louis Carbonnel ! D'un trait de génie, Toulon l'emporte au Stade Français. Les clubs forment des talents, c'est indéniable. Même s'il s'agit d'un principe déjà dévoyé par quelques clubs, on attend des figures imposées aux JIFF qu'elles permettent de lancer des dizaines de ces petits Louis d'or. L'Espoir fait vivre... Mais si l'on prend Antoine Dupont et Baptiste Couilloud, pour ne citer que deux des meilleurs jeunes du Top 14, se rappeler que c'est à Marcoussis qu'ils ont appris le meilleur de leur rugby.
Last but not least, après avoir échangé avec les membres historiques de ce blog, le prochain Quinconces, troisième du nom, se tiendra à Treignac, en Corrèze, du vendredi 20 au dimanche 22 avril 2018. Le Gé, Sergio, Pimprenelle, Eric, Christian, Marc, Jan Lou, Lulure, Nini, Charles, Michel, Ritchie et Bernard sont partants. Ca promet ! Vincent et Tautor devraient nous rejoindre en fonction de leurs impératifs familiaux. Mais nous sommes quarante inscrits sur le blog : alors quid de Al, Miguel, Graco, Dominique, Pierre, Philippe, Bruno, François, Fred, Jeff, Nico, Dagg, Denis et les autres ?
Il y a sûrement de bonnes raisons à ce que Marcatraz, comme la prison construite sur une île de la baie de San Francisco, soit laissé aux lierres et aux herbes folles, et je ne suis pas assez qualifié pour juger ici de leur bien fondé. Mais j'ai un lien particulier avec ce lieu. Marcoussis, c'est à quinze minutes de chez moi. J'y suis allé souvent. J'ai même assisté en 2002 au coup d'envoi du premier match, sous la pluie, un soir, entre deux sélections de je ne sais plus quoi sur le terrain d'honneur.
Deux ans plus tôt, j'avais effectué un voyage en Nouvelle-Zélande et découvert Palmerston North, qui était aux All Blacks ce que le domaine de Bellejame allait devenir pour les Tricolores : un laboratoire autant qu'une aire de jeux. Leur cœur de métier. Une première dans l'histoire ovale. D'autant que les techniciens néo-zélandais, Wayne Smith en tête, l'avaient adossé à l'université de Massey toute proche - une portée de drop -, spécialisée dans les études à distance de type CNED.
Désormais maire de Périgueux, Antoine Audi avait voulu le CNR de Linas-Marcoussis plus ambitieux que Palmerston North. Il y était parvenu. Dans tous les domaines. Hébergements - y compris de la FFR -, terrains, zones techniques... Les plans m'avaient franchement impressionné. Sans oublier la possibilité de rentabiliser les lieux en accueillant partenaires en séminaires et clubs en stages. Un outil sans pareil. Qui devait donner à termes au XV de France une avance sur la concurrence.
C'était l'époque où florissaient sur le territoire les Sports Etudes, qui deviendraient ensuite Pôles Espoirs, et dont les lycées Lakanal et Jolimont, à Sceaux et Toulouse, étaient depuis longtemps les fleurons d'où sortirent de magnifiques générations de joueurs. Notre Ivy League de rugby. Ces jeunes diplômés prêts à évoluer dans l'élite étaient éduqués au rugby deleplacien, c'est-à-dire à l'intelligence en mouvement et ça ne datait pas de Marcoussis. Mais cet écrin avait pour mission de rassembler les meilleurs pendant un an, assurer leur suivi scolaire autant que sportif sur des bases élevées.
Et puis j'ai appris que ça avait fermé. En catimini. Que les clubs étaient plus équipés que la DTN, qu'on s'entraînait mieux dans les centres de formation du Top 14 qu'à Marcoussis, que ce système mis en place par Villepreux et Skrela était donc obsolète. Surtout, m'a dit Villepreux au téléphone la semaine passée, la DTN n'avait pas su franchir le cap en ne structurant pas une équipe de moins de dix-neuf ans engagée dans une compétition type Challenge Européen. Le basket avait su le faire. Le rugby, conservateur, n'y parviendra pas.
Le problème d'un outil, aussi magnifique soit-il, c'est qu'il faut savoir à quoi il sert, comment l'utiliser et si possible, le perfectionner une fois qu'on en a la maîtrise. Un outil, seul, ne fonctionne pas. Il est inerte. Petit à petit, il faut croire que Marcoussis est devenu un corps mort. Un outil demande à ce qu'on se pose en permanence la question du sens, de son sens. Pourquoi a-t-on créé un jour le CNR de Bellejame : pour construire l'avenir. Il y avait sans doute de bons ouvriers dans ce complexe de l'Essonne. Mais pas d'architecte.
Ah ça pour promouvoir une candidature et organiser une compétition mondiale - disons plutôt internationale, ce sera plus juste - pour s'en mettre plein les fouilles sans trop se creuser, briller sans éclairer, faire venir les enfants de Jonah défendre quelque chose auquel ils ne comprennent rien, se compromettre dans des affaires de gestion d'images et de fadettes, nous sommes champions, nous les Français. Heureusement, le ridicule ne tue pas sinon il faudrait faire candidater tous les ans de nouveaux dirigeants.
Déboule sans crier gare le jeune toulonnais Louis Carbonnel ! D'un trait de génie, Toulon l'emporte au Stade Français. Les clubs forment des talents, c'est indéniable. Même s'il s'agit d'un principe déjà dévoyé par quelques clubs, on attend des figures imposées aux JIFF qu'elles permettent de lancer des dizaines de ces petits Louis d'or. L'Espoir fait vivre... Mais si l'on prend Antoine Dupont et Baptiste Couilloud, pour ne citer que deux des meilleurs jeunes du Top 14, se rappeler que c'est à Marcoussis qu'ils ont appris le meilleur de leur rugby.
Last but not least, après avoir échangé avec les membres historiques de ce blog, le prochain Quinconces, troisième du nom, se tiendra à Treignac, en Corrèze, du vendredi 20 au dimanche 22 avril 2018. Le Gé, Sergio, Pimprenelle, Eric, Christian, Marc, Jan Lou, Lulure, Nini, Charles, Michel, Ritchie et Bernard sont partants. Ca promet ! Vincent et Tautor devraient nous rejoindre en fonction de leurs impératifs familiaux. Mais nous sommes quarante inscrits sur le blog : alors quid de Al, Miguel, Graco, Dominique, Pierre, Philippe, Bruno, François, Fred, Jeff, Nico, Dagg, Denis et les autres ?
jeudi 21 septembre 2017
Cause nationale
L'époque est aux exercices techniques qui libèrent la gestuelle, ce rubato qui donne à l'interprétation d'une partition ovale son supplément d'âme. Il faudrait naître avec un ballon dans les mains plutôt qu'une barre de musculation sur les épaules. Quand on imagine nos Tricolores quatre semaines à Marcoussis pour parfaire leur condition physique, on frémit à l'idée des tests de novembre face à des adversaires qui pensent déplacement, mouvement, intervalle et VO2max.
En attendant de rejoindre Saint-Denis des frimas, exerçons nos facultés mentales pour ne pas tomber dans le maelstrom du buzz, piège à clics qui claque sur nos écrans. Vous l'avez remarqué, une information chasse très vite l'autre, et toutes sont présentées comme si elles étaient d'égale importance, malheureusement plus souvent proches du nul d'ailleurs. Difficile de s'extraire du remugle.
Nous y arrivons décalés, les All Blacks ont confirmé qu'ils évoluaient sur une autre planète ovale que la nôtre, que celle de tous les autres d'ailleurs, en transperçant les Springboks sur le score de 57-0. Je me demande encore ce qui m'impressionne le plus : les huit essais inscrits sur des mouvements tous plus fascinants ou l'incapacité des Sud-Africains à inscrire le moindre point, surclassés qu'ils ont été ?
Il y a plusieurs décennies de cela, en 1951, les Sud-Africains, avec dans leur pack de phénomènes comme Koch, Geffin et Muller, débarquèrent en Europe et se rendirent à Edimbourg. Norman Mair, ancien talonneur devenu chroniqueur pour The Scotsman, quotidien de référence vendu en kilt, m'a raconté l'anecdote il y a de cela quelques années. Je vous la livre telle quelle.
«Dès le coup de sifflet final, l'un des 65 000 spectateurs présents ce jour-là se précipite parmi les premiers hors du stade et fonce vers un taxi qui stationne non loin de la porte MacPherson. Le chauffeur, qui n'avait pas la radio demande quel est le résultat de la partie. Son client lui répond : "Nous avons encaissé quarante-quatre points mais nous pouvons nous estimer heureux..." Le chauffeur, surpris, demande : "Mais nous estimer heureux de quoi quand on prend quarante-quatre points ?" Le supporteur aura cette réponse extraordinaire : "We were lucky to get nil" (nous avons eu de la chance d'être à zéro)» , tellement ce XV au Chardon, écrasé huit essais à rien - un tremblement de terre hier comme aujourd'hui -, méritait une note négative.
Quelques semaines plus tard, les Springboks, surnommés les Rugbymen du Diable tellement ils faisaient peur après avoir balayé les All Blacks en série de tests deux ans plus tôt, surgissaient à Colombes, ce 16 février 1952, pour infliger un cinglant 25-3 aux Tricolores. Six essais à zéro, ce n'est pas rien ! Au sein de ce XV de France émargeaient quand même Maurice et Jean Prat, Lucien Mias, René Biènes, Gérard Dufau, Jean-Roger Bourdeu et Guy Basquet. Transpercés... Les Springboks s'étaient rendus maîtres de la ligne d'avantage, le docteur Danie Craven érigeant en tactique l'invention de Sir Wavell Wakefield.
Il y avait un futur médecin dans cette équipe tricolore : Lucien Mias, alors instituteur. Docteur Pack m'avouera avoir appris la leçon des Sud-Africains ce jour-là au point de faire de la conquête immédiate de la ligne d'avantage par les avants en fond de touche et autour de la mêlée son credo, avec le fameux "demi-tour contact" qui deviendra la marque de fabrique de son équipe de France durant le Tournoi 1959, soit sept ans de gestation.
Pendant ce temps-là, les Néo-Zélandais, humiliés en 1949, se mirent à cogiter sur le moyen d'éviter à l'avenir de se faire ainsi croquer. Deux techniciens - un manager et un homme de terrain, Charlie Saxton et Fred Allen - imaginèrent une charte tactico-technique facilement mémorisable qui donnerait au rugby des All Blacks une solide assise. Elle est connue sous le nom de règle des 3 P (possession, placement, pace), soit possession du ballon, position des joueurs, rythme (jeu, geste, décision) dont nous avons assez parlé ici pour qu'il ne soit pas utile d'y revenir en détail.
Soixante-dix ans plus tard, fidèles à leur tradition et à leur culture, les All Blacks ont donné à leur tour la leçon aux Springboks, deux équipes qui se détestent mais se respectent autant que les Brésiliens et les Argentins en football. En janvier dernier, l'ancien flanker international et ex-coach des Bleuets, Olivier Magne, s'est rendu au Pays du Long Nuage Blanc afin de se familiariser avec les méthodes d'entraînement des Canterbury Crusaders du côté de Christchurch. Voilà ce qu'il en dit.
«Ils ont dix ans d'avance et ils continuent d'avancer. Ils réfléchissent au rugby qui sera pratiqué dans dix ans. Que eux pratiqueront, parce qu'ils ont tellement de poids sportif et politique qu'ils dictent aussi certains règles. Leur travail n'est pas seulement celui d'un staff et des joueurs, mais de toute une nation. Le rugby des All Blacks commence dès l'école de rugby et se diffuse partout dans le pays. C'est une cause nationale. Ca n'a rien à voir avec le nombre de licenciés ! C'est une volonté politique, au sens noble du terme. En France, je constate avec regret que nous sommes loin de tout cela.»
Ridiculement embourbés dans nos petites querelles de pouvoir. Le triste épilogue du "Grenelle de la santé" en est un exemple quasi criminel puisqu'il s'agissait pour les représentants des deux instances dirigeantes du rugby français de trouver un moyen de protéger l'intégrité physique des joueurs soumis à des traumatismes physiques répétés. Voici désormais les joueurs pros pris en otage et en étau entre la LNR et la FFR. Faudra-t-il qu'un accident mortel survienne pour que...
On ne se quittera pas sans un exemple précis de l'avancée tactique des All Blacks et le décryptage qu'en fait pour nous Olivier Magne : «Les All Blacks ont trois familles de joueurs sur le terrain. Certains, de type Kaino, restent sur des schémas préétablis.» Ils servent de repères. «Il y a ensuite les créateurs, comme Beauden Barrett ou Aaron Smith, qui regardent le jeu et changent la direction du mouvement en fonction des failles décelées dans la défense adverse. Et il y a les autres, qui réagissent immédiatement dès qu'il y a déséquilibre en se portant à toute vitesse au soutien du porteur de balle au moment du franchissement.» Aussi instructif qu'édifiant.
Font écho ici les notions de placement, de position, de structure tactique, mais aussi de conservation du ballon et de rythme donné à chaque instant sur chaque action, insufflé dans le moindre geste. Le rugby est une culture: celle des All Blacks domine depuis 2012. Auparavant, les Australiens en avaient modernisé l'approche, ajoutant leur touche au sujet de la détection et de la formation (1989-1992) avant d'améliorer la lecture du jeu via de nouveaux outils technologiques (1998-2002). Pour la nation qui souhaiterait reprendre le leadership aux All Blacks, il reste des champs à explorer, psychologiques, comportementaux, proprioceptifs, cognitifs. Pour notre plus grand bonheur, l'histoire se régénère par cycles.
En attendant de rejoindre Saint-Denis des frimas, exerçons nos facultés mentales pour ne pas tomber dans le maelstrom du buzz, piège à clics qui claque sur nos écrans. Vous l'avez remarqué, une information chasse très vite l'autre, et toutes sont présentées comme si elles étaient d'égale importance, malheureusement plus souvent proches du nul d'ailleurs. Difficile de s'extraire du remugle.
Nous y arrivons décalés, les All Blacks ont confirmé qu'ils évoluaient sur une autre planète ovale que la nôtre, que celle de tous les autres d'ailleurs, en transperçant les Springboks sur le score de 57-0. Je me demande encore ce qui m'impressionne le plus : les huit essais inscrits sur des mouvements tous plus fascinants ou l'incapacité des Sud-Africains à inscrire le moindre point, surclassés qu'ils ont été ?
Il y a plusieurs décennies de cela, en 1951, les Sud-Africains, avec dans leur pack de phénomènes comme Koch, Geffin et Muller, débarquèrent en Europe et se rendirent à Edimbourg. Norman Mair, ancien talonneur devenu chroniqueur pour The Scotsman, quotidien de référence vendu en kilt, m'a raconté l'anecdote il y a de cela quelques années. Je vous la livre telle quelle.
«Dès le coup de sifflet final, l'un des 65 000 spectateurs présents ce jour-là se précipite parmi les premiers hors du stade et fonce vers un taxi qui stationne non loin de la porte MacPherson. Le chauffeur, qui n'avait pas la radio demande quel est le résultat de la partie. Son client lui répond : "Nous avons encaissé quarante-quatre points mais nous pouvons nous estimer heureux..." Le chauffeur, surpris, demande : "Mais nous estimer heureux de quoi quand on prend quarante-quatre points ?" Le supporteur aura cette réponse extraordinaire : "We were lucky to get nil" (nous avons eu de la chance d'être à zéro)» , tellement ce XV au Chardon, écrasé huit essais à rien - un tremblement de terre hier comme aujourd'hui -, méritait une note négative.
Quelques semaines plus tard, les Springboks, surnommés les Rugbymen du Diable tellement ils faisaient peur après avoir balayé les All Blacks en série de tests deux ans plus tôt, surgissaient à Colombes, ce 16 février 1952, pour infliger un cinglant 25-3 aux Tricolores. Six essais à zéro, ce n'est pas rien ! Au sein de ce XV de France émargeaient quand même Maurice et Jean Prat, Lucien Mias, René Biènes, Gérard Dufau, Jean-Roger Bourdeu et Guy Basquet. Transpercés... Les Springboks s'étaient rendus maîtres de la ligne d'avantage, le docteur Danie Craven érigeant en tactique l'invention de Sir Wavell Wakefield.
Il y avait un futur médecin dans cette équipe tricolore : Lucien Mias, alors instituteur. Docteur Pack m'avouera avoir appris la leçon des Sud-Africains ce jour-là au point de faire de la conquête immédiate de la ligne d'avantage par les avants en fond de touche et autour de la mêlée son credo, avec le fameux "demi-tour contact" qui deviendra la marque de fabrique de son équipe de France durant le Tournoi 1959, soit sept ans de gestation.
Pendant ce temps-là, les Néo-Zélandais, humiliés en 1949, se mirent à cogiter sur le moyen d'éviter à l'avenir de se faire ainsi croquer. Deux techniciens - un manager et un homme de terrain, Charlie Saxton et Fred Allen - imaginèrent une charte tactico-technique facilement mémorisable qui donnerait au rugby des All Blacks une solide assise. Elle est connue sous le nom de règle des 3 P (possession, placement, pace), soit possession du ballon, position des joueurs, rythme (jeu, geste, décision) dont nous avons assez parlé ici pour qu'il ne soit pas utile d'y revenir en détail.
Soixante-dix ans plus tard, fidèles à leur tradition et à leur culture, les All Blacks ont donné à leur tour la leçon aux Springboks, deux équipes qui se détestent mais se respectent autant que les Brésiliens et les Argentins en football. En janvier dernier, l'ancien flanker international et ex-coach des Bleuets, Olivier Magne, s'est rendu au Pays du Long Nuage Blanc afin de se familiariser avec les méthodes d'entraînement des Canterbury Crusaders du côté de Christchurch. Voilà ce qu'il en dit.
«Ils ont dix ans d'avance et ils continuent d'avancer. Ils réfléchissent au rugby qui sera pratiqué dans dix ans. Que eux pratiqueront, parce qu'ils ont tellement de poids sportif et politique qu'ils dictent aussi certains règles. Leur travail n'est pas seulement celui d'un staff et des joueurs, mais de toute une nation. Le rugby des All Blacks commence dès l'école de rugby et se diffuse partout dans le pays. C'est une cause nationale. Ca n'a rien à voir avec le nombre de licenciés ! C'est une volonté politique, au sens noble du terme. En France, je constate avec regret que nous sommes loin de tout cela.»
Ridiculement embourbés dans nos petites querelles de pouvoir. Le triste épilogue du "Grenelle de la santé" en est un exemple quasi criminel puisqu'il s'agissait pour les représentants des deux instances dirigeantes du rugby français de trouver un moyen de protéger l'intégrité physique des joueurs soumis à des traumatismes physiques répétés. Voici désormais les joueurs pros pris en otage et en étau entre la LNR et la FFR. Faudra-t-il qu'un accident mortel survienne pour que...
On ne se quittera pas sans un exemple précis de l'avancée tactique des All Blacks et le décryptage qu'en fait pour nous Olivier Magne : «Les All Blacks ont trois familles de joueurs sur le terrain. Certains, de type Kaino, restent sur des schémas préétablis.» Ils servent de repères. «Il y a ensuite les créateurs, comme Beauden Barrett ou Aaron Smith, qui regardent le jeu et changent la direction du mouvement en fonction des failles décelées dans la défense adverse. Et il y a les autres, qui réagissent immédiatement dès qu'il y a déséquilibre en se portant à toute vitesse au soutien du porteur de balle au moment du franchissement.» Aussi instructif qu'édifiant.
Font écho ici les notions de placement, de position, de structure tactique, mais aussi de conservation du ballon et de rythme donné à chaque instant sur chaque action, insufflé dans le moindre geste. Le rugby est une culture: celle des All Blacks domine depuis 2012. Auparavant, les Australiens en avaient modernisé l'approche, ajoutant leur touche au sujet de la détection et de la formation (1989-1992) avant d'améliorer la lecture du jeu via de nouveaux outils technologiques (1998-2002). Pour la nation qui souhaiterait reprendre le leadership aux All Blacks, il reste des champs à explorer, psychologiques, comportementaux, proprioceptifs, cognitifs. Pour notre plus grand bonheur, l'histoire se régénère par cycles.
mercredi 13 septembre 2017
L'étoffe de nos héros
Certains sculpteurs considèrent que l'espace négatif - ainsi appelées les formes évidées - compte autant que l'espace positif ; que le vide est aussi important que la matière dès lors qu'il s'agit d'inspirer. Considérant les remous qui engloutissent en ce moment l'idée que nous nous faisons du rugby, il est vital de se plonger dans l'espace qui apparait ainsi en creux, dans tout ce qui n'est pas, je veux dire pas médiatisé, mis en avant et souligné.
La pratique du rugby sera toujours plus forte que l'impact supposé de ceux qui s'en servent pour réaliser leurs desseins. Les règles changent tous les ans mais quelque chose de l'esprit initial demeure, c'est heureux. Certes aujourd'hui, les présidents occupent le devant de la scène. On le regrette dans le mesure où leurs avis ne sont pas toujours marqués du sceau de la pertinence. Mais les clubs - joueurs, entraîneurs - effectuent leur mue. Je pense en particulier à Montpellier et La Rochelle.
En un changement d'entraîneur, les Héraultais expriment plus largement leur potentiel. En passant de Jake White à Vern Cotter, du style bok à la méthode black pour faire court, Montpellier semble s'épanouir en occupant la largueur du terrain, occultant ce qui était considéré auparavant comme des zones interdites à la contre-attaque. Idem pour le Stade Rochelais, hier cadenassé sur la ligne de front à pilonner l'adversaire et qui, lors de cette troisième journée, a donné à Clermont, parangon du jeu complet, une leçon de "large-large".
On pourra citer aussi Toulon et Bordeaux-Bègles relookés par Fabien Gatlhié et Jacques Brunel, adaptes des blocs et de l'initiative par le replacement incessant des joueurs en petites unités. Mais je garde en mémoire l'essai de l'ailier Gabriel Lacroix, son premier, face à l'ASM à Marcel-Deflandre, comme le parfait exemple de ce que le rugby peut offrir de spectaculaire en sept passes. J'étais placé juste devant la dernière, inattendue, saisissante.
Quarante secondes, d'entrée, pour déborder, transpercer et éteindre la défense des champions de France en titre venus sur les bords de l'Atlantique en composition (presque) type. Un seul adversaire battu - le dernier - mais six Clermontois arrêtés sur passe, percussion ou percée à partir d'un simple essuie-glace gauche-droite pour placer au bout de deux passes mollement lobées le centre-flanker (c'est nouveau) Levani Botia, joueur atout fer, face au deuxième-ligne Sitaleki Timani.
Les coaches l'avouent, le but du rugby contemporain consiste à placer après deux ou plusieurs temps de jeu un joueur rapide face à un présumé plus lent afin de casser la ligne de défense. Regardez comment Levani Botia échappe à Timani tout en assurant sa passe, mais admirez surtout en amont son replacement intérieur pour répondre à l'appel de croisée, avant de servir acrobatiquement son ailier Lacroix. Tout y est. A garder pour se le repasser en boucle les soirs de journées de disette topquatorzienne.
Il paraît que tout le monde en raffole. Je veux parler du raout annuel qui fête le succès du Top 14 dans des lieux d'ordinaire dédiés au showbiz. Ce genre d'auto-célébration sur scène à la gloire du dieu télévisuel, très peu pour moi. Il y a comme une négation de ce jeu éminemment collectif à élire le meilleur ceci, le meilleur cela. Sans compter qu'on y trouve de plus en plus de sponsors et de partenaires commerciaux, et de moins en moins d'authenticité.
J'ai refusé cette invitation à L'Olympia mais n'ai pas manqué de rejoindre Dax (ici attablé avec J. Guibert, A. Boniface, H. Garcia, D. Lalanne, O. Margot, Ch. Jeanpierre et A. Albaladejo) pour l'inauguration de la statue érigée en l'honneur de Pierre Albaladejo, notre Socrate qui distille le meilleur de la pensée rugbystique au gré des conversations qu'il fait naître. Maître des mots Pierrot Bala, à la radio, à la télévision, au plaisir d'une interview. Quel plaisir d'écouter les siens quand des maux venus des hautes sphères polluent l'ovale. C'était vendredi dernier, moment rare durant lequel furent associées en une forme d'Olympe 1350 capes (vous reconnaissez sur la première photo Bastiat, Dourthe, Mola, Roumat, Pelous, Ibanez, Lescarboura, Boyoud) et autant d'épées comme André Darriguade et Michel Jazy, pour n'en citer que deux.
L'historien Henri Garcia, mon mentor, ancien patron de la rubrique rugby de L'Equipe puis accessoirement du quotidien, compare Olivier Magne, présent ce jour-là comme tant d'autres internationaux dacquois, à Jean Prat. Il n'a pas tort. Tout en nous racontant - il était jeune journaliste pour le quotidien Combat - la Libération de Paris par la "Nueve", compagnie de la 2ème DB entrée dans la capitale avant les Américains. "Mais vous êtes Espagnols ?" lançaient les Parisiens, incrédules. "Non, répondirent les combattants, nous sommes républicains espagnols !" Tout est dans la nuance.
Quand la vacuité l'emporte, il importe de se souvenir de ce qui nous constitue. Le président de l'US Dax, François Gachet, évoqua dans son discours d'ouverture, avant que la statue de Pierrot ne soit dévoilée, le devoir qui est le nôtre en ces temps troublés : exemplarité et transmission. Tout Bala résumé en deux mots. Et au delà même de l'ouvreur-consultant, l'un des rares internationaux, comme Walter Spanghero et Jean-Pierre Rives (que vous verriez eux aussi statufiés de leur vivant), à transcender un club et une génération pour parler à tous et à chacun.
Dans le texte rédigé en préface du remarquable ouvrage de Jean-Michel Blaizeau intitulé "La fabuleuse épopée des Jaune et Noir" qui relate par le menu la saison passée, Jean-Pierre Elissalde, jamais avare de métaphores, écrit : "Une équipe n'est pas un cèpe qui pousse en une nuit. Ce groupe rochelais est né de la remontée. (...) On n'a jamais mis le chalut devant la bateau. (...) On sait la place des artisans de l'ombre, des bâtisseurs anonymes de cathédrales qui, longtemps, n'ont eu pour seul bonheur que le sentiment du devoir accompli."
Au moment où le Top 14 s'autocélébre dans le faste et les paillettes alors même que son but et ses moyens sont antagonistes avec l'avenir du rugby français en ce sens qu'ils ne favorisent pas naturellement l'éclosion heureuse des nouvelles générations, ayons une pensée pour tous les formateurs. "Je râle quand un éducateur de cadets me dit qu'il est entraîneur," lâchait Pierre Albaladejo, l'autre vendredi. Il est peut être là, notre premier combat : faire en sorte que le rugby d'élite ne délite pas ce tissu qui est l'étoffe de nos héros.