mercredi 29 novembre 2023

Jeantet à toutes jambes

 


Après la déconvenue d'octobre, rien ne devrait mieux et plus sûrement irriguer désormais le XV de France que le rugby amateur, ses vertus, ses épopées picaresques et ses ressorts humains. Aux sortilèges arbitraux chassés du bunker succède la perspective du Tournoi et c'est bien de joute dont il s'agit ici, phase finale littéraire très disputée qui opposa pour le meilleur Mourir fait partie du jeu (Philippe Chauvin), L'affaire Cécillon (Ludovic Ninet), Dans la peau d'Albaladejo (Philippe Darmuzey) et Le ciel a des jambes (Benoit Jeantet). Quatre ouvrages différents par le style, le thème, la forme et le développement, quatre auteurs qui laissent une trace placée très au-dessus de l'ordinaire des parutions  convenues en période de Mondial. 
Le 29 décembre 2021, afin de célébrer "le mariage de l'encre et du camphre, de la plume et du cuir," clin d'œil à Jeux de Lignes, le sénateur tarnais Philippe Folliot, ancien talonneur de l'équipe de rugby des parlementaires français, eut l'idée de créer un prix qui récompenserait le meilleur ouvrage ovale de l'année et constitua un jury composé de l'écrivain Jean Colombier (prix Renaudot 1990), de l'ancien demi de mêlée, capitaine puis sélectionneur du XV de France Pierre Berbizier, de l'internationale et consultante France Télévisions Laura di Muzio, du photographe Max Armengaud, de David Reyrat, chef de la rubrique rugby du Figaro, d'Emmanuel Massicard, directeur des rédactions de Midi-Olympique, de Jean-Christophe Buisson, directeur adjoint du Figaro Magazine et de l'auteur de ce blog. 
Après avoir avoir honoré l'an passé Didier Cavarot, alias Monsieur Rusigby, pour son ouvrage Au bureau ovale de la saison blanche, cet aréopage réuni à Saint-Pierre-de-Trivisy le 25 novembre 2023 a choisi de distinguer Benoit Jeantet pour Le ciel a des jambes, recueil de nouvelles publié aux Editions du Volcan. Particularité du prix La Bibliotéca, le lauréat intègre pour un an le jury. Après avoir voté pour son successeur, Didier Cavarot cède donc sa place et Benoit Jeantet, grand lecteur, trouvera aussi là matière à s'exprimer.
Les auteurs l'assurent: avant d'écrire il faut aimer lire. A l'orée de sa vocation, Victor Hugo affirmait : "Je veux être Chateaubriand ou rien". Benoit Jeantet, lui, voue à Julien Gracq une admiration grande, ainsi qu'à Pierre Michon, Jean Echenoz et Nicolas Bouvier. Avec un tel cousinage, pas étonnant que nous trouvions chez cet enfant du pays de Sault un goût prononcé pour la phrase ciselée, dont les effets se nourrissent d'allitérations et d'assonances, d'oxymores et d'associations harmonieuses, avec un sens du contre-pied et de la feinte de mots qui lui est très personnel.
Trente-six nouvelles comme autant de couleurs dessinent le rugby, tout le rugby, celui du vestiaire, du club-house, du premier entraînement, du dernier match, des supporteurs et des anciennes gloires, du café du commerce et des amourettes en passant, le rugby de papa et des étoiles filantes. Benoit Jeantet est d'abord un poète, amoureux des mots, et chez lui le rugby n'est clairement qu'un alibi à la vie, quand le jeu dévie du "je" pour rester collectif. Un recueil à taille humaine, marqué aux crampons.
J'ai d'autant plus de plaisir à rédiger cette chronique d'un sacre annoncé que je compte Benoit Jeantet dans mon premier cercle après avoir co-écrit avec lui en 2011 Le désir de lire, aux éditions Honoré-Champion, puis récemment Jeux de Lignes, chez Privat. Le secret des délibérations restant bien gardé, il vous faut juste savoir que ma voix n'a pas eu de poids particulier aux yeux des membres du jury, ayant fait état de mon lien épistolaire et amical avec celui qu'il m'a fallu considérer comme un candidat parmi d'autres.
"Je sais bien que tu ne viendras plus. Mes souvenirs flottent au rythme des paroles de deux vieux crampons. Dans la vie de tous les jours, bien rare que les mots qui partent comme des flèches atteignent leur cible. Et c'est sans doute pour cela qu'on persiste à vouloir dire ce monde du rugby. Ce soir, l'amour est partout. Surtout dans ce qui manque. Et le rugby me manque. Alors voilà. J'ai le cœur qui invente des souvenirs, " écrit-il en fondu enchaîné. Quand une phrase me touche et que d'autres jaillissent, portées par un montage serré, je sais que je tiens, comme un ballon oblong dans la paume de mes mains, l'œuvre d'un écrivain.

lundi 6 novembre 2023

Lettre ouverte aux ami(e)s

Après La Rochelle à l'invitation de Jean-Pierre Elissalde dans son fief Aux Vieux Crampons jeudi 16 novembre, puis Paris deux jours plus tard dans les magnifiques locaux de la librairie Pédone, rue Soufflot, je serai à Auch mercredi 22 novembre à la librairie Page à Page pour dédicacer Côté Ouvert. Avant de filer à Saint-Pierre-de-Trivisy, via Toulouse et Castelnaudary, remettre en compagnie du jury La Biblioteca, le prix du meilleur livre de rugby 2023. Avec Jean Colombier, Pierre Berbizier, David Reyrat, Laura Di Muzio, Emmanuel Massicard, Max Armengaud, Jean-Christophe Buisson, Didier Cavarot et sous la présidence du sénateur Philippe Folliot, nous avons choisi parmi la trentaine d'ouvrages parus cette année quatre demi-finalistes, à savoir Benoit Jeantet (Le ciel a des jambes), Philippe Chauvin (Mourir fait partie du jeu), Philippe Darmuzey (Dans la peau d'Albajadejo) et Ludovic Ninet (L'affaire Cecillon). Nous y reviendrons dès mon retour.

Pour un auteur, je ne connais rien de plus touchant que de remettre son ouvrage sur le métier puis le porter sur les fonds éditoriaux. En ce qui me concerne, depuis 1984 et Rugby au centre, c'est un bonheur renouvelé. Tenir l'objet-livre me procure l'émotion d'une première fois, mélange d'excitation et de plaisir après avoir trempé pendant huit saisons ma plume dans ce blog. Bleu comme le maillot du XV de France, Chroniques d'un sacre reporté s'ouvre sur une phrase tirée du Voyage avec un âne dans les Cévennes de Robert Louis Stevenson qui raconte ce que ce livre contient d'amitié, de signification et de liberté.

C'est une belle histoire que celle contenue dans cet ouvrage, à commencer par l'idée glissée par un blogueur d'ici, Christophe Bedou, qui consistait à relier quelques-unes de mes chroniques, projet au soutien duquel Patricia Martinez, directrice des éditions Passiflore encrées à Dax, s'est immédiatement portée sans lever le moindre doute sur la réussite de cette entreprise, convaincue comme moi que notre communauté ovale saurait promouvoir ce recueil à la mesure du lien créé il y a plus de douze ans, déjà.

Ecrire, c'est chérir ceux qui nous inspirent, nos premiers modèles, nos références, ceux qui gravent en nous les premières phrases de jeu. D'où l'importance accordée au voyage à Cardiff aux côtés de mon père Jean-Claude. Relater cette odyssée, du moins en partie, constitue sans aucun doute la trace la plus intime laissée dans Coté Ouvert version papier. Je sais à quel point vous partagez ce trait d'union car une figure paternelle ovale est accrochée à nos cœurs.

Au fil des lectures, retrouver la méthode d'Edgar Morin, les axiomes bienveillants de Michel Serres, l'altérité dessinée par Emmanuel Levinas, les préceptes de Jean Dauger et les confessions de Raoul Barrière, revisiter le festin de 1973 à l'Arms Park de Cardiff avec Georges Domercq et admirer une nouvelle fois l'Outrenoir en compagnie de Pierre Soulages, constituent un délice de fins gourmets que j'associe, verres levés haut pour trinquer, à la mémoire d'un glorieux ainé, Denis Lalanne, et de quelques pairs envolés - Jean Cormier et Jacques Verdier. Vous découvrirez au fil des pages - deux cents - la présence de nombreux amis du blog, célèbres et moins connus, écrivains ou internationaux de renom qui nous font l'honneur d'être fidèles à ce rendez-vous hebdomadaire. 

Durant le périple de deux semaines que j'ai effectué loin de l'actualité ovale, l'épisode malheureux du quart de finale perdu par le XV de France face à l'Afrique du Sud, il y a déjà un mois de cela, n'a cessé de me poursuivre : amis proches ou lointains croisés n'ont cessé de m'interroger sur les raisons de l'échec. A l'évidence, personne n'a fait le deuil de ce fiasco. Et même si Fabien Galthié assure que la France l'a finalement emporté 37-29 dans le métavers des datas, ce meilleur des mondes dont le XV de France serait le champion, la frustration demeure.