Un ballon vaguement ovale ayant débarqué porte Océane sur le rivage du Havre, le rugby français s'est ensuite entiché de bâtir des châteaux en Espagne, s'offrant entre 1968 et 2010 quelques Grands Chelems dans le Tournoi des Cinq puis des Six Nations. Nobles aspirations maintenant dépassées par une conquête plus élevée, ce trophée Webb-Ellis posé en 1987 sur un sommet jusque là inatteignable pour le XV de France.
Piqué en plein cœur de la cité médiévale sur un piton moussu et glissant de roche volcanique dont la pente, abrupte, écœurerait le grimpeur le plus intrépide, le château d'Edimbourg domine l'hôtel où résidera, dimanche prochain, la troupe France. En assurer l'ascension - au sens métaphorique - relève du test de paternité. En effet, le pire adversaire de ces Tricolores n'est pas le Chardon mais bien l'équipe de France elle-même, remarquable modèle d'inconstance dans son incapacité endémique à enchaîner deux grandes performances de rang.
Après le succès à Cardiff, l'enjeu de ce quatrième match du Tournoi 2020 n'est donc pas, comme beaucoup le rêvent, de s'ouvrir une voie vers un possible Grand Chelem pour placer une nouvelle coupe sur l'étagère du hall d'entrée de Marcoussis au milieu d'autres vases de cuivre rouillés, mais bien d'enregistrer une secousse tellurique, signal que s'ouvrent enfin des perspectives comme on dégage une avenue pour relier du plus loin que porte notre regard la terre au ciel.
Autant que l'Histoire, le rugby est une géographie des lieux intimes qui résonnent. Et chantent aussi. Ecoutez Parsifal en visitant ce château dont parlait déjà Ptolémée. Affronter l'Ecosse sur ses terres mystiques et minérales consiste autant à puiser au fond de soi les ressources pour ne pas sombrer dans l'approximation coupable qu'assister au contact de la matière et de l'esprit. Car si le XV de France doit sortir de ce combat, ce sera en vainqueur de lui-même.
Edimbourg, tel Montsalvat protégeant le Graal, abrite la Pierre du Destin. On appréciera le symbole qui consiste pour les Tricolores, si l'on en croit leur sélectionneur en chef Fabien Galthié, à prendre autant de plaisir à écrire leur propre roman d'aventures épiques que nous en avons à le lire, match après match. Mais celle-ci, de page, s'ouvre dimanche sur un nouveau chapitre. La France ne désire rien d'autre que d'être sacrée en 2023 à Saint-Denis et le pont-levis remonté devant elle ne s'ouvre qu'avec une unique clé. D'où l'avantage d'être constant.
Les nations - Nouvelle-Zélande, Australie, Afrique du Sud et Angleterre - qui soulevèrent le trophée Webb-Ellis sont parvenues à enchaîner au moins trois victoires de rang face à des adversaires de haute lignée. Voici donc l'ordalie du jeu à la main. De Kilwinning à Murrayfield, les batailles ne manquent pas qui racontent les vertus du rythme écossais : engagement, rigueur, précision, persévérance, dépassement de soi mais aussi inspiration et aspiration.
Doyen des chevaliers, Gurnemanz interroge le cœur pur : "Sais-tu ce que tu as vu ?". Aujourd'hui, comme me l'écrit Richard Astre au sujet de cette équipe de France devant laquelle s'alignent les planètes, nous avons aperçu "un système de jeu (qui) a permis aux joueurs de faire preuve d'altruisme, de combativité, de force mentale et d'ambition. Fini, les avants coureurs à pied qui se désagrégeaient au fil des minutes. Tout le monde est au diapason, les petits comme les grands. Ce changement pourrait nous faire découvrir le culte de la victoire."
Et l'ancien demi de mêlée et capitaine de Béziers et du XV de France d'ajouter, en repensant à cette victoire française dans l'antre du dragon baptisé naguère Arms Park : "Je pense que les Gallois (les anciens) ont dû avoir une pensée nostalgique pour Gareth Edwards et Barry John... en s'apercevant qu'ils avaient, cinquante ans après, changé de camp. Cette paire de demis française est un filon d'or pour le rugby français. Tant que nos avants se sacrifieront pour eux."
Le jeu de rugby renferme des secrets dans ce mot. Le XV de France inaugure une nouvelle ère et voici Dupont, Ntamack, Olivon, Bamba, Alldritt, Willemse ou Le Roux en passe d'être admis à la Table Ovale. Pour les supporteurs les plus transis, le match d'Edimbourg préfigure une sorte d'apothéose. Mais les Tricolores, après trois succès de rang, vont découvrir devant une armée en kilt qu'il n'y pas de sacre envisageable sans avoir au préalable sacrifié à l'essentiel.
samedi 29 février 2020
samedi 22 février 2020
Sacré samedi
"Nous partageons ce succès avec tous ceux qui portent le rugby français, tous ceux qui l'aiment", déclara le coach Fabien Galthié dès le coup de sifflet final à Cardiff. Son vœu a été exaucé au-delà de tous ses espoirs. Ont-ils été portés, à distance, par cet élan populaire, ces Tricolores ? L'ont-ils vraiment perçu ? L'ont-ils intégré dans leur préparation mentale ? Savent-ils qu'un geyser d'émotions monte désormais haut dans le ciel bleu ? Cette énergie gratuite constituée par la simple et belle envie d'y croire passe par l'engagement, ainsi que me le rappela mon ami Laurent Eugène - lui aussi engagé volontaire - en dégustant un blend aromatique en hommage aux artisans bretons doués pour faire revivre dans un verre les mythes celtes de la forêt de Brocéliande.
Dans ce théâtre au toit fermé qui s'accorde avec les chœurs, les Tricolores n'affrontaient pas une équipe, on l'a écrit précédemment, mais un peuple et, au-delà, une culture. Ils s'en sont magnifiquement sortis samedi en terre hostile par un très haut pressing offensif, une défense collective d'anthologie en infériorité numérique et un opportunisme tranchant, à l'image de l'interception de Romain Ntamack, vitale. Tout ce qui peut éclore d'un véritable esprit de corps plongé dans la doxa deleplacienne.
Sera-t-il un jour possible de suivre Italie-Ecosse à Rome - plus proche de la roche tarpéienne que du Capitole - puis Angleterre-Irlande le lendemain à Twickenham sans avoir à s'infuser du Top 14 ? Cette ubiquité désolante ne développe aucun sens si ce n'est l'odorat pour suivre la piste de l'argent, celui du diffuseur tout puissant qui n'a même pas la décence de respecter une compétition comme le Tournoi, la bardant de tranches d'ovale domestique dont on se contrefout quand jouent en hiver les Six Nations.
Si vous me demandez quelle serait en tant que président ma première décision, elle consisterait à déclarer sur le champ zones sanctuarisées tous les week-end de Tournoi des Six Nations au nom des après-midi passées en famille ou entre amis, volets refermés, salon annexé, discussions passionnées. Ces instants partagés ressemblent aux minutes passées dans le vestiaire, porte close. On trouvera quelque chose de sacré au cœur de cette communion d'esprits ovales qui bouillonnent dans l'échange et surtout la transmission.
mardi 18 février 2020
Hwyl
C'est un vent froid pénétrant, et cette claque de bienvenue cingle la joue. L'hiver du Glamorgan bloque le thermomètre sous les dix degrés quand le ciel d'orage plombe un plafond gris, bas et lourd d'où tombe souvent un rideau de pluie froide. Ainsi nait le sentiment d'être au pire endroit à la mauvaise heure. Mais les amoureux du rugby s'y retrouvent.
Les panneaux annoncent Caerdydd et vous percevez, à cet instant, que si l'entrée vous est simplement accordée, rien ne garantit que vous en sortirez indemne. Cardiff s'exprime en gaélique et s'élève le long de la rivière Taff. Les Romains l'ont érigée et de leur passage restent des fortifications en centre ville. Mais c'est le charbon qui l'a construite, veine sombre dont la manne coule dans les vallées de la Rhonda magnifiée par John Ford.
Sous le crachin, ce port de commerce étalé à l'entrée d'une baie vaseuse apparait en habit de suie avec ses rues moisies et ses sombres avenues entourées de basses collines en forme d'accoudoirs entre lesquelles il semble disparaitre non sans avoir au préalable rendu, de son vivant, un hommage à son mythe ovale, Gareth Edwards - sacré meilleur rugbyman de tous les temps devant les All Blacks Jonah Lomu et Colin Meads - modestement immortalisé par une statue de marbre installée dans un sinistre centre commercial.
A mi-chemin s'avance discrètement le coude blanc de l'Angel Hotel, qui est au rugby ce que Bayreuth est à l'opéra et la Scala de Milan au bel canto, symbole du rugby de tous les âges, celui du ballon en cuir aussi bien que des maillots moulants en lycra. Qui monte les marches vers le hall d'entrée met ses pas dans l'histoire qui relie des supporteurs et leur équipe. Mieux, un peuple et ses représentants. Car au pays de Galles le rugby est res publica, affaire publique, et les élus recueillent pour la postérité les suffrages par l'exemple de leur valeur au combat.
Grande est la dette contractée. Nos ancêtres les Gallois ont réinventé la composition d'équipe - avec deux centres - et perfectionné les séquences pendulaires rebaptisées récemment "large-large". Ce mouvement de balancier qui éclairait le terrain d'un bord à l'autre, les Gallois, maillots rouge, l'ont enclenché à l'orée des années soixante, quand le Principality Stadium s'appelait encore l'Arms Park et ressemblait à une cour de ferme, et nous en sommes les héritiers.
Au tournant du siècle, le pays de Galles a su se reconstruire sur les ruines du rugby amateur, celui des pubs et des club-houses, des villages et des chœurs d'hommes gorgés de bière et de psaumes. Quatre Grands Chelems témoignent de cette renaissance (2005, 2008, 2012, 2019). Aucune autre nation n'a fait aussi bien. De cette caverne en forme de stade ouvert au cœur de la cité monte le souffle chaud du dragon, un des nombreux symboles nationaux (poireau, plumes d'autruche, jonquille), et des flammes accompagnent l'entrée de Diables Rouges.
Depuis la nuit des temps, les enfants de Gaëls disposent d'un mot, Hwyl (prononcez "hoïle"), pour exprimer ce ciment qu'est la chaleur partagée. En rugby, elle est clameur et raconte la complicité, la communion, la fusion. Ainsi chante le rugby. Composée d'irrationnel et d'émotion, d'ivresse et aussi de recueillement au moment de représenter ce que la terre des ancêtres a de plus poétique, cette émouvante passion se dresse face au XV de France. Les Gallois peuvent perdre. Mais ils ne se sont jamais inclinés.
Les panneaux annoncent Caerdydd et vous percevez, à cet instant, que si l'entrée vous est simplement accordée, rien ne garantit que vous en sortirez indemne. Cardiff s'exprime en gaélique et s'élève le long de la rivière Taff. Les Romains l'ont érigée et de leur passage restent des fortifications en centre ville. Mais c'est le charbon qui l'a construite, veine sombre dont la manne coule dans les vallées de la Rhonda magnifiée par John Ford.
Sous le crachin, ce port de commerce étalé à l'entrée d'une baie vaseuse apparait en habit de suie avec ses rues moisies et ses sombres avenues entourées de basses collines en forme d'accoudoirs entre lesquelles il semble disparaitre non sans avoir au préalable rendu, de son vivant, un hommage à son mythe ovale, Gareth Edwards - sacré meilleur rugbyman de tous les temps devant les All Blacks Jonah Lomu et Colin Meads - modestement immortalisé par une statue de marbre installée dans un sinistre centre commercial.
A mi-chemin s'avance discrètement le coude blanc de l'Angel Hotel, qui est au rugby ce que Bayreuth est à l'opéra et la Scala de Milan au bel canto, symbole du rugby de tous les âges, celui du ballon en cuir aussi bien que des maillots moulants en lycra. Qui monte les marches vers le hall d'entrée met ses pas dans l'histoire qui relie des supporteurs et leur équipe. Mieux, un peuple et ses représentants. Car au pays de Galles le rugby est res publica, affaire publique, et les élus recueillent pour la postérité les suffrages par l'exemple de leur valeur au combat.
Grande est la dette contractée. Nos ancêtres les Gallois ont réinventé la composition d'équipe - avec deux centres - et perfectionné les séquences pendulaires rebaptisées récemment "large-large". Ce mouvement de balancier qui éclairait le terrain d'un bord à l'autre, les Gallois, maillots rouge, l'ont enclenché à l'orée des années soixante, quand le Principality Stadium s'appelait encore l'Arms Park et ressemblait à une cour de ferme, et nous en sommes les héritiers.
Au tournant du siècle, le pays de Galles a su se reconstruire sur les ruines du rugby amateur, celui des pubs et des club-houses, des villages et des chœurs d'hommes gorgés de bière et de psaumes. Quatre Grands Chelems témoignent de cette renaissance (2005, 2008, 2012, 2019). Aucune autre nation n'a fait aussi bien. De cette caverne en forme de stade ouvert au cœur de la cité monte le souffle chaud du dragon, un des nombreux symboles nationaux (poireau, plumes d'autruche, jonquille), et des flammes accompagnent l'entrée de Diables Rouges.
Depuis la nuit des temps, les enfants de Gaëls disposent d'un mot, Hwyl (prononcez "hoïle"), pour exprimer ce ciment qu'est la chaleur partagée. En rugby, elle est clameur et raconte la complicité, la communion, la fusion. Ainsi chante le rugby. Composée d'irrationnel et d'émotion, d'ivresse et aussi de recueillement au moment de représenter ce que la terre des ancêtres a de plus poétique, cette émouvante passion se dresse face au XV de France. Les Gallois peuvent perdre. Mais ils ne se sont jamais inclinés.
dimanche 9 février 2020
Faites du Baruch !
Avec ce deuxième succès d'affilée dans le Tournoi acquis dès les vingt premières minutes face à l'Italie et bonifié à l'heure de jeu par une percée majestueuse de Romain Ntamack, il n'y a pas de quoi se relever la nuit pour le replay. Ni s'inquiéter outre mesure, comme le faisait remarquer le capitaine Charles Ollivon durant la semaine passée. Tout fut loin d'être parfait, en particulier en défense au large dans le couloir de Teddy Thomas aux abonnés absents dans cet exercice. Mais ça ne mérite pas s'y appesantir.
Des touches impressionnistes donnent à cette équipe de France new look un contour dont on n'osait rêver depuis dix saisons. Si je devais n'en choisir qu'une, ce serait l'attention de Karim Ghezal, adjoint à la touche, montrant aux sélectionnés à travers une petite vidéo les qualités techniques qu'il apprécie chez eux quand, auparavant, les images ne servaient qu'à vilipender les fautifs et souligner les errements. Même si la conquête dans l'alignement n'est pas pour l'instant le point fort des Tricolores, il n'y a rien d'étonnant à qu'ils se sentent bien dans ce cocon.
Pour le jeune auteur en herbe que j'étais en 1984, constater que la salle de briefing de Marcoussis est décorée par les plus belles photos du French Flair, en particulier celle, iconique, d'André Boniface perçant en 1965 la défense galloise ballon collé sur la poitrine et col relevé touche une fibre sensible. De même qu'associer contre l'Angleterre au centre Gaël Fickou et Virimi Vakatawa. Ce choix ne réanime plus la très lassante querelle des physico-tactiques tant ces purs sangs défendirent comme les portes de Fort Knox pour faire mentir les tenants de la complémentarité.
Elle mène désormais au classement mais ce n'est pas pour cette raison qu'on la regarde avec les yeux de Chimène, cette équipe de France version Galthié. Contrairement à la rencontre inaugurale face à l'Angleterre, ban d'essai passé avec succès, l'accueil fait aux Italiens à Saint-Denis sentait le basilic plus que l'embrocation. L'Eole buissonnier avait rapidement éparpillé les Transalpins, ramenés à la frontière qui sépare les nations majeures des sparring-partners, et ce malgré quelques fiers sursauts.
Il faut croire, ainsi déséquilibré, que le Tournoi se trouve à l'étroit entre six nations seulement. La preuve, il envisage de s'élargir vers le Japon, l'Afrique du Sud et, pourquoi pas, les Fidji. L'idée germe autant pour des raisons économiques, financières, médiatiques que sportives. De quoi s'en émouvoir. Mais pour relativiser, il suffit d'imaginer ce que représenta il y a un peu plus d'un siècle pour les nations celtes et anglo-saxonnes l'irruption de la France dans leur Championship disputé entre gentlemen de bonnes familles; puis l'Italie en 2000.
Initiée par Agustin Pichot et prolongée par Bernard Laporte dans les hautes sphères de World Rugby, une révolution s'est mise en marche. Elle concerne à court terme le calendrier mondial enfin unifié - le rêve de Serge Blanco depuis 1998 -, mais aussi la création d'une Coupe du monde des clubs et d'un championnat des nations, ainsi que le relèvement des nations du Tier 2 exclues des grandes compétitions lucratives.
Depuis sa création supposée en 1823 dans une université du Warwickshire, le jeu de Rugby n'a cessé de faire évoluer ses règles, sa composition d'équipe, ses compétitions et son administration plus qu'aucun autre sport au monde. Mais, telle une courbe exponentielle, cette tendance s'accroit depuis 1995, quand furent généreusement distribués aux trois grandes nations du Sud les dollars du media mogul Rupert Murdoch, celui-là même qui a mis son pouvoir dans la balance pour faire élire Donald Trump à la présidence des Etats-Unis.
Ainsi, avant de tomber dans une impasse, il est plus qu'urgent, comme tend à l'instiller Fabien Galthié dans son discours aux joueurs comme aux médias, de citer aussi fort qu'il est possible Baruch Spinoza (1632-1677). Dans Ethique, ce philosophe écrit : "Ce n'est pas parce que nous jugeons qu'une chose est bonne que nous la désirons, mais c'est parce que nous la désirons que nous la jugeons bonne," nous obligeant à évider nos vérités, pas seulement ovales, de l'aporie qui s'y cache.
Des touches impressionnistes donnent à cette équipe de France new look un contour dont on n'osait rêver depuis dix saisons. Si je devais n'en choisir qu'une, ce serait l'attention de Karim Ghezal, adjoint à la touche, montrant aux sélectionnés à travers une petite vidéo les qualités techniques qu'il apprécie chez eux quand, auparavant, les images ne servaient qu'à vilipender les fautifs et souligner les errements. Même si la conquête dans l'alignement n'est pas pour l'instant le point fort des Tricolores, il n'y a rien d'étonnant à qu'ils se sentent bien dans ce cocon.
Pour le jeune auteur en herbe que j'étais en 1984, constater que la salle de briefing de Marcoussis est décorée par les plus belles photos du French Flair, en particulier celle, iconique, d'André Boniface perçant en 1965 la défense galloise ballon collé sur la poitrine et col relevé touche une fibre sensible. De même qu'associer contre l'Angleterre au centre Gaël Fickou et Virimi Vakatawa. Ce choix ne réanime plus la très lassante querelle des physico-tactiques tant ces purs sangs défendirent comme les portes de Fort Knox pour faire mentir les tenants de la complémentarité.
Elle mène désormais au classement mais ce n'est pas pour cette raison qu'on la regarde avec les yeux de Chimène, cette équipe de France version Galthié. Contrairement à la rencontre inaugurale face à l'Angleterre, ban d'essai passé avec succès, l'accueil fait aux Italiens à Saint-Denis sentait le basilic plus que l'embrocation. L'Eole buissonnier avait rapidement éparpillé les Transalpins, ramenés à la frontière qui sépare les nations majeures des sparring-partners, et ce malgré quelques fiers sursauts.
Il faut croire, ainsi déséquilibré, que le Tournoi se trouve à l'étroit entre six nations seulement. La preuve, il envisage de s'élargir vers le Japon, l'Afrique du Sud et, pourquoi pas, les Fidji. L'idée germe autant pour des raisons économiques, financières, médiatiques que sportives. De quoi s'en émouvoir. Mais pour relativiser, il suffit d'imaginer ce que représenta il y a un peu plus d'un siècle pour les nations celtes et anglo-saxonnes l'irruption de la France dans leur Championship disputé entre gentlemen de bonnes familles; puis l'Italie en 2000.
Initiée par Agustin Pichot et prolongée par Bernard Laporte dans les hautes sphères de World Rugby, une révolution s'est mise en marche. Elle concerne à court terme le calendrier mondial enfin unifié - le rêve de Serge Blanco depuis 1998 -, mais aussi la création d'une Coupe du monde des clubs et d'un championnat des nations, ainsi que le relèvement des nations du Tier 2 exclues des grandes compétitions lucratives.
Depuis sa création supposée en 1823 dans une université du Warwickshire, le jeu de Rugby n'a cessé de faire évoluer ses règles, sa composition d'équipe, ses compétitions et son administration plus qu'aucun autre sport au monde. Mais, telle une courbe exponentielle, cette tendance s'accroit depuis 1995, quand furent généreusement distribués aux trois grandes nations du Sud les dollars du media mogul Rupert Murdoch, celui-là même qui a mis son pouvoir dans la balance pour faire élire Donald Trump à la présidence des Etats-Unis.
Ainsi, avant de tomber dans une impasse, il est plus qu'urgent, comme tend à l'instiller Fabien Galthié dans son discours aux joueurs comme aux médias, de citer aussi fort qu'il est possible Baruch Spinoza (1632-1677). Dans Ethique, ce philosophe écrit : "Ce n'est pas parce que nous jugeons qu'une chose est bonne que nous la désirons, mais c'est parce que nous la désirons que nous la jugeons bonne," nous obligeant à évider nos vérités, pas seulement ovales, de l'aporie qui s'y cache.
dimanche 2 février 2020
Naître au Crunch
Cette ouverture si crainte a tenu toutes ses promesses. Il est dit que les préludes contiennent de l'opéra l'ensemble des thèmes qui seront développés ensuite, acte après acte. Avec une défense hermétique, de l'allant offensif et une confiance reconstituée, le XV de France version Galthié dispose donc d'une riche (ré)partition. Dans ces lignes bleues, nous avons particulièrement apprécié les appuis de Dupont, l'aisance de Rattez, la sérénité de Bouthier, la justesse de Ntamack derrière un pack compact où rayonnèrent Ollivon, Le Roux, Cros et Alldritt.
Franchement, sauf à être devin extralucide, personne n'attendait cette équipe de France nouvelle génération constituée si rapidement à un tel niveau de maîtrise dès l'entame du Tournoi face à un adversaire de ce calibre. Maîtrise de soi, du ballon, de l'adversaire et du score, ainsi que le signalait, il y a quelques temps, Richard Astre, l'ancien chef de l'orchestre rouge et bleu précisant alors sur quel socle se construisaient les nombreux succès biterrois.
Jamais avare d'une saillie susceptible d'enflammer les débats, Eddie Jones, pour sa part, annonçait une boucherie ovale, mais la première goutte de sang fut versée par Courtney Lawes, son troisième-ligne côté fermé. Flingueur, le coach de la Rose promettait du brutal et, ironie, ce sont ses joueurs qui subirent une loi physique qu'ils n'attendaient pas aussi virulente. Mais réduire le rugby à des coups de casques dans les côtelettes n'avance pas à grand chose.
Visiblement euphoriques, les Tricolores du capitaine Charles Ollivon ont éteint les finalistes du dernier Mondial, jusque là références de l'hémisphère nord en termes de préparation et de réalisation, et ce n'est pas un moindre exploit. Si les moins de vingt ans et les femmes sont tombés sur plus forts qu'eux, le XV de France, galvanisé, a montré qu'une nouvelle génération méritait qu'on lui fasse pleinement confiance.
Rarement mis ainsi sous pression, coupables d'en-avants à la limite du ridicule, enfermés dans une tactique frontale sensée éprouver la défense française dans la zone de Romain Ntamack identifié à tort comme le maillon faible, les Anglais furent bien pâles dans leur maillot blanc, voire transparents. Quand l'équipe de France avait déjà inscrit trois essais, ils étaient toujours bloqués à zéro point au tableau d'affichage. Ce qui était déjà une victoire !
Un vrai capitaine avec assez de sensibilité pour parler au coup de sifflet final de ses coéquipiers qui sont aussi visiblement ses copains ; une force mentale enfin solidifiée et assez dense pour éviter de perdre l'immanquable dans le dernier quart d'heure comme ce fut malheureusement trop souvent le cas : un trait a été tiré sur le passé, un trait bleu que souligne ce Crunch victorieux, ces 24 points inscrits tandis que le tableau anglais est resté vierge pendant presque une heure. Vraiment, une équipe est née.
Le mental, clé du succès, et l'exemple nous fut une fois de plus donné à Miami chez nos cousins ovale lors du money time du 54ème Super Bowl entre San Francisco et les Kansas City (Donald, ils sont installés dans le Missouri). Intercepté, secoué, saqué, Patrick Mahomes, le quaterback des Chiefs, trouva assez de ressources pour imposer son génie en toute fin de partie et renverser les 49ers qui se voyaient déjà avec une totale absence d'humilité célébrer avec dix points d'avance leur succès alors qu'il restait un quart temps à jouer. "J'ai continué à me battre", lâchera dans la foulée ce héros de la remontée. Quel que soit le sport, les vertus qui signent les succès sont immarcescibles.
Franchement, sauf à être devin extralucide, personne n'attendait cette équipe de France nouvelle génération constituée si rapidement à un tel niveau de maîtrise dès l'entame du Tournoi face à un adversaire de ce calibre. Maîtrise de soi, du ballon, de l'adversaire et du score, ainsi que le signalait, il y a quelques temps, Richard Astre, l'ancien chef de l'orchestre rouge et bleu précisant alors sur quel socle se construisaient les nombreux succès biterrois.
Jamais avare d'une saillie susceptible d'enflammer les débats, Eddie Jones, pour sa part, annonçait une boucherie ovale, mais la première goutte de sang fut versée par Courtney Lawes, son troisième-ligne côté fermé. Flingueur, le coach de la Rose promettait du brutal et, ironie, ce sont ses joueurs qui subirent une loi physique qu'ils n'attendaient pas aussi virulente. Mais réduire le rugby à des coups de casques dans les côtelettes n'avance pas à grand chose.
Visiblement euphoriques, les Tricolores du capitaine Charles Ollivon ont éteint les finalistes du dernier Mondial, jusque là références de l'hémisphère nord en termes de préparation et de réalisation, et ce n'est pas un moindre exploit. Si les moins de vingt ans et les femmes sont tombés sur plus forts qu'eux, le XV de France, galvanisé, a montré qu'une nouvelle génération méritait qu'on lui fasse pleinement confiance.
Rarement mis ainsi sous pression, coupables d'en-avants à la limite du ridicule, enfermés dans une tactique frontale sensée éprouver la défense française dans la zone de Romain Ntamack identifié à tort comme le maillon faible, les Anglais furent bien pâles dans leur maillot blanc, voire transparents. Quand l'équipe de France avait déjà inscrit trois essais, ils étaient toujours bloqués à zéro point au tableau d'affichage. Ce qui était déjà une victoire !
Un vrai capitaine avec assez de sensibilité pour parler au coup de sifflet final de ses coéquipiers qui sont aussi visiblement ses copains ; une force mentale enfin solidifiée et assez dense pour éviter de perdre l'immanquable dans le dernier quart d'heure comme ce fut malheureusement trop souvent le cas : un trait a été tiré sur le passé, un trait bleu que souligne ce Crunch victorieux, ces 24 points inscrits tandis que le tableau anglais est resté vierge pendant presque une heure. Vraiment, une équipe est née.
Le mental, clé du succès, et l'exemple nous fut une fois de plus donné à Miami chez nos cousins ovale lors du money time du 54ème Super Bowl entre San Francisco et les Kansas City (Donald, ils sont installés dans le Missouri). Intercepté, secoué, saqué, Patrick Mahomes, le quaterback des Chiefs, trouva assez de ressources pour imposer son génie en toute fin de partie et renverser les 49ers qui se voyaient déjà avec une totale absence d'humilité célébrer avec dix points d'avance leur succès alors qu'il restait un quart temps à jouer. "J'ai continué à me battre", lâchera dans la foulée ce héros de la remontée. Quel que soit le sport, les vertus qui signent les succès sont immarcescibles.