Maillon d'une chaîne qui va de Claude Labatut à Ugo Mola, Guy Novès - inspirateur d'une quinzaine d'entraîneurs actuels dont Castel, Sonnes, Ch. Labit, Garbajosa, Ph. Carbonneau, Bouilhou, Servat, Bru, Elissalde et Deylaud - vient d'annoncer sa retraite définitive des bords du terrain. Sélectionneur en chef du XV de France, il m'avait touché, à l'époque de sa nomination, par son rapport charnel et fortement symbolique au maillot tricolore qu'il envisageait comme une second peau.
Je n'ai pour ma part connu que les mailles de coton qui déclenchaient au toucher un sentiment d'appartenance et pesaient en hiver sous la pluie et dans la boue leur poids d'engagement. Aujourd'hui, le staff de l'équipe nationale constitué autour d'une nouvelle génération d'internationaux de haute volée - Ibanez, Servat, Galthié - cherche une étoile à laquelle accrocher sa charrue dans le tapis synthétique de Marcoussis, préférant délocaliser au soleil niçois la préparation du prochain France-Angleterre (2 février, 16 heures) plutôt que de subir les frimas de l'Essonne à sa porte.
Durant le tour d'en France que les dépositaires du jeu tricolore ont effectué ces dernières semaines au chevet des postulants dont le nombre - élevé - trahit une grande attente, les questions étaient nombreuses. En particulier celle, essentielle, que je n'ai jamais manqué de poser au cours de mes reportages : "Pourquoi joues-tu au rugby ?"
Tout le monde n'a pas, comme Jean-Pierre Rives, le sens aigu de répartie. Lui me répondit : "Ce n'est peut-être pas le pourquoi mais le "pour qui". Pour qui, c'est-à-dire pour les autres. Et les autres t'apporteront beaucoup si tu sais recevoir. Parce qu'ils te donneront davantage que ce que tu peux offrir." A l'heure où s'amoncèlent les cadeaux au pied du sapin, où l'on ne sait plus quoi offrir à force d'avoir fêté chaque année au même moment la même chose, joyeuse au naturel ou par nécessité, savoir accueillir s'impose.
Aucun joueur n'est plus important que le jeu. Mais il y en a qui sont plus égaux que d'autres, quand même. Jean-Pierre Rives en fait partie. "Quand on aime ce jeu, on n'attend qu'une chose : jouer en équipe de France, assure-t-il. Ce n'est pas pour se vanter, claironner qu'on est le meilleur, c'est pour défendre quelque chose. Je ne parle pas de défendre le pays mais de défendre l'idée qu'on se fait d'une équipe au plus haut niveau."
Le plus fameux blond d'Ovalie l'avoue volontiers : "Mon truc, c'est le maillot. La performance, le match, qu'il soit réussi ou pas, c'est une autre chose. Mais le maillot de l'équipe de France est fait d'un bout de tous les maillots. Il incarne un esprit. Il nous parle, nous ramène à l'attitude. Quand tu portes le maillot de l'équipe de France, tu représentes tous les petits clubs, tous les gens qui bataillent dans l'anonymat pour que le rugby existe partout."
Dans le tissu singulier de songes, d'anecdotes et de révélations écrit récemment (Glénat, août 2019) par mes copains, anciens coéquipiers et collègues Bruno Kauffmann et Julien Schramm sous le titre Première Cape, se livrent entre autres Mias et Dusautoir, Mesnel et Maso, Jauzion et Gallion dans ce registre épidermique où s'inscrit fierté, honneur, joie et sacrifice, sentiments sans artifices qu'il faudrait transmettre voire offrir à ceux qui porteront bientôt, non pas une pintade comme ce fut malheureusement trop souvent le cas ces dernières années, mais un coq sur la poitrine.
Vous de partout qui levez les yeux vers le ciel avec foi ou anxiété, ou préférez les sources horizontales d'altérité, recevez mes vœux les plus ovales pour la nouvelle année avant une trêve méritée. Mes chroniques reprendront mi-janvier mais d'ici là envisageons 2020 en grand cru généreux, avec de la jambe et du bouquet.