Il ne faut pas désespérer Billancourt mais quand même. Je gage que si, en fait : il ne faut pas hésiter à porter le fer dans la plaie, comme nous y encourage Albert Londres de retour d'un reportage à Cayenne. J'ai hésité à reprendre le fil de mon blog après la lourde défaite face aux Springboks. Lourde parce qu'en supériorité numérique, il n'est pas concevable de s'effondrer ainsi. Je veux bien croire que les internationaux français sont en reprise de saison et pas vraiment rodés, et que les Boks ont déjà un Rugby Championship derrière eux et jouent en affinage, mais se faire humilier de cette façon n'est pas un signal fort alors même que Fabien Galthié fait passer le message d'un jeu tricolore régénéré, amélioré, bonifié, et validé.
Récemment - tout est relatif - les scientifiques ont observé une planète qui dérivait dans le vide intersidéral. Elle est bleue. J'ai attendu avant de l'identifier. Mais après la triste victoire en trompe l'œil du XV de France face à des Fidjiens qui sont juste capables de convoquer leurs émigrés du Top 14 et du Premiership pour constituer une sélection de briques et de broc pour des tests de novembre qui les concernent si peu, j'ai repris le chemin du clavier. Certes, je me suis éloigné de la tribune de presse après quarante et une saisons passées à exercer ma coupable industrie, et le plumitif que j'étais est devenu un spectateur moins assidu. Mon envie aléatoire s'est renforcée après avoir subi ce France-Fidji sans queue ni tête, un test de poulets décapités dont l'analyse pourrait facilement tourner au comique.
Les Boks, fidèles à leur ADN, disposent désormais d'une ligne de trois-quarts galopante et inspirée, ainsi que d'une charnière tranchante qui fait dire à la référence de notre profession, le doyen Henri Garcia, qu'il n'a de toute sa carrière - et il commencé à Combat au sortir de la Deuxième Guerre mondiale - pas vu jouer un ouvreur de la qualité de Sacha Feinberg-Mngomezulu. Certes, mais leur banc est d'une qualité jamais atteinte à ce niveau de la compétition, et on pourrait s'interroger sur qui est titulaire et qui est remplaçant. C'est avec cette profondeur qu'ils sont parvenus à nous dépasser pour finir par s'imposer sur un large score.
Mais que les Fidjiens soient à égalité au planchot avec ce XV de France bien pâle à l'attaque de la seconde période a de quoi vraiment inquiéter. La flèche du temps s'est perdue dans les ronces et il ne reste plus qu'à affronter l'Australie pour sauver les apparences. Passes en touche, ballons égarés, structure de jeu difficile à capter : heureusement, quelques éclairs vinrent donner un peu de relief à ce remugle, sans pour autant parvenir à nous rassurer, et je ne parle pas là de nous enchanter : nous sommes loin du compte. A deux ans de la prochaine Coupe du monde, moment tant voire trop attendu, la mystification n'est plus de mise. Ce XV de France est au plus bas, sans idée, indiscipliné, sans élan, privé de dynamique. Il se repose sur quelques individualités - Thomas Ramos face aux Boks, Charles Ollivon devant les Fidjiens si peu Flying - pour masquer une faillite collective.
Heureusement que World Rugby ne s'intéresse pas aux nations du Pacifique, par ailleurs menacées par la montée des eaux, au point de ne pas forcer de nations majeures à partir en tournées dans ces îles lointaines tout en évitant de se demander si les clubs français et anglais qui recrutent leurs pépites sans discontinuer ne favorisent pas un appauvrissement des ressources locales, sinon ce XV de France de faible amplitude aurait plongé de honte à Bordeaux dans le gouffre que connurent ceux de 2018 à Saint-Denis, c'est-à-dire une défaite pour le moins embarrassante. Mais il faut espérer : on se souvient qu'en 2010, les Tricolores de Thierry Dusautoir avaient pris une raclée mémorable face à l'Australie au Stade de France avant d'accéder au forceps à la finale dans un Eden Park d'Auckland qui n'en menait pas large...
Souhaitons que les coéquipiers de Grégory Alldritt réitèrent cet exploit, et qu'importe là aussi le contexte : s'il faut un jacquerie et mettre Fabien Galthié de côté pour mieux se fédérer, qu'il en soit ainsi. Il lui sera aisé, comme son prédécesseur, de feindre d'avoir été l'organisateur d'événements qui le dépassaient. Ainsi va le sport, jamais avare de rebonds. Je cite Alldritt à dessein, capitaine par intérim, tout comme Gaël Fickou - que les percées de Pierre-Louis Barassi et Nicolas Depoortère ont fait vieillir d'un seul coup - parce que ce XV de France manque d'un leader. Dans le jeu, il a la chance de compter sur un compétiteur de la trempe de Thomas Ramos, râleur impénitent mais joueur de grande classe. Mais comme garant, il lui manque un vrai patron, une figure emblématique, un fédérateur. J'irai jusqu'à dire un totem. Ce que fut Lucien Mias à son époque, lointaine.
Instituteur, ce Catalan mit un terme à sa carrière rugbystique pour se consacrer aux études de médecine et devenir un gériatre de génie. Dans ces années 50 du siècle dernier, il mena ensuite de front le rugby et sa profession. Le XV de France lui doit sa première page d'histoire, en 1958, sur le sol sud-africain. Nous aimerions tant que 2027, en Australie, soit ainsi l'occasion pour les Tricolores d'entrer dans la légende en ramenant le trophée Webb Ellis du côté de Menton. Le 26 novembre, réuni au Sénat, le jury du prix La Biblioteca décernera un Brennus symbolique à l'auteur du meilleur ouvrage de rugby de l'année 2025. Là aussi, l'inspiration fait foi.
