vendredi 15 août 2025

Point final,


Après quarante années de loyaux services - selon l'expression consacrée - et en espérant que les lecteurs de L'Equipe les ont trouvés à leur goût, voilà venue l'heure de tourner une page. Sans pincement ni nostalgie. Rejeton d'une poétesse et d'un trois-quarts centre qui lièrent leurs cœurs à Ribérac, en Dordogne, avant de s'unir à La Rochelle, rien ne m'est apparu plus normal, lorsqu'il me fallut élire une profession, que d'écrire sur le rugby. Et quel meilleur support que L'Equipe, même s'il me faut avouer que c'est au Midi-Olympique que j'ai envoyé ma première candidature spontanée.
Avant cela, - nous sommes en 1984 - , le magazine de la FFR et Drop-International, mensuel créé par Robert Paparemborde et Pierre Salviac, m'avaient permis d'aiguiser mon appétit pour le reportage. Car une vie n'est faite que de rencontres. Si Jacques Rivière, coéquipier des années universitaires à Poitiers, n'avait pas accepté de corédiger "Rugby au Centre" un an plus tôt, jamais je n'aurais eu assez d'arguments pour postuler avec succès rue du Faubourg-Montmartre, fort de la préface d'un ténor d'Ovalie, Christian Montaignac, qui fut longtemps ma référence et mon mentor en matière plumitive.
La liste bien fournie des collègues et confrères dont la bienveillance m'accompagna quatre décennies durant ne saurait entrer toute entière dans cette chronique. J'aurais trop peur d'en oublier. Ils se reconnaîtront tant nous avons pris le temps - et encore aujourd'hui - d'échanger, et pas seulement sur le thème du sport. Quant aux autres, le temps agit comme un baume et maintenant que je quitte mon office, rien ni personne ne saurait abaisser mes pensées. Le meilleur l'emporte toujours, comme le rire sur le pire.
Quand j'ai franchi pour la première fois le porche, L'Equipe était ancrée à une portée de drop des Grands Boulevards. J'allais au cinéma entre midi et deux, nous partagions des anecdotes et des idées de reportage dans les cafés alentour, debout devant le zinc, et restions dîner tard chez Chartier entre copains de bureau qui repoussent le moment de s'éloigner. Pas de planning pour nous obliger à pointer, si ce n'est deux fois par mois l'obligation pour les dix derniers entrants de trier les dépêches d'agences entre vingt heures et minuit (au plus tôt) en compagnie de l'ineffable Christian, joueur invétéré, couche tard et mémoire du journal. C'est pourquoi nous attendions avec intérêt la relève, qui nous permettrait de quitter cette liste de corvéables.
N'entraient à la rubrique rugby que des journalistes ayant pratiqué ce jeu, mal pour la plupart (c'est mon cas), mais assez pour en maîtriser les arcanes et en connaître les acteurs. La balle ovale rebondissait partout au point que L'Equipe était capable d'aligner vingt-cinq journalistes, deux fois par mois sur le terrain annexe de Colombes à la discrétion du Racing-Club de France, pour constituer une équipe, remplaçants inclus. Le CASG nous permis d'affronter à Jean-Bouin (l'ancienne enceinte) le XV de France de la Pub (un peu pompeux) et le XV parlementaire, rencontre de gala parrainée par Jacques Chaban-Delmas, qui n'avait pas oublié le journaliste qu'il fut entre 1933 et 1938. Nous sortîmes victorieux de ces deux défis.
La suite ? Issy-les-Moulineaux, un local dont l'extérieur avait le charme de la piscine municipale de Fleury-Mérogis mais sur le parking duquel la direction organisa une soirée concerts mémorable à l'été 1993, L'Equipe fournissant cinq orchestres (New Orleans, blues, rock, folk, jazz) jusqu'au petit matin. Puis l'Angle, inadapté à notre métier mais là encore, la rédaction parvint à s'adapter pour surmonter ce handicap. Et enfin le bâtiment jaune incognito situé boulevard de la République, au front duquel ne se détache pas de logo.
J'ai gardé en mémoire le moment où j'ai été reçu, comme mes prédécesseurs et ceux de ma génération, par M. Jacques Goddet, assis derrière son impressionnant bureau de bois Amarello jaune éclatant, véritable œuvre d'art, pour me souhaiter la bienvenue et, au fil de son monologue, faire de mon recrutement un engagement auquel j'ai tenté de rester fidèle quarante ans durant. Ah, que j'ai aimé écrire sur le rugby ! Le jeu, certes, si complexe qu'il ne s'offre pas facilement à la compréhension universelle - encore un coup des Anglais. Mais surtout ceux qui composent une rencontre, à savoir les joueurs, mais aussi les entraîneurs, les dirigeants et les bénévoles. 
Mon meilleur souvenir ? Comme les compagnons de reportage, ils sont trop nombreux pour qu'un seul sorte du lot. Le Masters toulousain en décembre 1986, l'Ellis Park de 1995, le quart de finale de Cardiff en 2007. Le pire ? L'Eden Park en 2011, à coup sûr. Pour de multiples raisons. Et plus récemment l'été 2024. Mais ce sont les rencontres qui l'emportent, devenues pour certaines - rares mais riches - des amitiés pour la vie, que les vicissitudes n'altèrent pas. 
Vous serez surpris d'apprendre que j'ai une tendresse particulière pour un compte-rendu de match entre Graulhet et Béziers, 0-0 dans la boue d'hiver de Pélissou au début des années 90 du siècle dernier, qu'il me fallut enluminer sous le faible éclairage d'un lampadaire, inconfortablement assis dans ma voiture de location, pour alimenter la tête de page de la séquence rugby, à l'époque où le journal était fier de son grand format. Mais, aux premières heures de l'informatique, il fallait transmettre son article en coinçant tant bien que mal des bonnettes sur le combiné d'une cabine téléphonique.
Je raccroche les crayons, direction le Costa Rica plutôt que de subir l'hiver d'ici. Le castillan préfère parler de "jubilation" alors que nous évoquons une "retraite". Faut-il la prendre au sens spirituel du terme ? Me voilà devenu "El Jubilator" ! Et si d'aventure vous êtes tentés par la French Riviera au printemps et à l'automne, nous nous croiserons peut-être. La vie a parfois quelques rebonds remarquables. Comme avec le ballon ovale qui est notre trait d'union, il ne faut pas trop attendre avant de s'en saisir. 

28 commentaires:

  1. En tant que voisin, je tenais a t’adresser un mot tout particulier en ce jour symbolique de ton départ à la retraite. Après une belle carrière de journaliste et chroniqueur à L’Équipe, te voilà à l’aube d’une nouvelle aventure — plus tranquille, mais, je l’espère, tout aussi riche.
    Je te souhaite une retraite épanouissante, remplie de bons moments, de découvertes, de repos bien mérité... et peut-être de quelques articles écrits juste pour le plaisir ?
    Au plaisir de continuer à te croiser dans le voisinage, cette fois sans le rythme des bouclages !
    Très chaleureusement,

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    1. Venant d'un sportif comme toi, toujours affuté, solide comme un roc, le commentaire touche. Alors oui, pour le plaisir de chroniquer ici. Quant à se croiser, plus que jamais.

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  2. Cher richard , il ne faut pas confondre retraite et retraité ....la retraite c'est arrêter un travail après des années ; mais c''est aussi s'ouvrir devant d'autres travaux qui je sais t'attendent , être retraité , c'est mourir à petit feu ...et je sais que le travail ne t'a jamais fait peur et que tu continuera sous d'autres cieux a faire marcher tes neurones ; tu as le rugby dans la peau et il est très difficile de s'enlever sa peau ....alors je ne sais sous quelles formes et sous quels cieux , mais tu respirera encore rugby avec tes amis ....
    Nous en parlons de temps en temps et si je fais encore des remplacements a 74 ans , c'est que je ne peux me résoudre a devenir retraité .....
    Profite de ces matins à venir où tu n'es plus obligé de boire le café a une heure précise .....

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  3. Merci pour tout Richard !
    Bonne retraite, mais n’oublie pas d’écrire pour prolonger le plaisir
    Bises

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    1. Et sans aucun doute se retrouver au Rugby Club pour le plaisir d'échanger.

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    2. Et dans le sud !
      Je suis souvent dans le var…

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  4. Cher Richard, je pense qu'une danse du Limousin s'impose... Allez, je commence: Et nous allons danser - la danse du Limousin 🎶🎵 Et nous allons danser...la danse du Li-mou-sin 🎺🎺🥁🎷

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    1. Oui, oui, bien sûr : Et savez-vous ce qu'elle dit, la danse du Limousin ?

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  5. À quelques années près, nous avons eu la chance de suivre et vivre ces quatre décennies, depuis le fameux quadruple concert sur le parking d'Issy les Moulineaux, au triste et complexe été 2024.
    Et, sans l'ombre d'un doute cela va continuer.

    Bienvenue dans une vie où tu pourras passer du temps avec les tiens, voyager, écrire, encore et toujours, sur le rugby ou autre.
    Quand on aime écrire et que l'on aime le rugby , rien ne peut réellement s'arrêter.

    Bienvenue dans une vie faite de nouvelles rencontres et de nouvelles histoires à raconter.

    Bises

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    1. Rendez-vous dans le Perche, invitation bien tendue et parfaitement reçue !

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  6. Le problème n'est pas d'être "retraité" qui fait qu'on pourrait être disons nostalgique de ce qu'on a pu faire, être notamment professionnellement.
    Juste que ça rappelles que t'en as au moins 60, plus maintenant pour la retraite, et que là-dessus t'y reviendra pas de la même manière quand t'as mis fin à ta carrière sportive si tu en as eu une.
    Comme il n'est (pour moi) aucunement question de vouloir m'inquiéter sur quoi m'occuper, sur quoi encore travailler. Je fais au gré de ce qu j'ai envie de faire, surtout pas m'imposer de vouloir faire quelque chose parce qu'il le faudrait pour être toujours bien dans sa peau, pour être dans lae bon ordre des choses.
    Je bénévole souvent 2 fois par semaine dans un café associatif essentiellement parce que j'aime cuisiner, que ça me détend,vet pour rencontrer d'autres personnes.
    Et si je dois regarder le temps passer je ne m'en prive surtout pas, aussi pour regarder les gens qui passent...
    Dans ta situation, Richard, bien sur que tu ne peux pas mettre au placard l'envie d'écrire et le projet d'un livre qui peut toujours rester là tant que c'est dans ton cerveau.
    Et le café tu peux le boire tôt justement pour prendre le temps de regarder le temps qui passe, ou le soir rhum/whisky cigare, ou les 2 a la fois.
    Allez t'as aussi le Costa Rica, j'ai le Côte Rôtie, le flacon n'est pas le même mais il envoie le même message dans la bouteille à la mer,
    Profite et surtout RESPIRE...

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    1. Je compte me mettre au yoga sur la plage de Puerto Viejo, face aux vagues des Caraibes et à l'ombre des palmiers.

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  7. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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  8. Et si un de ces jours au hasard d’un passage en Ariege te prenait l’envie d’affronter un piètre golfeur,juste un coup de fil comme celui que je n’oublierai jamais,d’un triste jour de mon existence, et pourra tout mélanger le rugby ,les amis,la bouffe ,la vie quoi !!!J’ai toujours continué à lire le blog mais c’était devenu trop intellectuel et compliqué pour moi,mon rugby c’est plus simple des cris des gros mots,pas de ceux que je devais aller voir sur le dico,bien sûr des arbitres qui n’y comprennent rien, qui nous en…farinent .Mais on a certainement aimé de la même manière ce sport qui nous a cabossé ,mais qui nous a donné une famille.Que vaya bien amigo,un abrazo

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    1. Emotion que tout cela, Michel. D'ailleurs, il n'y a que cela qui vaille. Je me souviens d'un directeur de la rédaction de L'Equipe me précisant que si je voulais continuer à faire carrière et à rejoindre la redchef, il ma faudrait réagir davantage avec mon cerveau qu'avec mes tripes. Mais on ne se change pas, ou alors on se prostitue pour un galon de plus. Il n'avait pas compris que c'est avec le coeur que je fonctionne. Le coeur et mon intuition. Lui a quitté L'Equipe, j'y suis resté.
      On se dit à bientôt, Michel. De quel côté ? Foix ?

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  9. Ritchie, Faudrait-il te donner une leçon de ponctuation ? Il ne s’agit pas de mettre les points sur les « i », ni d’en coller un, et puis d’aller à la ligne. Encore que, écrivant ce dernier mot, nous frôlons déjà les règles anglaises complexes – tu le soulignes – de ce sport de gentlemen-voyous et/ou l’inverse qui dessine ta vie. Je me contenterai de te dire que je récuse catégoriquement l’expression « point final ». D’ailleurs, tu n’y crois pas et tu nous provoques avec ce coup de frein à main d’une énergique main droite tandis que ça roule encore peinard. Point final... On croit rêver. Tout au plus y a-t-il un point-virgule, le rare et précieux, délaissé et subtil point-virgule dissimulé sous le tapis volant de ton titre, le point-virgule qui lie plus qu’il ne sépare, et fait parfois figure d’arbitre débordé mais retrouvant les gestes et le sifflet de son autorité au centre d’une phrase – ton autre terrain de jeu. Non. Foin de tout ça. Il s’agit d’une simple, d’une modeste, d’une évidente, d’une courante virgule que je veux, que nous devons lire en ton titre. Rien de provisoire, non, mieux : que du courant comme le flot d’un torrent. Ça continue de couler mon grand, et nous découlons, nous découlerons jusqu'à la lie et l'hallali, la la lère. Autrement dit, je suis heureux de jouer le « SR » (secrétaire de rédaction) l’espace d’un instant en changeant le titre de ton billet comme m’y oblige la charte. Donc : « Richard Escot, VIRGULE ». C’est le titre, ajouterait Cyrano. Amitiés, Léon

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    1. Ah, Léon, quel talent que le tien ! Magnifique commentaire chroniqué. Merci pour cette magnifique passe en profondeur. Whaou. On va se voir, donc, au pays basque, partager quelques cigares et liqueurs. A très vite.
      Merci, j'ai amélioré le titre.

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  10. Clin d’oeil, hasard ou coïncidence, à peine avais-je lu cette chronique que je recevais une vidéo de mon petit-fils faisant ses tous premiers pas de petit d’homme.
    Début, fin, continuité. Que sais-je…ça se bouscule cet été!
    Ne vous reste plus qu’à trouver où les porter, vos pas.
    Moi, en tous cas, avec mon âme de petit-fils, je continuerai volontiers à règler mon pas sur le pas de notre grand Pair, Ritchie.
    Beso.

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  11. Bonjour Richard,
    Tu croyais pas que tu allais t'en tirer comme ça, sans que je mette mon grain de sel?🤣
    J'ai l'impression que tu pars au bon moment car après la révolution internet, nous entrons dans l'ère de la mystification et des faux semblants grâce ou à cause de l'IA.
    Je ne sais pas ce que ça donnera dans ton métier car ça progresse beaucoup.
    A mon niveau ça reste étonnant et pourquoi pas utile ou amusant.
    L'IA aura beaucoup de mal à reproduire mes commentaires trop longs où l'on s'y perd.

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  12. Ainsi, si je lui formule la requête suivante :
    "Je voudrais répondre par un texte très court à cette chronique qu'a écrite Richard ai moment de partir à la retraite.
    https://coteouvert.blogspot.com/2025/08/point-final.html"
    Moins de 3s plus tard j'obtiens :

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  13. Bravo Richard pour cette belle traversée et merci pour toutes ces années de passion rugby partagée. Que la suite soit aussi vivante, inspirante et fidèle à ton cœur que tout ce que tu as écrit — la retraite n’est qu’une nouvelle aventure, pleine de rebonds. Bonne route, El Jubilator !

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  14. Et si je lui demande une autre proposition ça donne ça :

    Merci Richard pour ton regard unique et ton engagement passionné. Que cette nouvelle étape soit riche en découvertes, rencontres et plaisirs simples. Continue d’écrire, de rire et de vibrer — le ballon ovale n’a pas fini de rebondir !

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  15. Je lui demande un peu d'humour:
    Richard, attention : la retraite, c’est comme le rugby, ça peut rebondir partout ! Profite, écris, voyage… et n’oublie pas de mettre du spin dans tes journées. El Jubilator, prêt pour le temps additionnel !

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  16. Un peu caustique:
    Alors Richard, tu raccroches le stylo mais sûrement pas l’envie de refaire le match... Attention, la retraite, c’est le seul terrain où on finit toujours par prendre un carton jaune pour excès de café ou de sieste. On compte sur toi pour garder le sourire et l’esprit critique !

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  17. Attristé:
    Richard, ton départ laisse un vrai vide sur le terrain comme dans nos lectures. Difficulté à imaginer le rugby sans ta plume affûtée et ton regard passionné. Merci pour toutes ces belles pages partagées… Tu vas nous manquer.

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  18. Alors vous auriez dit sans doute "si court, si concis, sans aucun lien internet, ça ne ressemble pas à Letiophe"
    Sauf que si je fais une requête "je voudrais que ma réaction et réponse soit longue" ça le fait aussi et c'est tout aussi étonnant. Vous pourrez, pour les plus curieux.ses d'entre vous la teouver en toute fin de mon "historique de requête" qu'on peut découvrir dans le lien ci-dessous

    https://www.perplexity.ai/search/je-voudrais-repondre-par-un-te-hROH5dBbSs.FtqbEAu4iXA#0

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  19. Cher Richard, c’était hier, tu débarquais chez Gégé, dans nos vies, le temps d’une adaptation parisienne très rapide. Tu vibrais de passion, fougue, appétit de la vie, d’anecdotes plus passionnantes les unes que les autres, toujours avec panache.
    Et maintenant, à la conquête du Costa Rica ! Je t’embrasse Richard. Nathalie

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