dimanche 23 avril 2023

La rate au court-bouillon

Ce cliché vous évoque forcément quelque chose. Dans une fraction de seconde, Nigel Heslop va percuter de plein fouet Serge Blanco qui, protégé par Eric Champ, a réceptionné ce ballon tandis que Marc Cécillon se porte au soutien. Nous sommes en 1991 au Parc des Princes pour un quart de finale entre la France et l'Angleterre. Délibérément agressé, l'arrière tricolore tombera au sol : l'ouvreur remplaçant du XV d'Angleterre, Stuart Barnes, avouera quelques années plus tard que le staff de la Rose avait mis en place un plan "anti-Blanco". Quant au "Typhus de La Valette" récemment honoré dans le Hall of Fame du RCT, il décrochera à l'ailier anglais un uppercut à assommer un bœuf. 
Mais, finalement, c'est le XV de France qui finira pas s'incliner. Quelques jours avant ce choc, les joueurs - derrière leurs leaders Serge Blanco et Franck Mesnel - avaient menacé de faire grève s'ils ne recevaient pas sur le champ des émoluments à hauteur de ce que les Anglais et les Australiens avaient déjà, eux, négocié avec leurs fédérations respectives. La menace fit long feu : averti, le président de la FFR, Albert Ferrasse, armé de persuasion voire de dissuasion, se précipita à Enghien et mit fin à cette révolte en moins qu'un quart d'heure, précisant que ceux qui ne voulaient pas jouer seraient immédiatement remplacés. 
A cette époque, dans les couloirs de la FFR, cité d'Antin, la guerre de succession faisait grand bruit. Ferrasse se retirant des "affaires", les prétendants multipliaient alliances et trahisons. Jean Fabre avait été annoncé vainqueur par Bébert mais Guy Basquet œuvrait dans l'ombre. Robert Paparemborde aussi, tout comme Christian Carrère et Jacques Fouroux. Mais personne n'avait vu venir Bernard Lapasset, le poulain secret de Tonton, qui coiffa les concurrents sur le poteau dans un finish digne des Borgia. 
Le parallèle est saisissant. Alors que les Tricolores s'apprêtent à préparer une Coupe du monde qui se déroulera entièrement chez eux, devant leur public, dans leurs stades, les coulisses et les couloirs bruissent d'informations délétères à quelques semaines des élections partielles. A commencer par l'annonce de Serge Blanco et de Jean-Claude Skrela qui viennent de lâcher Florian Grill en rase campagne. 
Alexandre Martinez, actuel président par intérim, ne se représentera pas, à regrets ; Alain Doucet réfléchit à la meilleure façon de passer le cut et Patrick Buisson postule alors qu'il a déjà été recalé par les clubs, tout en bénéficiant du soutien de Florian Grill... Quant à Bernard Laporte, qui regarde en survêtement depuis son canapé les matches à la télé, il n'envisage rien de moins que de rejoindre le staff technique du XV de France. On passe du picaresque à l'ubuesque. 
Le rugby français ne tire aucun enseignement des leçons du passé. Il avance les yeux bandés dans un champ de mines, laissant à la chance le soin d'être son viatique. Je me demandais ce qui pourrait bien handicaper le XV de France durant ce Mondial 2023 : la pluie comme en 2003, l'arbitrage comme en 1995 et en 2011, une troisième mi-temps trop festive comme en 1987, une impréparation comme en 1999, des interférences - Guy Moquet et Nicolas Sarkozy - comme en 2007, un carton rouge comme en 2019, la gabegie modèle 2015 ? Non, pire, ce qui se prépare est un copié-collé de 1991 quand les dirigeants se déchiraient pour obtenir ou garder le pouvoir, laissant pendant ce temps-là le XV de France en roue libre. 
Sur cette photo, Serge Blanco est soutenu par Eric Champ, ce qui n'est plus le cas aujourd'hui. Le Varois, qui épaulait hier Florian Grill, a quitté le chantier. Cette photo prise il y a trente-deux ans, résonne fort aujourd'hui, placée - certes, de façon décalée mais c'est encore plus saisissant - dans l'actualité. Car entre dans le cadre Marc Cécillon. Et il nous faut lire l'ouvrage que Ludovic Ninet - ancien de Rugby Hebdo - a consacré à l'assassinat de Chantal par son époux, futur capitaine tricolore défendu par l'actuel garde des Sceaux et déjà légende vivante du côté de Bourgoin-Jallieu, pays de Frédéric Dard, père de San Antonio.

lundi 10 avril 2023

Jaune et rouge

L'actualité dominante n'incite pas à la franche rigolade en ce lundi de pack. Déréglé, le climat drague le mercure et promet sur les bords de la Manche des étés à cinquante degrés. Alors que l'Ukraine assaillie n'est finit pas de serrer sa défense, Taïwan est menacé d'invasion par ses frères chinois à l'horizon 2025. Pendant ce temps-là, les banques centrales remontent les taux d'intérêts ce qui a pour effet, entre autres, de casser le cycle financier, en témoignent les faillites d'une poignée de banques, dont le Crédit Suisse, série en cours... 

La course erratique du temps n'épargne pas le rugby. Aux chocs répétés dans le périmètre des rucks, aux plaquages désintégrants, aux gestes mal maîtrisés dans le feu de l'action, le directeur de jeu n'offre que sa bonne foi, épaulés d'assesseurs et d'arbitres vidéo, et dispose d'un arsenal qu'on jugeait naguère trop contraignant et qui semble aujourd'hui sinon dépassé du moins sujet inadapté à la violence conjoncturelle liée à l'engagement physique mis dans l'affrontement de colosses préparés à ce type de combat défensif. 

Ainsi a-t-on vu M. Brace, déjugé par ses instances après avoir décidé d'infliger un carton rouge à Zach Mercer, condamnant ainsi en grande partie Montpellier à la défaite en quarts de finale de la Coupe des champions, hésiter au moment de sanctionner un Saracens dont la victime, Will Skelton, sortait sur civière après avoir été percuté à la carotide. Au plus haut niveau, la cohérence arbitrale fait défaut et c'est d'autant plus criant que les images des accidents de jeu son diffusées sous tous les angles à de multiples reprises, faisant de chacun d'entre nous un censeur impuissant. 

Seraient envisagées - notez le conditionnel - de nouvelles armes dissuasives : le carton rouge décalé de quelques jours après visionnage vidéo intensif une fois le match terminé, et le carton orange qui permettrait au staff de remplacer le joueur fautif - lequel ne serait plus autorisé à revenir sur le terrain - au bout de vingt minutes. Tout cela pour éviter que déséquilibrer un match en distribuant un carton rouge. De quoi malheureusement compliquer davantage des situations qui le sont déjà par la nature complexe du rugby. 

Alambiquée, cette Coupe intercontinentale des champions a vu, en quarts de finale, le meilleur du rugby français prendre le dessus sur les élites anglaises et sud-africaines de manière spectaculaire. La désormais fameuse "attaque verticale" couplée à la précision du grattage au sol ont mis, le week-end dernier, Toulouse et La Rochelle sur orbite, et je ne vois que les Irlandais du Leinster pour éviter qu'une finale franco-française trouve refuge à l'Aviva Stadium avant de déborder sur Temple Bar pour une troisième mi-temps à la hauteur des deux premières. 

En attendant, après nous avoir nourris de derbies, le Top 14 remonte en scène. Ne restent plus désormais que quatre journées pour élire les six clubs qui disputeront la phase finale. Resserrés entre la cinquième et la huitième place, Bordeaux, Toulon, le Racing et Bayonne se tiennent en quatre points. Là aussi, frotter tension et pression comme deux silex ne peut déboucher que sur des étincelles qui risquent d'enflammer la toile à chaque décision d'arbitrage. Cette année, nous fêtons le cinquantième anniversaire de la disparition de Picasso. Si le peintre malaguène œuvrait en rose et en bleu, les traits du rugby, eux, sont aujourd'hui jaune et rouge.