mercredi 27 septembre 2017

Maison close

C'est passé inaperçu. Ou presque. Juste un faire-part de décès dans la presse une fois les portes fermées, les casiers vidés, les chambres closes. Comme si cette disparition était actée depuis longtemps. Bernard Laporte président depuis neuf mois, voici que disparaît le Pôle France. Et avec lui les Pôles Espoirs, anciens Sport Etudes, soit une certaine idée d'une tête bien faite dans un corps d'athlète, l'éducation au sens plein du terme. Exit donc de Marcoussis l'élite des jeunes, poussés dehors.

Il y a sûrement de bonnes raisons à ce que Marcatraz, comme la prison construite sur une île de la baie de San Francisco, soit laissé aux lierres et aux herbes folles, et je ne suis pas assez qualifié pour juger ici de leur bien fondé. Mais j'ai un lien particulier avec ce lieu. Marcoussis, c'est à quinze minutes de chez moi. J'y suis allé souvent. J'ai même assisté en 2002 au coup d'envoi du premier match, sous la pluie, un soir, entre deux sélections de je ne sais plus quoi sur le terrain d'honneur.

Deux ans plus tôt, j'avais effectué un voyage en Nouvelle-Zélande et découvert Palmerston North, qui était aux All Blacks ce que le domaine de Bellejame allait devenir pour les Tricolores : un laboratoire autant qu'une aire de jeux. Leur cœur de métier. Une première dans l'histoire ovale. D'autant que les techniciens néo-zélandais, Wayne Smith en tête, l'avaient adossé à l'université de Massey toute proche - une portée de drop -, spécialisée dans les études à distance de type CNED.

Désormais maire de Périgueux, Antoine Audi avait voulu le CNR de Linas-Marcoussis plus ambitieux que Palmerston North. Il y était parvenu. Dans tous les domaines. Hébergements - y compris de la FFR -, terrains, zones techniques... Les plans m'avaient franchement impressionné. Sans oublier la possibilité de rentabiliser les lieux en accueillant partenaires en séminaires et clubs en stages. Un outil sans pareil. Qui devait donner à termes au XV de France une avance sur la concurrence. 

C'était l'époque où florissaient sur le territoire les Sports Etudes, qui deviendraient ensuite Pôles Espoirs, et dont les lycées Lakanal et Jolimont, à Sceaux et Toulouse, étaient depuis longtemps les fleurons d'où sortirent de magnifiques générations de joueurs. Notre Ivy League de rugby. Ces jeunes diplômés prêts à évoluer dans l'élite étaient éduqués au rugby deleplacien, c'est-à-dire à l'intelligence en mouvement et ça ne datait pas de Marcoussis. Mais cet écrin avait pour mission de rassembler les meilleurs pendant un an, assurer leur suivi scolaire autant que sportif sur des bases élevées.

Et puis j'ai appris que ça avait fermé. En catimini. Que les clubs étaient plus équipés que la DTN, qu'on s'entraînait mieux dans les centres de formation du Top 14 qu'à Marcoussis, que ce système mis en place par Villepreux et Skrela était donc obsolète. Surtout, m'a dit Villepreux au téléphone la semaine passée, la DTN n'avait pas su franchir le cap en ne structurant pas une équipe de moins de dix-neuf ans engagée dans une compétition type Challenge Européen. Le basket avait su le faire. Le rugby, conservateur, n'y parviendra pas.

Le problème d'un outil, aussi magnifique soit-il, c'est qu'il faut savoir à quoi il sert, comment l'utiliser et si possible, le perfectionner une fois qu'on en a la maîtrise. Un outil, seul, ne fonctionne pas. Il est inerte. Petit à petit, il faut croire que Marcoussis est devenu un corps mort. Un outil demande à ce qu'on se pose en permanence la question du sens, de son sens. Pourquoi a-t-on créé un jour le CNR de Bellejame : pour construire l'avenir. Il y avait sans doute de bons ouvriers dans ce complexe de l'Essonne. Mais pas d'architecte.

Ah ça pour promouvoir une candidature et organiser une compétition mondiale - disons plutôt internationale, ce sera plus juste - pour s'en mettre plein les fouilles sans trop se creuser, briller sans éclairer, faire venir les enfants de Jonah défendre quelque chose auquel ils ne comprennent rien, se compromettre dans des affaires de gestion d'images et de fadettes, nous sommes champions, nous les Français. Heureusement, le ridicule ne tue pas sinon il faudrait faire candidater tous les ans de nouveaux dirigeants.

Déboule sans crier gare le jeune toulonnais Louis Carbonnel ! D'un trait de génie, Toulon l'emporte au Stade Français. Les clubs forment des talents, c'est indéniable. Même s'il s'agit d'un principe déjà dévoyé par quelques clubs, on attend des figures imposées aux JIFF qu'elles permettent de lancer des dizaines de ces petits Louis d'or. L'Espoir fait vivre... Mais si l'on prend Antoine Dupont et Baptiste Couilloud, pour ne citer que deux des meilleurs jeunes du Top 14, se rappeler que c'est à Marcoussis qu'ils ont appris le meilleur de leur rugby.

Last but not least, après avoir échangé avec les membres historiques de ce blog, le prochain Quinconces, troisième du nom, se tiendra à Treignac, en Corrèze, du vendredi 20 au dimanche 22 avril 2018. Le Gé, Sergio, Pimprenelle, Eric, Christian, Marc, Jan Lou, Lulure, Nini, Charles, Michel, Ritchie et Bernard sont partants.  Ca promet ! Vincent et Tautor devraient nous rejoindre en fonction de leurs impératifs familiaux. Mais nous sommes quarante inscrits sur le blog : alors quid de Al, Miguel, Graco, Dominique, Pierre, Philippe, Bruno, François, Fred, Jeff, Nico, Dagg, Denis et les autres ?

jeudi 21 septembre 2017

Cause nationale

L'époque est aux exercices techniques qui libèrent la gestuelle, ce rubato qui donne à l'interprétation d'une partition ovale son supplément d'âme. Il faudrait naître avec un ballon dans les mains plutôt qu'une barre de musculation sur les épaules. Quand on imagine nos Tricolores quatre semaines à Marcoussis pour parfaire leur condition physique, on frémit à l'idée des tests de novembre face à des adversaires qui pensent déplacement, mouvement, intervalle et VO2max.

En attendant de rejoindre Saint-Denis des frimas, exerçons nos facultés mentales pour ne pas tomber dans le maelstrom du buzz, piège à clics qui claque sur nos écrans. Vous l'avez remarqué, une information chasse très vite l'autre, et toutes sont présentées comme si elles étaient d'égale importance, malheureusement plus souvent proches du nul d'ailleurs. Difficile de s'extraire du remugle.

Nous y arrivons décalés, les All Blacks ont confirmé qu'ils évoluaient sur une autre planète ovale que la nôtre, que celle de tous les autres d'ailleurs, en transperçant les Springboks sur le score de 57-0. Je me demande encore ce qui m'impressionne le plus : les huit essais inscrits sur des mouvements tous plus fascinants ou l'incapacité des Sud-Africains à inscrire le moindre point, surclassés qu'ils ont été ?

Il y a plusieurs décennies de cela, en 1951, les Sud-Africains, avec dans leur pack de phénomènes comme Koch, Geffin et Muller, débarquèrent en Europe et se rendirent à Edimbourg. Norman Mair, ancien talonneur devenu chroniqueur pour The Scotsman, quotidien de référence vendu en kilt, m'a raconté l'anecdote il y a de cela quelques années. Je vous la livre telle quelle.

«Dès le coup de sifflet final, l'un des 65 000 spectateurs présents ce jour-là se précipite parmi les premiers hors du stade et fonce vers un taxi qui stationne non loin de la porte MacPherson. Le chauffeur, qui n'avait pas la radio demande quel est le résultat de la partie. Son client lui répond : "Nous avons encaissé quarante-quatre points mais nous pouvons nous estimer heureux..." Le chauffeur, surpris, demande : "Mais nous estimer heureux de quoi quand on prend quarante-quatre points ?" Le supporteur aura cette réponse extraordinaire : "We were lucky to get nil" (nous avons eu de la chance d'être à zéro)» , tellement ce XV au Chardon, écrasé huit essais à rien - un tremblement de terre hier comme aujourd'hui -, méritait une note négative.

Quelques semaines plus tard, les Springboks, surnommés les Rugbymen du Diable tellement ils faisaient peur après avoir balayé les All Blacks en série de tests deux ans plus tôt, surgissaient à Colombes, ce 16 février 1952, pour infliger un cinglant 25-3 aux Tricolores. Six essais à zéro, ce n'est pas rien ! Au sein de ce XV de France émargeaient quand même Maurice et Jean Prat, Lucien Mias, René Biènes, Gérard Dufau, Jean-Roger Bourdeu et Guy Basquet. Transpercés... Les Springboks s'étaient rendus maîtres de la ligne d'avantage, le docteur Danie Craven érigeant en tactique l'invention de Sir Wavell Wakefield.

Il y avait un futur médecin dans cette équipe tricolore : Lucien Mias, alors instituteur. Docteur Pack m'avouera avoir appris la leçon des Sud-Africains ce jour-là au point de faire de la conquête immédiate de la ligne d'avantage par les avants en fond de touche et autour de la mêlée son credo, avec le fameux "demi-tour contact" qui deviendra la marque de fabrique de son équipe de France durant le Tournoi 1959, soit sept ans de gestation.

Pendant ce temps-là, les Néo-Zélandais, humiliés en 1949, se mirent à cogiter sur le moyen d'éviter à l'avenir de se faire ainsi croquer. Deux techniciens - un manager et un homme de terrain, Charlie Saxton et Fred Allen - imaginèrent une charte tactico-technique facilement mémorisable qui donnerait au rugby des All Blacks une solide assise. Elle est connue sous le nom de règle des 3 P (possession, placement, pace), soit possession du ballon, position des joueurs, rythme (jeu, geste, décision) dont nous avons assez parlé ici pour qu'il ne soit pas utile d'y revenir en détail.

Soixante-dix ans plus tard, fidèles à leur tradition et à leur culture, les All Blacks ont donné à leur tour la leçon aux Springboks, deux équipes qui se détestent mais se respectent autant que les Brésiliens et les Argentins en football. En janvier dernier, l'ancien flanker international et ex-coach des Bleuets, Olivier Magne, s'est rendu au Pays du Long Nuage Blanc afin de se familiariser avec les méthodes d'entraînement des Canterbury Crusaders du côté de Christchurch. Voilà ce qu'il en dit.

«Ils ont dix ans d'avance et ils continuent d'avancer. Ils réfléchissent au rugby qui sera pratiqué dans dix ans. Que eux pratiqueront, parce qu'ils ont tellement de poids sportif et politique qu'ils dictent aussi certains règles. Leur travail n'est pas seulement celui d'un staff et des joueurs, mais de toute une nation. Le rugby des All Blacks commence dès l'école de rugby et se diffuse partout dans le pays. C'est une cause nationale. Ca n'a rien à voir avec le nombre de licenciés ! C'est une volonté politique, au sens noble du terme. En France, je constate avec regret que nous sommes loin de tout cela.»

Ridiculement embourbés dans nos petites querelles de pouvoir. Le triste épilogue du "Grenelle de la santé" en est un exemple quasi criminel puisqu'il s'agissait pour les représentants des deux instances dirigeantes du rugby français de trouver un moyen de protéger l'intégrité physique des joueurs soumis à des traumatismes physiques répétés. Voici désormais les joueurs pros pris en otage et en étau entre la LNR et la FFR. Faudra-t-il qu'un accident mortel survienne pour que...

On ne se quittera pas sans un exemple précis de l'avancée tactique des All Blacks et le décryptage qu'en fait pour nous Olivier Magne : «Les All Blacks ont trois familles de joueurs sur le terrain. Certains, de type Kaino, restent sur des schémas préétablis.» Ils servent de repères. «Il y a ensuite les créateurs, comme Beauden Barrett ou Aaron Smith, qui regardent le jeu et changent la direction du mouvement en fonction des failles décelées dans la défense adverse. Et il y a les autres, qui réagissent immédiatement dès qu'il y a déséquilibre en se portant à toute vitesse au soutien du porteur de balle au moment du franchissement.» Aussi instructif qu'édifiant.

Font écho ici les notions de placement, de position, de structure tactique, mais aussi de conservation du ballon et de rythme donné à chaque instant sur chaque action, insufflé dans le moindre geste. Le rugby est une culture: celle des All Blacks domine depuis 2012. Auparavant, les Australiens en avaient modernisé l'approche, ajoutant leur touche au sujet de la détection et de la formation (1989-1992) avant d'améliorer la lecture du jeu via de nouveaux outils technologiques (1998-2002). Pour la nation qui souhaiterait reprendre le leadership aux All Blacks, il reste des champs à explorer, psychologiques, comportementaux, proprioceptifs, cognitifs. Pour notre plus grand bonheur, l'histoire se régénère par cycles.

mercredi 13 septembre 2017

L'étoffe de nos héros


Certains sculpteurs considèrent que l'espace négatif - ainsi appelées les formes évidées - compte autant que l'espace positif ; que le vide est aussi important que la matière dès lors qu'il s'agit d'inspirer. Considérant les remous qui engloutissent en ce moment l'idée que nous nous faisons du rugby, il est vital de se plonger dans l'espace qui apparait ainsi en creux, dans tout ce qui n'est pas, je veux dire pas médiatisé, mis en avant et souligné.

La pratique du rugby sera toujours plus forte que l'impact supposé de ceux qui s'en servent pour réaliser leurs desseins. Les règles changent tous les ans mais quelque chose de l'esprit initial demeure, c'est heureux. Certes aujourd'hui, les présidents occupent le devant de la scène. On le regrette dans le mesure où leurs avis ne sont pas toujours marqués du sceau de la pertinence. Mais les clubs - joueurs, entraîneurs - effectuent leur mue. Je pense en particulier à Montpellier et La Rochelle.

En un changement d'entraîneur, les Héraultais expriment plus largement leur potentiel. En passant de Jake White à Vern Cotter, du style bok à la méthode black pour faire court, Montpellier semble s'épanouir en occupant la largueur du terrain, occultant ce qui était considéré auparavant comme des zones interdites à la contre-attaque. Idem pour le Stade Rochelais, hier cadenassé sur la ligne de front à pilonner l'adversaire et qui, lors de cette troisième journée, a donné à Clermont, parangon du jeu complet, une leçon de "large-large".

On pourra citer aussi Toulon et Bordeaux-Bègles relookés par Fabien Gatlhié et Jacques Brunel, adaptes des blocs et de l'initiative par le replacement incessant des joueurs en petites unités. Mais je garde en mémoire l'essai de l'ailier Gabriel Lacroix, son premier, face à l'ASM à Marcel-Deflandre, comme le parfait exemple de ce que le rugby peut offrir de spectaculaire en sept passes. J'étais placé juste devant la dernière, inattendue, saisissante.

Quarante secondes, d'entrée, pour déborder, transpercer et éteindre la défense des champions de France en titre venus sur les bords de l'Atlantique en composition (presque) type. Un seul adversaire battu - le dernier - mais six Clermontois arrêtés sur passe, percussion ou percée à partir d'un simple essuie-glace gauche-droite pour placer au bout de deux passes mollement lobées le centre-flanker (c'est nouveau) Levani Botia, joueur atout fer, face au deuxième-ligne Sitaleki Timani.

Les coaches l'avouent, le but du rugby contemporain consiste à placer après deux ou plusieurs temps de jeu un joueur rapide face à un présumé plus lent afin de casser la ligne de défense. Regardez comment Levani Botia échappe à Timani tout en assurant sa passe, mais admirez surtout en amont son replacement intérieur pour répondre à l'appel de croisée, avant de servir acrobatiquement son ailier Lacroix. Tout y est. A garder pour se le repasser en boucle les soirs de journées de disette topquatorzienne.

Il paraît que tout le monde en raffole. Je veux parler du raout annuel qui fête le succès du Top 14 dans des lieux d'ordinaire dédiés au showbiz. Ce genre d'auto-célébration sur scène à la gloire du dieu télévisuel, très peu pour moi. Il y a comme une négation de ce jeu éminemment collectif à élire le meilleur ceci, le meilleur cela. Sans compter qu'on y trouve de plus en plus de sponsors et de partenaires commerciaux, et de moins en moins d'authenticité.

J'ai refusé cette invitation à L'Olympia mais n'ai pas manqué de rejoindre Dax (ici attablé avec J. Guibert, A. Boniface, H. Garcia, D. Lalanne, O. Margot, Ch. Jeanpierre et A. Albaladejo) pour l'inauguration de la statue érigée en l'honneur de Pierre Albaladejo, notre Socrate qui distille le meilleur de la pensée rugbystique au gré des conversations qu'il fait naître. Maître des mots Pierrot Bala, à la radio, à la télévision, au plaisir d'une interview. Quel plaisir d'écouter les siens quand des maux venus des hautes sphères polluent l'ovale. C'était vendredi dernier, moment rare durant lequel furent associées en une forme d'Olympe 1350 capes (vous reconnaissez sur la première photo Bastiat, Dourthe, Mola, Roumat, Pelous, Ibanez, Lescarboura, Boyoud) et autant d'épées comme André Darriguade et Michel Jazy, pour n'en citer que deux.

L'historien Henri Garcia, mon mentor, ancien patron de la rubrique rugby de L'Equipe puis accessoirement du quotidien, compare Olivier Magne, présent ce jour-là comme tant d'autres internationaux dacquois, à Jean Prat. Il n'a pas tort. Tout en nous racontant - il était jeune journaliste pour le quotidien Combat - la Libération de Paris par la "Nueve", compagnie de la 2ème DB entrée dans la capitale avant les Américains. "Mais vous êtes Espagnols ?" lançaient les Parisiens, incrédules. "Non, répondirent les combattants, nous sommes républicains espagnols !" Tout est dans la nuance.

Quand la vacuité l'emporte, il importe de se souvenir de ce qui nous constitue. Le président de l'US Dax, François Gachet, évoqua dans son discours d'ouverture, avant que la statue de Pierrot ne soit dévoilée, le devoir qui est le nôtre en ces temps troublés : exemplarité et transmission. Tout Bala résumé en deux mots. Et au delà même de l'ouvreur-consultant, l'un des rares internationaux, comme Walter Spanghero et Jean-Pierre Rives (que vous verriez eux aussi statufiés de leur vivant), à transcender un club et une génération pour parler à tous et à chacun.

Dans le texte rédigé en préface du remarquable ouvrage de Jean-Michel Blaizeau intitulé "La fabuleuse épopée des Jaune et Noir" qui relate par le menu la saison passée, Jean-Pierre Elissalde, jamais avare de métaphores, écrit : "Une équipe n'est pas un cèpe qui pousse en une nuit. Ce groupe rochelais est né de la remontée. (...) On n'a jamais mis le chalut devant la bateau. (...) On sait la place des artisans de l'ombre, des bâtisseurs anonymes de cathédrales qui, longtemps, n'ont eu pour seul bonheur que le sentiment du devoir accompli."

Au moment où le Top 14 s'autocélébre dans le faste et les paillettes alors même que son but et ses moyens sont antagonistes avec l'avenir du rugby français en ce sens qu'ils ne favorisent pas naturellement l'éclosion heureuse des nouvelles générations, ayons une pensée pour tous les formateurs. "Je râle quand un éducateur de cadets me dit qu'il est entraîneur," lâchait Pierre Albaladejo, l'autre vendredi. Il est peut être là, notre premier combat : faire en sorte que le rugby d'élite ne délite pas ce tissu qui est l'étoffe de nos héros.

mercredi 6 septembre 2017

Carte de visites


S'il est un joueur dont l'aura demeure immaculée, c'est bien Pierre Albaladejo. Toujours la parole mesurée mais l'intervention tranchante ; le mot choisi pour une idée noble et le ton étale comme l'est une mer de bons sentiments. Son invitation à venir partager le pain entre amis une fois sa statue inaugurée m'a touché. De cette journée ovale particulière nous reparlerons sans doute dans Côté Ouvert à mon retour des Landes. En revanche, ce que je souhaite partager avec vous tout de suite, c'est la colère maîtrisée qui est le sienne au sujet des glissements de terrain qui saccagent ce que nous aimons.

Selon certains chroniqueurs, l'éthique serait un gros mot facile à employer, difficile à définir et trop utile puisqu'on y fourre ce qui arrange ou dérange, selon. Pierre Albaladejo n'est pas de cet avis. Ecoutez-le : "J’ai été président de la commission d’éthique de la FFR pendant six ans, commission créée par Bernard Lapasset. Nous étions six membres, dont Marc Vienot  et le professeur Escande. Cette commission a été complétement négligée sous Pierre Camou. Quand on annonçait une réunion pour traiter des problèmes, et bien le problème il était pour la FFR de savoir s’il y avait une pièce de libre pour qu’on se réunisse. On nous a baladé partout dans Marcoussis. Tous les rapports que nous avons rédigés n’ont eu aucun retour. Tout le monde s’en foutait." Ce qui dit le peu d'estime que les instances dirigeantes ovales portent depuis longtemps à l'éthique.

"Un jour, poursuit Bala, on décide, Monsieur Viennot, le professeur Escande et moi, de rédiger un rapport dans lequel nous glissons une demande particulière qui était de pouvoir rencontrer le président de la FFR. Nous n’avons jamais reçu de retour. Alors j’ai envoyé, à titre personnel, une lettre au président et, là aussi, n’ai jamais reçu de réponse. J'ai trouvé cela humiliant. Alors je lui ai envoyé une lettre recommandée dans laquelle j’ai ajouté ma carte de visite. Il y avait écrit dessus : «C’est bien la première fois que j’envoie une lettre recommandée à un ami». Cette commission d’éthique a disparu sur un geste anti-éthique au possible de Pierre Camou. Ça s’est fini comme ça. Je trouve cela inadmissible" s'emporte finalement "Pierrot". Avant de rajouter, maîtrisant l'art de la chute : "J’ai digéré cet épisode car je vois qu’aujourd’hui, il se passe pire." 
La semaine dernière, Bernard Laporte était invité par un média à évoquer le présent et l'avenir du XV de France sur scène face à l'actuel entraîneur du XV de France. Avant d'être élu président, Laporte fut sélectionneur en chef à Marcoussis pendant huit ans. Dans la salle se trouvait un autre ancien technicien tricolore : Pierre Villepreux. J'ai donc appelé cet autre "Pierrot" pour qu'il nous raconte ce qu'il a entendu. "On y a parlé de formation, mais quelle formation ? Quelle méthodologie ? Comment fédérer dans les clubs ? Si on avait évoqué ça, on aurait avancé. Mais non, personne n'en a parlé." Même pas toi, Pierre ? Et personne pour évoquer en direct l'affaire Altrad ? "Ce n'était pas le lieu ni le moment. Je sentais bien que ce n'étais pas prévu. Il était difficile d'entrer dans cette discussion..."

Bernard Laporte a donc échangé avec Guy Novès pendant une heure sur l'estrade avant de dîner en compagnie. "Une méthode, il en faut une: ça fédère, souligne Villepreux qui fut DTN après avoir été entraîneur du Stade Toulousain (ici avec Robert Bru, Guy Novès, Jean-Claude Skrela et Erik Bonneval dans le vestiaire du Parc des Princes en 1985). Et si ce n'est pas la nôtre, alors que ce soit celle des autres, mais une, au moins..." Ce qui l'énerve, Pierre de Pompadour, c'est qu'on évoque la préparation physique, telle que voulue par le staff tricolore et Guy Novès cet été, comme s'il s'agissait de la panacée. "Parlons d'abord de construction du jeu et du joueur."

"Il faut exploiter d'autre ressources que le muscle, souligne Villepreux. A commencer par le cerveau. Le reste n'est que la conséquence de la compréhension du jeu et de son expression. J'insiste sur la connaissance du "comment" : elle se construit. Le jeu et les joueurs sont dans une réciprocité continuelle." Et quand nous évoquons cette affaire Altrad-Laporte qui pollue l'ambiance et nous fait passer, une fois de plus, pour des Bandar-Log, "tout cela va se dissoudre doucement, philosophe Villepreux. L'Etat ne prendra pas position, les inspecteurs de la Jeunesse et Sports vont apporter des éléments de réponse et puis voilà..." Et pas trop vite pour éviter de perturber le vote de l'International World Rugby Board au sujet de l'attribution de la Coupe du monde 2023.
Surtout, si j'en crois Pierre Villepreux quand il revient au jeu, Bernard Laporte aurait assassiné en direct ses cadres techniques. Sans doute pour mieux booster les deux cents techniciens qu'il va lancer dans la mêlée. Autres emplois menacés, les Pôles Espoirs. "Ils veulent les supprimer, précise "Pierrot", alors que c'est un bel outil. Et un beau projet que de mener des études tout en jouant au rugby. Désormais, les jeunes talents, et il y en a beaucoup, vont être dirigés vers les académies des clubs de Top 14, confiés au système professionnel." Silence. Puis il lâche, plus abattu que fâché : "C'est une régression".

Alors j'ai pris ma carte routière et tracé une ligne qui va de Palaiseau à Dax. Elle passe par Limeuil, en Dordogne, où vit Jacky Adole. Visionnaire, l'auteur de "Mon sac de rugby" (Editions Atlantica) a déjà dit beaucoup - c'était en 2002 - dans ses écrits au sujet des mœurs qui nous embrigadent. Mais nous parlerons aussi tauromachie autour de ce joyau d'ouvrage intitulé "La solitude sonore du toreo", signé José Bergamin (Edition Verdier), préambule à ce vendredi dont j'attends beaucoup. Il sera temps alors de retrouver mon ami Jean Guibert, ancien coach de Tyrosse et de Dax, puis rendre hommage à Bala au cœur d'une journée qui s'annonce riche en émotions. 

Il nous faut lutter sans cesse pour ne pas tomber dans le piège du pessimisme dans lequel nous entraînent un tas de lascars de basse caste soucieux de creuser leur terrier et d'y enterrer le plus gros butin possible. Qu'ils soient recouverts de leur chimère de grandeur pendant que nous cheminons vers ailleurs et que nos esprits battent l'amble. Samedi, sous la pluie, je vais m'asseoir samedi dans un coin de tribune à Marcel-Deflandre pour assister à une rencontre de rugby. Entouré de quelques amis choisis par Montaigne et La Boétie. Lequel écrit : "Comme il se peut faire que tant d'hommes endurent quelquefois un tyran seul, qui n'a de puissance que celle qu'ils lui donnent ?"