jeudi 28 septembre 2023

Passage Dupont

La peur n'évite pas le danger, et c'est souvent au moment où on s'y attend le moins, par exemple dans le déroulé fluide de l'instant anodin, qu'un choc brise la fameuse flèche du temps dont on nous rebat les oreilles depuis que cet élément de langage a été placé par Fabien Galthié sur notre voie sémantique. Au coup d'envoi du match contre la Namibie et en attendant celui qui va placer les Italiens sur notre chemin avant de clore la phase de poules, les médias français s'allumaient les neurones pour trouver la meilleure façon d'éclairer le long tunnel de treize jours sans XV de France. Ils n'auront eu qu'à attendre le début de la seconde période pour capter à quel point le temps allait nous sembler long et court à la fois, en fonction du poids de l'absence et de l'espoir de guérison. 

Avant le début de ce Mondial et souvent au détour d'une conversation qu'on souhaitait courte et légère pour conjurer le mauvais sort, l'idée qu'une blessure vienne contrarier le sacre annoncé de l'équipe de France passait comme un nuage sombre vite chassé par le vent. Les blessures, ce XV de France les additionne pourtant comme aucun autre : Romain Ntamack, Jonathan Danty, Paul Willemse, Cyril Baille, Julien Marchand, Grégory Alldritt, Charles Ollivon et désormais Antoine Dupont dont la mâchoire est devenue, à l'échelle du rugby mondial, aussi fameuse que le fut pour l'Empire romain et la civilisation égyptienne le nez de Cléopâtre.

La tirade a donc sauvé de l'endormissement un pays vibrant désormais au rythme des bulletins de santé du plus fameux de ses demis de mêlée. "Aucun coup ne peut, mâchoire si belle, te briser tout entier, excepté ce Deysel." Parodiant Pirame en un titre accroché à la première page : "Le voilà donc ce zygomatique qui des traits de son maître a détruit l'harmonie ? Il s'est fracturé, ce traître !" D'une façon plus pratique en plaçant la barre haut : "Voulez-vous le mettre en loterie ? Assurément, monsieur, ce sera le gros lot !" Ce que le XV de France a surtout tiré d'un coup de tête placé au maxillaire, c'est un tracas supplémentaire dont il se serait bien passé.

Visiblement, jamais autant de personnes, une équipe, un staff et des supporteurs - paraphrasons Winston Churchill - n'a dû autant à un seul homme. Un comble pour ce sport collectif qu'est le rugby où même Jonah Lomu ne fut jamais plus fort que les All Blacks lesquels, parfois, le sevrèrent de ballons histoire de faire comprendre au public et aux médias demandeurs de héros qu'il est possible de jouer et de vaincre sans pouvoirs hors-normes. Super Dupont, c'est l'inverse, à croire qu'il n'est de grâce qu'avec lui. On espère que Lucu et Couilloud ne s'en vexent pas, sans parler de l'infortuné Serin resté en rade.

Du peintre Apelle, quatre siècles avant notre ère, Pline l'Ancien soulignait l'ardeur et la constance au travail en termes choisis : Nulla dies sine linea. Autrement traduit, pas un jour sans Dupont, l'importance de ce demi de mêlée ôtant, aurait pu ajouter Cicéron, l'espoir d'y égaler le reste de l'équipe. Dans l'histoire du XV de France, l'excès n'est pas orphelin : on trouvera un autre demi de mêlée toulousain, Philippe Struxiano, appelé au chevet tricolore par les maréchaux de France au sortir de la Première Guerre mondiale, puis Walter Spanghero sélectionné en 1969 par Georges Pompidou, futur président de la République, et Denis Charvet vingt ans plus tard par François Mitterrand.

Un seul hêtre vous manque et tout est dépeuplé, certes, mais Antoine Dupont ne serait-il pas alors l'arbre qui cache le perchis ? Avec lui, chacun l'assure, tout est appelé à éclore, mais qu'il manque et voici que sans lui, sort contraire, le futur s'amincit. Nous serons bientôt fixés, une fois pour toutes, en quarts de finale face à l'Afrique du Sud sur la place réelle ou fantasmée qu'occupe l'enfant de Castelnau-Magnoac dans le dispositif tricolore. Tout ce qui est excessif n'est pas signifiant. Mais en attendant, de quoi l'absence de Dupont est-elle le nom ? 

Elle est d'abord le signe d'une grande fébrilité à croire cet homme providentiel. Elle est la déconstruction du principe d'équipe puisque, nous assure-t-on depuis l'école de rugby, personne n'est indispensable. Elle est peut-être l'opportunité - à l'exemple de Matthieu Jalibert depuis le forfait de Romain Ntamack - pour un "finisseur' de commencer à croire que son destin n'est pas d'assister aux coups d'envoi assis sur le banc. Petite histoire dans la grande, pourtant forts de Jonah Lomu en 1995 et 1999, jamais les All Blacks ne parvinrent ces deux fois à être sacrés champions du monde. 

Dès la fin de cette Coupe du monde, le meilleur des chroniques de ce blog sera publié sous forme de recueil intitulé - ce n'est pas surprenant - Côté Ouvert, aux éditions Passiflore.

jeudi 21 septembre 2023

Celles et ceux qui aiment


La dérive des remplaçants Namibiens
, victimes expiatoires englouties dès la sixième minute sous un score fleuve et record (96-0) par le XV "premium" tricolore au stade vélodrome, nous fait amèrement regretter la blessure d'Antoine Dupont au visage, agression au plaquage dès l'entame de la seconde période. A 54-0, alors que la victoire et le bonus offensif étaient scellés, quel était l'intérêt de maintenir le capitaine tricolore sur le terrain quand sur le banc Baptiste Couilloud piaffait ? Dans ce registre, le K.-O. de Paul Boudehent, ainsi que les blessures au genou de Uini Atonio et de Thomas Ramos ont transformé un festival offensif perlé de quatorze essais en victoire à la Pyrrhus.  
En attendant de savoir si cette sortie marseillaise coûtera davantage qu'elle ne rapporte, évoquons le coup de foudre du septième jour, ce Fidji-Australie éblouissant (22-15), joyeux, enthousiasmant. Je garde en écho les encouragements hurlés autour de moi, puis le silence assourdissant de stress lorsque les Wallabies trouvèrent ensuite quelques solutions pour revenir à portée d'essai transformé, puis enfin l'immense soulagement lorsque le coup de sifflet final scella la victoire de ces Fidjiens qui n'avaient de "volants" que l'appellation tant ils pesèrent en mêlée, au plaquage et dans la récupération du ballon au sol, autant d'ancrages terriens dont ils maîtrisent désormais la réalisation. 
L'heure fidjienne, tel un parfum, enivre ce Mondial et chaque observateur promet aux magiciens une place en quarts de finale, voire mieux. Comme l'Argentine en 2007, cette génération est arrivée à maturité, disposant même de la plus impressionnante ligne de trois-quarts alignée - Sireli Maqala (Bayonne) - Semi Radradra (Lyon), Josua Tuisova (Racing 92), Nayacalevu Waisea (Toulon), Juita Wainiqolo (Toulon) -, toutes nations confondues. Et puisqu'ils n'ont pas perdu leur inventivité en s'inspirant des préceptes anglo-saxons dont ils ne savaient, naguère, que faire, les voici armés pour franchir un cap.
De leur côté, Portugais, Chiliens et Uruguayens remontent à la source étymologique de ce mot, amateur, qui définit si bien notre façon d'être rugby. Leur style sans retenue, chargé d'émotion et d'engagement, nous transporte dans un tempo de passes, ballon en mains et peu au pied. Nous y trouvons le bonheur simple, mais pas naïf, du rugby des origines. Heureux, décidés à ne cueillir que le jour, ils sortent du troisième chapeau dans lequel sont regroupés les lauréats du dernier tour de qualification mais prennent à chaque sortie un maximum de plaisir et, ce faisant, nous en donnent.
Descendons jusqu'aux Alpes de Haute Provence rejoindre Thierry Auzet et son équipe, concepteurs et organisateurs de la première Coupe du monde des clubs amateurs. Elle regroupera du 23 au 30 septembre cinq cents joueurs, et seize nations s'affronteront lors de quarante-quatre matches organisés à Port-de-Bouc, Saint-Raphaël, Arles, Saint-Maximin, Manosque, Sisteron et Digne-les Bains. Au-delà de cet événement, qui mériterait davantage d'exposition, un lien est déjà tissé avec Perth afin de pérenniser - pour dans quatre ans - l'idée d'une compétition d'envergure ouverte aux amateurs, à ceux qui aiment ce sport convivial, fraternel, parfois heurté, peuplé de personnages picaresques et de belles âmes.
Si vous souhaitez suivre la rencontre entre les Anglais de Rugby - oui, oui, le club de la ville historique - et les Argentins de Roldan, mais aussi les Rhinos américains face aux Gallois de Llandaf, les Néo-Zélandais venus de Te Awamutu, la ville d'où est originaire Ian Forster, l'actuel entraîneur des All Blacks, opposés aux Belges de Frameries - qui eux visent le titre de champions du monde de la troisième mi-temps - , ou bien encore les joueurs de Digne-les-Bains, fiers représentants de la France face à Carrasco, qualifié après un tournoi qui vit s'affronter tous les clubs amateurs chiliens, allez sur la plateforme OTT rugbymondial.tv, en accès direct et gratuit.
Je ne refermerai pas cette chronique sans évoquer la deuxième affiche - après le match d'ouverture - de ce dixième trophée Webb-Ellis, choc tellurique qui opposa l'Afrique du Sud à l'Irlande au Stade de France, samedi soir, promesse d'affrontements sans frein tenue, orgie de collisions qui a, dixit Pierre Berbizier, "lancé cette compétition. C'est le match qu'on attendait. Les deux équipes ont placé la barre haut en terme d'intensité. Le message est clair : il faudra mettre cet engagement pour espérer devenir champion du monde..." 
Le perdant trouvera sans aucun doute le XV de France - avec ou sans Dupont, opéré d'une fracture du maxillaire ? - en quarts de finale. Pas certain que ce soit une bonne nouvelle si l'on considère le potentiel destructeur des Springboks sur la ligne d'avantage, la qualité de leur contre en touche et le possible retour d'un authentique buteur bien dans la tradition afrikaner, Handré Pollard, qui n'aura pas grande difficulté à récupérer son poste d'ouvreur de préférence à l'imprécis Manie Libbok, qui oublia dans la nuit dyonésienne un but de pénalité et une transformation.

Au coup de sifflet final de cette Coupe du monde sera publié Côté Ouvert aux éditions Passiflore, recueil des meilleures chroniques de ce blog.

jeudi 14 septembre 2023

Perdus sur Lille

Les bons sentiments ne construisent pas nécessairement les succès. On peut le regretter. Titulariser troisième ligne-centre Anthony Jelonch après plus de six mois d'absence et le nommer capitaine - geste fort qui a touché les cœurs - n'offre aucune garantie quand il s'agit de maîtriser l'Uruguay qui n'a plus rien d'une petite nation de rugby. Cette deuxième rencontre de poule, supposée relativement facile à négocier, avait tout d'un piège et Los Teros ont confirmé qu'il y avait grave danger pour une équipe de France "bis" à prendre ce match par l'envers, ce qui fut le cas.

Jean-Pierre Rives l'affirmait il y a de cela une vingt ans déjà et ça n'a pas vieilli depuis : "Tu prends quinze grands joueurs de rugby et tu les mets ensemble pour affronter une équipe qui joue avec un même cœur, et tu te fais cirer..." A l'évidence, le staff tricolore n'est parvenu, jeudi soir à Lille, qu'à composer une sélection nationale avec, certes, d'excellents joueurs mais pas de constituer une équipe. Manquaient l'âme, l'envie, l'engagement, le respect de l'adversaire, le liant et un objectif commun, autant dire l'essentiel. Si elle est parvenue de justesse à s'imposer, visiblement, son épine dorsale - à savoir Pierre Bourgarit, Anthony Jelonch, Maxime Lucu, Antoine Hastoy et Melvyn Jaminet - n'a jamais pu proposer un début d'organisation tactique.

Lourdement sanctionnée en mêlée et dans les rucks au-delà de la norme généralement admise - onze pénalités -, parfois maladroite dans l'alignement, fébrile partout ailleurs et bien peu inspirée derrière mis à part deux coups de patte, la réserve tricolore n'a jamais su surmonter l'écueil pourtant prévisible placée devant elle. Pendant plus d'une heure, elle s'est empêtrée toute seule dans ses approximations. Surtout, lui fut préjudiciable non pas l'absence de plan de jeu strict et clair - Fabien Galthié avait dû donner des directives - mais l'incapacité à le suivre. Ne l'oublions pas, c'est le fil qui fait le collier, pas les perles.

Mis à part Sekou Macalou, troisième-ligne d'aile arpentant prestement la pelouse et mal récompensé de ses percées lumineuses dans ce sombre match, aucun prétendant au label "premium" n'a attiré notre attention. Pis, certains ont, à nos yeux, reculé dans la hiérarchie, à l'image des centres Yoram Moefana et Arthur Vincent, et de l'ailier Gabin Villière, empruntés. Il est d'ailleurs inquiétant de constater un tel gouffre entre titulaires du XV de France et réservistes, soit les trente meilleurs joueurs d'une nation, la France, qui compte par ailleurs plus de trois cents mille licenciés.

Rien de bon, donc, à garder de cette rencontre. Après la polémique des chœurs en canon qui s'étiolent et se perdent, les soupçons de dopage ici et là mais sans qu'aucune preuve pour l'instant ne soit produite si ce n'est quelques blessures qui surviennent pour éviter peut-être un contrôle positif, après les blocages aux portiques laissant une partie des spectateurs sur les parvis et le prix du demi de bière qui est hors budget, la piètre prestation française face à l'Uruguay va relancer l'inquiétude. Car après cinquante minutes difficile en match d'ouverture, voici une rencontre entière négligée, balbutiée. Qu'il reste à évacuer.

La moindre des choses face à une sélection nationale qualifiée dans le dernier chapeau, et qui ressemble à un hybride italo-argentin dans ses attitudes, ses choix et sa hargne, aurait consistait, dans un monde parfait, à faire preuve d'humilité en acceptant de prendre les points au pied quand ils se présentaient, et surtout à soigner les conquêtes sans chercher à briller. Seul un collectif fort et soudé aurait pu s'en sortir avec les honneurs. Là, au contraire, le déchet l'emporte.  

A paraître début novembre l'ouvrage "Côté Ouvert", aux éditions Passiflore, qui regroupera huit saisons de chroniques. 

vendredi 8 septembre 2023

Ouvert vendredi soir

Les Tricolores rêvent de broder ce trophée sur leur maillot et c'est une bonne étoile qui veille sur eux. Car enfin comment expliquer autrement que par un destin favorable ce court avantage au score (9-8) à la pause après avoir proposé une première période aussi pathétique ?  Ballons rendus ou relâchés, impacts subis, faiblesse offensive trop criante pour être vraie... S'il n'y avait pas eu cette inspiration au pied et à la course de Damien Penaud derrière une récupération inespérée, les coéquipiers d'Antoine Dupont n'auraient rien montré si ce n'est un chapelet d'approximations.
Après une cérémonie d'ouverture ringarde et ridicule, indigne du patrimoine culturel français, menée par un Jean Dujardin qui n'avait rien d'un artiste, et l'allocution copieuse sifflée d'un président de la République française qu'on connait adepte de la récupération politique sur le terrain sportif, les All Blacks entrèrent tout de suite dans le vif du sujet : la percée majuscule de Rieko Ioane plein centre et la passe au pied tranchante de Beauden Barrett en position d'ouvreur créèrent l'essai du lutin Mark Telea. Emoi.
Quand en seconde période il réussit son doublé, l'ailier kiwi frigorifia le Stade de France : les All Blacks menaient 13-9. C'est alors que la confiance entra en jeu, aussi la solidarité et quelques coups de génie, comme ce demi cadrage-débordement de Matthieu Jalibert et sa passe laser pour Damian Penaud. Essai ! Le néo-girondin aurait pu l'inscrire trois minutes plus tôt, et même un troisième à la 76e mais il lui manqua trois mètres de glissade. Voire un quatrième quand, dans les airs, Melvyn Jaminet lui enleva le ballon, deux minutes avant le coup de sifflet final.
27-13, l'addition est élevée, présentée par une équipe française qui ne doute pas, se moque des aléas comme de son premier en-avant. Elle peut parfois produire le pire mais se rachète immédiatement après en proposant le meilleur. Et finir par terrasser les All Blacks en match d'ouverture comme s'il s'agissait d'une formalité - en deux temps, quand même - là où la génération 2007 s'était pris les pied dans le tapis - au propre comme au figuré - face à l'Argentine dans ce même stade.
Hyper professionnels, ces Tricolores avaient annoncé qu'en cas de défaite, l'échec n'aurait pas le poids d'une fin du monde. Ils ont rappelé qu'après cette victoire inaugurale, ils n'avaient rien gagné. Leur force ? Avoir poussé pendant quatre-vingt minutes et monté en puissance quand leur adversaire s'arrêta net, lui, à l'heure de jeu. Preuve que la préparation physique de l'implacable Thibaud Giroud porte tout de suite ses fruits après qu'un début de polémique ait été rapidement éteint suite à quelques blessures malvenues.
Même avec une entame poussive polluée par un trop grand flot d'erreurs directes balle en mains, ce XV de France aligne des statistiques aussi intéressantes que prometteuses. Lisez plutôt : 62 % d'occupation des sols, 92 % de touches gagnées (treize ballons sur quatorze lancers, et un volé), pas de carton jaune et seulement quatre pénalités concédées, contre douze à leur adversaire en infériorité numérique juste avant l'heure de jeu. Seul bémol, les All Blacks ont pris le meilleur sur les défenseurs français à trente-deux reprises, soit deux fois trop d'occasions ainsi offertes.
Le lendemain à Marseille, c'était Ford fiesta ! L'ouvreur anglais est allé, lui, droit au but, mettant l'Argentine à ses pieds en offrant à son équipe réduite à quatorze dès la troisième minute un succès inespéré, 27-10. Face aux représentants d'une nation championne du monde de football, "petit Wilko" a converti six buts de pénalité et décoché trois drop-goals, l'Angleterre offrant une leçon de lucidité au tableau noir, modèle d'intelligence collective en mouvement, rappel que le sport de balle ovale se nomme plus que jamais, dans ces matches trop serrés, football-rugby.

Sortira début novembre aux éditions Passiflore un ouvrage titré "Côté Ouvert" qui regroupera les meilleures chroniques de ce blog.