samedi 31 décembre 2022

2023, année bascule

Comme l'année, le roi est mort... Et avec lui une certaine idée de la légéreté sportive, de la grâce et du simple plaisir de jouer. Le départ de Pelé efface aussi ses zones d'ombres. Il était unique. Garricha, Puskas, Di Stefano, Kopa ou Cruyff n'ont pas laissé cet éclat doré dans nos mémoires, nonobstant leurs talents. Platini, Zidane, Messi, Christiano Ronaldo, Modric, Neymar, Mbappé, n'ont pas l'aura lumineuse dont il était paré. Seul Maradona - Di(e)os - rivalise en surfant sur l'irrationnel. Personne ne succéde à Pelé. Alors laissons chanter "Vive le roi". 
On peut tout craindre, en revanche, de l'année 2023, à tel point qu'on se demande par quel bout la prendre... Commençons par la laisser basculer. Seule certitude, ce sera l'ère des combats, d'un front l'autre. Espèrons que celui d'Ukraine cessera vite. Et, actualité plus riante, que la grande quête du XV de France trouvera enfin son aboutissement à Saint-Denis. Mais voilà, nous avons à peine laissé la vieille année dernière nous que s'ouvre déjà le calendrier prochain Tournoi des Six Nations.
Dans cette perspective, recevez ma dernière chronique comme un cadeau de fin d'année, une passe à auteur. Ludique, l'occasion est ainsi donnée au premier d'entre vous de recevoir cet ouvrage à domicile, dédicacé à la personne de votre choix. Pour cela, il lui faudra répondre avec justesse et précision aux quinze questions ci-dessous tirées - c'est mon crochet intérieur - de cette Anthologie. A vos claviers. Le coup d'envoi est donné.

1- Walter Spanghero le considère comme le meilleur demi de mêlée avec lequel il a joué en équipe de France. Qui est-ce ? a) Richard Astre, b) Max Barrau, c) Gérard Sutra, d) Marcel Puget.

2- Le demi de mêlée et capitaine Philippe Struxiano refusa sa sélection en équipe de France lors du Tournoi 1921. Qui est le héros de la Grande Guerre qui insista auprès de lui afin qu'il change d'avis ? : a) Joseph Joffre, b) Philippe Pétain, c) Robert Nivelle, d) Maxime Weygand.

3- Comment se nomme la première capitaine du XV de France féminin ? a) Marie-Paule Gracieux, b) Judith Benassayag, 3) Isabelle Decamps, 4) Monique Fraisse.

4- En 1892, où donc s'est disputé le premier match "international" organisé entre le Stade Français et Rosslyn Park ? a) Colombes, b) Levallois-Perret, c) Vincennes, d) Sceaux.

5- Qui a dit : "Quand on remporte un Grand Chelem, on se construit une famille" ? : a) Jacques Fouroux, b) Christian Carrère, c) Jo Maso, d) Jean-Pierre Rives.

6- En quelle année a été retransmis pour la première fois à l'ORTF une rencontre du Tournoi des Cinq Nations ? a) 1955, b) 1956, c) 1957, d) 1958.

7- A l'issue du Tournoi 2022, le XV de France a célébré son Grand Chelem sur une péniche, le Diamant bleu. Mais où les joueurs ont-ils terminé la fête, le lendemain : a) Au pied de cochon, b) La brasserie d'Auteuil, c) Le bistrot d'Henri, d) L'enclos de Ninon.

8- Les Tricolores ont disputé en marge de leur tournée de 1974 en Argentine une rencontre internationale dans un pays voisin, mais ce test ne comptait pas pour une sélection officielle. Quel était ce pays ? a) Brésil, b) Chili, c) Uruguay, d) Paraguay.

9- En 1992, les Tricolores ont fêté leur dernier match du Tournoi au Royal Monceau. Quel chanteur a partagé cette troisième mi-temps ? a) Hugues Aufray, b) Johnny Halliday, c) Pierre Perret, d) Michel Polnareff.

10- En 1999, un événement marque l'histoire du XV de France féminin. Lequel ? : a) son entrée dans le Tournoi, b) l'organisation du Championnat d'Europe des nations, c) sa tournée en Nouvelle-Zélande, d) son intégration au sein de la FFR. 

11- Quel était le surnom de Serge Saulnier, manager de la tournée du XV de France de 1958 en Afrique du Sud ? a) l'ours, b) le mulet, c) le gorille, d) le butor.

12- Face aux All Blacks à Cardiff en 2007, l'essai de Yannick Jauzion part d'une combinaison de jeu. Quel est son nom ? a) Fusée farce, b) Toulouse bleu, c) Basque gauche, d) Espace change.

13- Parmi ces capitaines, un seul n'a pas inspiré Philippe Saint-André quand en 1994, il a été nommé à la tête du XV de France. Lequel ? a) Will Carling, b) François Pienaar, c) Sean Fitzpatrick, d) Ieuan Evans. 

14- Qui a dit "On ne passera pas pour des pipes" avant le coup d'envoi de la Coupe du monde 2019 au Japon ? a) Bernard Laporte, b) Guilhem Guirado, c) Louis Picamoles, d) Sébastien Vahaamahina.

15- Quel philosophe Fabien Galthié a-t-il invité à Marcoussis pour échanger avec ses joueurs, l'année dernière ? : a) Michel Onfray, b) Charles Pépin, c) Edgar Morin, d) Luc Ferry.

Bonne année à toutes et tous du blog.

samedi 17 décembre 2022

Crado de Noël

Il est descendu couvert de suie, sale et noirci. J'avais oublié de lui signaler que les ramoneurs n'ont pas eu le temps de se déplacer, cette année, bloqués par le givre. Et ils ne sont pas les seuls. C'est l'hiver. On l'avait perdu de vue, mais lui ne nous a pas oubliés. Tout est retardé, décalé, repoussé. C'est ainsi que je n'ai pas un seul exemplaire de mon Anthologie du XV de France à me mettre sous les yeux, et encore moins au bas du sapin : les livraisons attendront 2023, visiblement. 
Du XV de France ? Pas vraiment. La FFR a déposé cette expression - quand, je ne sais pas -, et il n'est donc plus possible de l'imprimer. Comble d'ironie quand on sait qu'elle a été inventée par Denis Lalanne en 1958 et reprise depuis à auteurs. Mais les services juridique et marketing fédéraux sont inflexibles. Alors plutôt que d'aller plaider devant un tribunal commercial, va pour "les Bleus", même si je préfère les "Tricolores". Depuis 2002 et l'uniformité du code vestimentaire en équipe de France, là encore la mode l'emporte, je le regrette et lutte à contre-courant.
Eviter le tribunal, donc. Ce que n'a pas su faire le président. De la FFR, s'entend. D'autres, et de fameux élyséens, sont pour leur part si régulièrement appelés au banc des accusés qu'on ne s'en émeut plus. Après vingt ans de carabistouilles, le petit Tapie de Gaillac, ainsi qu'il se rêvait, a été condamné pour divers motifs, dont la corruption n'est pas le moindre. Faire appel de ce jugement - deux ans de prison avec sursis et interdiction d'exercer toute fonction dans le rugby - lui donnera peut-être le temps de présenter le trophée Webb-Ellis à Saint-Denis au capitaine victorieux de la prochaine Coupe du monde. Ou pas.
Il faut méconnaître ses ressources pour imaginer qu'il ne s'accrochera pas à son mandat jusqu'à ce que son dernier ongle cède. Mais l'appel d'air suspensif dont il bénéficie ne lui offre que deux sorties : la relaxe ou la petite porte. En attendant, le voici encerclé par une nuée de contempteurs prompts à l'abandonner - World Rugby, LNR, Ministère des Sports, Assemblée nationale, anciens internationaux, comité d'éthique fédéral. Assez pour qu'il quitte Marcoussis ? Quand Jupiter, actuellement très occupé au Qatar - magnifique terre de corruption - s'en mêlera, il sera temps alors de mesurer l'ironie de cette situation.
Comme si les longues ombres des anciens péchés n'étaient pas suffisantes, le séisme du présent rend la période définitivement désespérante. Les provinces sud-africaines viennent dénaturer la Coupe d'Europe obligée de changer d'appellation, tel club abandonne son enfant malade de cette peste ovale que sont les commotions, tel autre répudie son fils prodigue pour recruter un lointain cousin, cet arbitre inflexible est menacé de mort et son épouse de viol après les propos sur réseaux sociaux d'un entraîneur qui se sentait cocu, c'est-à-dire fort marri d'avoir perdu. La période sent le sapin.
En ces temps particulièrement troublés, je ne saurais trop vous conseiller la compagnie des philosophes. Et pour l'occasion la lecture d'Arthur Schopenhauer, considérant qu'il maîtrise mieux que personne L'art d'avoir raison (publié en 1831) et nous propose avec Les deux problèmes fondamentaux de l'éthique : la liberté de la volonté humaine et le fondement de la morale (1840) une réflexion tout à fait indiquée. Ruban sur le cadeau glissé pour les fêtes, cette pensée pour nous-mêmes : "La vie est en gros une tragédie et, dans le détail, une comédie."

mercredi 7 décembre 2022

Epitomé tricolore

Le monde tourne à l'envers lorsque des supporteurs en viennent à brûler des drapeaux et des voitures pour fêter la qualification de leur équipe, que les coupures d'électricité annoncées menacent la vie de nos aînés au pays des Lumières, que des provinces sud-africaines s'apprêtent à disputer une compétition que nous n'appellerons plus Coupe d'Europe, que la fédération anglaise dégage sans égard son entraîneur national au motif d'un management excessif alors qu'il présente 75% de victoires, et pour le remplacer par un taurillon furieux...
Il vrille quand un personnel politique marginal qui ne représente que dix pour cent d'un parti qui n'est pas parvenu à obtenir cinq pour cent aux dernières présidentielles phagocyte les antennes et les ondes pour faire le buzz à la demande même des journalistes; quand un club - mais il y en a d'autres - rejette comme une vieille chaussette l'un de ses joueurs emblématiques au motif que ses multiples commotions lui interdisent de jouer. La guerre est toujours à nos portes et, plus loin, des femmes meurent en Iran pour défendre leurs libertés. Plus prosaïquement, quand deux clubs de rugby féminin français disparaissent du paysage faute de recettes tandis que l'Etat français s'apprête à emprunter 270 milliards d'euros pour boucler ses dépenses en 2023, où porter son regard ?
Au temps de Pastre, Lalanne, Lagorce et Blondin, l'Ovalie était un lieu réconfortant. Il y avait là autrefois des géants ; il y a là maintenant des héros. L'amateur qui se hasardait au-delà des Ponts Jumeaux et qui franchissait les forêts vertigineuses des Landes croyait voir partout, le dimanche venu, s'ouvrir et flamboyer le jeu d'attaque épanoui dans les stades de Paris comme de province. Les trois mille rugbymen enthousiastes lui apparaissaient, tel Michel Crauste descendu des nuées de Dublin ; dans les cent vallées du Rhône il retrouvait l'empreinte profonde et les mains telles des berceaux des cent guerriers tombés jadis sur ces terrains.
Il contemplait avec une sérénité hiératique les traces des passes croisées déliées des frères Boniface sur le flanc de Colombes. Il apercevait à l'horizon l'immense Jean-Pierre Rives s'activant dans le ruck, comme une cariatide sous une montagne, sur des sommets entourés de tempêtes, car la religion cathodique avait rendu ce Casque d'Or proéminent ; à travers les vitrages d'un vieux club-house, les encouragements de la foule arrivaient jusqu'à lui, passant ; et il entendait par intervalles l'immense coq essuyer ses ergots aux granits sonores du Parc des Princes. Par moment, un grondement de joie sortait du Stade de France, et dans ces instants-là, le voyageur rassuré voyait se soulever au nord, dans la déchirure des poteaux, la tête olympienne du géant Dupont, dieu-lumière des crochets intérieurs.
Les géologues ne voient aujourd'hui dans l'Ovalie bouleversée que la secousse d'un tremblement de terre et le passage des percussions diluviennes ; mais pour Pastre, Lalanne, Lagorce, Mauriès et Blondin jadis, Bonnot, Verdier, Montaignac, Verdet, Margot et Moguy naguère, David, Bourrel, Massicard, Duzan et Reyrat aujourd'hui, ces plaines luxuriantes, ces forêts d'envolées, ces blocs arrachés et rompus au ras des rucks, ces lacs en débordement, ces phases de conquêtes renversées et redevenues solaires, c'est quelque chose de plus formidable encore qu'un terrain magnifié d'exploits ou remué par les affrontements ; c'est l'éblouissant champ de bataille où les titans avaient lutté contre Jupiter.
"Ce que la fable a inventé, l'histoire le reproduit parfois. La fiction et la réalité surprennent quelquefois notre esprit par les parallélismes singuliers qu'il leur découvre, écrit Victor Hugo en 1843, dans sa préface aux Burgraves, ma source d'inspiration ci-dessus. Ainsi - pourvu néanmoins qu'on ne cherche pas de grossissements chimériques - il y a aujourd'hui en Europe un lieu qui, toute proportion gardée, est pour nous, au point de vue poétique, ce qu'était la Thessalie pour Eschyle, c'est-à-dire un champ de bataille mémorable et prodigieux." Ce lieu est ovale. 

Anthologie des Bleus, préfacé par Olivier Magne, est désormais disponible dans les meilleures librairies. Une séance de dédicaces a été organisée vendredi 9 décembre à La Fontaine aux Livres (rue Voltaire, à Palaiseau) pour en fêter la sortie. Merci à Thibault Olivier et Letiophe (par délégation), présents au coup d'envoi.