Ne jamais oublier que le jeu de football tel que pratiqué à Rugby fut développé par des étudiants de Cambridge et d'Oxford après avoir été "inventé" ou plutôt légendé au sein du fameux College qui a fait de William Webb Ellis son messie. Quant à la passe, longtemps ignorée, elle provient de la modélisation du jeu d'échecs à l'initiative d'un dénommé Vassal, soucieux d'éclairer une pratique au sein de laquelle l'affrontement et le déplacement du ballon au pied étaient devenus trop prégnants, ouvrant ainsi le débat qui continue d'animer nos discussions sur la définition de ce sport qui mêle, et c'est heureux, combat et évitement.
dimanche 11 mai 2025
D'un même élan
mardi 31 décembre 2024
2025 : que le jeu demeure
La vieille année s'en va, vive 2025, donc. Le temps s'écoule et ce n'est souvent qu'au moment où il atteint sa butée que nous percevons la vitesse à laquelle il file et, surtout, nous glisse entre les doigts. Quel est donc, à ce titre, le chemin parcouru par le rugby depuis qu'il a quitté sa gangue amateur en 1995 ? Trente ans, déjà. Est-ce un autre jeu ? Sans aucun doute. L'activité économique qu'il génère a-t-elle dépassé la pratique sportive ? On peut sincèrement en douter quand se mesure en dizaines de millions d'euros le déficit financier qui plombe son bilan.
dimanche 22 décembre 2024
Cantilènes de Noël
Voici quelques cadeaux à déposer autour du sapin en cette période de fêtes de fin d'année pour jouer au "Qui a dit ça ?", en attendant de nous retrouver en 2025 avec les idées fraîches et sans doute une nouvelle version de ce blog, qui a besoin de se réinventer. Depuis le temps que j'en parle, ça va arriver. Mais n'anticipons pas : jouez, jouez, comme dirait Pierre Villepreux.
1- C'est un joueur de la première ligne. "Avec l'équipe de France, j'étais parti à Bucarest pour affronter la Roumanie. Dans l'hôtel où nous étions logés, je faisais chambre commune avec Robert Paparemborde. Le matin, veille du match, il s'était levé fiévreux et soudain, j'entends des insultes en béarnais. Je vais voir ce qui se passe et je le vois dans la salle de bains se rincer la bouche en gueulant. Quant il a pu parler, il m'a dit : C'est le dentifrice ! J'ai pris le tube d'Akileïne (crème à base d'arnica pour le soin des pieds) ! J'ai bien ri, ce matin-là..."
2- C'est un trois-quarts aile. "En 1991, Jean-Baptiste Lafond avait pris des somnifères. Il n’arrivait pas à dormir, la veille du match à Twickenham. Le médecin de l’équipe de France lui avait prescrit un demi-comprimé et lui en avait avalé deux d’un coup. Le matin, je n’arrivais plus à le réveiller. Il avait loupé le petit-déjeuner et, à onze heures, on est arrivé en retard au briefing d’avant-match. Sur le terrain, il avait pris un cadrage-débord’ et m’avait lancé en plein match avec son accent de titi parisien : « Avec le courant d’air que je viens de prendre, ça y est, je suis réveillé… »
3- C'est un talonneur. "Mon meilleur souvenir, c'est un mercredi soir de novembre 1987, quand mes entraîneurs, Jean-Philippe Carriat et Jacques Berland, m'ont annoncé que j'étais titulaire en équipe première d'Angoulême. J'étais junior et je jouais troisième-ligne aile. C'était face à Bagnères-de-Bigorre, au stade Chanzy. J'y pense tout le temps. Je me suis dit ce jour-là : j'ai commencé le rugby à neuf ans, jouer en première avec Angoulême, c'est le seul objectif que je me suis fixé, je peux arrêter ma carrière, maintenant..."
4- C'est un troisième-ligne aile. "Notre plaisir, c'était de prendre le bus la veille du match pour effectuer de longs voyages, vers Aurillac, Clermont, Bourg-en-Bresse, Le Creusot, Grenoble... Chacun apportait des victuailles et on mangeait pendant qu'on roulait. On ne voulait pas aller au restaurant. Je me souviens d'un déplacement à Tulle où le main du match, j'étais allé cueillir des champignons. Je n'avais pas vu l'heure passer et l'équipe avait quasiment fini le repas de midi quand je suis revenu à l'hôtel avec un cageot de cèpes. Mais personne ne m'a engueulé. C'était un autre rugby."
5- C'est un arrière. " Lors de la finale de 1983, contre Nice, le public envahit le terrain. Nos supporteurs déferlent alors comme une vague, avec des gourdes, des trompettes, des drapeaux… L’arbitre arrête le jeu. Armand Vaquerin est à trois mètres de moi. Un supporteur passe en courant, une gourde à la main. Armand l’attrape par le col et lui lance, avec son accent inimitable : « J’ai soif ! » Vous imaginez bien qu’il n’y avait pas d’eau, dans cette gourde… Et voilà Armand qui boit une grande gorgée de vin, à la régalade. Mais il restait dix minutes à jouer (rires). Et pendant ces dix dernières minutes, il a été extraordinaire… »
6- C'est un demi d'ouverture. " En 2003, à Toulouse, en période d’halloween, après un match, la connerie nous prend et on décide de faire une soirée déguisée. Jean-Baptiste Elissalde arrive maquillé en femme et monte direct au club-house. Son déguisement était tellement réussi que le président René Bouscatel ne l’a pas reconnu et s’est mis à le draguer… On est ensuite allés dans un bar. Nicolas Jeanjean et Jean Bouilhou étaient eux aussi déguisés en femmes : les pompiers se sont arrêtés pour les faire monter dans leur camion… Personne ne les avait reconnus (sourire). Emile Ntamack, qui n’a jamais été un grand déconneur, était déguisé en Dark Vador et derrière son masque, il s’est complétement lâché : ça a été pour lui une révélation (rires)."
7- C'est un trois-quarts centre. "Je me souviens d’un match rugueux avec Brive - mais j'ai oublié contre qui - durant lequel les deux paquets d’avants s’étaient bien expliqués. L’arbitre arrête la bagarre, demande aux deux équipes de s’écarter, appelle les capitaines et parle avec eux pour calmer les esprits. Au bout d’un moment, on voit Jean-Claude Roques, qui était notre demi d’ouverture et aussi notre capitaine, revenir vers nous. On lui demande : « Alors, qu’est-ce qu’il a dit, l’arbitre ? » Et Jean-Claude lâche, le plus sérieusement du monde : « Il a dit qu’il fallait continuer ! » (rires). »
8-C'est un arrière. "Mon plus bel essai, c'est celui de 1994 dont tout le monde parle encore, lors du deuxième test face aux All Blacks. Même si je n’ai que trois mètres mettre à parcourir... Heureusement que je ne commets pas un en-avant, sinon je ne serais pas rentré en France (rires). Collectivement, c’est le plus beau. Quand Philippe Saint-André amorce la contre-attaque, je suis à côté de lui. Il doit me la donner, il ne le fait pas et se fait croquer ; moi, je continue ma course tout droit. Quand je vois qu’Abdel (Benazzi) feinte et passe dans le dos alors que d’habitude, il fait des saucisses, je me dis qu’il va se passer quelque chose de fabuleux. Je ne pensais pas recevoir le ballon de Guy (Accoceberry) et il reste encore Philippe (Saint-André) derrière moi. Mais j’ai préféré marquer (rire)..."
9-C'est un troisième-ligne centre. "Jamais je ne me suis mis en colère. En revanche, avant les matches, il m'arrivait de motiver mes coéquipiers et de monter un peu dans les tours (rires). Sur le terrain, je me souviens d'un troisième-ligne aile du Racing-Club de France, Patrice Péron, qui avait étendu Jo Maso et Lucien Pariès au plaquage. Celui-là, je voulais me le chercher ! Je suis monté sur un fond de touche pour l'exploser mais il s'est baissé et je me suis cassé la main sur son genou : cinq fractures, et l'os qui sortait. J'ai disputé le reste du match dans cet état, et puis le soir, au comptoir, on s'est retrouvé lui et moi, bras dessus, bras dessous..."
10-C'est un deuxième-ligne. "A dix-huit ans, lorsque j'étais Espoirs à La Rochelle, il manquait un joueur et j'ai été appelé à participer à l'entraînement de l'équipe première. C'était l'époque où Jean-Pierre Elissalde entraînait. Sur une action, il me dit : "Julien, il ne faut pas faire ça !..." Et je lui réponds : "Oui mais..." avant de me lancer dans une explication. Heureusement, un de mes partenaires passe à côté de moi et me glisse : "Ici, on ne dit pas "oui mais". J'ai bien compris la consigne et je me suis arrêté de parler. J'ai beaucoup appris, ce jour-là..."
lundi 12 août 2024
Jeux est un autre
jeudi 21 décembre 2023
Débordons d'amour pour ce jeu
mercredi 4 octobre 2023
En résonnance
Jusque-là, tout va bien : les stades sont pleins, les pintes de bière se vident plus vite que les travées au coup de sifflet final, les adversaires s'enlacent une fois le match terminé et les supporteurs fraternisent dans les estaminets... Comme en 1991 et en 2007, cette édition démontre que la France sait recevoir. Mais ce n'est pas nouveau: depuis que le rugby existe et que le public a été admis à pénétrer dans l'enceinte d'un stade puis à payer sa place, pas une rencontre internationale n'a dégénéré.
On peut attribuer sans se tromper cette osmose aux vertus et aux valeurs que véhicule ce sport, discipline éducative par excellence et à l'origine. Ses supporteurs sont pour la plupart des pratiquants voire des connaisseurs à l'image des aficionados, doctes analystes de la chose tauromachique capables de disséquer une passe jusqu'au petit matin. Même s'il est encore un peu tôt pour tirer un bilan de l'édition 2023 - la seule entièrement organisée sur nos territoires - l'évoquer à mi-parcours, c'est aussi l'occasion de rendre hommage aux milliers de bénévoles qui s'activent pour rendre plus belle cette tranche de vie.
Mais il est long ce calendrier augmenté d'une semaine afin d'offrir cinq jours incompressibles de repos aux joueurs engagés dans des affrontements de plus en plus intenses. Mis à part la blessure, l'attente, l'opération et le retour d'Antoine Dupont auprès du groupe France, piétiner deux semaines d'un bout à l'autre de ce tunnel sans action dans lequel sont versés les Tricolores a douché l'enthousiasme populaire des premiers jours. D'autant que les mères de famille se demandent s'il est bon, au moment où la santé des joueurs est au cœur de toutes les problématiques - médicales, sportives, arbitrales -, d'insister pour faire rejouer notre capitaine fracassé, même casqué de cuir...
Interrogeons-nous, aussi, sur la multiplication des scores fleuves qui emportent dans leurs flots tout suspense au bout d'une demi-heure de match à sens unique. On ne compte plus les victoires qui dépassent cinquante points et décrédibilisent les oppositions présentées à grand renfort de mauvaise foi comme équilibrées. Depuis 1987, vingt-cinq nations ont disputé une Coupe du monde - ce qui est peu - et seuls Fidji, Samoa, Canada et Japon sont parvenus à s'immiscer en quarts de finale au milieu du Big Nine composé des historiques du Tournoi des Cinq Nations et des quatre de l'hémisphère sud.
A l'évidence, le rugby mondial souffre de consanguinité. Nonobstant le plaisir que nous avons à voir ces sélections nationales proposer un jeu de mouvement sans calcul, l'injection du Chili aux côtés de l'Uruguay et du Portugal ne va pas modifier le déséquilibre existant entre les ténors, qui attirent télévisions et partenaires commerciaux, et le reste du chœur soumis au bon vouloir financier et à l'aide logistico-sportive de World Rugby. On remarquera au passage que mis à part l'Angleterre et l'Irlande, toutes les autres fédérations souffrent de déficits budgétaires plus ou moins importants. En France, la note à régler s'élève à douze millions d'euros.
Si cette dixième Coupe du monde brille par son cadre festif, ses affluences à guichets fermés et sa médiatisation à défaut de nous offrir dans sa première partie une symphonie sportive digne des meilleures compositions, elle marque, du moins à mes yeux, la fin d'un cycle. Le concept étalé aujourd'hui devant nous arrive à son point critique. Les caciques de World Rugby vont devoir renouveler en profondeur le système s'ils ne veulent pas connaître une cruelle désillusion en Australie dans quatre ans.
En attendant de monter dans le quart face aux Springboks, de nombreux affluents ont irrigué l'idée même d'une Coupe du monde. Ainsi a-t-elle été déclinée en version militaire à Vannes, scolaire à Pontlevoy et universitaire à Pessac. Celle des clubs amateurs a été remportée par les Sud-Africains d'Hamilton Sea Point, victorieux des Chiliens samedi dernier au stade Jean-Rolland de Digne-les-Bains. Tout cela fait résonnance et, paraphrasant le sociologue et philosophe allemand Hartmut Rosa, réveille notre capacité à nous laisser atteindre et éventuellement transformer par de nouvelles formes de rapport au monde, expérience de connexion qui est "l'essence même de l'existence".
Début novembre, les éditions Passiflore publieront Côté Ouvert, recueil des meilleures chroniques du blog depuis 2016.
samedi 31 décembre 2022
2023, année bascule
mardi 17 mai 2022
L'effleure du maul
dimanche 21 novembre 2021
La nuit transfigurée
Certains instants parlent d'éternité. On aimerait prolonger ce rêve éveillé. Et s'y replonger dès qu'un voile de tristesse, d'abandon, de nostalgie, que sais-je encore, nous enveloppe l'esprit. Depuis que le XV de France s'est frotté aux Néo-Zélandais, ces moments magiques apparaissent de décennie en décennie pour frapper les imaginations. Certains marquent aussi les All Blacks de cicatrices. Ceux-là n'auront pas longtemps à souffrir de la lourde défaite (40-25) encaissée samedi soir dernier. Deux ans pour en guérir, c'est largement suffisant. En attendant, nous n'oublierons pas ce succès, d'où il vient et, on l'espère, vers où il nous transporte.
dimanche 7 mars 2021
Delenda Marcoussis
A l'heure où, sans avoir besoin de solliciter McFly et Carlito, la petite république française des Lettres célèbre le bicentenaire de la naissance de Gustave Flaubert, l'oeuvre de cet ermite aux bacchantes gauloises que ne reniait pas Pierre Michel Bonnot n'a jamais été, effectivement, autant d'actualité. Elogieux au-delà du plus démonstratif des adjectifs, les hommages se succèdent sur la scène littéraire et le groupe France, fleuron du sport français en période de pandémie a, semble-t-il, décidé de sortir de sa bulle pour s'inscrire à ce panégyrique.
De façon aussi subtile que discrète, les échappées belles entre deux séances rendent ainsi honneur à l'auteur de Madame Bovary, apologie de l'adultère où l'on tousse beaucoup sans se cacher la bouche dans le coude. Pour le meilleur et pour le rire, les escapades furtives et les coups de canif dans le contrat de confiance n'ont jamais obstrué les sentiments et, que voulez-vous, à force d'être préparés à Marcoussis, dont les faux airs de séminaire n'échappent à personne, rompre l'ennui devient pour une jeunesse ovale pleine de sève une urgence qui tourne vite à l'obligation sanitaire.
L'inventeur du "style indirect libre" a aussi parfaitement exploré, voire célébré, la sensibilité du "provincial" monté à Paris et, sans en rédiger ici le compte-rendu, vous conviendrez avec moi qu'il y a dans l'élan de la formation tricolore qui étend son jeu jusqu'au bout des lignes un parallèle à faire avec la fresque naturaliste de Flaubert, le romantisme enveloppant les personnages comme il happe lecteurs et téléspectateurs depuis le début de ce Tournoi. On poussera l'analogie dans le gueuloir jusqu'à imaginer que le patient zéro se nomme "Frédéric Moreau"...
De l'Education sentimentale, dont on perçoit les rebonds du fond de l'Essonne, jusqu'à Salammbô qui préfigure, samedi, la prise de Twickenham, en passant par Rome et Dublin, les Tricolores ont mesuré pas à pas et à leur corps défendant la faible distance qui sépare le Capitole de la roche tarpéienne: à peine la portée d'un drop. Après leur deux succès initiaux comme autant de rencontres, sans doute s'attendaient-ils à ce que soit gravé sur leurs cothurnes de bronze : "Aux moules à gaufres d'Ovalie les parties reconnaissantes".
Que ce soit en promenade à Nice ou derrière les grilles de Marcoussis, des échos de libation alimentèrent les colonnes et les chroniques, et Gustave Flaubert en donne lecture : "Le festin devait durer toute la nuit, et des lampadaires à plusieurs branches étaient plantés, comme des arbres, sur les tapis de laine peinte qui enveloppaient les tables basses. Devant des amphores de verre bleu, des grappes de raisin avec leurs feuilles étaient enroulées comme des thyrses à des ceps d'ivoire. De temps à autre, les lyres sonnaient un hymne, ou bien un choeur de voix s'élevait. La rumeur du peuple, continue comme le bruit de la mer, flottait vaguement autour du festin ; le soleil commençait à descendre..."
S'avance donc Twickenham, bâti de marbre numidique, avec ses portes d'airain surmontées d'une rose rouge - je paraphrase Flaubert de mémoire -, ses quatre étages de tribune en terrasses avec de grands escaliers en colimaçon portant aux angles de chaque marche la proue d'une nation vaincue, et ces drapeaux qui claquent au vent saxon comme des flammes oblongues. Twickenham, donc, qu'il faut maintenant faire plier malgré les fatigues revues à travers les vapeurs de l'ivresse.
On sait ce qu'il advint : coincé dans le défilé de la Hache, l'assiégeant fut vaincu, les pieds et les genoux enserrés dans un large filet de défense. Les lions d'Angleterre "reposaient, la poitrine contre le sol et les deux pattes allongées ; d'autres, assis sur leur croupe, regardaient droit devant eux. Ensuite, ils ouvrirent leurs gueules toutes grandes - Eddie Jones, si tu nous lis - et durant quelques minutes, ils poussèrent un long rugissement que les échos de la montage répétèrent."
Samedi, en fin de journée, les lions de Sa Majesté en rage - à défaut d'être en cage, me glisse Jean-Pierre Elissalde - feront-ils festin ? Ou bien alors les personnages de Flaubert, coeurs simples retirés une semaine durant à la campagne, trouveront-ils assez de ressources pour parvenir à brûler Carthage ? La réponse à cette question ovale, mais pas seulement, se niche peut-être, comme ma conclusion, dans la Correspondance de Flaubert : "Quand tout sera mort, avec des brins de moelle de sureau et des débris de pot de chambre, l'imagination rebâtira des mondes."
dimanche 20 décembre 2020
Sculpter son cerveau
samedi 12 mai 2018
Bilbao à la fête
San Mamès est situé à une portée de drop du musée Guggenheim et les habitants de Bilbao craignaient le pire : avant d'accueillir les finales de Coupes d'Europe, Challenge et Champions, ils avaient assisté, calfeutrés derrière leurs fenêtres, au déferlement des fadas marseillais et des hordes russes de Kiev, laissant le centre-ville de la cité basque à moitié détruit. Grande fut leur surprise quand ils virent des supporteurs venus des toutes les provinces d'Espagne et d'au moins vingt clubs d'Europe fraterniser au bar et dans les rues.
Dès le vendredi, tous les maillots de rugby disponibles coloraient les avenues de Bilbao, et les accents, du plus chantant au plus rocailleux, formaient la mosaïque du rugby de l'hémisphère nord dans ce qu'il a de plus fraternel. Pas un angle de rue, une place, un parc d'où ne sortaient des chants, des rires, quelques accords de musique. Un vrai bonheur ovale pour la première fois que les trophées européens étaient décernés en dehors des zones traditionnelles, Irlande, Grande-Bretagne et France.
A l'occasion des deux finales - Cardiff-Gloucester et Leinster-Racing 92, les amateurs de football, et ils étaient nombreux dans un San Mamès hérissé de poteaux de rugby aux couleurs du pays basque, avouaient avoir pris une leçon de sportivité : pas un mot de la part des joueurs aux arbitres quelle que soit leur décision, des chocs telluriques et des plaquages destructeurs sans le moindre geste d'énervement ou de frustration. Ils avaient un mot à la bouche en même temps qu'ils vidaient leurs pintes : chevaleresque. Au pays de Cervantès, ça a du sens.
Pendant que Grenoble atomisait Oyonnax et prouvait que la ProD2 n'est pas un enfer ni même un purgatoire mais bien une compétition de qualité qu'il est possible d'apprécier quand on sature de Trop 14, les Russes d'Enisei venaient à bout des Allemands d'Heidelberg, l'ancien club du président Wild. L'Europe en paix est une construction à chérir, surtout après avoir visité, recueilli, le musée de la paix à Guernica et croisé des amoureux entrelacés au creux de la sculpture monumentale d'Henry Moore sur les hauteurs de la ville hier détruite et aujourd'hui lumineuse.
Voyez le tableau : Guernica s'est imposé naguère comme le grand club de rugby du moment : Pedro nous précise qu'il s'agit d'Ordizia, désormais. Dont acte. Le gouvernement de cette province souhaiterait créer une ligue basque transfrontalière à l'horizon 2020, ce qui prolonge la montée en puissance de l'équipe nationale espagnole qui a failli se qualifier directement pour la Coupe du monde 2019 au Japon, n'était un arbitrage roumain plus que suspect et une fin de match houleuse indigne du rang international qui vaut aux joueurs espagnols, la plupart français, de perdre toute possibilité de faire entendre leur voix à force d'avoir trop et mal gueulé.
C'était historique, donc et en deux finales, San Mamès mérite en Ovalie son surnom de Catedral - comme le temple de Twickenham a gagné le sien au fil de l'histoire - pour ses tribunes vertigineuses montant dans le ciel à la façon des stades argentins et son silence respectueux sur les tentatives de tirs au but. Cette œuvre d'art sur les hauteurs de la ville en viendrait presque à plonger le musée Guggenheim et ses façades dorées dans son ombre tant elle s'est construite de mille intensités.
mardi 31 octobre 2017
Leurres divers
Si l'on ajoute à ces deux «couturières» provinciales les tests-matchs face aux All Blacks et au Springboks, soixante-neuf joueurs seront de la revue bleue, étalonnés face à ce qui se fait de mieux à l'heure actuelle dans l'hémisphère sud. Pour savoir, ça on va savoir ! Attention, cependant : cette année, notre liste «Elite» - qui ne sert plus à rien un an après sa création - s'est entraînée pendant plusieurs semaines à Marcoussis à soulever de la fonte et à courir autour du terrain. Aucune excuse ne sera retenue en cas, possible, de nouvelle déroute.
Le staff tricolore et la nouvelle présidence fédérale n'ont pas encore tout essayé : puisque les derniers nommés ont un besoin urgent de liquidité, on leur conseillera de (re)monter le fameux match de sélection entre les Probables et les Possibles qui a fut éclore quelques talents éphémères et mourir de vieilles certitudes au cours de rencontres naguère considérées comme un pensum mais qu'il suffirait de peindre aux couleurs d'une saine concurrence - je suggère de décliner à tous les temps «le groupe vit bien» - pour attirer là-aussi le chaland.
Il y a tout juste vingt ans, en novembre 1997 et dans le cadre de l'inutile Coupe Latine, l'équipe de France s'entraînait dans un stade de football situé à l'octroi de Bagnères - Pouzac, précisément. J'y étais - et les dirigeants du club bigourdan n'avaient rien trouvé de mieux que de faire payer cinquante francs (dix euros d'aujourd'hui) l'entrée au stade au motif que les Tricolores allaient s'ébrouer face à l'équipe locale. La gestion des guichets avait été laissée à l'entière discrétion du trésorier de Bagnères-de-Bigorre, le staff tricolore, Jo Maso en tête, fermant les yeux - un peu gêné quand même - sur ce détournement de fonds du public.
Cette faute de goût avait été commise avec - soi-disant - l'aval fédéral au motif, déjà, qu'il fallait bien faire vivre les petits clubs, s'était justifié Roland Bertranne. Mais sans s'appesantir. En fait de match entre Bagnères et le XV de France, il s'agissait seulement de dix minutes d'opposition raisonnée. Mille spectateurs grugés avaient payé pour ne rien voir et au milieu d'eux était assis le président de l'époque, Bernard Lapasset, pas le moins du moins embarrassé. C'est à ça qu'on reconnait les grands commis. Un autre millier était resté derrière les grilles, frustré.
Cet épisode peu glorieux m'a donné une idée. Puisque la Fédération a besoin d'argent frais, pourquoi ne pas organiser un tournoi de gala pendant les tests de novembre. Avec ce que le Championnat compte de retraités internationaux au chômage technique (cf. photo avec Nonu, Ashton et Radradra dans la même action) pendant les tournées d'automne, il y a de quoi générer huit équipes thématiques. C'est dire la richesse de notre compétition domestique.
Pourraient ainsi s'affronter en quarts de finale, demies et finale une sélection des meilleurs étrangers (All Star), une sélection sud-africaine (Rainbow), celle des îles du pacifique (Magics), un best of des natifs de l'hémisphère sud tendance kiwi, deux XV de France des oubliés, des "Coqs en pâte" et un même un agrégat des "laissés pour compte" qui aurait fière allure si vous prenez le temps d'en apprécier la composition. Eurosports et Canal Plus accueillent assez de techniciens pour qu'il ne faille pas aller chercher bien loin pour trouver qui encadrera ces sélections.
Si le staff tricolore a lancé comme une martingale 69 joueurs dans sa grande revue, je vous assure que ces 105 joueurs-là rempliraient les stades et les caisses. Imaginez la façon dont ces huit équipes pourraient se mettre à jouer. Ca fait rêver, non ? Il y a une telle pléthore de non-sélectionnables dans le Top 14 qu'une liste cachée non-exhaustive (Kakovin, Ulugia, Asiechvili, Cittadini, Steenkamp, Maka, Uys, Houston, Botica, Mieres, Betham,Vatubua, Ngwenya, Ensor, Toeava, D. Armitage, etc.) recèle des remplaçants de luxe susceptibles de s'intégrer à tout moment en guest-stars si besoin, voire même de constituer une équipe de substitution, c'est dire...
All Star : Radradra - Ashton, Nonu, C. Smith, Nadolo - (o) Cruden, (m) Pienaar - Botia, Vito, Isa - Willemse, Nakarawa - Tameifuna, B. du Plessis, J. du Plessis.
Rainbow Team : Lambie - Kolbe, F. Steyn, Ebersohn, Jordaan - (o) M. Steyn, (m) Januarie - Hauman, Vermeulen, Alberts - Marais, Kruger - M. Van der Merwe, Jenneker, Buckle.
Pacific Magics : Nagusa - Votu, Waisea, Talebula, Tuisova - (o) Murimurivalu, (m) Kockott - Manoa, Koyamaibole, Fa'asalele - Qovu, Tekori - Johnston, Leiatua, Afatia.
Southern Barbarians : Taylor - D. Smith, Wulf, Carter, Rokocoko - (o) Slade, (m) McLeod - Gill, Lee, Eaton - Timani, Carizza - Atonio, Forbes, Gomez-Kodela.
Bleus foncés : Dulin - Fall, Fofana, Danty, Palisson - (o) Michalak, (m) Parra - Nyanga, Claassen, Lapandry - Lamboley, Jacquet - Boughanmi, Kayser, Chiocci.
Coqs en pâte : Le Bourhis - Arias, Mignardi, David, Grosso, (o) Tales, (m) Bézy - Puricelli, Lakafia, Lauret - Demotte, Samson - Brugnaut, Bonfils, Pelo.
Toasties : Rattez - Arnold, Tomane, Holmes, Strettle - (o) Urdapilleta, (m) Tomas - Fernandez-Lobbe, T. Gray, Kolelishvili - Capo-Ortega, Gorgodze - Zirakashvili, Bosch, Menini.
Héros oubliés : Abendanon - Fuatai, Fritz, Tuitavake, Masilevu - (o) Hickey, (m) J. Pélissié - Chalmers, S. Armitage, Caballero - Jones, Pierre - Cobilas, Szarzewski, Domingo.
Il faudra bien remercier au passage et chaleureusement les présidents de Clermont, Toulon, Montpellier, La Rochelle, Pau et le Racing pour leurs importantes contributions respectives au rayonnement mondial du Top 14. J'espère que la FFR, dans sa grande générosité, leur a fait payer leurs places pour assister aux rencontres du XV de France dont on espère, sincèrement, qu'elles ne tourneront pas question jeu au grand n'importe quoi. Parce que pour le reste, c'est déjà fait.
mercredi 13 septembre 2017
L'étoffe de nos héros
Certains sculpteurs considèrent que l'espace négatif - ainsi appelées les formes évidées - compte autant que l'espace positif ; que le vide est aussi important que la matière dès lors qu'il s'agit d'inspirer. Considérant les remous qui engloutissent en ce moment l'idée que nous nous faisons du rugby, il est vital de se plonger dans l'espace qui apparait ainsi en creux, dans tout ce qui n'est pas, je veux dire pas médiatisé, mis en avant et souligné.
La pratique du rugby sera toujours plus forte que l'impact supposé de ceux qui s'en servent pour réaliser leurs desseins. Les règles changent tous les ans mais quelque chose de l'esprit initial demeure, c'est heureux. Certes aujourd'hui, les présidents occupent le devant de la scène. On le regrette dans le mesure où leurs avis ne sont pas toujours marqués du sceau de la pertinence. Mais les clubs - joueurs, entraîneurs - effectuent leur mue. Je pense en particulier à Montpellier et La Rochelle.
En un changement d'entraîneur, les Héraultais expriment plus largement leur potentiel. En passant de Jake White à Vern Cotter, du style bok à la méthode black pour faire court, Montpellier semble s'épanouir en occupant la largueur du terrain, occultant ce qui était considéré auparavant comme des zones interdites à la contre-attaque. Idem pour le Stade Rochelais, hier cadenassé sur la ligne de front à pilonner l'adversaire et qui, lors de cette troisième journée, a donné à Clermont, parangon du jeu complet, une leçon de "large-large".
On pourra citer aussi Toulon et Bordeaux-Bègles relookés par Fabien Gatlhié et Jacques Brunel, adaptes des blocs et de l'initiative par le replacement incessant des joueurs en petites unités. Mais je garde en mémoire l'essai de l'ailier Gabriel Lacroix, son premier, face à l'ASM à Marcel-Deflandre, comme le parfait exemple de ce que le rugby peut offrir de spectaculaire en sept passes. J'étais placé juste devant la dernière, inattendue, saisissante.
Quarante secondes, d'entrée, pour déborder, transpercer et éteindre la défense des champions de France en titre venus sur les bords de l'Atlantique en composition (presque) type. Un seul adversaire battu - le dernier - mais six Clermontois arrêtés sur passe, percussion ou percée à partir d'un simple essuie-glace gauche-droite pour placer au bout de deux passes mollement lobées le centre-flanker (c'est nouveau) Levani Botia, joueur atout fer, face au deuxième-ligne Sitaleki Timani.
Les coaches l'avouent, le but du rugby contemporain consiste à placer après deux ou plusieurs temps de jeu un joueur rapide face à un présumé plus lent afin de casser la ligne de défense. Regardez comment Levani Botia échappe à Timani tout en assurant sa passe, mais admirez surtout en amont son replacement intérieur pour répondre à l'appel de croisée, avant de servir acrobatiquement son ailier Lacroix. Tout y est. A garder pour se le repasser en boucle les soirs de journées de disette topquatorzienne.
Il paraît que tout le monde en raffole. Je veux parler du raout annuel qui fête le succès du Top 14 dans des lieux d'ordinaire dédiés au showbiz. Ce genre d'auto-célébration sur scène à la gloire du dieu télévisuel, très peu pour moi. Il y a comme une négation de ce jeu éminemment collectif à élire le meilleur ceci, le meilleur cela. Sans compter qu'on y trouve de plus en plus de sponsors et de partenaires commerciaux, et de moins en moins d'authenticité.
J'ai refusé cette invitation à L'Olympia mais n'ai pas manqué de rejoindre Dax (ici attablé avec J. Guibert, A. Boniface, H. Garcia, D. Lalanne, O. Margot, Ch. Jeanpierre et A. Albaladejo) pour l'inauguration de la statue érigée en l'honneur de Pierre Albaladejo, notre Socrate qui distille le meilleur de la pensée rugbystique au gré des conversations qu'il fait naître. Maître des mots Pierrot Bala, à la radio, à la télévision, au plaisir d'une interview. Quel plaisir d'écouter les siens quand des maux venus des hautes sphères polluent l'ovale. C'était vendredi dernier, moment rare durant lequel furent associées en une forme d'Olympe 1350 capes (vous reconnaissez sur la première photo Bastiat, Dourthe, Mola, Roumat, Pelous, Ibanez, Lescarboura, Boyoud) et autant d'épées comme André Darriguade et Michel Jazy, pour n'en citer que deux.
L'historien Henri Garcia, mon mentor, ancien patron de la rubrique rugby de L'Equipe puis accessoirement du quotidien, compare Olivier Magne, présent ce jour-là comme tant d'autres internationaux dacquois, à Jean Prat. Il n'a pas tort. Tout en nous racontant - il était jeune journaliste pour le quotidien Combat - la Libération de Paris par la "Nueve", compagnie de la 2ème DB entrée dans la capitale avant les Américains. "Mais vous êtes Espagnols ?" lançaient les Parisiens, incrédules. "Non, répondirent les combattants, nous sommes républicains espagnols !" Tout est dans la nuance.
Quand la vacuité l'emporte, il importe de se souvenir de ce qui nous constitue. Le président de l'US Dax, François Gachet, évoqua dans son discours d'ouverture, avant que la statue de Pierrot ne soit dévoilée, le devoir qui est le nôtre en ces temps troublés : exemplarité et transmission. Tout Bala résumé en deux mots. Et au delà même de l'ouvreur-consultant, l'un des rares internationaux, comme Walter Spanghero et Jean-Pierre Rives (que vous verriez eux aussi statufiés de leur vivant), à transcender un club et une génération pour parler à tous et à chacun.
Dans le texte rédigé en préface du remarquable ouvrage de Jean-Michel Blaizeau intitulé "La fabuleuse épopée des Jaune et Noir" qui relate par le menu la saison passée, Jean-Pierre Elissalde, jamais avare de métaphores, écrit : "Une équipe n'est pas un cèpe qui pousse en une nuit. Ce groupe rochelais est né de la remontée. (...) On n'a jamais mis le chalut devant la bateau. (...) On sait la place des artisans de l'ombre, des bâtisseurs anonymes de cathédrales qui, longtemps, n'ont eu pour seul bonheur que le sentiment du devoir accompli."
Au moment où le Top 14 s'autocélébre dans le faste et les paillettes alors même que son but et ses moyens sont antagonistes avec l'avenir du rugby français en ce sens qu'ils ne favorisent pas naturellement l'éclosion heureuse des nouvelles générations, ayons une pensée pour tous les formateurs. "Je râle quand un éducateur de cadets me dit qu'il est entraîneur," lâchait Pierre Albaladejo, l'autre vendredi. Il est peut être là, notre premier combat : faire en sorte que le rugby d'élite ne délite pas ce tissu qui est l'étoffe de nos héros.
dimanche 15 janvier 2017
Esprit d'équipe
Pas que je sois particulièrement attiré par ce club, ni spécialement concerné, encore que j'y ai passé de bien belles soirées, que ce soit aux côtés de Jean Liénard, puis Jean de La Vaissière, Jacques Fouroux, Rico Rinaldi et enfin Fabrice Landreau, entrecoupées de virés mémorables, dont une en compagnie de Fred Velo, à qui j'ai sans doute sauvé la vie. Mais ceci une autre histoire.
Non, ce qui m'inquiète, devant les sièges vides en Isère, c'est d'assister à l'exode massif de l'effectif actuel alors que la saison vient tout juste de basculer dans sa deuxième moitié. J'ai compté, ils sont quatorze à quitter le FCG. Série en cours. De quoi constituer une équipe d'exilés. Entre autres Desmaison, Hand, Jolmes, Farrell, Batlle, Mignot, Bosh, McLeod, Grice, Diaby, Bouchet, Jammes et jusqu'au capitaine Wisniewski, ce qui en dit long sur ce délitement.
Je veux bien que le rugby soit devenu professionnel et donc libéral, que les internationaux analysent le marché et draguent le mieux disant financier, que les clubs se comportent en vulgaires entreprises, que les présidents traitent les joueurs comme du bétail, et les joueurs leurs mécènes comme des vaches à lait, mais quand même : une quinzaine de départs plombent l'ambiance alors que tout est encore jouable. Le signal est confondant : il n'y a plus de grimpeurs encordés.
Je ne dis pas ça pour faire de la peine à Sylvie, loin de moi cette idée, mais cette débandade organisée me choque. Certes, les caisses du club sont vides, le Stade des Alpes se désemplit, les résultats tombent mal, mais ces reflux condamnent Grenoble avant même l'expiration de la saison et l'officialisation du classement. Comment constituer une équipe quand chacun sait qu'il ne portera plus son maillot, la saison prochaine ?
Bayonne, pourtant en difficulté, ne connait pas une telle saignée ; le Stade Français, en chute libre, voit partir quelques vedettes mais rien de comparable à l'asséchement de l'effectif isérois. Le torrent de montage n'est qu'un mince filet d'eau. Le beau projet est noyé. Ainsi va le rugby pro. Au plus offrant. Le métier de journaliste consiste, figure imposée, à visiter régulièrement les sites des clubs pour voir qui est annoncé partant ou qui risque d'arriver. Beaucoup de mes confrères passent leur temps au téléphone avec les agents de joueurs pour anticiper les signatures. Personnellement, je ne m'y reconnais pas.
Alors que faire pour booster les désirs du chaland ? Quitte à foncer dans le mur de l'argent autant organiser une vente aux enchères des meilleurs marqueurs d'essais, un comice agricole des avants de devoir, ou un concours de tirs au but genre On achève bien les chevaux pour savoir quel réalisateur restera le dernier debout ! De quoi gonfler l'audimat, faire du chiffre et animer les mornes semaines entre deux journées de Top 14 polymusclé.
Pour prendre du plaisir, il faudrait que je sois Irlandais tant le Munster, le Leinster et le Connacht nous régalent. Je demeure Rochelais de coeur, cette saison devrait me contenter, mais la raison m'impose de rester neutre, à distance. Frustration. Clermont et Bordeaux-Bègles donnent, eux aussi, parfois (mais ce n'était pas ce dimanche) à rêver.
Parmi les très bonnes nouvelles, Tautor nous invite à constituer un Quinconces. Ceci est bel et bon. La date ? Du vendredi 21 avril 17 h pour l'apéro au dimanche 23, après le déjeuner pour ensuite aller voter au premier tour de la présidentielle. Il y a trois hôtels, des mobil-homes et un B&B à Treignac (cerca Brive) et dans les environs. Chacun pourra apportera ses spécialités régionales. Pour l'instant, nous sommes une dizaine, série en cours...
jeudi 14 juillet 2016
Chose fête
Les capitaines du XV de France qui lui ont succédé depuis Philippe Dintrans l’avouent : « notre modèle, c’est Jean-Pierre Rives ». Ce qui ramène le flamboyant ensanglanté à sa condition de panthéonisé de son vivant. « J’ai plutôt l’impression qu’ils se sont fait une idée de moi, constate l’ancien troisième-ligne aile. Parce que, pour vous dire la vérité, je m’en suis sorti grâce aux autres. » Il parviendrait presque à nous faire croire qu’il fut objet et non sujet, à l’écouter : « ce sont mes coéquipiers qui s’en sont sortis, pour moi. »
Par une de ces coïncidences qui fait passer le sportif au rang de héros malgré lui, l’apport de Jean-Pierre Rives est gravé dans le marbre des commémorations obligées quand s’annonce, chaque année, le 14 juillet. Eden Park d’Auckland, sa lumière dorée, ses mouettes. 1979. Mes vingt ans. Gallion, Codorniou, Joinel, Dintrans, Dubroca, Aguirre, les autres, et Rives. Catalyseur. « Sans doute parce que j’avais concentré en quelques phrases l’espèce de sentiment qui émanait de l’équipe, reconnait-il. Mais je peux vous assurer que n’importe qui d’autre que moi aurait pu dire ou faire ce que l’on m’a prêté… »
Juillet, ses listes et son calendrier qui ne nous laissent pas souffler tellement la perspective d’août annonce trop vite une nouvelle saison, devrait se nourrir de vide alors qu’il nous remplit de vacuité. C’est bien pourquoi la légende est toujours plus belle que la réalité. «Et il vaut mieux rester dans la légende, lâche Rives. Finalement, je ne sais pas si ce serait sympa de passer une soirée avec Marilyn Monroe. Mieux vaut rester avec l’idée que l’on se fait d’elle… » D’ailleurs, elle m’attend, alanguie, sur la plage.
Nous observons, autant que nous sommes, mais que voyons-nous ? Jusqu’à quel point sommes-nous décalés de la réalité de ce jeu ? Rives, encore, pour conclure cette pause vacancière, remarquait, étant sorti du terrain, que le public « ne comprend pas ce qui se passe réellement » car « il voit autre chose. » C’est donc ce qui constitue la légende ? « On ne peut pas voir la même chose parce qu’on ne regarde pas dans la même direction, note-il. Les spectateurs regardent les joueurs, les joueurs regardent le ballon, le ballon ne regarde personne et il rebondit où il veut. En plus, maintenant, tu as des stewards, dos au match, qui regardent le public. Finalement, dans un stade, il y a plein de gens qui regardent des choses différentes. Et tout ça tient à un regard. »
Pourquoi le rugby nous parle-t-il ? Et surtout de quoi nous parle-t-il ? Qu’y a-t-il dans ce miroir qui capte notre regard ? Depuis une lointaine province méditerranéenne au sud de laquelle je vais bientôt retrouver notre Tautor national, j’aurais envie d’écrire que nous aimons ce sport parce qu’il prolonge l’idée que nous nous faisons de nous-même dans l’adversité et dans la solidarité, dans les questions que nous nous posons et les réponses que nous souhaitons y apporter. Délocalisés sur une autre aire de « je ». Mais constitués en équipe. Je vous en prie, fête.
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