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dimanche 11 mai 2025

D'un même élan

 

Ne jamais oublier que le jeu de football tel que pratiqué à Rugby fut développé par des étudiants de Cambridge et d'Oxford après avoir été "inventé" ou plutôt légendé au sein du fameux College qui a fait de William Webb Ellis son messie. Quant à la passe, longtemps ignorée, elle provient de la modélisation du jeu d'échecs à l'initiative d'un dénommé Vassal, soucieux d'éclairer une pratique au sein de laquelle l'affrontement et le déplacement du ballon au pied étaient devenus trop prégnants, ouvrant ainsi le débat qui continue d'animer nos discussions sur la définition de ce sport qui mêle, et c'est heureux, combat et évitement.
Major de sa promotion à l'Ecole Centrale il y a de cela plus d'un siècle - le temps passe vite -, Marcel Communeau, fleuron d'une génération du Stade Français qui dominait le rugby français - là aussi, la roue tourne - proposa aux avants, dont il était l'âme, de redoubler les trois-quarts, décision stratégique qui lui valut d'être exclu de l'équipe première au motif que son exemple pouvait détourner les "bourriques" des tâches ingrates dans lesquelles elles étaient alors cantonnées. Les sélectionneurs du XV de France, eux, en firent un capitaine dont le charisme le disputait aux qualités physiques.
Dès 1983, me précise l'ami Pascal Yvon, Centrale-Paris - plus précisément Jojo, Carlo et Pierrot - organisa un tournoi universitaire international (Edimbourg, Dublin, Cardiff) à sept. La fac de Toulouse, avec à sa tête l'inénarrable Pierre Chadebech, bien soutenu par Denis Charvet, fut battue en finale par Cardiff University. Une référence. Et Christian Nieto avait même poussé plus loin en mettant sur pied un tournoi féminin, une première européenne à l'échelle des grandes écoles, remporté par les Centraliennes ! Le journal L'Equipe s'était d'ailleurs, à l'époque, fendu d'une coupe récompensant, dixit "la belle tenue d'une des équipes participantes", si l'on en croit l'article publié.
Depuis 2005 - j'y étais, diront certains - les Centraliens ont repris le flambeau en organisant un tournoi de rugby à sept où la passe et le plaquage appuyé sont érigés en viatique, compétition devenue au fil des éditions mixte et internationale. Elle s'est disputée la semaine dernière dans l'écrin du club d'Orsay cher à Paul Tremsal où pendant deux jours et sur deux terrains, une kyrielle d'équipes se sont affrontées, sous le parrainage de Juan Imhoff et de Jérôme Daret, entre autres mentors.
Il faut avoir vu les filles de la sélection basque et les Néo-Zélandaises à forte densité maori s'engager, et avant cela, Fidjiennes et Sud-Africaines partager, bras dessus bras dessous, un chant d'adieu à l'issue de la petite finale pour saisir à quel point les femmes sont sans aucun doute l'avenir de ce jeu, ainsi que le chantait le poète. Les unes pleuraient d'émotion à l'issue de la défaite et leurs larmes se mêlaient à la ferveur de celles qui les avaient vaincues mais sublimaient leur peine dans un bel élan de sororité. Merci à Maxime, Manon, Inès, Pétronie, Hèlène et Alexy, sans oublier l'inoxydable Matthieu, de m'avoir permis de partager cette fête.
Quelques jours plus tard, le RC Toulon délocalisait sa plus belle affiche au stade vélodrome de Marseille en battant un record d'affluence que l'OM n'avait fait qu'effleurer, mais les dirigeants varois n'avaient pas manqué l'occasion de rendre hommage à toutes les écoles de rugby de la région qui défilèrent ainsi fièrement autour du terrain juste avant le coup d'envoi. Le trait commun entre un tournoi organisé par des universitaires et le prime-time du Top 14 est ainsi facilement identifiable : il est tissé d'émotion, d'engagement et de passion. 
Il faudra bien, un jour très prochain, se pencher sur l'avenir du bénévole, tant le joug administratif les écrase alors que la manne financière se rétrécit. Réfléchir à doter ces amateurs, sans lesquels rien d'ovale n'existerait, d'un authentique statut propre à les protéger, les valoriser, les encourager à poursuivre cette voie vertueuse qui tend, malheureusement, à se paver d'écueils. Nous avons tous, gravés, les noms de ceux qui nous ont donné les premières clefs de ce jeu, à commencer par la façon de bien lacer nos chaussures à crampons et d'en graisser régulièrement le cuir.
L'autre lien qui rassemble la pratique du rugby dans toute sa diversité n'est pas sur mais à côté du terrain, point de convergence qui dépasse les divisions. Il suffit de se laisser porter après le coup de sifflet final. Que ce soit sur l'avenue du Prado ou pas loin de la sortie des vestiaires, il y a toujours une buvette, une cabane à frites ou un barbecue ventrèche-merguez pour rassembler celles et ceux qui se sont affrontés, ou qui ont encouragé leurs champions. On y rejoue les matches, on y fraternise sans avoir besoin de se ressembler. Je mesure ma chance d'avoir, en quelques heures, vécu ce trait d'union. Plus de quarante années passées à raconter l'odyssée du ballon de rugby sous toutes ses coutures n'ont pas encore tari ma source.

mardi 31 décembre 2024

2025 : que le jeu demeure

 

La vieille année s'en va, vive 2025, donc. Le temps s'écoule et ce n'est souvent qu'au moment où il atteint sa butée que nous percevons la vitesse à laquelle il file et, surtout, nous glisse entre les doigts. Quel est donc, à ce titre, le chemin parcouru par le rugby depuis qu'il a quitté sa gangue amateur en 1995 ? Trente ans, déjà. Est-ce un autre jeu ? Sans aucun doute. L'activité économique qu'il génère a-t-elle dépassé la pratique sportive ? On peut sincèrement en douter quand se mesure en dizaines de millions d'euros le déficit financier qui plombe son bilan.
Reste des douze mois écoulés le reflet d'une médaille d'or olympique décrochée par l'équipe de France à 7, et il faut la placer en regard des "affaires" qui polluèrent l'été dernier pour tenter d'apporter un peu de lumière quand les zones d'ombre voudraient nous happer. Heureusement, le jeu de mains nous éclaire lorsqu'on se tourne vers le terrain, jeu de Toulousains que subirent les Irlandais du Leinster en finale de Coupe des Champions et les Bordelais surclassés à Saint-Denis en quête du Brennus.
Je vous souhaite avec le plus de force possible que quelque chose puisse vous effleurer, du sentiment particulier dont une seule passe détachée, venant devant nos yeux d'un match auquel nous assistons, un mouvement offensif qui ne peut surgir que du tréfonds d'une relance inspirée, nous touche comme un rayon de soleil et nous tient liés, quelque chose du doux plaisir que nous éprouvons quand nous sommes au stade et que ce ballon passe de mains en mains.
N'en est-il pas déjà ainsi, pour un décalage subtil ou un plaquage appuyé ? Si au cœur d'une rencontre à La Rochelle, Perpignan, Toulouse ou Clermont, à Castres, Pau, Bayonne, Montpellier ou Toulon, à Jean-Bouin, à Chaban ou à l'Arena, Vannes ou Lyon, passe un frisson d'émotion ovale, où donc ce frisson surpasserait-il ou égalerait-il seulement ce qu'éprouvent ces héros modernes que sont les joueurs eux-mêmes ?
Le poète écrit : "L'homme désire et redoute à la fois d'être tiré de lui-même : il sent que l'infini va le toucher, qui contracte sa poitrine en voulant l'élargir, et va ravir son esprit. A cela vient s'ajouter le respect de la perfection de l'art : l'idée de la jouissance permise d'une merveille qu'il va recevoir en lui comme s'il avait avec elle des affinités, entraîne une sorte d'émotion et même d'orgueil, l'orgueil le plus heureux et le plus pur peut-être dont nous soyons capables."
Ainsi s'exprimait Eduard Mörike relatant de Mozart le voyage à Prague. Alors ravissons nos esprits, touchons l'infini, respectons la perfection de l'art, jouissons de toutes les émotions, recevons le meilleur des affinités. Et comme les vibrations sublimes des accords du maître s'écoutent au-delà de la coda posée au bout de l'ultime portée, j'aimerais vous offrir en guise de cadeau à l'occasion de cet instant charnière de joyeuse intimité un peu du silence qui prolonge l'œuvre. Elle est descente en chacun de nous, avant que nous remontions goûter ensemble la nouvelle année.

dimanche 22 décembre 2024

Cantilènes de Noël

 Voici quelques cadeaux à déposer autour du sapin en cette période de fêtes de fin d'année pour jouer au "Qui a dit ça ?", en attendant de nous retrouver en 2025 avec les idées fraîches et sans doute une nouvelle version de ce blog, qui a besoin de se réinventer. Depuis le temps que j'en parle, ça va arriver. Mais n'anticipons pas : jouez, jouez, comme dirait Pierre Villepreux.

1- C'est un joueur de la première ligne. "Avec l'équipe de France, j'étais parti à Bucarest pour affronter la Roumanie. Dans l'hôtel où nous étions logés, je faisais chambre commune avec Robert Paparemborde. Le matin, veille du match, il s'était levé fiévreux et soudain, j'entends des insultes en béarnais. Je vais voir ce qui se passe et je le vois dans la salle de bains se rincer la bouche en gueulant. Quant il a pu parler, il m'a dit : C'est le dentifrice ! J'ai pris le tube d'Akileïne (crème à base d'arnica pour le soin des pieds) ! J'ai bien ri, ce matin-là..."

2- C'est un trois-quarts aile. "En 1991, Jean-Baptiste Lafond avait pris des somnifères. Il n’arrivait pas à dormir, la veille du match à Twickenham. Le médecin de l’équipe de France lui avait prescrit un demi-comprimé et lui en avait avalé deux d’un coup. Le matin, je n’arrivais plus à le réveiller. Il avait loupé le petit-déjeuner et, à onze heures, on est arrivé en retard au briefing d’avant-match. Sur le terrain, il avait pris un cadrage-débord’ et m’avait lancé en plein match avec son accent de titi parisien : « Avec le courant d’air que je viens de prendre, ça y est, je suis réveillé… »

3- C'est un talonneur. "Mon meilleur souvenir, c'est un mercredi soir de novembre 1987, quand mes entraîneurs, Jean-Philippe Carriat et Jacques Berland, m'ont annoncé que j'étais titulaire en équipe première d'Angoulême. J'étais junior et je jouais troisième-ligne aile. C'était face à Bagnères-de-Bigorre, au stade Chanzy. J'y pense tout le temps. Je me suis dit ce jour-là : j'ai commencé le rugby à neuf ans, jouer en première avec Angoulême, c'est le seul objectif que je me suis fixé, je peux arrêter ma carrière, maintenant..." 

4- C'est un troisième-ligne aile. "Notre plaisir, c'était de prendre le bus la veille du match pour effectuer de longs voyages, vers Aurillac, Clermont, Bourg-en-Bresse, Le Creusot, Grenoble... Chacun apportait des victuailles et on mangeait pendant qu'on roulait. On ne voulait pas aller au restaurant. Je me souviens d'un déplacement à Tulle où le main du match, j'étais allé cueillir des champignons. Je n'avais pas vu l'heure passer et l'équipe avait quasiment fini le repas de midi quand je suis revenu à l'hôtel avec un cageot de cèpes. Mais personne ne m'a engueulé. C'était un autre rugby."

5- C'est un arrière.Lors de la finale de 1983, contre Nice, le public envahit le terrain. Nos supporteurs déferlent alors comme une vague, avec des gourdes, des trompettes, des drapeaux… L’arbitre arrête le jeu. Armand Vaquerin est à trois mètres de moi. Un supporteur passe en courant, une gourde à la main. Armand l’attrape par le col et lui lance, avec son accent inimitable : « J’ai soif ! » Vous imaginez bien qu’il n’y avait pas d’eau, dans cette gourde… Et voilà Armand qui boit une grande gorgée de vin, à la régalade. Mais il restait dix minutes à jouer (rires). Et pendant ces dix dernières minutes, il a été extraordinaire… »

6- C'est un demi d'ouverture. " En 2003, à Toulouse, en période d’halloween, après un match, la connerie nous prend et on décide de faire une soirée déguisée. Jean-Baptiste Elissalde arrive maquillé en femme et monte direct au club-house. Son déguisement était tellement réussi que le président René Bouscatel ne l’a pas reconnu et s’est mis à le draguer… On est ensuite allés dans un bar. Nicolas Jeanjean et Jean Bouilhou étaient eux aussi déguisés en femmes : les pompiers se sont arrêtés pour les faire monter dans leur camion… Personne ne les avait reconnus (sourire). Emile Ntamack, qui n’a jamais été un grand déconneur, était déguisé en Dark Vador et derrière son masque, il s’est complétement lâché : ça a été pour lui une révélation (rires)."

7- C'est un trois-quarts centre. "Je me souviens d’un match rugueux avec Brive - mais j'ai oublié contre qui - durant lequel les deux paquets d’avants s’étaient bien expliqués. L’arbitre arrête la bagarre, demande aux deux équipes de s’écarter, appelle les capitaines et parle avec eux pour calmer les esprits. Au bout d’un moment, on voit Jean-Claude Roques, qui était notre demi d’ouverture et aussi notre capitaine, revenir vers nous. On lui demande : « Alors, qu’est-ce qu’il a dit, l’arbitre ? » Et Jean-Claude lâche, le plus sérieusement du monde : « Il a dit qu’il fallait continuer ! » (rires). » 

8-C'est un arrière. "Mon plus bel essai, c'est celui de 1994 dont tout le monde parle encore, lors du deuxième test face aux All Blacks. Même si je n’ai que trois mètres mettre à parcourir... Heureusement que je ne commets pas un en-avant, sinon je ne serais pas rentré en France (rires). Collectivement, c’est le plus beau. Quand Philippe Saint-André amorce la contre-attaque, je suis à côté de lui. Il doit me la donner, il ne le fait pas et se fait croquer ; moi, je continue ma course tout droit. Quand je vois qu’Abdel (Benazzi) feinte et passe dans le dos alors que d’habitude, il fait des saucisses, je me dis qu’il va se passer quelque chose de fabuleux. Je ne pensais pas recevoir le ballon de Guy (Accoceberry) et il reste encore Philippe (Saint-André) derrière moi. Mais j’ai préféré marquer (rire)..."

9-C'est un troisième-ligne centre. "Jamais je ne me suis mis en colère. En revanche, avant les matches, il m'arrivait de motiver mes coéquipiers et de monter un peu dans les tours (rires). Sur le terrain, je me souviens d'un troisième-ligne aile du Racing-Club de France, Patrice Péron, qui avait étendu Jo Maso et Lucien Pariès au plaquage. Celui-là, je voulais me le chercher ! Je suis monté sur un fond de touche pour l'exploser mais il s'est baissé et je me suis cassé la main sur son genou : cinq fractures, et l'os qui sortait. J'ai disputé le reste du match dans cet état, et puis le soir, au comptoir, on s'est retrouvé lui et moi, bras dessus, bras dessous..."

10-C'est un deuxième-ligne. "A dix-huit ans, lorsque j'étais Espoirs à La Rochelle, il manquait un joueur et j'ai été appelé à participer à l'entraînement de l'équipe première. C'était l'époque où Jean-Pierre Elissalde entraînait. Sur une action, il me dit : "Julien, il ne faut pas faire ça !..." Et je lui réponds : "Oui mais..." avant de me lancer dans une explication. Heureusement, un de mes partenaires passe à côté de moi et me glisse : "Ici, on ne dit pas "oui mais". J'ai bien compris la consigne et je me suis arrêté de parler. J'ai beaucoup appris, ce jour-là..."


lundi 12 août 2024

Jeux est un autre

Par où commencer ? Peut-être par la fin. Boris Vian chantait les bienfaits de la télévision, quand elle est retournée. Quitte a être décalé, j'avoue : j'ai snobé la cérémonie de clôture. Le nom, déjà : clôture. C'est laid. Comment enfermer ces Jeux Olympiques quand on voudrait qu'ils restent ouverts à jamais. Pour les habitués que nous sommes des Coupes du monde de rugby qui s'étirent sur plus de sept semaines, ce concentré de sports et d'athlètes, de disciplines et d'émotions, de victoires inattendues et de défaites prévisibles sur dix-sept jours était devenu notre rendez-vous estival quotidien. Nos désirs échappent - et c'est heureux, écrivait Rimbaud - au contrôle de la raison.
C'était le moment de se faire de nouveaux amis, Léon, Pauline, Boladé, Auriane, Désiré, Jefferson-Lee, Félix, Siréna, Guerschon, de s'ouvrir - ou pas - à de nouvelles activités mais s'interroger sur la présence du breakdance et l'absence du karaté, remarquer aussi les six médailles - un record - de la Chinoise Zhang Yufei, restée de bronze. Espérer que la médaille d'or des septistes tricolores - que nous n'attendions pas, il faut l'avouer - brille longtemps encore car le rugby français d'élite, plongé dans la tourmente entre Le Cap et Mendoza, en a vraiment bien besoin.
Depuis 1987 et le premier Mondial, le XV de France, on ne le sait ici que trop bien, n'a pas été capable de soulever le trophée Webb-Ellis tant convoité. A chaque édition s'égrènent comme une litanie les raisons de l'échec. Mais ces Jeux Olympiques nous rappellent que la quête de l'or est un long chemin au bout duquel la force mentale, la précision technique, l'esprit d'équipe - même en sport individuel - et la capacité à se sublimer sous la pression, sont autant de piliers indiscutables et de pistes à creuser.  
A quoi tient le métal d'une médaille ? A presque rien, quand l'épaisseur d'un front, soit un centième de seconde, sépare l'or de l'argent sur le fil du 110 mètres haies féminin. A la hargne du tenace Joan-Benjamin Gaba accroché cinq minutes durant au kimono de son adversaire japonais pour relancer son équipe avant qu'elle ne truste le plus haut du podium. Si la France, avec 64 médailles, se hisse à la quatrième place - un cran en dessous si l'on considère les critères olympiques privilégiant l'or - est-elle pour autant devenue une nation sportive ? Attendons la rentrée scolaire : la maigre place occupée par le sport à l'école témoignerait plutôt du contraire.
Les meilleurs Jeux Olympiques de l'histoire, cérémonie d'ouverture comprise ? Peut-être. Sûrement, diront certains. Pourquoi pas. En tout cas, ils ont bien occupé l'esprit des citoyens que nous sommes au point d'en oublier que nous n'avions toujours pas de gouvernement, si ce n'est démissionnaire. Aucune trêve - comme c'était pourtant la coutume et le sens premier donné à cette compétition - sur le front des guerres, des combats et des embrasements. A ce titre, je ne vous conseillerai jamais assez de relire le court pamphlet du jeune Etienne de la Boétie, piochant dans le terreau lydien pour remonter à la racine des jeux.
Dans deux semaines, les Jeux Paralympiques seront lancés. D'ici là, peut-être aurais-je oublié Dionysos en bleu Klein, Aya Nakamura trémoussante au rythme de la Garde Républicaine et Antoine Dupont porte-drapeau - mon pronostic n'était pas si mauvais. Entre éloge de la diversité et culte de la tradition, sera-t-il encore question de syncrétisme et de roman national, de céphalophores et d'iconoclastes, de chromosome X et de piano debout sur lequel jouer la mélodie du bonheur ? 
Avant de refermer cette chronique, que nos pensées enveloppent la famille de Mehdi Narjissi, ses parents et sa soeur. Notre peine n'est rien face à leur douleur et leur colère. Au-delà des circonstances, qui nous échappent, et des responsabilités que la justice se chargera d'établir, aucune fatalité n'explique la disparition d'un enfant. Puisque nous sommes impuissants devant ce drame, cette plaie béante qui jamais ne se refermera, que nos cœurs se rapprochent.

jeudi 21 décembre 2023

Débordons d'amour pour ce jeu

Une photo vaut mille mots, et celle-ci nous entraîne dans sa pente. Elle nous permet de retrouver nos racines et nos ailes, car la passion a besoin d'être régulièrement alimentée. C'est ce qu'a compris Benoit Jeantet en écrivant Le ciel a des jambes, récemment récompensé par le prix La Biblioteca pour l'année 2023 écoulée, recueil de nouvelles publié aux éditions du Volcan. Une façon de tourner la page en glissant ce baume littéraire sur les plaies des mois passés. 
Ce jeu de rugby que nous aimons tant ne vaut pas que nous endurions mille maux. XV de France éliminé, explications tronquées, arbitres menacés, mais aussi fédération française déficitaire et clubs amateurs en difficulté obligés de fusionner pour survivre. Et maintenant, après le GPS cousu dans le dos et les cameramen qui entrent sur le terrain durant les arrêts de jeu, les décideurs souhaiteraient placer des micros dans le col des joueurs afin qu'ils nous fassent profiter de leurs commentaires durant le match ! 2023 n'est pas encore terminé qu'on se demande déjà dans quelle impasse 2024 va nous laisser.. 
Restent heureusement quelques pépites à savourer, comme cette victoire spectaculaire et tellement rafraîchissante du Stade Toulousain sur la pelouse rabougrie du Stoop Memorial des Harlequins, club dont Jean Prat fut, jusqu'à sa disparition en 2005, membre d'honneur. Et il n'y a bien que les champions de France en titre pour porter à incandescence le jeu debout, qui est encore la meilleure façon de ne pas se faire pénaliser dans les rucks.
On se demande d'ailleurs pourquoi, après avoir sélectionnés Ramos, Dupont, Jelonch, Cros, Flament, Baille, Mauvaka et Aldhegeri lors du dernier Mondial, le staff tricolore n'a pas eu l'idée lumineuse de privilégier ce mode d'expression balle en mains plutôt que de chercher une hypothétique voie de secours dans une approche qui alternait dépossession et temps de jeu frontaux, et ne mena qu'à la défaite en quarts de finale - certes d'un rien, deux points pour l'emporter -, mais fiasco quand même, avec ou sans datas pour justifier l'intenable.
A quoi ressemblera 2024 sur le blog ? J'avoue m'interroger. Si j'apprécie la pugnacité de fidèles commentateurs comme Serge Aynard, Christophe Bedou, Jacques Labadie et Jean-Lou Dresti qui font vivre notre espace ovale en l'alimentant d'idées parfois étincelantes et souvent de belles tournures épistolaires, il serait souhaitable que ce club-house virtuel accueille comme ce fut le cas il y a peu d'anciennes gloires et de vertueux écrivains qui, lecteurs assidus à visage découvert,  n'osent pas - ce sont eux qui l'avouent - pousser la porte, ouvrir leur clavier et déposer ne serait-ce qu'un petit bout de prose ovale.
Il faudra bien dépasser cette réserve en ces temps de rugby difficiles, tendus, anxiogènes, où chacun croit détenir la vérité - économique, médiatique, financière, sportive -, des temps où l'image prévaut, celle qu'on nous sert, celle qu'il ne faut pas écorner sous peine de s'aliéner des joueurs devenus divas et qui semblent s'intéresser bien plus au reflet qu'ils monnayent plutôt qu'à l'exemple qu'ils devraient inspirer.
Débordons d'amour pour ce jeu de balle ovale tel que pratiqué à Rugby, du temps où les joueurs étaient maîtres d'eux et des règles. En cette période de fêtes, joyeux Noël, donc, et bonne année nouvelle. Vous avez déjà commandé Côté Ouvert (éditions Passiflore) chez votre libraire préféré et je vous en remercie du fond du cœur. L'autre cadeau que j'aimerais vous offrir est emballé dans un supplément d'envie, écrin de verdure encadré par deux poteaux un peu penchés comme nous portons un regard. Lisez, écrivez, jouez, passez pour mieux revenir d'un crochet intérieur. Ce cadeau, c'est notre altérité symbolisée par le "plus un", phrase de jeu qui dessine nos décalages en bout de lignes.

mercredi 4 octobre 2023

En résonnance

Jusque-là, tout va bien : les stades sont pleins, les pintes de bière se vident plus vite que les travées au coup de sifflet final, les adversaires s'enlacent une fois le match terminé et les supporteurs fraternisent dans les estaminets... Comme en 1991 et en 2007, cette édition démontre que la France sait recevoir. Mais ce n'est pas nouveau: depuis que le rugby existe et que le public a été admis à pénétrer dans l'enceinte d'un stade puis à payer sa place, pas une rencontre internationale n'a dégénéré. 

On peut attribuer sans se tromper cette osmose aux vertus et aux valeurs que véhicule ce sport, discipline éducative par excellence et à l'origine. Ses supporteurs sont pour la plupart des pratiquants voire des connaisseurs à l'image des aficionados, doctes analystes de la chose tauromachique capables de disséquer une passe jusqu'au petit matin. Même s'il est encore un peu tôt pour tirer un bilan de l'édition 2023 - la seule entièrement organisée sur nos territoires - l'évoquer à mi-parcours, c'est aussi l'occasion de rendre hommage aux milliers de bénévoles qui s'activent pour rendre plus belle cette tranche de vie. 

Mais il est long ce calendrier augmenté d'une semaine afin d'offrir cinq jours incompressibles de repos aux joueurs engagés dans des affrontements de plus en plus intenses. Mis à part la blessure, l'attente, l'opération et le retour d'Antoine Dupont auprès du groupe France, piétiner deux semaines d'un bout à l'autre de ce tunnel sans action dans lequel sont versés les Tricolores a douché l'enthousiasme populaire des premiers jours. D'autant que les mères de famille se demandent s'il est bon, au moment où la santé des joueurs est au cœur de toutes les problématiques - médicales, sportives, arbitrales -, d'insister pour faire rejouer notre capitaine fracassé, même casqué de cuir...

Interrogeons-nous, aussi, sur la multiplication des scores fleuves qui emportent dans leurs flots tout suspense au bout d'une demi-heure de match à sens unique. On ne compte plus les victoires qui dépassent cinquante points et décrédibilisent les oppositions présentées à grand renfort de mauvaise foi comme équilibrées. Depuis 1987, vingt-cinq nations ont disputé une Coupe du monde - ce qui est peu - et seuls Fidji, Samoa, Canada et Japon sont parvenus à s'immiscer en quarts de finale au milieu du Big Nine composé des historiques du Tournoi des Cinq Nations et des quatre de l'hémisphère sud. 

A l'évidence, le rugby mondial souffre de consanguinité. Nonobstant le plaisir que nous avons à voir ces sélections nationales proposer un jeu de mouvement sans calcul, l'injection du Chili aux côtés de l'Uruguay et du Portugal ne va pas modifier le déséquilibre existant entre les ténors, qui attirent télévisions et partenaires commerciaux, et le reste du chœur soumis au bon vouloir financier et à l'aide logistico-sportive de World Rugby. On remarquera au passage que mis à part l'Angleterre et l'Irlande, toutes les autres fédérations souffrent de déficits budgétaires plus ou moins importants. En France, la note à régler s'élève à douze millions d'euros. 

Si cette dixième Coupe du monde brille par son cadre festif, ses affluences à guichets fermés et sa médiatisation à défaut de nous offrir dans sa première partie une symphonie sportive digne des meilleures compositions, elle marque, du moins à mes yeux, la fin d'un cycle. Le concept étalé aujourd'hui devant nous arrive à son point critique. Les caciques de World Rugby vont devoir renouveler en profondeur le système s'ils ne veulent pas connaître une cruelle désillusion en Australie dans quatre ans.

En attendant de monter dans le quart face aux Springboks, de nombreux affluents ont irrigué l'idée même d'une Coupe du monde. Ainsi a-t-elle été déclinée en version militaire à Vannes, scolaire à Pontlevoy et universitaire à Pessac. Celle des clubs amateurs a été remportée par les Sud-Africains d'Hamilton Sea Point, victorieux des Chiliens samedi dernier au stade Jean-Rolland de Digne-les-Bains. Tout cela fait résonnance et, paraphrasant le sociologue et philosophe allemand Hartmut Rosa, réveille notre capacité à nous laisser atteindre et éventuellement transformer par de nouvelles formes de rapport au monde, expérience de connexion qui est "l'essence même de l'existence".

Début novembre, les éditions Passiflore publieront Côté Ouvert, recueil des meilleures chroniques du blog depuis 2016.

samedi 31 décembre 2022

2023, année bascule

Comme l'année, le roi est mort... Et avec lui une certaine idée de la légéreté sportive, de la grâce et du simple plaisir de jouer. Le départ de Pelé efface aussi ses zones d'ombres. Il était unique. Garricha, Puskas, Di Stefano, Kopa ou Cruyff n'ont pas laissé cet éclat doré dans nos mémoires, nonobstant leurs talents. Platini, Zidane, Messi, Christiano Ronaldo, Modric, Neymar, Mbappé, n'ont pas l'aura lumineuse dont il était paré. Seul Maradona - Di(e)os - rivalise en surfant sur l'irrationnel. Personne ne succéde à Pelé. Alors laissons chanter "Vive le roi". 
On peut tout craindre, en revanche, de l'année 2023, à tel point qu'on se demande par quel bout la prendre... Commençons par la laisser basculer. Seule certitude, ce sera l'ère des combats, d'un front l'autre. Espèrons que celui d'Ukraine cessera vite. Et, actualité plus riante, que la grande quête du XV de France trouvera enfin son aboutissement à Saint-Denis. Mais voilà, nous avons à peine laissé la vieille année dernière nous que s'ouvre déjà le calendrier prochain Tournoi des Six Nations.
Dans cette perspective, recevez ma dernière chronique comme un cadeau de fin d'année, une passe à auteur. Ludique, l'occasion est ainsi donnée au premier d'entre vous de recevoir cet ouvrage à domicile, dédicacé à la personne de votre choix. Pour cela, il lui faudra répondre avec justesse et précision aux quinze questions ci-dessous tirées - c'est mon crochet intérieur - de cette Anthologie. A vos claviers. Le coup d'envoi est donné.

1- Walter Spanghero le considère comme le meilleur demi de mêlée avec lequel il a joué en équipe de France. Qui est-ce ? a) Richard Astre, b) Max Barrau, c) Gérard Sutra, d) Marcel Puget.

2- Le demi de mêlée et capitaine Philippe Struxiano refusa sa sélection en équipe de France lors du Tournoi 1921. Qui est le héros de la Grande Guerre qui insista auprès de lui afin qu'il change d'avis ? : a) Joseph Joffre, b) Philippe Pétain, c) Robert Nivelle, d) Maxime Weygand.

3- Comment se nomme la première capitaine du XV de France féminin ? a) Marie-Paule Gracieux, b) Judith Benassayag, 3) Isabelle Decamps, 4) Monique Fraisse.

4- En 1892, où donc s'est disputé le premier match "international" organisé entre le Stade Français et Rosslyn Park ? a) Colombes, b) Levallois-Perret, c) Vincennes, d) Sceaux.

5- Qui a dit : "Quand on remporte un Grand Chelem, on se construit une famille" ? : a) Jacques Fouroux, b) Christian Carrère, c) Jo Maso, d) Jean-Pierre Rives.

6- En quelle année a été retransmis pour la première fois à l'ORTF une rencontre du Tournoi des Cinq Nations ? a) 1955, b) 1956, c) 1957, d) 1958.

7- A l'issue du Tournoi 2022, le XV de France a célébré son Grand Chelem sur une péniche, le Diamant bleu. Mais où les joueurs ont-ils terminé la fête, le lendemain : a) Au pied de cochon, b) La brasserie d'Auteuil, c) Le bistrot d'Henri, d) L'enclos de Ninon.

8- Les Tricolores ont disputé en marge de leur tournée de 1974 en Argentine une rencontre internationale dans un pays voisin, mais ce test ne comptait pas pour une sélection officielle. Quel était ce pays ? a) Brésil, b) Chili, c) Uruguay, d) Paraguay.

9- En 1992, les Tricolores ont fêté leur dernier match du Tournoi au Royal Monceau. Quel chanteur a partagé cette troisième mi-temps ? a) Hugues Aufray, b) Johnny Halliday, c) Pierre Perret, d) Michel Polnareff.

10- En 1999, un événement marque l'histoire du XV de France féminin. Lequel ? : a) son entrée dans le Tournoi, b) l'organisation du Championnat d'Europe des nations, c) sa tournée en Nouvelle-Zélande, d) son intégration au sein de la FFR. 

11- Quel était le surnom de Serge Saulnier, manager de la tournée du XV de France de 1958 en Afrique du Sud ? a) l'ours, b) le mulet, c) le gorille, d) le butor.

12- Face aux All Blacks à Cardiff en 2007, l'essai de Yannick Jauzion part d'une combinaison de jeu. Quel est son nom ? a) Fusée farce, b) Toulouse bleu, c) Basque gauche, d) Espace change.

13- Parmi ces capitaines, un seul n'a pas inspiré Philippe Saint-André quand en 1994, il a été nommé à la tête du XV de France. Lequel ? a) Will Carling, b) François Pienaar, c) Sean Fitzpatrick, d) Ieuan Evans. 

14- Qui a dit "On ne passera pas pour des pipes" avant le coup d'envoi de la Coupe du monde 2019 au Japon ? a) Bernard Laporte, b) Guilhem Guirado, c) Louis Picamoles, d) Sébastien Vahaamahina.

15- Quel philosophe Fabien Galthié a-t-il invité à Marcoussis pour échanger avec ses joueurs, l'année dernière ? : a) Michel Onfray, b) Charles Pépin, c) Edgar Morin, d) Luc Ferry.

Bonne année à toutes et tous du blog.

mardi 17 mai 2022

L'effleure du maul

Des premières toiles représentant le Calcio, affrontement des quatre quartiers de la ville de Florence, joute où se transmet et se traque un énorme ballon de cuir, Calcio considérée comme l'un des ancêtres du jeu de Rugby, l'ovale n'a jamais cessé, pour de multiples raisons, d'attirer les artistes. L'inspiration magnifie le jeu, à l'image du numéro d'équilibriste de Teddy Thomas dansant sur la ligne de touche, qui trouve ses prolongements dans la manifestation culturelle qui, par exemple, s'annonce à Saint-Paul-lès-Dax, ce week-end.
Avec pour ambition première le partage, ce rassemblement agrège du vendredi 20 au dimanche 22 mai peinture et théâtre, cinéma et littérature, sculpture et musique, photographie et poésie, philatélie aussi. Composée par Jean-Claude Barens, notre entraînant sélectionneur, l'équipe s'articule autour de Jean Colombier, Pierre Berbizier, Eric des Garets, Christophe Duchiron, Yves Appriou, Jean-Michel Agest, Serge Collinet, Christophe Vindis, Léon Mazzella, Jean Harambat, Frédéric Villar, Jean-Paul Basly et l'ami Benoit Jeantet, et bien d'autres artistes et intervenants, avec comme seul plan de jeu l'expression libre et chaleureuse des sentiments ovales.
L'écrin qui nous accueille trois jours durant porte le nom d'un personnage sensible et complexe, Félix Arnaudin, dont l'oeuvre patrimoniale initiée à la fin du XIXème siècle ne cesse d'enrichir ce territoire des Landes naguère menacé d'abandon. "Dans ma pauvre vie de rêveur sauvage, je n'ai guère reçu d'encouragements ; l'indifférence et les railleries un peu de tous côtés, en ont volontiers pris la place," écrit cet ethno-photographe en 1921, peu de temps avant son décès. Mais partir n'est pas disparaître : placer encore et toujours comme ici l'art au coeur du rugby en témoigne.
Les traits d'union ne manquent pas. Dans l'esprit des lieux, la présentation des portraits photographiques de joueuses réalisés par Antoine Dominique fait écho aux tableaux de Lucie Llong, Marie-Pascale Lerda et Babeth Puech, peintres influencées par l'ovale, ses mouvements, ses formes, ses nuances, ses coloris ; artistes venues d'Auvergne, de Toulouse et du Gers, terroirs représentés dans l'exposition déployée pour l'occasion par le Musée National du sport sur le thème de la mondialisation du rugby, son évolution géographique et son impact sociétal.
Ce jeu est enveloppé de sons : le murmure indistinct des partenaires qui enfilent leurs maillots, leur souffle, aussi ; le bruit caractéristique des crampons sur le ciment du couloir, la tension relâchée dans un cri guttural surgissant d'on ne sait où, les paumes qui claquent sur les épaules et les cuisses, les consignes hurlées par l'entraîneur inquiet, l'encouragement du public qui sourd du plafond puis éclate à l'instant d'entrer sur le terrain. Cet univers retentit en nous, réintroduit par une installation sonore intitulée Vestiaires. J'imagine vous y retrouver.

dimanche 21 novembre 2021

La nuit transfigurée

 

Certains instants parlent d'éternité. On aimerait prolonger ce rêve éveillé. Et s'y replonger dès qu'un voile de tristesse, d'abandon, de nostalgie, que sais-je encore, nous enveloppe l'esprit. Depuis que le XV de France s'est frotté aux Néo-Zélandais, ces moments magiques apparaissent de décennie en décennie pour frapper les imaginations. Certains marquent aussi les All Blacks de cicatrices. Ceux-là n'auront pas longtemps à souffrir de la lourde défaite (40-25) encaissée samedi soir dernier. Deux ans pour en guérir, c'est largement suffisant. En attendant, nous n'oublierons pas ce succès, d'où il vient et, on l'espère, vers où il nous transporte.
L'histoire du rugby français est intimement liée à la Nouvelle-Zélande. Ne serait-ce qu'au souvenir du premier test-match officiel d'un XV de France pré-pubère, le 1er janvier 1906. L'USFSA (ancêtre de la FFR qui naîtra quatorze ans plus tard) avait dû rémunérer les All Blacks, tout juste nommés ainsi, pour qu'ils acceptent de détourner leur tournée sur Paris, ses joies nocturnes et ses monuments historiques. Et inversement. Il fallut attendre un demi-siècle (1954 à Colombes) et la génération sacrée (Jean et Maurice Prat, Lucien Mias, Gérard Dufau, Roger Martine, André Boniface, Henri Domec) pour que les Tricolores puissent vaincre cette équipe. Score minuscule (3-0), exploit majuscule.
Depuis lors, l'épopée bleue se nourrit de victoires sur ces joueurs qui portent le deuil de leurs adversaires. Après 1973 dans le sillage de Max Barrau et de Walter Spanghero au Parc des Princes, le 14 juillet 1979 à l'Eden Park d'Auckland est entré dans la légende dorée d'une génération qui ne l'était pas moins (Rives, Dubroca, Dintrans, Paparemborde, Joinel, Gallion, Codorniou, Aguirre). Et il faut croire que chaque portée tricolore tient pour heure de gloire, à défaut de titre mondial, son succès face aux All Blacks. 1986, 1994, 1999, 2007, 2009 : le palmarès du XV de France est ponctuée de fulgurances qui alimentent la chronique.
Et même certaines défaites - 1968 et 2011 à Auckland - se détachent du lot commun qui consiste à perdre le plus souvent contre cet adversaire hissé au rang de légende voire d'allégorie autant que de mystère tant il domine son sujet, inspire ce jeu, le régule et le dispense pour la plus grande joie de spectateurs éblouis. Alors les battre, oui, comme ce fut le cas samedi soir, c'est vaincre aussi dans un même élan ces propres démons tout en désacralisant un mythe tenace.
Regardez ceux qui reviennent de Saint-Denis comme des pèlerins qui auraient vu la Vierge à Lourdes : ils sourient béatement et ce sourire ne les quitte pas. Ils ont vu les rois de France, ces rois de l'équipe de France, et c'est un peu, dans cette nuit transfigurée, comme s'ils avaient reçu la lumière. C'était l'heure bleue, ce moment bascule entre jour et nuit, entre crainte et espoir, entre attente et délivrance, entre défaite et succès, un temps charnière symbolisé par Antoine Dupont et Romain Ntamack.
Leur ainé, André Boniface a coutume de dire qu'on ne se souvient d'une action que si elle se conclue par un essai. C'était pour lui une façon de regretter toutes les attaques, certaines somptueuses, qui moururent en touche ou d'un en-avant. On aimerait bien sûr garder longtemps en mémoire la relance initiée par Ntamack, fils d'Emile, qui aurait pu et dû alimenter un chapitre du French Flair par l'essai qui s'annonçait, signé Penaud, fils d'Alain. Au lieu d'être malheureusement plongée dans l'oubli à venir par la faute gourmande de Cameron Woki, grisé, alors que s'offrait un "trois contre deux", aperçu en bout de ligne, mais pas par lui.
Ce fil, cette transmission, cette filiation, c'est aussi la marque d'un XV de France à papa, histoire de famille faite pour relier joueurs et passionnés. C'est bien à une communion que nous fûmes conviés, samedi soir à Saint-Denis. Certes, pas devant avec la famille mais derrière, avec les amis. Ce fut largement suffisant pour nourrir un bonheur durable comme il en est de la construction, de l'architecture, du développement. A condition que ne soit pas récupérée cette belle affaire.... C'est toujours le danger avec un succès : si la défaite est orpheline, la victoire, elle, a cent pères.

dimanche 7 mars 2021

Delenda Marcoussis

 A l'heure où, sans avoir besoin de solliciter McFly et Carlito, la petite république française des Lettres célèbre le bicentenaire de la naissance de Gustave Flaubert, l'oeuvre de cet ermite aux bacchantes gauloises que ne reniait pas Pierre Michel Bonnot n'a jamais été, effectivement, autant d'actualité. Elogieux au-delà du plus démonstratif des adjectifs, les hommages se succèdent sur la scène littéraire et le groupe France, fleuron du sport français en période de pandémie a, semble-t-il, décidé de sortir de sa bulle pour s'inscrire à ce panégyrique.

De façon aussi subtile que discrète, les échappées belles entre deux séances rendent ainsi honneur à l'auteur de Madame Bovary, apologie de l'adultère où l'on tousse beaucoup sans se cacher la bouche dans le coude. Pour le meilleur et pour le rire, les escapades furtives et les coups de canif dans le contrat de confiance n'ont jamais obstrué les sentiments et, que voulez-vous, à force d'être préparés à Marcoussis, dont les faux airs de séminaire n'échappent à personne, rompre l'ennui devient pour une jeunesse ovale pleine de sève une urgence qui tourne vite à l'obligation sanitaire.

L'inventeur du "style indirect libre" a aussi parfaitement exploré, voire célébré, la sensibilité du "provincial" monté à Paris et, sans en rédiger ici le compte-rendu, vous conviendrez avec moi qu'il y a dans l'élan de la formation tricolore qui étend son jeu jusqu'au bout des lignes un parallèle à faire avec la fresque naturaliste de Flaubert, le romantisme enveloppant les personnages comme il happe lecteurs et téléspectateurs depuis le début de ce Tournoi. On poussera l'analogie dans le gueuloir jusqu'à imaginer que le patient zéro se nomme "Frédéric Moreau"...

De l'Education sentimentale, dont on perçoit les rebonds du fond de l'Essonne, jusqu'à Salammbô qui préfigure, samedi, la prise de Twickenham, en passant par Rome et Dublin, les Tricolores ont mesuré pas à pas et à leur corps défendant la faible distance qui sépare le Capitole de la roche tarpéienne: à peine la portée d'un drop. Après leur deux succès initiaux comme autant de rencontres, sans doute s'attendaient-ils à ce que soit gravé sur leurs cothurnes de bronze : "Aux moules à gaufres d'Ovalie les parties reconnaissantes".

Que ce soit en promenade à Nice ou derrière les grilles de Marcoussis, des échos de libation alimentèrent les colonnes et les chroniques, et Gustave Flaubert en donne lecture : "Le festin devait durer toute la nuit, et des lampadaires à plusieurs branches étaient plantés, comme des arbres, sur les tapis de laine peinte qui enveloppaient les tables basses. Devant des amphores de verre bleu, des grappes de raisin avec leurs feuilles étaient enroulées comme des thyrses à des ceps d'ivoire. De temps à autre, les lyres sonnaient un hymne, ou bien un choeur de voix s'élevait. La rumeur du peuple, continue comme le bruit de la mer, flottait vaguement autour du festin ; le soleil commençait à descendre..."

S'avance donc Twickenham, bâti de marbre numidique, avec ses portes d'airain surmontées d'une rose rouge - je paraphrase Flaubert de mémoire -, ses quatre étages de tribune en terrasses avec de grands escaliers en colimaçon portant aux angles de chaque marche la proue d'une nation vaincue, et ces drapeaux qui claquent au vent saxon comme des flammes oblongues. Twickenham, donc, qu'il faut maintenant faire plier malgré les fatigues revues à travers les vapeurs de l'ivresse.

On sait ce qu'il advint : coincé dans le défilé de la Hache, l'assiégeant fut vaincu, les pieds et les genoux enserrés dans un large filet de défense. Les lions d'Angleterre "reposaient, la poitrine contre le sol et les deux pattes allongées ; d'autres, assis sur leur croupe, regardaient droit devant eux. Ensuite, ils ouvrirent leurs gueules toutes grandes - Eddie Jones, si tu nous lis - et durant quelques minutes, ils poussèrent un long rugissement que les échos de la montage répétèrent."

Samedi, en fin de journée, les lions de Sa Majesté en rage - à défaut d'être en cage, me glisse Jean-Pierre Elissalde - feront-ils festin ? Ou bien alors les personnages de Flaubert, coeurs simples retirés une semaine durant à la campagne, trouveront-ils assez de ressources pour parvenir à brûler Carthage ? La réponse à cette question ovale, mais pas seulement, se niche peut-être, comme ma conclusion, dans la Correspondance de Flaubert : "Quand tout sera mort, avec des brins de moelle de sureau et des débris de pot de chambre, l'imagination rebâtira des mondes."

dimanche 20 décembre 2020

Sculpter son cerveau

Toute crise n'est pas seulement un danger, c'est également - traduit du chinois - une opportunité d'évoluer pour ne pas succomber et, si "aucun sport ne peut échapper aux découvertes techniques et aux valeurs culturelles du contexte", le Covid-19 permettrait-il alors de nous émanciper du verbe dont la surenchère pollue jusqu'aux plus nobles aspirations, nous émanciper aussi des outils de plus en plus sophistiqués dont le GPS intégré dans le dos du maillot est l'avatar le plus disgracieux autant que le plus symbolique ? 
De tous les êtres vivants sur cette planète, l'humain est le seul capable de transformer - belle universalité de ce mot ovale - l'environnement qui, à son tour, le façonne. Avec ses sons et ses bruits, ses attitudes, son décorum, ses offrandes et les sensations qu'il développe, soit un ensemble de codes qui nous place dans le jeu et dans le stade désormais vide et pour quelque temps encore, il faut concevoir le rugby telle une langage qui n'aurait pas besoin de verbe pour nous toucher profondément. Ce que Boris Cyrulnik appelle "un bénéfice social". 
Ancien joueur de rugby dans cette longue liste de chercheurs et d'artistes qui mouillèrent le maillot - citons juste René Char, Pierre Soulages, Michel Serres, Julien Gracq et Charles Juliet - le neuropsychiatre et éthologue Boris Cyrulnik dans son court essai en forme d'entretiens, J'aime le sport de petit niveau, paru en février dernier, raconte à quel point à travers ce prisme il est question de socialisation, d'éthique, de production d'échanges et d'épopée, tout ce dont nous avons besoin en ces temps de confinement imposé. 
Un passage de ce minuscule opuscule m'a particulièrement interrogé. Il s'agit de celui où le Bordelais assure que la pratique sportive "sculpte" le cerveau, mais que cette action n'est que peu de chose sans le lien relationnel qu'il faut ensuite tisser. En poussant plus loin, on peut considérer à la lumière de récentes rencontres - celles du XV de France de France dans la Coupe d'automne des nations et celles de Clermont en Coupe d'Europe, par exemple - que les interactions entre les joueurs sont plus essentielles à la bonne marche d'une équipe que la pure dimension athlétique. Ce qui fait sens. 
"On ne peut savoir qui on est que si l'on participe ou l'on assiste à des événements... D'où le goût que l'on a de se mettre à l'épreuve, ou d'assister à des épreuves pour en faire des mythes. Le sport a une fonction de tragédie sociale, comme le théâtre grec. Le théâtre grec mettait en scène les problèmes de la cité, et les citoyens devaient y assister. Je crois même qu'ils n'avaient pas le droit de sortir du théâtre sans avoir parlé de la pièce. Ils devaient rester sur place pour commenter entre eux - fonction démocratique - les problèmes de la cité que les comédiens avaient représentés, au sens théâtral du terme", écrit Cyrulnik. Et c'est bien de sport dont il nous parle. 
De la manifestation in situ de l'activité physique réduite au degré zéro, pan de tissu social oublié dans les discours politiques de grande audience, sport interdit pour un temps trop long de visite sinon masqué, tristement confiné entre des tribunes vides, recalibré à l'état de représentation dévitalisée; et de nous devant nos écrans avec pour seul levier d'amplification notre imagination, ce qui demeure malgré tout une consolation en soi pour qui dispose d'une vie intérieure riche. 
  Puisque nous ne disposons que de cette aune orwellienne, éloignons-nous du salon pour entrer en forêt, ou trotter en rase campagne. Pratiquer le sport de petit niveau en prolongement de la quête du mythe passé au tamis cathodique qui occupe nos week-end, c'est aussi, encourage l'ancien rugbyman, rechercher dans les villages "des matches de très mauvais niveau", mais où "la fête est immense".

samedi 12 mai 2018

Bilbao à la fête

Pour parvenir à se hisser sur la dernière marche européenne il a manqué sous le pluie au Racing 92 un ballon derrière un ruck, un dégagement en touche et un drop-goal face aux poteaux. A la fois peu et beaucoup dans un match verrouillé par les défenses au cœur d'un écrin joyeux. Le rugby n'est pas un spectacle. Sinon, il y a l'opéra, le théâtre... Pour la puissance des alexandrins et l'originalité d'une mise en scène contemporaine suis allé à l'Odéon voir Bérénice la semaine dernière. Bilbao ? Pour le rugby dans toute l'acceptation du terme, sans doute l'un de mes meilleurs souvenirs de finale européenne depuis 1996. Pour le suspense, l'intensité, la majesté du stade, la sportivité du public, les bérets basques made in Showbiz portés par les joueurs à leur entrée sur le terrain, la fête autour, la beauté du pays basque.

San Mamès est situé à une portée de drop du musée Guggenheim et les habitants de Bilbao craignaient le pire : avant d'accueillir les finales de Coupes d'Europe, Challenge et Champions, ils avaient assisté, calfeutrés derrière leurs fenêtres, au déferlement des fadas marseillais et des hordes russes de Kiev, laissant le centre-ville de la cité basque à moitié détruit. Grande fut leur surprise quand ils virent des supporteurs venus des toutes les provinces d'Espagne et d'au moins vingt clubs d'Europe fraterniser au bar et dans les rues.

Dès le vendredi, tous les maillots de rugby disponibles coloraient les avenues de Bilbao, et les accents, du plus chantant au plus rocailleux, formaient la mosaïque du rugby de l'hémisphère nord dans ce qu'il a de plus fraternel. Pas un angle de rue, une place, un parc d'où ne sortaient des chants, des rires, quelques accords de musique. Un vrai bonheur ovale pour la première fois que les trophées européens étaient décernés en dehors des zones traditionnelles, Irlande, Grande-Bretagne et France.

A l'occasion des deux finales - Cardiff-Gloucester et Leinster-Racing 92, les amateurs de football, et ils étaient nombreux dans un San Mamès hérissé de poteaux de rugby aux couleurs du pays basque, avouaient avoir pris une leçon de sportivité : pas un mot de la part des joueurs aux arbitres quelle que soit leur décision, des chocs telluriques et des plaquages destructeurs sans le moindre geste d'énervement ou de frustration. Ils avaient un mot à la bouche en même temps qu'ils vidaient leurs pintes : chevaleresque. Au pays de Cervantès, ça a du sens.

Pendant que Grenoble atomisait Oyonnax et prouvait que la ProD2 n'est pas un enfer ni même un purgatoire mais bien une compétition de qualité qu'il est possible d'apprécier quand on sature de Trop 14, les Russes d'Enisei venaient à bout des Allemands d'Heidelberg, l'ancien club du président Wild. L'Europe en paix est une construction à chérir, surtout après avoir visité, recueilli, le musée de la paix à Guernica et croisé des amoureux entrelacés au creux de la sculpture monumentale d'Henry Moore sur les hauteurs de la ville hier détruite et aujourd'hui lumineuse.

Voyez le tableau : Guernica s'est imposé naguère comme le grand club de rugby du moment : Pedro nous précise qu'il s'agit d'Ordizia, désormais. Dont acte. Le gouvernement de cette province souhaiterait créer une ligue basque transfrontalière à l'horizon 2020, ce qui prolonge la montée en puissance de l'équipe nationale espagnole qui a failli se qualifier directement pour la Coupe du monde 2019 au Japon, n'était un arbitrage roumain plus que suspect et une fin de match houleuse indigne du rang international qui vaut aux joueurs espagnols, la plupart français, de perdre toute possibilité de faire entendre leur voix à force d'avoir trop et mal gueulé.

C'était historique, donc et en deux finales, San Mamès mérite en Ovalie son surnom de Catedral - comme le temple de Twickenham a gagné le sien au fil de l'histoire - pour ses tribunes vertigineuses montant dans le ciel à la façon des stades argentins et son silence respectueux sur les tentatives de tirs au but. Cette œuvre d'art sur les hauteurs de la ville en viendrait presque à plonger le musée Guggenheim et ses façades dorées dans son ombre tant elle s'est construite de mille intensités.

mardi 31 octobre 2017

Leurres divers

L'heure d'hiver en automne est au remplissage de novembre. L'idée ? Attirer le chaland en multipliant les rencontres. Jusqu'à trois en quatre jours. Du jamais vu. Comme s'il n'y avait pas assez de rugby par ailleurs sur les chaînes, payantes ou pas. Mais en ce mois, il s'agit pour la fédération de remplir urgemment ses caisses en nationalisant les Barbarians français juste avant qu'ils affrontent les Maoris (Bordeaux, vendredi 10) et en organisant un match surnuméraire à Lyon entre des bleus pâles laissés pour compte et une équipe de kiwis-bis (mardi 14).

Si l'on ajoute à ces deux «couturières» provinciales les tests-matchs face aux All Blacks et au Springboks, soixante-neuf joueurs seront de la revue bleue, étalonnés face à ce qui se fait de mieux à l'heure actuelle dans l'hémisphère sud. Pour savoir, ça on va savoir ! Attention, cependant : cette année, notre liste «Elite» - qui ne sert plus à rien un an après sa création - s'est entraînée pendant plusieurs semaines à Marcoussis à soulever de la fonte et à courir autour du terrain. Aucune excuse ne sera retenue en cas, possible, de nouvelle déroute.

Le staff tricolore et la nouvelle présidence fédérale n'ont pas encore tout essayé : puisque les derniers nommés ont un besoin urgent de liquidité, on leur conseillera de (re)monter le fameux match de sélection entre les Probables et les Possibles qui a fut éclore quelques talents éphémères et mourir de vieilles certitudes au cours de rencontres naguère considérées comme un pensum mais qu'il suffirait de peindre aux couleurs d'une saine concurrence - je suggère de décliner à tous les temps «le groupe vit bien» - pour attirer là-aussi le chaland.

Il y a tout juste vingt ans, en novembre 1997 et dans le cadre de l'inutile Coupe Latine, l'équipe de France s'entraînait dans un stade de football situé à l'octroi de Bagnères - Pouzac, précisément. J'y étais - et les dirigeants du club bigourdan n'avaient rien trouvé de mieux que de faire payer cinquante francs (dix euros d'aujourd'hui) l'entrée au stade au motif que les Tricolores allaient s'ébrouer face à l'équipe locale. La gestion des guichets avait été laissée à l'entière discrétion du trésorier de Bagnères-de-Bigorre, le staff tricolore, Jo Maso en tête, fermant les yeux - un peu gêné quand même - sur ce détournement de fonds du public.

Cette faute de goût avait été commise avec - soi-disant - l'aval fédéral au motif, déjà, qu'il fallait bien faire vivre les petits clubs, s'était justifié Roland Bertranne. Mais sans s'appesantir. En fait de match entre Bagnères et le XV de France, il s'agissait seulement de dix minutes d'opposition raisonnée. Mille spectateurs grugés avaient payé pour ne rien voir et au milieu d'eux était assis le président de l'époque, Bernard Lapasset, pas le moins du moins embarrassé. C'est à ça qu'on reconnait les grands commis. Un autre millier était resté derrière les grilles, frustré.

Cet épisode peu glorieux m'a donné une idée. Puisque la Fédération a besoin d'argent frais, pourquoi ne pas organiser un tournoi de gala pendant les tests de novembre. Avec ce que le Championnat compte de retraités internationaux au chômage technique (cf. photo avec Nonu, Ashton et Radradra dans la même action) pendant les tournées d'automne, il y a de quoi générer huit équipes thématiques. C'est dire la richesse de notre compétition domestique.

Pourraient ainsi s'affronter en quarts de finale, demies et finale une sélection des meilleurs étrangers (All Star), une sélection sud-africaine (Rainbow), celle des îles du pacifique (Magics), un best of des natifs de l'hémisphère sud tendance kiwi, deux XV de France des oubliés, des "Coqs en pâte" et un même un agrégat des "laissés pour compte" qui aurait fière allure si vous prenez le temps d'en apprécier la composition. Eurosports et Canal Plus accueillent assez de techniciens pour qu'il ne faille pas aller chercher bien loin pour trouver qui encadrera ces sélections.

Si le staff tricolore a lancé comme une martingale 69 joueurs dans sa grande revue, je vous assure que ces 105 joueurs-là rempliraient les stades et les caisses. Imaginez la façon dont ces huit équipes pourraient se mettre à jouer. Ca fait rêver, non ? Il y a une telle pléthore de non-sélectionnables dans le Top 14 qu'une liste cachée non-exhaustive (Kakovin, Ulugia, Asiechvili, Cittadini, Steenkamp, Maka, Uys, Houston, Botica, Mieres, Betham,Vatubua, Ngwenya, Ensor, Toeava, D. Armitage, etc.) recèle des remplaçants de luxe susceptibles de s'intégrer à tout moment en guest-stars si besoin, voire même de constituer une équipe de substitution, c'est dire...

All Star : Radradra - Ashton, Nonu, C. Smith, Nadolo - (o) Cruden, (m) Pienaar -  Botia, Vito, Isa - Willemse, Nakarawa - Tameifuna, B. du Plessis, J. du Plessis.

Rainbow Team : Lambie -  Kolbe, F. Steyn, Ebersohn, Jordaan - (o) M. Steyn, (m) Januarie - Hauman, Vermeulen, Alberts - Marais, Kruger - M. Van der Merwe, Jenneker, Buckle.

Pacific Magics : Nagusa - Votu, Waisea, Talebula, Tuisova - (o) Murimurivalu, (m) Kockott -  Manoa, Koyamaibole, Fa'asalele - Qovu, Tekori - Johnston, Leiatua, Afatia.

Southern Barbarians :  Taylor - D. Smith, Wulf, Carter, Rokocoko - (o) Slade, (m) McLeod - Gill, Lee, Eaton - Timani, Carizza - Atonio, Forbes, Gomez-Kodela.

Bleus foncés : Dulin - Fall, Fofana, Danty, Palisson - (o) Michalak, (m) Parra - Nyanga, Claassen, Lapandry - Lamboley, Jacquet - Boughanmi, Kayser, Chiocci.

Coqs en pâte : Le Bourhis - Arias, Mignardi, David, Grosso, (o) Tales, (m) Bézy - Puricelli, Lakafia, Lauret - Demotte, Samson - Brugnaut, Bonfils, Pelo.

Toasties : Rattez - Arnold, Tomane, Holmes, Strettle - (o) Urdapilleta, (m) Tomas  - Fernandez-Lobbe, T. Gray, Kolelishvili - Capo-Ortega, Gorgodze - Zirakashvili, Bosch, Menini.

Héros oubliés : Abendanon - Fuatai, Fritz, Tuitavake, Masilevu - (o) Hickey, (m) J. Pélissié - Chalmers, S. Armitage, Caballero - Jones, Pierre - Cobilas, Szarzewski, Domingo.

Il faudra bien remercier au passage et chaleureusement les présidents de Clermont, Toulon, Montpellier, La Rochelle, Pau et le Racing pour leurs importantes contributions respectives au rayonnement mondial du Top 14. J'espère que la FFR, dans sa grande générosité, leur a fait payer leurs places pour assister aux rencontres du XV de France dont on espère, sincèrement, qu'elles ne tourneront pas question jeu au grand n'importe quoi. Parce que pour le reste, c'est déjà fait.

mercredi 13 septembre 2017

L'étoffe de nos héros


Certains sculpteurs considèrent que l'espace négatif - ainsi appelées les formes évidées - compte autant que l'espace positif ; que le vide est aussi important que la matière dès lors qu'il s'agit d'inspirer. Considérant les remous qui engloutissent en ce moment l'idée que nous nous faisons du rugby, il est vital de se plonger dans l'espace qui apparait ainsi en creux, dans tout ce qui n'est pas, je veux dire pas médiatisé, mis en avant et souligné.

La pratique du rugby sera toujours plus forte que l'impact supposé de ceux qui s'en servent pour réaliser leurs desseins. Les règles changent tous les ans mais quelque chose de l'esprit initial demeure, c'est heureux. Certes aujourd'hui, les présidents occupent le devant de la scène. On le regrette dans le mesure où leurs avis ne sont pas toujours marqués du sceau de la pertinence. Mais les clubs - joueurs, entraîneurs - effectuent leur mue. Je pense en particulier à Montpellier et La Rochelle.

En un changement d'entraîneur, les Héraultais expriment plus largement leur potentiel. En passant de Jake White à Vern Cotter, du style bok à la méthode black pour faire court, Montpellier semble s'épanouir en occupant la largueur du terrain, occultant ce qui était considéré auparavant comme des zones interdites à la contre-attaque. Idem pour le Stade Rochelais, hier cadenassé sur la ligne de front à pilonner l'adversaire et qui, lors de cette troisième journée, a donné à Clermont, parangon du jeu complet, une leçon de "large-large".

On pourra citer aussi Toulon et Bordeaux-Bègles relookés par Fabien Gatlhié et Jacques Brunel, adaptes des blocs et de l'initiative par le replacement incessant des joueurs en petites unités. Mais je garde en mémoire l'essai de l'ailier Gabriel Lacroix, son premier, face à l'ASM à Marcel-Deflandre, comme le parfait exemple de ce que le rugby peut offrir de spectaculaire en sept passes. J'étais placé juste devant la dernière, inattendue, saisissante.

Quarante secondes, d'entrée, pour déborder, transpercer et éteindre la défense des champions de France en titre venus sur les bords de l'Atlantique en composition (presque) type. Un seul adversaire battu - le dernier - mais six Clermontois arrêtés sur passe, percussion ou percée à partir d'un simple essuie-glace gauche-droite pour placer au bout de deux passes mollement lobées le centre-flanker (c'est nouveau) Levani Botia, joueur atout fer, face au deuxième-ligne Sitaleki Timani.

Les coaches l'avouent, le but du rugby contemporain consiste à placer après deux ou plusieurs temps de jeu un joueur rapide face à un présumé plus lent afin de casser la ligne de défense. Regardez comment Levani Botia échappe à Timani tout en assurant sa passe, mais admirez surtout en amont son replacement intérieur pour répondre à l'appel de croisée, avant de servir acrobatiquement son ailier Lacroix. Tout y est. A garder pour se le repasser en boucle les soirs de journées de disette topquatorzienne.

Il paraît que tout le monde en raffole. Je veux parler du raout annuel qui fête le succès du Top 14 dans des lieux d'ordinaire dédiés au showbiz. Ce genre d'auto-célébration sur scène à la gloire du dieu télévisuel, très peu pour moi. Il y a comme une négation de ce jeu éminemment collectif à élire le meilleur ceci, le meilleur cela. Sans compter qu'on y trouve de plus en plus de sponsors et de partenaires commerciaux, et de moins en moins d'authenticité.

J'ai refusé cette invitation à L'Olympia mais n'ai pas manqué de rejoindre Dax (ici attablé avec J. Guibert, A. Boniface, H. Garcia, D. Lalanne, O. Margot, Ch. Jeanpierre et A. Albaladejo) pour l'inauguration de la statue érigée en l'honneur de Pierre Albaladejo, notre Socrate qui distille le meilleur de la pensée rugbystique au gré des conversations qu'il fait naître. Maître des mots Pierrot Bala, à la radio, à la télévision, au plaisir d'une interview. Quel plaisir d'écouter les siens quand des maux venus des hautes sphères polluent l'ovale. C'était vendredi dernier, moment rare durant lequel furent associées en une forme d'Olympe 1350 capes (vous reconnaissez sur la première photo Bastiat, Dourthe, Mola, Roumat, Pelous, Ibanez, Lescarboura, Boyoud) et autant d'épées comme André Darriguade et Michel Jazy, pour n'en citer que deux.

L'historien Henri Garcia, mon mentor, ancien patron de la rubrique rugby de L'Equipe puis accessoirement du quotidien, compare Olivier Magne, présent ce jour-là comme tant d'autres internationaux dacquois, à Jean Prat. Il n'a pas tort. Tout en nous racontant - il était jeune journaliste pour le quotidien Combat - la Libération de Paris par la "Nueve", compagnie de la 2ème DB entrée dans la capitale avant les Américains. "Mais vous êtes Espagnols ?" lançaient les Parisiens, incrédules. "Non, répondirent les combattants, nous sommes républicains espagnols !" Tout est dans la nuance.

Quand la vacuité l'emporte, il importe de se souvenir de ce qui nous constitue. Le président de l'US Dax, François Gachet, évoqua dans son discours d'ouverture, avant que la statue de Pierrot ne soit dévoilée, le devoir qui est le nôtre en ces temps troublés : exemplarité et transmission. Tout Bala résumé en deux mots. Et au delà même de l'ouvreur-consultant, l'un des rares internationaux, comme Walter Spanghero et Jean-Pierre Rives (que vous verriez eux aussi statufiés de leur vivant), à transcender un club et une génération pour parler à tous et à chacun.

Dans le texte rédigé en préface du remarquable ouvrage de Jean-Michel Blaizeau intitulé "La fabuleuse épopée des Jaune et Noir" qui relate par le menu la saison passée, Jean-Pierre Elissalde, jamais avare de métaphores, écrit : "Une équipe n'est pas un cèpe qui pousse en une nuit. Ce groupe rochelais est né de la remontée. (...) On n'a jamais mis le chalut devant la bateau. (...) On sait la place des artisans de l'ombre, des bâtisseurs anonymes de cathédrales qui, longtemps, n'ont eu pour seul bonheur que le sentiment du devoir accompli."

Au moment où le Top 14 s'autocélébre dans le faste et les paillettes alors même que son but et ses moyens sont antagonistes avec l'avenir du rugby français en ce sens qu'ils ne favorisent pas naturellement l'éclosion heureuse des nouvelles générations, ayons une pensée pour tous les formateurs. "Je râle quand un éducateur de cadets me dit qu'il est entraîneur," lâchait Pierre Albaladejo, l'autre vendredi. Il est peut être là, notre premier combat : faire en sorte que le rugby d'élite ne délite pas ce tissu qui est l'étoffe de nos héros.

dimanche 15 janvier 2017

Esprit d'équipe

L'esprit d'équipe, en rugby mais pas que, constitue le socle sur lequel il est possible de construire durablement. Je ne parle pas de l'histoire d'un club, ce qui est encore autre chose. Non, juste de ce qui agrège une poignée de joueurs dans la traversée d'un championnat. Nous évoquions ce ciment dans une précédente chronique avec l'exemple de Brive qui passa de la gloire au fossé en deux ans de campagne européenne. Aujourd'hui, c'est Grenoble qui m'inquiète.
Pas que je sois particulièrement attiré par ce club, ni spécialement concerné, encore que j'y ai passé de bien belles soirées, que ce soit aux côtés de Jean Liénard, puis Jean de La Vaissière, Jacques Fouroux, Rico Rinaldi et enfin Fabrice Landreau, entrecoupées de virés mémorables, dont une en compagnie de Fred Velo, à qui j'ai sans doute sauvé la vie. Mais ceci une autre histoire.
Non, ce qui m'inquiète, devant les sièges vides en Isère, c'est d'assister à l'exode massif de l'effectif actuel alors que la saison vient tout juste de basculer dans sa deuxième moitié. J'ai compté, ils sont  quatorze à quitter le FCG. Série en cours. De quoi constituer une équipe d'exilés. Entre autres Desmaison, Hand, Jolmes, Farrell, Batlle, Mignot, Bosh, McLeod, Grice, Diaby, Bouchet, Jammes et jusqu'au capitaine Wisniewski, ce qui en dit long sur ce délitement.
Je veux bien que le rugby soit devenu professionnel et donc libéral, que les internationaux analysent le marché et draguent le mieux disant financier, que les clubs se comportent en vulgaires entreprises, que les présidents traitent les joueurs comme du bétail, et les joueurs leurs mécènes comme des vaches à lait, mais quand même : une quinzaine de départs plombent l'ambiance alors que tout est encore jouable. Le signal est confondant : il n'y a plus de grimpeurs encordés.
Je ne dis pas ça pour faire de la peine à Sylvie, loin de moi cette idée, mais cette débandade organisée me choque. Certes, les caisses du club sont vides, le Stade des Alpes se désemplit, les résultats tombent mal, mais ces reflux condamnent Grenoble avant même l'expiration de la saison et l'officialisation du classement. Comment constituer une équipe quand chacun sait qu'il ne portera plus son maillot, la saison prochaine ?
Bayonne, pourtant en difficulté, ne connait pas une telle saignée ; le Stade Français, en chute libre, voit partir quelques vedettes mais rien de comparable à l'asséchement de l'effectif isérois. Le torrent de montage n'est qu'un mince filet d'eau. Le beau projet est noyé. Ainsi va le rugby pro. Au plus offrant. Le métier de journaliste consiste, figure imposée, à visiter régulièrement les sites des clubs pour voir qui est annoncé partant ou qui risque d'arriver. Beaucoup de mes confrères passent leur temps au téléphone avec les agents de joueurs pour anticiper les signatures. Personnellement, je ne m'y reconnais pas.
Alors que faire pour booster les désirs du chaland ? Quitte à foncer dans le mur de l'argent autant organiser une vente aux enchères des meilleurs marqueurs d'essais, un comice agricole des avants de devoir, ou un concours de tirs au but genre On achève bien les chevaux pour savoir quel réalisateur restera le dernier debout ! De quoi gonfler l'audimat, faire du chiffre et animer les mornes semaines entre deux journées de Top 14 polymusclé.
Pour prendre du plaisir, il faudrait que je sois Irlandais tant le Munster, le Leinster et le Connacht nous régalent. Je demeure Rochelais de coeur, cette saison devrait me contenter, mais la raison m'impose de rester neutre, à distance. Frustration. Clermont et Bordeaux-Bègles donnent, eux aussi, parfois (mais ce n'était pas ce dimanche) à rêver.
Parmi les très bonnes nouvelles, Tautor nous invite à constituer un Quinconces. Ceci est bel et bon. La date ? Du vendredi 21 avril 17 h pour l'apéro au dimanche 23, après le déjeuner pour ensuite aller voter au premier tour de la présidentielle. Il y a trois hôtels, des mobil-homes et un B&B à Treignac (cerca Brive) et dans les environs. Chacun pourra apportera ses spécialités régionales. Pour l'instant, nous sommes une dizaine, série en cours...

jeudi 14 juillet 2016

Chose fête


Tous les ans, quand le rugby se présente à la mi-juillet pour les feux d’artifice, le bal populaire et les flonflons, Jean-Pierre Rives, qui ne chante pas La Marseillaise et son « son sang impur » qui « abreuve nos sillons » par conviction personnelle - lui qui a tellement saigné sur les terrains, s’y jetant à corps perdu au point d’y laisser un oeil et une épaule - évite de répondre au téléphone et se délecte de l’entrée des bateaux de pêche dans la péninsule de Tiburon.  

Les capitaines du XV de France qui lui ont succédé depuis Philippe Dintrans l’avouent : « notre modèle, c’est Jean-Pierre Rives ». Ce qui ramène le flamboyant ensanglanté à sa condition de panthéonisé de son vivant. « J’ai plutôt l’impression qu’ils se sont fait une idée de moi, constate l’ancien troisième-ligne aile. Parce que, pour vous dire la vérité, je m’en suis sorti grâce aux autres. » Il parviendrait presque à nous faire croire qu’il fut objet et non sujet, à l’écouter : « ce sont mes coéquipiers qui s’en sont sortis, pour moi. »

Par une de ces coïncidences qui fait passer le sportif au rang de héros malgré lui, l’apport de Jean-Pierre Rives est gravé dans le marbre des commémorations obligées quand s’annonce, chaque année, le 14 juillet. Eden Park d’Auckland, sa lumière dorée, ses mouettes. 1979. Mes vingt ans. Gallion, Codorniou, Joinel, Dintrans, Dubroca, Aguirre, les autres, et Rives. Catalyseur. « Sans doute parce que j’avais concentré en quelques phrases l’espèce de sentiment qui émanait de l’équipe, reconnait-il. Mais je peux vous assurer que n’importe qui d’autre que moi aurait pu dire ou faire ce que l’on m’a prêté… »

Juillet, ses listes et son calendrier qui ne nous laissent pas souffler tellement la perspective d’août annonce trop vite une nouvelle saison, devrait se nourrir de vide alors qu’il nous remplit de vacuité. C’est bien pourquoi la légende est toujours plus belle que la réalité. «Et il vaut mieux rester dans la légende, lâche Rives. Finalement, je ne sais pas si ce serait sympa de passer une soirée avec Marilyn Monroe. Mieux vaut rester avec l’idée que l’on se fait d’elle… » D’ailleurs, elle m’attend, alanguie, sur la plage.

Nous observons, autant que nous sommes, mais que voyons-nous ? Jusqu’à quel point sommes-nous décalés de la réalité de ce jeu ? Rives, encore, pour conclure cette pause vacancière, remarquait, étant sorti du terrain, que le public « ne comprend pas ce qui se passe réellement » car « il voit autre chose. » C’est donc ce qui constitue la légende ? « On ne peut pas voir la même chose parce qu’on ne regarde pas dans la même direction, note-il. Les spectateurs regardent les joueurs, les joueurs regardent le ballon, le ballon ne regarde personne et il rebondit où il veut. En plus, maintenant, tu as des stewards, dos au match, qui regardent le public. Finalement, dans un stade, il y a plein de gens qui regardent des choses différentes. Et tout ça tient à un regard. »

Pourquoi le rugby nous parle-t-il ? Et surtout de quoi nous parle-t-il ? Qu’y a-t-il dans ce miroir qui capte notre regard ? Depuis une lointaine province méditerranéenne au sud de laquelle je vais bientôt retrouver notre Tautor national, j’aurais envie d’écrire que nous aimons ce sport parce qu’il prolonge l’idée que nous nous faisons de nous-même dans l’adversité et dans la solidarité, dans les questions que nous nous posons et les réponses que nous souhaitons y apporter. Délocalisés sur une autre aire de « je ». Mais constitués en équipe. Je vous en prie, fête.


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