jeudi 14 juillet 2016

Chose fête


Tous les ans, quand le rugby se présente à la mi-juillet pour les feux d’artifice, le bal populaire et les flonflons, Jean-Pierre Rives, qui ne chante pas La Marseillaise et son « son sang impur » qui « abreuve nos sillons » par conviction personnelle - lui qui a tellement saigné sur les terrains, s’y jetant à corps perdu au point d’y laisser un oeil et une épaule - évite de répondre au téléphone et se délecte de l’entrée des bateaux de pêche dans la péninsule de Tiburon.  

Les capitaines du XV de France qui lui ont succédé depuis Philippe Dintrans l’avouent : « notre modèle, c’est Jean-Pierre Rives ». Ce qui ramène le flamboyant ensanglanté à sa condition de panthéonisé de son vivant. « J’ai plutôt l’impression qu’ils se sont fait une idée de moi, constate l’ancien troisième-ligne aile. Parce que, pour vous dire la vérité, je m’en suis sorti grâce aux autres. » Il parviendrait presque à nous faire croire qu’il fut objet et non sujet, à l’écouter : « ce sont mes coéquipiers qui s’en sont sortis, pour moi. »

Par une de ces coïncidences qui fait passer le sportif au rang de héros malgré lui, l’apport de Jean-Pierre Rives est gravé dans le marbre des commémorations obligées quand s’annonce, chaque année, le 14 juillet. Eden Park d’Auckland, sa lumière dorée, ses mouettes. 1979. Mes vingt ans. Gallion, Codorniou, Joinel, Dintrans, Dubroca, Aguirre, les autres, et Rives. Catalyseur. « Sans doute parce que j’avais concentré en quelques phrases l’espèce de sentiment qui émanait de l’équipe, reconnait-il. Mais je peux vous assurer que n’importe qui d’autre que moi aurait pu dire ou faire ce que l’on m’a prêté… »

Juillet, ses listes et son calendrier qui ne nous laissent pas souffler tellement la perspective d’août annonce trop vite une nouvelle saison, devrait se nourrir de vide alors qu’il nous remplit de vacuité. C’est bien pourquoi la légende est toujours plus belle que la réalité. «Et il vaut mieux rester dans la légende, lâche Rives. Finalement, je ne sais pas si ce serait sympa de passer une soirée avec Marilyn Monroe. Mieux vaut rester avec l’idée que l’on se fait d’elle… » D’ailleurs, elle m’attend, alanguie, sur la plage.

Nous observons, autant que nous sommes, mais que voyons-nous ? Jusqu’à quel point sommes-nous décalés de la réalité de ce jeu ? Rives, encore, pour conclure cette pause vacancière, remarquait, étant sorti du terrain, que le public « ne comprend pas ce qui se passe réellement » car « il voit autre chose. » C’est donc ce qui constitue la légende ? « On ne peut pas voir la même chose parce qu’on ne regarde pas dans la même direction, note-il. Les spectateurs regardent les joueurs, les joueurs regardent le ballon, le ballon ne regarde personne et il rebondit où il veut. En plus, maintenant, tu as des stewards, dos au match, qui regardent le public. Finalement, dans un stade, il y a plein de gens qui regardent des choses différentes. Et tout ça tient à un regard. »

Pourquoi le rugby nous parle-t-il ? Et surtout de quoi nous parle-t-il ? Qu’y a-t-il dans ce miroir qui capte notre regard ? Depuis une lointaine province méditerranéenne au sud de laquelle je vais bientôt retrouver notre Tautor national, j’aurais envie d’écrire que nous aimons ce sport parce qu’il prolonge l’idée que nous nous faisons de nous-même dans l’adversité et dans la solidarité, dans les questions que nous nous posons et les réponses que nous souhaitons y apporter. Délocalisés sur une autre aire de « je ». Mais constitués en équipe. Je vous en prie, fête.


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vendredi 1 juillet 2016

Talent, tête et coeur

Vous l'avez sans doute appris en revenant de votre expédition spéléologique, le Racing est champion de France. Comment ? En apprenant beaucoup de ses défaites et elles furent nombreuses depuis dix saisons, certaines embarrassantes. Dix ans d'humilité ovale pour un grand patron comme Jacky Lorenzetti, c'est une taxe d'apprentissage. "Inoubliable !" me sms-t-il en évoquant ce moment. Camus l'aurait apprécié, il faut savourer pleinement pour mieux oublier avant de remonter ce rocher de Brennus chaque journée de Championnat.

Savoir descendre avec dignité est aussi un apprentissage. C'est pourquoi je n'ai pas aimé le CampNouExit de Mourad et Bernie, vains, tristes dans la défaite, amers retirés pointant du doigt le pôvre Pélissié. Ils auraient pu ajouter Chiocci de jaune vêtu et Bruni la main verte que ça n'aurait rien changé. Toulon a beaucoup reçu - quatre titres - en si peu de temps, beaucoup et bien donné, tellement changé aussi. Une mue qui s'intensifiera quand Don Diego Dominguez trouvera trop grand pour lui le costume laissé dans le vestiaire et encore accroché à Laporte.

Admirer le paysage demande de prendre un peu de hauteur. Ce qu'a fait Laurent Travers bien avant la finale de Barcelone pour embrasser la saison. "Pour s'exprimer sur un terrain, il faut du talent et de l'intelligence. Regardez autour de vous. Le talent, l'intelligence, vous les avez", a-t-il lancé à ses joueurs avant la demi-finale de Rennes. "Mais pour remporter un titre, il faut du talent, de l'intelligence et du cœur. Alors plongez en vous." C'est aussi ce qui s'est passé à Tucuman et ça faisait plaisir de voir les Tricolores, qui sont enfin liés, se prendre dans les bras à l'issue du test remporté face aux Pumas.

Et maintenant ? Que restera-t-il des serments de l'été quand tomberont les feuilles de match d'automne ? Sur quels pieds dansera le Racing ? Dans quelle composition s'avancera le XV de France vers ce qui s'annonce comme son premier grand rendez-vous sudiste ? Avec Bonfils, Ledevedec, Goujon, Gourdon, Serin, Lamerat ? Et Maestri capitaine ? Parce que si c'est pour réaligner celui qui fut incapable de diriger vers le titre son équipe pendant une heure en supériorité numérique et nantie d'une substantielle avance aux points, autant se tirer tout de suite une balle dans le pied.

Vous l'avez remarqué, Côté Ouvert nouvelle formule prend ses quartiers d'été à peine installé. Mais ne ferme pas pour autant. Restez connectés : j'ouvrirai la boutique de temps à autres durant juillet pour le plaisir d'un apéro ensoleillé. Les transats seront installés sur une plage quasi déserte au sud de Valencia, en Espagne. Avant cela La Rochelle, Saint-Jean-de-Luz, Madrid et, début août, retour par Toulouse et Limoges avant de lancer le Top 14. Autant de haltes et d'étapes, autant de sources. Celles de l'art et de l'amitié.

Depuis que vous bloggez ici, vous le savez : Benoit Jeantet, s'il en est un parmi d'autres, lie ces deux essences. Pour descendre en poésie dans les expéditions intérieures vitales dont nous parlions en préambule, à l'heure où les lampes ne parviennent plus à éclairer les tempêtes, et pour mieux "mouliner la confusion des sentiments", écrit Benoit. De lui je vous propose Et alors tout s'est mis à marcher en crabe. Aux éditions Le pédalo ivre. Ce qui me semble être un excellent programme pour passer un bel été.