dimanche 16 juillet 2023

L'été en pente douce

 

Maintenant, on sait. Pour espérer remporter le dixième trophée Webb-Ellis dans deux mois, mieux vaut miser sur la conservation que sur la dépossession, jouer des appuis sur les "un contre un" pour éviter l'arrêt-buffet, aligner les temps de jeu pour rebattre la défense et poser le plus rarement possible le ballon au sol. Samedi 15 juillet face aux champions du monde sud-africain, les All Blacks ont donné le ton. Le jeu sera de mouvement ou ne sera pas, ou alors trop peu. Voilà le XV de France prévenu.
Qu'on s'entraîne à dompter la canicule à Monaco ou du côté de Seignosse, la préparation physique n'a jamais été l'unique clé du succès : elle n'est qu'une condition nécessaire. Ce qui importe c'est de savoir quel jeu elle doit servir. Et ce d'autant que les zones de ruck sont désormais dangereuses : le plaqué n'a pas la certitude de conserver son ballon et le plaqueur à l'interdiction de bouger le petit doigt, sans parler des soutiens offensifs et des gratteurs dont les positions au contact sont scrutées de très près par le corps arbitral. Mieux vaut rester debout, donc.
Match d'ouverture réussi ou pas, le XV de France passera le cut en quart de finale en affrontant la nation numéro un au classement World Rugby, à savoir l'Irlande, ou les Springboks, champions du monde en titre, écueils de taille. Avant de retrouver les All Blacks en finale si la logique sportive est respectée, ce qui est rarement le cas. Pourquoi s'inquiéter ? S'ils veulent entrer dans l'Histoire en étant les premiers Français à soulever le trophée Webb-Ellis, Antoine Dupont et sa bande doivent être capables de terrasser n'importe lequel des adversaires qui seront sur leur route. C'est aussi simple que ça.
Comme a été limpide le parcours des Bleuets lors du championnat du monde des moins de vingt ans disputé en Afrique du Sud. Douze, cinq et six essais plantés en phase de classement aux Gallois, aux Néo-Zélandais et aux Japonais, puis cinquante-deux points aux Anglais et cinquante aux Irlandais en finale. De la belle ouvrage. Gazzotti, Depoortère, Jauneau, Julien, Reus, Tuilagi, Nouchi, Costes, Ferté... : pas d'inquiétude, la relève est déjà prête. Et le meilleur joueur de la compétition, le troisième-ligne centre grenoblois Marko Gazzotti, s'est même permis de déclarer "source d'inspiration" ce titre mondial junior à l'usage de ses aînés qu'il sera très bientôt appelé à rejoindre...
Rendons hommage ici à Didier Retière qui décida, lorsqu'il était DTN, de supprimer le Pôle Espoirs de Marcoussis - vase-clos hebdomadaire des meilleurs jeunes au CNR - pour renvoyer l'élite juniors se former dans les clubs et s'aguerrir au contact de la Pro D2 et du Top 14. Vision gagnante, quoique décriée à l'époque. Champions du monde en 2018, 2019 et 2023 entre une longue période d'annulation pour cause de crise sanitaire, les Bleuets symbolisent l'excellence de la formation française. Reste maintenant à faire fructifier cette manne au plus haut niveau.
Trente-six ans d'attente, ça commence à suffire ! Toutes les nations majeures ont été au moins une fois sacrées. Serions-nous finalement plus cons que la moyenne ? Mis à part 2011 - et encore dans des conditions pour le moins baroques et après avoir été volé par l'arbitre -, jamais le XV de France n'a été en position d'être titré champion du monde, surclassé par la Nouvelle-Zélande en 1987 et éteint à petit feu par l'Australie en 1999. Que manque-t-il pour franchir ce dernier cap ? J'ai, comme vous, ma petite idée sur la question.
Est champion celui qui peut suivre sa stratégie de jeu qu'il pleuve ou qu'il vente, celui qui dispose d'assez de marge pour réduire à epsilon la part de l'arbitrage, celui qui envisage l'exploit comme un hochet pour les médias, celui qui considère la victoire comme le résultat et non comme une finalité, celui qui voit dans le tout quelque chose de supérieur à la somme des parties. Etre champion, au sens étymologique, c'est représenter le meilleur des autres.

Je pars écouter les oiseaux, bronzer à l'ombre, savourer quelques puros et m'abreuver de lectures. Bonnes vacances à vous. Reprise du blog juste après France-Australie, dernier match de préparation avant le Mondial.

dimanche 9 juillet 2023

Ce jeu de Barrett

L'été n'est pas en pente douce pour tous. Tandis que dans la nuit de Pretoria les champions du monde ont envoyé samedi au reste de la planète un message clair en se jouant de l'Australie comme s'il s'était agi d'un sparring-partner d'occasion, les All Blacks attaquaient leur ascension vers le sommet Webb-Ellis depuis ce qui pourrait être considéré comme leur camp de base, à Mendoza, aux pieds de la Cordillère des Andes. L'occasion pour nous de savourer un verre de ce malbec fruité qui fait la légende des lieux, quand bien même la période serait plus propice au rosé bien frais.

Nous voilà réfugiés sous le parasol tandis que le groupe France, au banc d'essai mais ballons remisés, aligne les sprints au rupteur en pleine canicule afin d'atteindre le plein niveau de stress. Les coéquipiers d'Antoine Dupont emmagasinent actuellement à Monaco les toxines tandis que Springboks et All Blacks, eux, additionnent les points avec une facilité déconcertante dans un Rugby Championship aux allures de répétition générale d'avant Mondial. Quels parcours plus contrastés que ce chemin de souffrance et ces voies du grand large...

A ce rugby de défi frontal inscrit à leur patrimoine génétique, les Springboks ont ajouté l'exquise dilution du jeu de passes en recherche d'intervalles, tendance esquissée lors du Mondial 2019 - mais en fin de rencontres - et qui a été samedi à Pretoria exprimée dès les premières minutes, en témoignent le "coup du chapeau" tiré par leur ailier de poche Kurt-Lee Arendse, transfuge du 7 capable de mystifier à trois reprises la défense wallaby, certes poreuse, mais quand même... Ils ont aussi offert à leur trois-quarts centre polyvalent André Esterhuizen toute latitude pour, à 29 ans, s'imposer en leader d'attaque, gabarit de troisième-ligne aile (1,94m, 110 kg) doté d'un jeu au pied subtil propre à semer le trouble dans les rangs adverses.

Quelques heures plus tard, les All Blacks n'ont pas attendu longtemps, eux aussi, pour enclencher leur premier match de l'année face à des Pumas aux griffes trop élimées. Et ce n'est pas forcément une bonne nouvelle pour le XV de France qui sera sur leur route, le 8 septembre prochain. Car on a retrouvé des Néo-Zélandais vifs et inspirés dans le sillage de leurs trois frères qui font du rugby un jeu de Barrett. A toi, à moi, et surtout à la nôtre, semblaient-ils dire en se transmettant le ballon comme un mot de passe. Fidèles en cela à une tradition visiblement remise au goût du jour. 

Depuis la parution d'un ouvrage, l'ABC du rugby, dans lequel Charlie Saxton, ancien demi d'ouverture international devenu entraîneur puis manager dans les années 60 concentrait en une formule la méthode de jeu qu'il pensait la meilleure pour les hommes en noir, ceux-ci disposent d'un référent commun qui met en arborescence trois principes-clés : le placement des joueurs, la possession du ballon et le rythme de jeu. Samedi à Mendoza, ils ont de nouveau consacré cette formule. Saxton écrivait en exergue de son ouvrage : "Le rugby est un jeu d'attaque." Bien lu, bien reçu.

Nous avons ensuite savouré la montée du Puy de Dôme, théâtre d'une petite page épique dans le dernier kilomètre entre Jonas Vingegaard et Tadej Pogacar, nos Anquetil-Poulidor des temps modernes, au milieu desquels n'est pas parvenu à se glisser l'inimitable Julian Alaphilippe. Avant de retrouver les jeunes pousses bleus, ces "fils de" opposés à l'Angleterre, avant-dernier obstacle sur la route d'un sacre promis en finale face à l'Irlande, vendredi prochain en apéritif propre à calmer notre appétit le temps d'un été qui monte en température.