Il savait tout faire. Et bien. Comme son aîné Jean Prat, dont il était l'exact opposé. Cette photo le prouve, il se servait de son pied, le droit comme le gauche, pour soulager son demi de mêlée - ici Lilian Camberabero, à Colombes, sûrement derrière une touche cafouilleuse, sous le regard de son capitaine, Christian Carrère. Il fut du Grand Chelem 1968, le premier de l'histoire bleue. Son palmarès si peu épais - sept sélections seulement - ne rend pas hommage au talent qu'il exprima sur les terrains. Lui se fichait des honneurs comme de sa première quinte flush : il aimait croquer dans la vie sans retenue. Jean Salut a fini de déborder le 5 septembre.
Jeannot. Pour les intimes, dont je n'étais pas. Mais assez de connivences me permirent de le rencontrer à l'heure où la maladie commençait à lui ronger la gorge. Lui qui avait beaucoup parlé s'exprimait avec difficulté. C'était il y a neuf ans, chez lui, pas loin de Beaumont-de-Lomagne, où il était né en 1943 et avait commencé le rugby avant de rejoindre le TOEC, club redouté du temps des ballons de cuir et des maillots en coton. Où évoluait au centre René Berbizier - le papa de Pierre -, où débutait le junior Richard Astre derrière un pack de mâles, avant que le grand Elie Cester ne rejoigne Valence. Une équipe qui faisait de l'ombre au Stade Toulousain, c'est dire la place qu'occupait ce club dans le paysage rugbystique des années 60.
Cavalier émérite, Jean Salut l'était aussi dans la vie, capable de moucher n'importe quel sélectionneur tricolore trop imbus de sa position - Guy Basquet l'a appris à ses dépens. Il préférait la nuit au jour et attaquait chaque soir au poker, perdait un mois de ses émoluments de kinésithérapeute en une partie pour le regagner le lendemain, jamais très loin d'une bouteille de whisky et d'un paquet de cigarettes, dans la lignée des grands viveurs - Max Rousié, Puig-Aubert, Claude Spanghero... Il sera parti sans un regret, d'un dernier souffle rauque, au bout d'un regard malin qui racontait le personnage hors-norme qu'il fut, à l'amitié fidèle et au dégout très sûr.
Appelé au Bataillon de Joinville parmi l'élite sportive française, il forma avec Walter Spanghero et Michel Sitjar une troisième-ligne au sein de la sélection nationale militaire comme le XV de France n'eut pas toujours la chance d'en avoir par la suite. Ce que les esthètes regrettèrent. Ses facéties, ses saillies, ses virées et ses exploits alimenteraient avec truculence et irrévérence un roman d'Ovalie signé par un écrivain du genre de John Kennedy Toole. Qu'on ne s'y trompe pas, son absence d'hygiène de vie lui coûta quelques capes tricolores - par la faute de contractures musculaires et de soucis ligamentaires - mais chaque fois qu'il s'aligna ce fut avec classe et élégance, ce panache qui définit le jeu à la française. Depuis trois ans, un trophée à son nom, sculpté par Jean-Pierre Rives, récompense le joueur amateur le plus talentueux de la saison.
Premier grand blond en avant - Jacky Bouquet fut une décennie plus tôt le premier étincelant des arrières -, Jean Salut inspira Jean-Pierre Rives après avoir été le coéquipier et l'alter-ego de Jo Maso, et on tient là un flamboyant carré de rois. Lorsque celui qui n'était pas encore Casque d'Or dut honorer sa première sélection tricolore à Twickenham en 1975, son mentor - Rives porta le maillot du TOEC et de Beaumont-de-Lomagne - lui adressa un télégramme qui aurait fait aujourd'hui le miel des réseaux sociaux : "Repère bien leur numéro huit, il a un bandeau. Plaque-le dès qu'il a le ballon !" Rives suivit ce précepte et la suite prouve qu'il fit bien de faire tomber Andy "Geronimo" Ripley à chaque action amorcée par les Anglais.
On dit d'un amoureux de la nuit qu'il est un "noceur". Ainsi Jeannot Salut, éternel joueur, sut marier l'irracontable et la gloire, le rugby et sa vie, l'aurore et le crépuscule, l'impensable et le rêvé. Entré dans le jeu avec éclats, il est parti sans faire de buzz ni de bruit. Nous ne sommes pas nombreux à avoir partagé quelques unes de ses heures, et je tiens pour un privilège le temps qu'il m'accorda, pour L'Equipe, en 2016, afin que nous évoquions un peu de sa carrière et beaucoup de son existence dans le salon de son discret pavillon, situé à une portée de drop de Toulouse.
Devenu reclus, il irradiait toujours de malice, alternant le charme subtil d'un phrasé soutenu et les crochets enveloppés de trivialité maîtrisée. Parmi les internationaux français côtoyés depuis 1983, il était parmi les iconoclastes le plus madré. Il portait en lui tout un pan de ce sport, histoires d'un autre temps. Elles animent les quelques artefacts ovales posés sur une étagère placée derrière le petit bar qu'il avait installé chez lui, et qui témoignaient discrètement des furieux rebonds de sa splendeur.
Je te remercie Richard de cet article car je trouvais que son décès passait inaperçu ; les jeunes gens de ma générations ( les plus de 74 ans) se souviennent de lui comme un très grand , il est des noms qui restent dans le conscient , avec Cester , Biemouret , Sitjar ; et je l'ai déjà écrit ici , la plus belle 3ème ligne , avec Franco Zani qui reste le dernier en vie et que nous lui souhaitons encore très longue , quand à Walter légende encore vivante , que St Cassoulet veille sur lui ....
RépondreSupprimerMon père facétieux disait du TOEC , Toulouse Ouvrier employé club car il n'oubliait jamais sa jeunesse de communiste et de FTP ...
Que de souvenirs de cette première division où l'on voyait encore s'affronter des St Girons, Lavelanet , Foix , Saverdun , Mauleon, Oloron etc et le département du Tarn qui avait la plus belle armada , Castres , Albi Graulhet , Gaillac et tous ces noms qui fleurent bons le rugby des champs mais qui a disparu au profit de l'argent du professionnalisme.....
Merci Richard de m'avoir replongé dans ma jeunesse heureuse avec le grand Jean Salut