dimanche 23 février 2025

Des points sur les i

On n'est pas sérieux quand on a dix-sept ans, mais l'est-on quand on met soixante-treize points ? Faut-il vraiment prendre ce florilège d'essais pour une performance notable au point, comme l'a souligné Fabien Galthié dès la coup de sifflet final, de l'inscrire dans le large tableau qu'il a dessiné pour emmener le XV de France au Mondial 2027 ? Sans aller aussi loin, l'amplitude du score inscrit dans ce colisée moderne qu'est le stadio olimpico rapproche les Tricolores des grandes sélections nationales du sud qui, si elles disputaient le Six Nations comme elles s'étripent dans leur tournoi des quatre, ne manqueraient d'inscrire tous les points qui s'offrent à elle face à une Italie qui vient de tristement nous rappeler qu'elle avait été invitée à faire la sixième afin de remplir le calendrier et de ravir les supporteurs jamais lassés de la cité éternelle.

Pour le coup, Rome était plutôt en mode ville ouverte à tous les vents, aux déboulés et aux débordements, aux perles enfilées par les véloces après que les coriaces aient déblayé la zone autour des rucks à grands renforts de coups d'épaules. Essai transformé aussi pour le coach aux grosses lunettes qui misait sur un banc en 7-1 pour terrasser le Nazionale, même s'il s'agissait-là d'employer un énorme marteau pour écraser un moustique. Mais le test est concluant, du moins face à un adversaire du calibre - faible - de l'Italie. Reste à voir maintenant si les Irlandais, ce dont on doute, faibliront après l'heure de jeu quand notre démiurge à larges montures choisira de faire entrer sa légion de secours dans la bataille...

Je suis le premier à le regretter mais nous n'en finissons pas d'attendre Godot, ainsi appelé le vrai test de caractère qui permettra dans ce Tournoi au mitan de jauger un XV de France dont nous avons du mal à juger la puissance de feu tant l'adversaire qui lui été opposé cette année - que ce soit le pays de Galles ou l'Italie -  n'est pas d'un calibre suffisant pour qu'on retire quoi que soit de vraiment intéressant des scores-fleuves alignés, et que celui sur lequel il s'est cassé les dents à la dernière minute a failli faire de même face à l'Ecosse, dont on connait les limites. Cette véritable évaluation n'est pas pour demain. Il nous faudra attendre encore un peu avant de traverser la mer d'Irlande, qu'on annonce agitée.

A suivre...

dimanche 9 février 2025

Comme des pieds

C'est d'actualité. Considérant les conditions météorologiques, les sorties de route sont fréquentes en ce moment. Mais c'est à Twickenham où le dérapage fatal a été le plus frappant. Jean-Pierre Rives assurait qu'il n'y avait pas plus jouissif que de battre les Anglais chez eux d'un point à la dernière minute. Nos meilleurs ennemis peuvent, depuis samedi 8 février, le confirmer. Qui plus est en scellant leur succès avec panache d'un essai aux pieds des poteaux né d'une combinaison d'attaque millimétrée que ne renieraient pas les hérauts du French French de 1972 - Maso, Lux, Bérot, Villepreux - qui enflammèrent en d'autres temps Colombes.

Tout bien considéré, cet échec est une bénédiction. Il faut ne rien connaître au rugby international pour s'être gargarisé, vendredi dernier, du 43-0 infligé à de tristes Gallois qui poursuivent leur chemin de croix en tombant à Rome. Cette fois-ci, des Anglais plus opportunistes que géniaux nous rappellent à la modestie et à l'humilité. Rendons-nous à l'évidence: ce XV de France continue depuis sa tristement fameuse tournée en Argentine de l'été dernier d'aligner les succès en trompe l'œil. On ne peut qu'appeler le staff tricolore et ses joueurs leaders à une remise en question salutaire. C'est ainsi que l'échec collectif dans le Temple du rugby prendra son relief.

Comme vous, j'ai arrêté de compter à quinze. Non pas ignorance mais par dépit. Ce n'est pas pour autant que les ballons ne sont plus tombés des mains françaises. C'est monté jusqu'à vingt-sept, me dit-on... Il pleuvait ? La belle affaire. Un déluge inondait Rome et que je sache, Italiens et Gallois n'ont pas commis autant de bévues. A l'école de rugby, les poussins attrapent le ballon à deux mains, vont d'abord le chercher en tendant leurs deux bras. Je connais des entraîneurs qui, lors du prochain rassemblement, mettraient d'office à l'ordre du jour un atelier "passes", histoire de rappeler aux stars tricolores qu'on ne bafoue pas ainsi impunément les fondamentaux.

Car enfin, verre à moitié plein, si Louis Bielle-Biarrey, Damian Penaud, Peota Mauvaka - ah, sa chistera molle -, Antoine Dupont et consorts n'avaient pas gâchées a minima trois occasions d'essais franches, nous serions peut-être ici et maintenant à savourer un nouvel exploit du XV de France à Twickenham, deux ans après le Crunch Royal. Ce match des mains moites a ceci de frustrant qu'à la demi-heure de jeu, c'est-à-dire avant l'essai de Bielle-Biarrey, ces Tricolores pouvaient mener 24-0 sans ciller, juste en convoquant comme ils avaient su le faire la défense anglaise dans l'axe du terrain pour mieux la percer au large.

Mon ami Hervé Caillaud, connaisseur des choses du sport, m'écrivit après ce Waterloo : "Les primes de tout le staff français devraient être reversées à des associations caritatives." Et de poursuivre : "Les rugbymen sont devenus professionnels en 1995, il ne faudrait pas que cela perde tout sens juridique. En France, dans le Code du travail, il existe le concept de "faute grave" et de "faute lourde", toutes deux passibles de sanctions très ciblées. Autant de fautes de mains au cours d'une seule rencontre mérite - a minima - un blâme. Qu'en pense le digne président de la FFR ?"

"Twickenham ! Twickenham ! morne plaine ! Comme une onde qui bout dans une urne trop pleine, dans ton cirque de béton, de mêlées, de ballons, la défaite pâle mêlait les sombres bataillons." Mieux vaut s'amuser d'un accroc si humiliant. Il y a encore loin du trophée aux lèvres, oublions un temps le calice Webb Ellis et la perspective de le soulever à Sydney. Le Grand Chelem qui nous appelions de nos vœux à l'heure d'annoncer la couleur reste dans les mains vertes qu'il faudra desserrer le 8 mars prochain. Sans doute pleuvra-t-il à Dublin. A défaut de Joyce ou de Beckett, prolongeons donc Hugo.

"D'un côté c'est Albion la perfide, et de l'autre la France! Choc et transe ! des héros la maladresse trompait l'espérance. Tu désertais, victoire, et le sort était las. Ô Twickenham ! je pleure, et je m'arrête, hélas, car les joueurs de la dernière édition furent grands ; ils avaient vaincu toutes les nations. Remportés vingt succès, passé les Alpes, atteint Dublin, et leur talent chantait dans les clairons d'airain ! Le soir tombait; la lutte était ardente et noire. Il avait l'offensive et presque la victoire; il tenait Steve Borthwick dans l'en-but acculé. Ses lunettes sur le nez, il observait, scrutait le centre du combat, point obscur où tressaille la mêlée, effroyable et vivante bataille. Et parfois l'horizon, drame terrible comme l'hallali. Soudain, joyeux, il dit : Ramos ! - C'était Daly ! L'espoir changea de camp, le planchot changea d'âme."