On n'est pas sérieux quand on a dix-sept ans, c'est admis, mais l'est-on quand on en met soixante-treize ? Toute grappa bue, faut-il vraiment prendre ce florilège d'essais pour une performance notable au point, comme l'a souligné Fabien Galthié dès le coup de sifflet final, de l'inscrire dans le large tableau qu'il a dessiné pour emmener le XV de France au Mondial 2027 ? Sans aller aussi loin, l'amplitude du score inscrit dans ce colisée moderne qu'est le stadio olimpico rapproche les Tricolores des grandes sélections nationales du sud qui, si elles disputaient le Six Nations comme elles s'étripent dans leur tournoi des quatre, ne manqueraient d'inscrire tous les points qui s'offrent à elles face à une Italie qui vient de tristement nous rappeler qu'elle avait été invitée à faire la sixième afin de border le calendrier et ravir les supporteurs jamais lassés de la cité éternelle.
Pour le coup, Rome était plutôt en mode ville ouverte à tous les vents, aux déboulés et aux débordements, aux perles enfilées par les véloces après que les coriaces aient déblayé la zone autour des rucks à grands renforts de coups d'épaules. Essai transformé aussi pour le coach aux grosses lunettes qui misait sur un banc en 7-1 pour terrasser le Nazionale, même s'il s'agissait-là d'employer un énorme marteau pour écraser un moustique. Mais le test est concluant, du moins face à un adversaire du calibre - faible - de l'Italie. Reste à voir maintenant si les Irlandais, ce dont on doute, faibliront après l'heure de jeu quand notre démiurge à larges montures choisira de faire entrer sa légion de secours dans la bataille...
Je suis le premier à le regretter mais nous n'en finissons pas d'attendre Godot, ou bien est-ce Leopold Bloom, au pied des tours Martello pour le vrai test de caractère qui permettra dans ce Tournoi au mitan de jauger un XV de France dont nous avons du mal à juger la puissance de feu tant l'adversaire qui lui été opposé cette année - que ce soit le pays de Galles ou l'Italie - n'est pas d'un calibre suffisant pour qu'on retire quoi que soit de vraiment intéressant des scores-fleuves alignés, et que celui sur lequel il s'est cassé les dents à la dernière minute a failli faire de même face à l'Ecosse, dont on connait pourtant les limites. Cette véritable évaluation n'est pas pour demain : il faudra attendre encore un peu avant de traverser la mer d'Irlande, qu'on annonce agitée.
Le championnat domestique continue pendant les travaux du Tournoi et se poursuit le rêve de Pierre Villepreux de placer l'œuf - vous apprécierez l'oblong - avant la poule, fut-elle de luxe. Du côté du Stade Toulousain et depuis quatre décennies maintenant le jeu prime sur les joueurs lesquels, interchangeables, sont au service du mouvement et non l'inverse. Aligner des remplaçants, des réservistes et des Espoirs à peine sortis du centre de formation n'a pas empêché d'offrir, face à l'Aviron bâillonné dans un stade Ernest-Wallon à guichets fermés, une performance en sept essais digne des aînés et des titulaires qui, pour la plupart, se trouvaient à Rome engagés sur un autre front.
On ne prête pas qu'aux riches : les champions de France disposent de trois demis de mêlée de classe - Antoine Dupont, Paul Graou, Naoto Saito - et de trois ouvreurs du même acabit - Romain Ntamack, Thomas Ramos, Juan Cruz Mallia - quand leurs adversaires peinent parfois à aligner une charnière décente. Devenu la principale manne du XV de France quand il était naguère paria sous l'ère Ferrasse, le Stade Toulousain profite, et il aurait tort de s'en priver, des primes de mise à disposition de ses internationaux français pour compléter son effectif et se permettra de titulariser en période de doublons sept capés (Neti, Merkler, Arnold, Willis, Mallia, Lebel, Chocobares), s'il fallait encore donner la preuve de sa profondeur de banc.
Pour autant, il y a huit ans, les Toulousains du capitaine Dusautoir faillirent descendre en ProD2. Il n'y a pas loin du Capitole à la roche Tarpéienne et le Stade Français n'a pas besoin de GPS pour s'en apercevoir. Champions de France en 2015, les Parisiens n'ont pas le cœur, actuellement, à fêter les dix ans de leur dernier titre. Cette année-là, Arias, Camara, Bonfils, Flanquart, Burban, Lakafia, Dupuy, Danty, Slimani et Doumayrou étaient passés ou allaient passer du rose au bleu. L'entraîneur qui avait permis à cette équipe de lever le Bouclier de Brennus est le même qui a encaissé l'humiliation de Rome, à savoir Gonzalo Quesada, et l'on mesure ce qu'il faut d'amour de ce jeu et d'humilité pour, écrit le poète, rencontrer ainsi défaite après triomphe, "et recevoir ces deux menteurs d'un même front."
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