dimanche 26 avril 2020

Lire, écrivons-nous


Le silence s'avère particulièrement propice aux pensées. Les nôtres sont de cuir, de sueur et de coton, ovales bien sûr, et se ramassent sur des feuilles. Reliées comme nous le sommes sur ce blog, les pages proposées livrent tout ou partie du rugby et, le cœur à l'ouvrage, abordons donc ici la deuxième et dernière partie de notre voyage en Ovalie commencé quinze jours plus tôt, qui doit nous amener à Uzerche mi-septembre, si le virus veut bien libérer le terrain.
L'idée du jour consiste, pour chacun des dix extraits présentés, à trouver l'auteur et le titre de l'ouvrage duquel il est tiré, le premier commentaire qui vise juste faisant foi. En regroupant les écrivains alignés grande tribune comme avant un match - aux côtés de Jean Colombier, Julien Capron, Jacques Verdier, Philippe de Jonckheere, Jean-Claude Lombard, Jacky Adole, Philippe Guillard, Adolphe Jaureguy, Georges Pastre et Serge Simon - vous disposerez sans aucun doute d'une bibliothèque idéale et, franchement, je n'ai pas trouvé mieux pour passer le temps qui nous est offert à notre corps défendant.
1- Le rugby c'est un monde (Jean Lacouture): "Le rugby frôlerait la bêtise s'il était pratiqué avec un ballon rond. Mais cet objet de forme absurde et gracieuse qui ne fait rien, en rebondissant sur une pelouse, de ce que peut prévoir un homme raisonnable, donne son ironie permanente à ce jeu de Celtes étourdis." Bravo à Gariguette.
2-Du ballon de rugby (Eric des Garets) : "Un ballon rond, par fatalité, roule mieux qu'un ballon ovale ; il est plus facile à saisir, moins caractériel, moins réfractaire ; il est évident, sans surprises. un ballon de rugby est plus volage, sauvage, incertain. Ses extrémités, souvent, décident de son sort." Point pour Lulure.
3-Quat' Saisons (Antoine Blondin) : "Plus tard, à Twickenham, dans la banlieue de Londres, je reconnus, pudique et furtive, la longue file rubiconde des gentlemen de quinze heures moins le quart qui font des lavatories de La Mecque du rugby le plus haut lieu de la compétence joviale en matière de vessie, sous quelque forme que ce soit, et surtout ovale." Point pour Gariguette.
4- De la belle aube au triste soir (Christian Montaignac) : "C'était un dimanche de pluie et de suie, un dimanche poisseux de cimetière de banlieue. La ville était grise comme au sortir d'une trop longue nuit. A Bordeaux, une finale de championnat de France de rugby était annoncée entre Biterrois et Toulonnais, entre jeunes combattants et vieux guerriers. Elle se jouerait entre chiens et loups. Et laisserait, avec le temps, comme un goût de rage." Point pour Gariguette.
5- Les contes du rugby (Henri Garcia) : "Les voies qui mènent à la renommée sont impénétrables, elles aussi. Le chemin de la sagesse et de la fidélité, comme celui de la prodigalité et de fantaisie, peuvent pareillement conduire au sommet, à la seule condition que le pèlerin soit un grand seigneur. Et, juste volonté du destin, c'est le rugbyman qui fit le moins pour rester au pinacle, qui est toujours reconnu comme le plus grand." Le point pour Oliv1979.
6- Adios (Kleber Haedens) : "On allait jouer une touche. Je m'approchai vivement de l'action, dévorant des yeux les préparatifs de la remise en jeu et, je ne sais comment, je vis Guitter qui me signalait de la main que je me tenais trop près des trois-quarts. Déjà je n'étais plus en étant d'entendre personne. il n'y avait pas de Guitter qui tienne. Je ne ressentais plus qu'un besoin farouche de m'emparer du ballon." Point pour Lulure.
7- La forme d'une ville (Julien Gracq) : "La vague des trois-quarts, qui, à chaque fois qu'elle s'enflait, me faisait battre le cœur, venait mordre une dernière fois, à l'extrémité de son déferlement, la ligne blanche ; je redescendais, un peu ankylosé, la tête vague, de mon échelle, qui me rendait à la rue, ainsi que le dit Hemingway, que j'aime toujours ici à citer, "aussi vide, aussi changé et aussi triste que n'importe quelle haute émotion." Ces émotions fortes restaient coulées en moi à fond, nul ne les partageait." Point pour Gariguette.
8- La clique du café Brebis (Pierre Mac Orlan) : "Le soir, autour de la table où fumait le thé dans des porcelaines parfois très anciennes, nos grandes sœurs et les amies de notre grandes sœurs colportaient notre gloire... Parce que, malgré tout, un joueur de rugby est quelqu'un de plus mystérieux et de plus distingué qu'un joueur de barres, en bras de chemise, craintif, pour avoir marqué, dans une chute, les genoux de son pantalon." Point pour Gariguette.
9- Quand j'étais Superman (Raphaël Poulain): "Un coup d'électricité suivi d'une lame de couteau me transpercent la hanche. Un muscle vient de péter. Je préfère sortir la tête basse sous le regard étonné de mes coéquipiers. Je quitte le terrain et me retrouve seul, une fois de plus, dans les vestiaires. Je ne suis pas triste, jute dégoûté par ce corps qui n'en pleut plus de charger et qui vient de me faire comprendre pour la huitième fois cette année qu'il ne veut plus souffrir." Un point pour Sergio.
10- Short Stories (Benoit Jeantet) : "Ce sport à ses yeux noble entre tous, et en apparence, mais en apparence seulement, fait d'un tas de rixes à rallonge et de raccourcis préhistoriques, n'était au fond que maîtrise des corps et tempérance des caractères le plus souvent caractériels au civil. Il n'aimait rien autant que tout cet agrégat de muscles impliqués dans beaucoup d'imbrications savantes et presque aussitôt désagrégés en un gros lego gluant où s'engluaient, pas si sommairement, la somme impatiente de toutes les passions." Un point pour Gariguette.
Lors de la première période, Gariguette, Sergio et Lulure s'étaient particulièrement illustrés pour former un podium de fins lettrés. Gariguette a de nouveau dominé le sujet, Lulure et Sergio en embuscade et Olive1979 intercalé. Joli défi relevé en deux jours ! Dans la perspective de notre cinquième Quinconces qui se déroulera là où luit la Perle de Corrèze, vous tenez les vingt ouvrages à lire ; de quoi garnir le premier rayon de votre bibliothèque idéale et ovale.

dimanche 19 avril 2020

Vous passerez par Limeuil

Jadis, les maisons s'élevaient une fois le cantou construit, cœur de séjour où mijotaient sur la braise le contenu des soupières et les discussions recuites commencées la veille. Son feu, autour duquel se rassemblait la famille élargie, compensait toute difficulté, qu'il faille éclaircir la soupe ou combattre le gel qui descendait trop tôt cette année-là. "Au-dessus était accroché un crucifix pour apaiser ceux qui souffraient. A cette époque, le doliprane et la chloroquine n'existaient pas," rappelle le maître des lieux.
Tout en haut, sur la place du village de Limeuil, Jacky Adole a rafraichi une de ces sobres bâtisses en pisé, adjoignant au plafond quelques épaisses planches de grange après avoir affermi le toit qui menaçait de s'effondrer. Adossée au rocher qui n'a jamais pu être raboté depuis le XVIe siècle - quand l'égérie de Ronsard s'installa sur ce promontoire -, et prolongée par un court escalier qui dégringole dans le jardin, cette maison de peu a repris vie.
Quand au téléphone je l'ai surpris, l'ancien entraîneur du Stade Rochelais terminait quelques ouvertures et plaçait ses ouvrages sur un rayon afin d'accueillir bientôt les voyageurs inattendus, les touristes hésitants, les amis de passage et les visiteurs occasionnels. "Je rêve, et ce cantou m'ouvre des perspectives, dit-il, de sa voix grave et chantante. Celle d'une maison de lecture, pour ceux qui voudront y entrer. Mes livres seront posés, ouverts, et ils diront, lisez-moi..." L'occasion, surtout, d'échanger avec son auteur quand sonnera la déconfinement.
Voisin d'Aquitaine, Michel de Montaigne notait dans sa tour, située à une centaine de kilomètres de là, que "ce n'est pas un léger plaisir de se sentir préservé de la contagion d'un siècle si gâté". A l'heure d'internet, de la toile mondiale, de la connexion immédiate, du grand Google et du clavier analogique, Jacky Adole rédige "à contre-courant, rit-il, avec des taches sur un cahier à petits carreaux où glisse en pleins et en déliés une plume Sergent-Major," comme ce manuscrit qu'il m'envoya par la poste et allait devenir Mon sac de rugby, accueilli en 2002 par Atlantica et l'impayable Jacques Darrigrand qui réglait si peu ses auteurs mais aimait tant ce jeu de villages.
Depuis ont été publiés sur un rythme constant Déjà... (2006), Le guetteur de Dordogne (2010), Comme un vol de demoiselles (2013), Constance Cassabelle (2014) et récemment Vieux Cons (2018), ce qui constitue une œuvre. Là où se marient Dordogne et Vézère, ce vieil enfant du Club Athlétique Périgourdin, fils de Carcassonnais et père des premières belles pages ovales du Stade Rochelais a trouvé comment souder son âme au terroir.
Il y a du phrasé de Jean Lacouture et du terroir de Georges Pastre dans le style de saveurs et de valeurs qui est surtout le sien, avec de grands sentiments, des tranches de vie minuscules et des routes champêtres. "Du brut et du sauvage flirtaient sous l'écrin des falaises, un parfum naturel et juste ce qu'il faut d'isolement préservaient l'équilibre. Dans un tel décor, on pouvait évoquer l'ancienne taverne et les exubérances des gabariers. La belle Dordogne, enchevêtrée dans les multiples courants de la Vézère, se demandait bien s'il n'était pas souhaitable de s'enfuir tout de suite, et on la voyait roulée sur elle-même, cramponnée au promontoire" écrit ainsi Jacky Adole dans Déjà...
Puisqu'il est question ici de Georges Pastre, mais aussi des Anglais et des Français qui combattirent pendant cent ans entre Dordogne et Vézère, le chantre languedocien notait à quel point les rivières alimentent l'histoire. Avon par exemple, sur les berges de laquelle "deux dons fameux ont pris naissance : le premier à Rugby, le second à Strattford. D'ailleurs, le grand Williams a appelé Rugby l'un de ses personnages d'une de ses admirables pièces historiques. Moi, je remercie chaque jour les Anglais d'avoir inventé le football-rugby, et, souvent, de nous avoir donné Shakespeare." On trace rarement aussi beau trait d'union.
C'est bien l'auteur d'une imposante Histoire générale du rugby en cinq tomes qui nous a offert la plus belle histoire en ouverture des Ovaliques, celle du capitaine Edgar Mobbs qui, à chaque attaque sur le front de l'Artois, "se hissait le premier sur le parapet de sacs de terre, et, calculant la distance du point où il fallait aller, d'un coup de soulier ajusté, bottait le ballon haut. A suivre..."
Et Pastre de poursuivre : "Les Tommies n'arrivaient pas tous au point de ralliement. La Faucheuse en plaquait quelques-uns, à chaque fois... Pour Mobbs, cet attaquant-né, cela arriva le 29 juillet 1915. Ce jour-là, le ballon était monté haut, haut, haut... Vous pensez, le ciel était si bleu..." Ce récit terminé, la gorge serrée, je lève les yeux. Pas un avion, pas un nuage. Aucun bruit. La métaphore soudain m'étreint. Pendant que montent en première ligne - hier comme aujourd'hui - les soignants nous disposons, contraints, du temps et de l'espace. Du silence aussi. Mais nous sommes en vie.

lundi 13 avril 2020

Le rugby, tout un roman

Un fragment de roman, une citation tirée de chroniques et le ballon à deux bouts sort d'entre les pages. Grande geste en permanente évolution où l'esprit l'emporte sur la lettre - quel paradoxe lorsqu'on évoque la littérature ovale - dans l'espace clos des stades et, soudain épanoui, dans les prairies, nos champs sauvages de l'enfance, le rugby est une géographie débordant d'histoires.
En septembre prochain si le déconfinement nous le permet, nous rejoindrons Uzerche pour échanger sur le thème de la littérature et du rugby. Tandis que nous œuvrons, avec Benoit Jeantet, pour intercaler cette intervention en bout de lignes, prenez le temps de ranger votre bibliothèque. Ce petit questionnaire de connivence, tel un jeu de bonne société, associe pour chacune des dix citations ci-dessous le titre de l'ouvrage et son auteur.

Béloni (Jean Colombier) :"J'ai abandonné les belligérants, je préférais parler littérature avec Blondin. (...) Ce qui fut fait dans les règles de l'art. La première bouteille de pastis épuisée, nous nous sommes rendus dans le troquet du village où il avait ses habitudes. (...) Jamais je n'aurais imaginé qu'un écrivain pût remplir mon verre à ce rythme-là, vive la littérature française. Sous les miennes qui tombaient sans espoir de sursis, j'observais ses paupières fatiguées et devinais qu'y veillait, discrète et vigilante, la flamme de l'écriture." Bonne réponse de Gariguette.
Match aller (Julien Capron) : "Courir, plaquer, lancer en touche, gueuler à Félix qu'il vaut mieux jouer au près, la tête qui prend un immeuble, se relever, (...) pas le droit de laisser le bourdonnement s'emparer de la tronche, surtout, ne pas laisser le cœur redescendre, ne pas relâcher sa rage, sinon l'épuisement. (...) Faudrait faire quelque chose, mais le premier qui tente un coup se fait envoyer dans la tribune. Ca reste au ras, au combat. C'est ce qu'on appelle un match fermé." Bonne réponse de Gariguette...
Chroniques ovales (Jacques Verdier) : "Quel crédit accorde-t-il à l'idée selon laquelle le rugby, sport d'intellectuel, ou voulu comme tel par la gente littéraire, ait tiré après soi tant de cœurs d'écrivains ? (...) J'épie de la sorte le moindre détail, feignant de balayer l'espace en guise de réflexion. J'observe l'homme bien sûr, dont l'équilibre, la vivacité et le maintien m'en imposent. (...) Il me raccompagne jusqu'au bas de la terrasse et me laisse sur le seuil de la porte. Je rêve au Roi Cophetua." Un point pour Gariguette.
Raffut (Philippe de Jonckheere) : "Madame la juge si vous permettez ? Oui monsieur. En fait Emile joue au rugby depuis qu'il a l'âge de sept ans, ce qui lui fait beaucoup de bien et "raffuter" est un terme qui est permis au porteur du ballon et qui consiste à éloigne du bras, j'étais en train de mimer le geste en plein tribunal, non sans une pensée pour certaines fois dont il me souvenait que je l'avais produit moi-même, plus encore toutes les fois où je l'avais subi (...) ou encore ces entraînements où je l'avais expliqué, décortiqué et démontré à mes petits poussins." Et un point pour Lulure.
Dieu aime-t-il le rugby ? (Jean-Claude Lombard) : "Dieu - Mais, Rugby, c'est une ville. Pipette - Non, c'est un art. Dieu - N'exagérons rien. D'après ce que Je vois, c'est un jeu. Pipette - Pas comme les autres. Dieu - C'est vrai, c'est la première fois que Je vois un ballon ayant forme d'un baptistère. Pipette - C'est parce que vous avez fait le rugbyman à votre image. Dieu - Moi ? Pipette - Hé oui, il a introduit le hasard ! (...) Dieu - Et mon image, sur ce rectangle vert, où est-elle ? Pipette- Dans l'homme qui se crée de l'indéterminé, pour vous imiter." Bonne réponse de Sergio, qui émarge à deux points.
Déjà... (Jacky Adole) : "De jeunes supporters impétueux, peints et enturbannés, s'enroulaient autour du terrain en courant, et c'est dans ce tourbillon de carnaval que les joueurs pénétrèrent sur la pelouse (...) saoulés par l'émotion, l'attente et l'envie d'en découdre enfin (...) Entêtées, les hommes opposaient leurs cultures si semblables et les Rochelais purent débrider le jeu par quelques fugues et variations des lignes arrière afin que leur supériorité puisse s'exprimer, puisqu'elle ne parvenait pas à s'exercer immédiatement dans la fournaise des luttes frontales." Un point pour Gariguette
Petits bruits de couloir (Philippe Guillard) : "L'hôtesse vient de repasser. C'est une souffrance, pour les piliers, de mater une fille qui passe. Ils ont tous comme qui dirait un problème technique. D'abord, ils sont trop musclés du cou, ensuite, ils ont les cervicales légèrement concassées par les mêlées. Alors, pour le matage de greluche, ils n'ont que trente degrés d'autonomie circulaire, après, faut que les épaules embrayent. En même temps, ça leur fait beaucoup de bien, c'est comme des étirements." Bonne réponse pour Sergio.
Qui veut jouer avec moi ? (Adolphe Jauréguy): "Pour vos joueurs déjà suffisamment tricheurs par nature, il y a assez de piment dans la sauce du rugby. Inutile d'ajouter celui du Championnat. Supprimez-le, et après cette opération chirurgicale, vous chasserez le joueur brutal et imbécile, celui qui joue au rugby pour vivre, au lieu de vivre pour jouer au rugby.(...) Le rugby n'est pas un jeu de bourriques. Les batailles de rue et les bagarres n'ont rien à faire dans un jeu noble de gentlemen ! Le rugby n'est pas fait pour tout le monde. Il doit être le jeu d'une élite éduquée." Bravo, Sergio, troisième bonne réponse.
Les Ovaliques (Georges Pastre) : "Tous les rouquins du rugby du monde ont été des terreurs ; à croire que les Egyptiens antiques avaient tout prévu puisqu'ils balançaient dans le Nil tous les enfants mâles naissant roux. Hercule ne faisait pas exception. Comme personne, le jour de Noel 1948, n'avait jugé bon de le jeter dans la rivière Aude, deux décennies plus tard il s'était mis à terroriser tous les petits clubs du championnat du Languedoc. Nous ne vous dirons pas le nom du sien ; pour éviter les vagues." Le point pour Lulure, qui récolte deux points.
Ca, c'était quelqu'un (Serge Simon) : "Le jeudi était un jour de repos, mais plein. Plein des espoirs de faire partie du voyage, plein des craintes que pouvait inspirer l'adversaire. Ensuite arrivait le week-end, l'épicentre de tout. La préparation du match occupait l'espace et le temps. Chaque seconde était pleine de mille choses à penser et à faire. Le match arrivait enfin, massif, exaltant, et l'après-midi comblait le reste. Tout le vie de Georges s'y condensait." Cinquième bonne réponse de Gariguette, qui l'emporte !
Pour paraphraser Lucien Mias, une des plus importantes dimensions de l'art pourrait s'intituler "le héros en nous". Littérature et rugby procurent aux bloggeurs de Côté Ouvert l'occasion d'aller au bout de leurs ressources pour se dépasser et vivre avec une grande intensité les émotions que procure l'écrit. Toute ma considération épistolaire à Gariguette, aka Sylvie Colliat, qui a trouvé une réponse sur deux !

lundi 6 avril 2020

L'opportunité d'un danger

Nous avons assez vilipendé, ici, le souhait acharné de nombreux présidents de Top 14 et de ProD2 de reprendre la compétition pour ne pas tenter d'y apporter une nouvelle explication. "Ils n'ont pas d'alternative : tout leur modèle économique repose sur le fait que des matches soient joués, sur la billetterie, les droits télé, le partenariat, etc. Pour eux, aujourd'hui, il n'y a pas de revenus, il n'y a que des coûts. Déjà que le modèle était fragile, s'ils ne repartent pas très vite, ça va être une catastrophe," nous explique un lecteur assidu de Côté Ouvert, par ailleurs membre du think tank d'un célèbre cabinet de conseils en stratégie,
Fragile, le rugby français ? Oui, semble-t-il, précise François Candelon, puisque c'est de lui dont il s'agit. "Les clubs professionnels sont des entreprises, des PME. Il y aura des faillites à la pelle et donc aussi des faillites de clubs, dans la même logique d'agent économique." Et cet ancien trois-quarts centre de l'école Polytechnique de poursuivre : "Dans chaque entreprise, je conseille de monter deux cellules : une cellule de gestion de la crise et des opérations au quotidien et une cellule d'anticipation. Et là, il ne faut pas se priver de réfléchir et d'ouvrir de nouvelles pistes. 
S'il apparait clairement que la LNR soutient la reprise des championnats professionnels sans montée ni descente et se heurte à la volonté de la FFR d'assurer une promotion aux meilleurs de ses clubs semi-professionnels de Fédérale 1, la Coupe d'Europe des clubs vient de prendre de plein fouet la proposition de Bernard Laporte, membre actif du comité exécutif de World Rugby, de créer une Coupe du monde des clubs.
Décrypteur de l'économique mondiale, François Candelon revient de Chine où il a séjourné de nombreuses années et nous apporte un éclairage sémantique loin d'être anecdotique : "En chinois, dit-il, le mot crise est composé de deux caractères. Le premier dit danger et le second dit opportunité. Les crises sont souvent des accélérateurs du changement. Il y avait déjà des choses à l'œuvre, sauf que là, nous allons faire en deux ans ce que nous aurions mis dix ou quinze ans à produire. Proposer un championnat du monde des clubs, c'est imaginer le futur. Au-delà d'être une culture à laquelle nous tenons tous, le rugby, dans le monde actuel, c'est aussi un spectacle, et donc l'idée vaut la peine d'être creusée."
Remettre les choses à plat, phosphorer et aller plus loin pour ne pas subir la crise sanitaire et ses effets dévastateurs apparait donc la solution la mieux partagée. Au point que World Rugby n'a pas enterré le concept de son vice-président, l'Argentin Agustin Pichot, à savoir la conception d'un championnat du monde des nations entre deux Coupes du monde. Mais dans ce cas précis, le trop n'est-il pas l'ennemi du bien ? Créer une nouvelle compétition à l'échelle internationale ne risque-t-il pas d'éteindre à terme le Tournoi des Six Nations, voire la Coupe du monde ?
Pour répondre à cette interrogation, "il faut, souligne François Candelon, effectuer une analyse beaucoup plus fine." Pour le prospecteur qu'il est, "la question du renouveau du Tournoi, par exemple, est davantage liée à la qualité du jeu produit. Du coup, il faut faire attention à ne pas multiplier les dates." Pour deux raisons : "D'abord éviter les doublons, ajoute ce passionné de rugby, prenant l'exemple du Stade Toulousain, champion de France en titre et grand pourvoyeur du XV de France "qui n'aurait pas été qualifié pour la phase finale si le championnat s'était arrêté là... "
La deuxième raison tient à la prudence sanitaire. "Attention à la santé des joueurs !", insiste notre interlocuteur. Et d'effectuer un parallèle avec le monde du travail. "Ce que le coronavirus nous rappelle, c'est que la santé et la sécurité des employés est au cœur de toute entreprise. Et encore plus dans des entreprises comme les clubs sportifs. Car les joueurs, ce sont les acteurs du spectacle", conclut cet amoureux des arts que nous retrouvions au restaurant Chez Henri, rue de la Soif aux côtés du regretté Gilles de Bure, autre ami d'Ovalie.
Dans l'embrassement des idées, des concepts et d'un changement de paradigme que nous appelons tous de nos vœux, il n'est peut-être pas souhaitable de multiplier les représentations, nous dit en substance ce témoin des grands mouvements du monde. Reflets du confinement qu'il nous faut apprivoiser comme une figure imposée, nos différentes réflexions de reclus forcés auront au moins permis de mesurer les bienfaits de la lenteur. Ainsi, et seulement ainsi, nous pourrons plonger, plus sages et mieux éclairés, dans le maelstrom de la reprise qui ne manquera pas.