vendredi 23 août 2024

A l'un, de loin

 


Bien sûr, Le Samouraï, ne serait-ce que pour la séquence animalière. En présence du canari, le silence, comme avec Mozart, est d'abord celui de Delon, sa marque de fabrique. Chez lui, pas besoin de dialogues pour nourrir l'intrigue : elle avance de son pas faussement nerveux. Mais surtout, pour les cinéphiles, il y a Le Guépard, inoubliable monument du septième art dans lequel l'apprenti-charcutier de Bourg-la-Reine interprète le magnétique Tancrède. Quant à ses sentiments personnels, l'acteur plaçait Rocco et ses frères sur la première marche de son podium. 
Quatre-vingt onze films tournés, dont trois derrière la caméra et trente-cinq produits, neuf pièces de théâtre jouées, sept disques enregistrés (Dalida, Shirley Bassey, Françoise Hardy ), une épouse et neuf compagnes, une collection d'art (de Géricault à Soulages en passant par Zao Wo-Ki, Millet, Delacroix, Hartung, Dubuffet) digne d'un musée, une écurie de trotteurs avec lesquels il obtiendra un titre de champion du monde, et l'organisation de trois combats de boxe (Bouttier-Monzon deux fois, puis Monzon-Napolès), titre mondial en jeu : on fera difficilement plus éclectique.
Inspiré du roman de Giuseppe Tomasi di Lampedusa publié en 1958, Le Guépard, sur les écrans quatre ans plus tard, met Alain Delon en majesté, gentilhomme garibaldien parfaitement capable de profiter des événements politiques pour mieux assoir sa position sociale, opportunisme magnifié par la fameuse tirade cynique et lucide du roman qui prend, dans le film, la forme suivante : "Si nous ne nous mêlons de cette affaire, ils vont nous fabriquer une république. Si nous voulons que tout reste pareil, il faut que nous changions tout." Une France laissée à l'abandon par un gouvernement démissionnaire depuis plus d'un mois n'illustrerait pas mieux cette tirade.
Depuis plus de quarante ans que le rugby est mon principal pole d'intérêt professionnel, là aussi tout a changé mais beaucoup de choses sont restées les mêmes : les discussions sans fin au sujet du calendrier, les débordements de troisième mi-temps, l'apathie de certains élus fédéraux, les alliances d'avant-élections, les remous au sein du XV de France, l'indécision concernant son jeu et son incapacité à décrocher la timbale Webb Ellis, l'ambition manœuvrière des médiocres techniciens, le manque de reconnaissance à l'égard des anciens internationaux hommes et femmes, liste non-exhaustive...
La motion de défiance à l'égard du président Grill le jour d'une réunion de Comité directeur, réponse à la mise en place dans l'urgence d'une "réunion de travail" qui mêlera le 29 août rugby professionnel, équipes de France et monde amateur, donnent à l'évidence le coup d'envoi de la campagne électorale à venir. Dans une ambiance plus tendue qu'espéré, le duel annoncé depuis le mois de mai entre Florian Grill et Didier Codorniou trouvera sa conclusion le 19 octobre prochain. 
A l'issue du scrutin, le rugby amateur n'aura pas changé de physionomie. Il sera toujours aussi difficile de compter sur des bénévoles dévoués et de les former, de récolter des fonds pour faire vivre les clubs, de conserver un effectif conséquent au sein des cadets et des juniors, d'organiser les déplacements sans trop greffer le budget, de créer du lien social, d'animer des activités ovales en milieu scolaire. Le XV de France, lui, restera dans le flou le plus total après le pensum d'une tournée argentine mal embouchée et terminée en fait divers.
Tout change - du ballon en cuir à l'ogive plastifiée, de l'amateurisme au professionnalisme, du doigt mouillé aux datas, du maul au ruck, du dimanche quinze heures au week-end télévisé non-stop, du coton au lycra, de l'anis à la cocaïne, des mutations aux transferts, d'Amédée Domenech à Mohamed Haouas, de Jean Prat à Oscar Jegou -, et à défaut de constater une véritable évolution dans le temps au sens bénéfique du terme, se dire qu'un jour peut-être quelque chose bougera. Et pas seulement entre les lignes. 

lundi 12 août 2024

Jeux est un autre

Par où commencer ? Peut-être par la fin. Boris Vian chantait les bienfaits de la télévision, quand elle est retournée. Quitte a être décalé, j'avoue : j'ai snobé la cérémonie de clôture. Le nom, déjà : clôture. C'est laid. Comment enfermer ces Jeux Olympiques quand on voudrait qu'ils restent ouverts à jamais. Pour les habitués que nous sommes des Coupes du monde de rugby qui s'étirent sur plus de sept semaines, ce concentré de sports et d'athlètes, de disciplines et d'émotions, de victoires inattendues et de défaites prévisibles sur dix-sept jours était devenu notre rendez-vous estival quotidien. Nos désirs échappent - et c'est heureux, écrivait Rimbaud - au contrôle de la raison.
C'était le moment de se faire de nouveaux amis, Léon, Pauline, Boladé, Auriane, Désiré, Jefferson-Lee, Félix, Siréna, Guerschon, de s'ouvrir - ou pas - à de nouvelles activités mais s'interroger sur la présence du breakdance et l'absence du karaté, remarquer aussi les six médailles - un record - de la Chinoise Zhang Yufei, restée de bronze. Espérer que la médaille d'or des septistes tricolores - que nous n'attendions pas, il faut l'avouer - brille longtemps encore car le rugby français d'élite, plongé dans la tourmente entre Le Cap et Mendoza, en a vraiment bien besoin.
Depuis 1987 et le premier Mondial, le XV de France, on ne le sait ici que trop bien, n'a pas été capable de soulever le trophée Webb-Ellis tant convoité. A chaque édition s'égrènent comme une litanie les raisons de l'échec. Mais ces Jeux Olympiques nous rappellent que la quête de l'or est un long chemin au bout duquel la force mentale, la précision technique, l'esprit d'équipe - même en sport individuel - et la capacité à se sublimer sous la pression, sont autant de piliers indiscutables et de pistes à creuser.  
A quoi tient le métal d'une médaille ? A presque rien, quand l'épaisseur d'un front, soit un centième de seconde, sépare l'or de l'argent sur le fil du 110 mètres haies féminin. A la hargne du tenace Joan-Benjamin Gaba accroché cinq minutes durant au kimono de son adversaire japonais pour relancer son équipe avant qu'elle ne truste le plus haut du podium. Si la France, avec 64 médailles, se hisse à la quatrième place - un cran en dessous si l'on considère les critères olympiques privilégiant l'or - est-elle pour autant devenue une nation sportive ? Attendons la rentrée scolaire : la maigre place occupée par le sport à l'école témoignerait plutôt du contraire.
Les meilleurs Jeux Olympiques de l'histoire, cérémonie d'ouverture comprise ? Peut-être. Sûrement, diront certains. Pourquoi pas. En tout cas, ils ont bien occupé l'esprit des citoyens que nous sommes au point d'en oublier que nous n'avions toujours pas de gouvernement, si ce n'est démissionnaire. Aucune trêve - comme c'était pourtant la coutume et le sens premier donné à cette compétition - sur le front des guerres, des combats et des embrasements. A ce titre, je ne vous conseillerai jamais assez de relire le court pamphlet du jeune Etienne de la Boétie, piochant dans le terreau lydien pour remonter à la racine des jeux.
Dans deux semaines, les Jeux Paralympiques seront lancés. D'ici là, peut-être aurais-je oublié Dionysos en bleu Klein, Aya Nakamura trémoussante au rythme de la Garde Républicaine et Antoine Dupont porte-drapeau - mon pronostic n'était pas si mauvais. Entre éloge de la diversité et culte de la tradition, sera-t-il encore question de syncrétisme et de roman national, de céphalophores et d'iconoclastes, de chromosome X et de piano debout sur lequel jouer la mélodie du bonheur ? 
Avant de refermer cette chronique, que nos pensées enveloppent la famille de Mehdi Narjissi, ses parents et sa soeur. Notre peine n'est rien face à leur douleur et leur colère. Au-delà des circonstances, qui nous échappent, et des responsabilités que la justice se chargera d'établir, aucune fatalité n'explique la disparition d'un enfant. Puisque nous sommes impuissants devant ce drame, cette plaie béante qui jamais ne se refermera, que nos cœurs se rapprochent.