C'est un grand service que de voyager en quête d'un ballon ovale, comme récemment dans les Midlands. Le rugby procure davantage d'attraits que n'en a la religion, même si les deux s'associent très bien, il suffit pour cela de mettre les pieds en Nouvelle-Zélande. La racine étymologique - "ce qui relie", colle parfaitement à la communauté que nous formons. Alors quand l'occasion s'est présentée d'un pèlerinage - un de mes cinq piliers - à Rugby, situé à une portée de drop-goal des Jardins de Franklin où j'étais désigné pour raconter l'ouverture de la phase finale de Coupe des champions entre les Saints et les Bibs, il aurait été dommage de s'en priver.
Rugby, son université, sa rue Arnold, son Big Side, la statue de Webb Ellis, celle de Thomas Hughes - il faut lire Tom Brown's schooldays, le moment et l'endroit où tout avait commencé, puisqu'il faut croire la légende et l'imprimer quand elle est plus belle que la réalité. Que s'est-il passé ? Est-ce là, vraiment ? William Webb Ellis plutôt que Jem Mackie, le bon et la brute. L'homme d'église est enterré à Menton, autre pèlerinage, l'autre, personne ne sait ce qu'il est devenu. Les dirigeants de la RFU ont fait leur choix, il y a un siècle de cela en décidant de l'origine du mythe. C'est gravé sur le marbre incrusté dans le mur d'enceinte de l'université - on dit College en Angleterre.
Le rugby n'est pas seulement un sport, c'est un état d'âme, écrit le journaliste Henri Garcia qui le premier en 1950 effectua des recherches dans cette ville de briques rouges du Warwickshire pour le compte de L'Equipe, avant d'alimenter le premier chapitre de sa Fabuleuse histoire du rugby. C'est aussi un état d' esprit, constatons-nous après avoir pratiqué ce jeu. C'est surtout un projet d'éducation, si l'on s'en tient à ce que souhaitait Thomas Arnold, directeur de cet établissement scolaire. Il a cherché à établir quelque chose, une façon d'être au monde, de se diriger dans le monde. Le rugby serait donc une boussole, et nous sommes quelques-uns à veiller à ce qu'il ne perde pas le nord.
Je suis redescendu à Northampton. Couvrir The Saints versus les Bibs. Score final 46-24, sept essais à trois. Les Clermontois furent débordés, transpercés, indisciplinés. Dans ma besace, Inoubliable, le livre de Steve Thompson, ancien talonneur des Saints et du XV d'Angleterre champion du monde devenu amnésique. Et dément. A force d'avoir subi des commotions cérébrales. Lisez son témoignage. Ce n'est une épitaphe. Dans les dernières pages, "Wally" trace des pistes pour dédiaboliser le jeu qui lui a fait perdre la tête. Mais dans les premières, ses anciens coéquipiers et coaches lui rafraîchissent la mémoire et reviennent sur 2003, seul titre mondial obtenu à ce jour par une nation de l'hémisphère nord. C'était à Sydney, nous y étions.
L'ouvreur Romain Ntamack assure que la première place du XV de France dans le dernier Tournoi participe, nonobstant la défaite à Twickenham du chemin que s'ouvrent les Tricolores jusqu'au Mondial 2027. Mais comme toujours depuis presque quarante ans, ils ont la sale manie de s'arrêter en route, comme s'il leur manquait les dernières gouttes d'essence pour parcourir les ultimes hectomètres. Immense frustration que la leur, que la nôtre. Alors, qu'ils lisent, eux aussi, Inoubliable...
Voilà ce qu'ils y trouveront, entre autres choses : " La seule façon de battre un adversaire, c'est de le surpasser, il faut jouer plus vite que lui. Vite, vite, vite. C'est le ballon dans la mêlée - entrer, sortir, jouer. Le ballon dans l'alignement - entre, sortir, jouer. Taper et avancer. Penser vite (...) Je voulais que cette équipe soit suffisamment mûre et intelligente sur le plan émotionnel pour exprimer ses opinions, et qu'elle se sente à l'aise pour le faire. Ce qu'on appelle la "sécurité psychologique". Nous avons été capables de faire face à toutes les situations et les décisions d'arbitre que nous considérions comme mauvaises, ce qui témoigne non seulement de l'entraînement des joueurs mais aussi des relations qu'ils ont créées entre eux." Cette façon d'être au monde. D'être rugby.