lundi 8 mai 2017

Retour de balancier

Au bon rebond de la formation, le ballon est maintenant entre les mains de ceux dont la vocation est d'offrir assez d'outils aux éducateurs pour que nos jeunes talents puissent éclore et profiter.  Après avoir posé nos questions à Eric Laylavoix, CTR du Limousin, notre intervenant es-qualités à Treignac, et obtenu des réponses dont certaines furent bonifiées dans l'intervalle par Christian, j'ai eu l'occasion de m'entretenir avec le DTN, Didier Retière, au sujet de la  formation «à la française» qui nous parle tant ici. Je vous les livre sur Côté Ouvert en direct du producteur au consommateur.

Première confidence : «Elle est dans la philosophie de la formation des cadres, dans ce qui est apporté aux jeunes et dans la filière du haut niveau. Mais rien n’est complétement écrit et défini ; les gens ont du mal à se l’approprier.  On a été pillé par les Néo-Zélandais, les Anglais et les Irlandais. Elle existe, cette formation à la française, mais en filigrane. Il n'y a jamais eu une réelle volonté de la FFR et des cadres à l'imposer. Ca aurait été trop dictatorial», avoue Didier Retière.

Pourquoi la France n’est-elle pas fière de son savoir-faire en termes de formation ? «Ne pas être fier de ce qu’on sait faire, c’est lié à notre caractère latin, note Retière. Il y a vingt ans, nous avions les grands débats des spécificités régionales. Basques, catalans, alpins, toulousains, tous voulaient pratiquer leur style de jeu… La baisse du niveau de l’équipe de France a fait comprendre récemment à tout le monde qu’il était nécessaire de remettre en avant, ensemble, une formation qui nous soit propre. Maintenant, plus que par le passé, les éducateurs et les formateurs sont plus enclins à suivre ces préconisations

De quelles préconisations parle-t-on ? «De manipulation de balle, de directions de course, de capacité à bien sauter, chuter au sol et maîtriser les postures de contact, et ce à partir de six ans jusqu’à vingt-deux ans, c'est-à-dire en sortie de centre de formation dans les clubs.» Visiblement, tant de simplicité est compliquée à transmettre. Retière explique pourquoi : «Les écoles de rugby sont dirigées par des bénévoles qui doivent permettre à leurs meilleurs jeunes d’être mis en situation pour progresser correctement pour devenir des joueurs capables de bien lire le jeu, de prendre les bonnes décisions, en ayant le bagage technique adéquat, c’est-à-dire réaliser les bons gestes en étant en sécurité

A Treignac, les Quinconces ont évoqué les penseurs, techniciens de hauts vols capables de faire progresser la formation française. Parmi eux, Pierre Villepreux, qui fut DTN, suivi de son complice Jean-Claude Skrela. N’ont-ils pas insufflé depuis Marcoussis une méthode dite «toulousaine» ? «Si, bien sûr, reconnait Retière, qui a succédé à ce duo. Mais on est passé du mouvement général à fond en oubliant d’être précis sur d’autres parties du jeu, sur d’autres ressources qu’il faut mobiliser chez les joueurs. On parle maintenant de retour à la technique mais c'est un effet de balancier.»

J'entends les bloggeurs de Côté Ouvert demander au DTN, qu'ils ont sous la main : "Mais où en est-on, aujourd’hui ?" C'était pour cela que nous étions réunis à Treignac. Pas seulement, bien sûr, mais pendant quelques heures nous avons tenté de creuser le sujet. L'ancien entraîneur national répond : «Le modèle de formation, on le veut plus pragmatique, davantage lié à l’environnement des joueurs, en équilibre avec les aspects d’analyse et de prise de décision mais aussi de réalisation technique des gestes.»

Retière se place dans le prolongement de l'intervention informelle de Jacky Courrent, nouvel élu fédéral responsable des écoles de rugby à l'échelle nationale, venu spontanément nous rendre visite à l'Hôte du lac. «La présence accrue de cadres de la FFR sur le terrain», les fameux deux cents, «porteurs d’un projet précis et qui auront une formation adaptée, va nous permettre, ce qui n'a jamais été fait avant, de mettre en place, directement et facilement, les bases de la formation dans les écoles de rugby. Auparavant, les documents-supports étaient austères, réservés à des spécialistes de la formation. Là, on va formaliser et vulgariser un référentiel commun», précise Retière.

D'après le Directeur technique national, «une dizaine de personnes travaille sur ces documents», dont «Philippe Rougé-Thomas et Nicolas Leroux. Ce plan de formation» sera d'abord «remis dans les académies et auprès des jeunes du pôle France.» Vont aussi voir le jour «les crampons de bronze, d’argent et d’or pour que les gamins puissent construire leurs apprentissages à l’école de rugby auprès de leurs éducateurs.» Précision : tout cela devrait être finalisé en «septembre 2018».

Quelques informations à partager en prolongement de mes deux précédentes chroniques, nées de notre souhait d'évoquer le présent et l'avenir de la formation française. En partant de nos interrogations, relayées par Christian avec le sens du soutien dans les lignes, puis en passant par l'éclairage apporté par un Conseiller technique régional, nous voici maintenant au plus près des chantiers ouverts en ce moment à Marcoussis. Le sujet est furieusement d'actualité, au cœur de ce qui constitue notre rugby. De jeunes talents inscrivent leurs noms sur les feuilles de match de Top 14. Il me semble d'ailleurs que cette tendance s'installe. Acceptons-en l'augure.

lundi 1 mai 2017

Soixante heures chrono

Depuis l'ouverture de ce blog, la formation est sans aucun doute notre sujet de réflexion et d'échanges le plus récurrent. On y ajoutera les grands crus, les auteurs à découvrir et les longs métrages à ne pas manquer. A l'initiative de Christian, l'Hôte du Lac fut ainsi à Treignac le théâtre d'une présentation-débat autour de l'apprentissage du jeu à l'usage des Quinconces. Trois-quarts centre international, Christian se fit épauler par Eric (à droite sur la photo, en pull blanc), champion du monde juniors en 2006 avec le duo Ntamack-Retière, puis analyste de la performance auprès du XV de France.
 
L'idée ? Nous éclairer sur la formation "à la française". Sylvie donna le coup d'envoi, haut et long, de cette rencontre informelle : "On a l'impression que les joueurs, aujourd'hui, ne savent plus faire de passe !" Voilà, c'était dit. Eric reprit la balle avant le rebond : "On rivalise en moins de dix-huit ans, mais à partir des moins de vingt ans, on descend " d'un cran. Arriva donc très vite dans la discussion le fameux gouffre de quatre saisons (quand les Espoirs ont entre 20 et 24 ans) dont parle l'actuelle DTN, Didier Retière.
 
Son fils, Arthur, international moins de vingt et à 7, évolue au Stade Rochelais. "Il n'y a pas de perte technique mais tout est programmé", lâchait Eric en parlant des schémas de jeu inoculés dans l'élite. Christian prit un peu de hauteur : "Eduquer un joueur, c'est lui apprendre à réagir, lui permettre d'avoir le jeu en mémoire." A l'évidence, trois méthodes font foi à la DTN : le jeu libre (méthode globale), la méthode analytique (ou décortiquée) et la méthode anti-erreur (apprentissage en situation).
 
Pour notre intervenant, Eric, et son bloggeur au soutien, Christian, il était nécessaire de ménager une "entrée par le jeu pour descendre en effectif réduit, deux contre deux". On s'est regardé, avec Michel. C'était ainsi que nous avions vécu notre matinée à la plage, ballon en main. Deux contre un, avec Benoit. Puis deux contre deux, avec Sergio. Plein bonheur. J'avais instillé dans la partie une petite touche néo-zélandaise. Qu'Eric poursuive son propos sur le déclin de l'image de la méthode française dans le monde, "remplacée par les modèles néo-zélandais, anglais et australien" faisait entrer l'air du temps dans notre lieu de vie.
Michel, Pipiou, Sergio, Benoit, Le Gé, Tautor, Lulule II (aka Fred) et Georges en pause sur la plage l'avaient remarqué : il y a dix ans, la "démarche globale" deleplacienne était un must. Même les techniciens All Blacks cherchaient à s'y abreuver. Ses penseurs, "Quilis, Conquet, Devaluez, Villepreux" faisaient référence, note nostalgique Eric. Je confirme. En 1989, Pierre Villepreux fut l'invité du XV d'Angleterre en stage à Faro, au Portugal. J'y étais. Mais les Anglo-saxons préfèreront toujours "la répétition des gestes pour passer ensuite au jeu", dixit Eric.

Avant d'envoyer le ballon, les techniciens français posent trois questions : "Quel jeu ? Quel joueur ? Quelle démarche ?" Construction cartésienne irriguée par "les profs de gym" mais nourrie et enrichie par "l'expérience d'entraîneurs de clubs" parmi les meilleurs. Reste que si aujourd'hui, à l'évidence, les jeunes joueurs sont, ainsi que le souligne Michel "dans la mode et qu'en face, il n'y a pas de projet, comment contourner ça ?" Eric répond : "Il nous faut essayer des actions départementales avec des contenus adaptés." Les fameux "deux contre deux" des bloggeurs en formes matutinales. Autre dit : "Privilégier l'opposition pour mettre le jeu dans son milieu".

La suite de la conférence-débat prit l'intervalle des contenus pédagogiques. Comment former les formateurs, bénévoles pour la plupart ? demandèrent les Quinconces en chœur. Tout d'abord éviter la reproduction des schémas "vus à la télé", répondirent Christian et Eric. Ce "rugby pro, cet autre monde". Celui de la Coupe d'Europe et de la Coupe du Monde se situe un cran, voire deux, au-dessus de notre Top 14 qui ne prépare en rien au niveau international. Tautor, médicaliste des sélections régionales moins de quinze et seize ans constate "la perte de spontanéité des jeunes," mais aussi "leur vocabulaire limité, leur moindre compréhension". Qu'en penser ?
Que les pousses d'aujourd'hui connectées au rugby des clubs professionnels jusqu'au mimétisme n'entrent "malheureusement" dans la pratique de ce jeu que "par l'aspect technique", regrette Eric, a de quoi inquiéter. Ils n'ont aucune idée de la question de sens dans le rugby: pourquoi attaquer à tel endroit plutôt qu'à tel autre, comme amener la défense ici, "étirer pour percer, regrouper pour déborder" ajoute Christian, gestes à l'appui. Conseiller Technique Régional du Limousin, Eric nomme ainsi "court-circuit" le raccourci décérébrant qui pousse à la robotisation des gestes sur le terrain par la représentation télévisuelle offerte par une chaîne cryptée. Terrible constat.

A cela s'ajoute l'absence de prospective. Quel sera le jeu dans quatre ans ? Personne ne le sait. C'est d'ailleurs l'absence de réponse à cette question cruciale qui a coûté cher au XV de France sous Philippe Saint-André, fourvoyé dans un schéma trop daté (conquête-occupation du terrain-défense). Alors ne parlons pas d'imaginer ce que sera le rugby dans dix ans : c'est trop loin pour nos édiles. Du coup, impossible de mettre le jeune joueur, futur international, en phase avec son temps.

Eric et Christian nous ont assuré que n'importe qui (pas tout à fait, mais presque) pouvait devenir entraîneur d'un club de Fédérale 2 en soixante heures chrono. Je crois bien que ça nous a foutu à tous un peu les jetons ! Nous nous sommes regardés, bouche bée. C'est d'ailleurs le seul moment où les Quinconces sont restés à l'arrêt. Le pire était à venir : tu peux passer ton diplôme en trois ans. Soit vingt heures par an. Et commencer à entraîner dès le début de ton cursus, sans même attendre la fin et la diplôme. Heureusement que nous étions assis...
Au moment où Eric et Christian mettaient un terme à leur intervention et prenaient congé s'est présenté à nous Jacky Courrent (barbichette sur la photo de terrasse), élu fédéral de la liste Laporte chargé des écoles de rugby, ancien de Bobigny et père de Valentin. Invité par Didier, notre hôte du lac, Jacky Courrent évoqua le projet fédéral de création de deux cents postes d'éducateurs pour couvrir le territoire ovale, et son désir de valoriser les clubs formateurs de toutes les façons possibles. Nous ne manquerons pas d'en reparler ici avec lui, si l'occasion se présente. Son énergie mesurée, sa sérénité communicative nous ont fait du bien à l'heure où les cigares torpedo circulaient dans une brise œcuménique.

Après une courte nuit, nous avons ensuite débriefé notre week-end. Au-delà des agapes, des rencontres, des affinités naissantes, du simple plaisir d'être ensemble, nous avons aussi - merci Christian - reçu un plein d'informations sur la formation. Résumer le sentiment général est toujours un exercice compliqué par la somme de subtilités et de précisions qu'il est impossible de retranscrire dans le détail sous peine de plomber la synthèse. "Fais court !", lâche Fred aka Lulure. OK, j'essaie.

Tout d'abord et peut-être le plus prégnant : l'impasse dans laquelle est plongée la formation française. Sylvie dit : "On est mal barrés". Dans tous les sens du terme. Fred note : "J'ai trouvé nos intervenants tristes", au sens de résignés. "Il faut remettre de la joie dans tout ça..." Le Gé refuse la fatalité : "Pour s'en sortir, il faut arrêter de croire qu'il n'y a pas de solutions." Nous parlons alors de la belle aventure du ludique, mais qui passe par le choix, très rapidement, des hommes et de la méthode. Sergio évoque "l'action de la FFR auprès des bénévoles" et Benoît glisse en guise de conclusion : "Donnons une chance à ce qui peut arriver. Favorisons les synergies".

Conscients que ce qui faisait la force du rugby français s'est dilué dans le professionnalisme à l'anglo-saxonne au profit de l'élite court-termiste. Mais il suffit que le rugby se relance dans les cours d'école en lieu et place du handball, que les clubs amateurs formateurs trouvent du soutien fédéral et que les meilleurs entraîneurs et techniciens français s'appliquent à échanger en imaginant l'avenir pour que s'inverse la pente. Chargés de lucidité, d'éclairage et d'espoir, nous avons alors repris la route.