samedi 9 novembre 2024

Agape the blues

 

Personne n'a jamais osé affirmer que pratiquer le rugby proposait le plus court chemin vers la béatitude ou la canonisation. Il aura donc fallu attendre une tournée bidon en Argentine avec un contingent de Marie-Louise encadré par un quarteron de fêtards en guise de staff technique pour que trente ans après l'avènement du professionnalisme le rugby d'élite s'inquiète du rugby des litres au point d'interdire la troisième mi-temps pour ce qu'elle a de fatalement dionysiaque. 
Il aura donc fallu qu'en tournée trois ou quatre représentants post-pubères de la bite-génération, le nez gonflé aux lignes de coke et la gosier étanché au gin-tonic, tombent dans l'excès, fassent les gros titres et animent l'été de faits divers pour que, soudain, s'impose à tous la diète d'après-match. In Vino Veritas. Il faut quand même méconnaitre ce jeu pour ne pas savoir que les boissons partagées jusqu'au bout de la nuit n'ont pas d'équivalent pour forger un groupe.
Depuis l'Antiquité, les agapes n'ont pas d'autres vertus que de resserrer les liens. A partir de l'ère victorienne, elles ont permis aux joueurs d'une même formation de devenir des coéquipiers. Si depuis la création de ce jeu, le terrain permet de lier les partenaires, en mêlée, en touche, dans les regroupements et les ballons portés, il ne suffit pas à les fusionner. "Sans la troisième mi-temps, je ne vois pas beaucoup d'intérêt à disputer les deux premières", m'avait un jour assuré Jean-Pierre Rives, l'incomparable blond. Ironie, ce dompteur de caractères n'a jamais bu une goutte d'alcool.
De la même façon que des journalistes tempérants évitaient de remettre leur tournée au bar de l'hôtel où ils logeaient la veille de test-match afin, disaient-ils, de sauvegarder l'énergie utile le lendemain après-midi pour rédiger du mieux possible leur compte-rendu, la prétention des plumitifs de concours a fait davantage de dégâts au sein de la profession que n'en a causée la consommation d'alcool. Au coup d'envoi de ce France-Japon, j'ai levé ainsi mon verre de Zagat - un excellent whisky d'Auvergne artisanal - avec une pensée pour les ébranleurs de zincs qui, s'ils étaient encore avec nous, regretteraient le puritanisme hypocrite dans lequel vient de se fourvoyer le XV de France.    
Après une Coupe du monde 2023 foirée dans les grandes largeurs, un Tournoi 2024 mal embouché et cette tournée dans la pampa qui n'a apporté que des tracas, je n'attendais pas grand chose des Tricolores nouvelle cuvée de Fabien Galthié, et je n'ai donc pas été déçu : ils n'ont apporté ni grâce ni liant face à une médiocre sélection japonaise qui méritait d'encaisser soixante points hors taxes. Je préférerais vraiment évoquer les Australiens, magnifiques de culot, d'ivresse offensive et de talent face à l'Angleterre quelques heures plus tôt, tandis que s'avancent les All Blacks, victorieux de l'Irlande à Dublin, samedi prochain.
En guise de post-scriptum, sachez qu'il vous reste un peu moins de trois semaines pour découvrir les sept ouvrages choisis pour concourir au prix La Biblioteca du meilleur livre de l'année 2024, à savoir Jour de match (roman de Sophie Frajaville), Antoine Dupont hors-norme (album de Grégory Letort), Légende bretonne (saga vannetaise de Laurent Frétigné), Conquérantes (roman de Serge Collinet), L'essai d'un autre monde (récit de Pierre Michel Bonnot), Les vents Ovales (BD du trio Horne-Mermilliod-Tripp) et l'Histoire illustrée du XV de France (album de Ludovic Ninet).