L'esprit d'équipe, en rugby mais pas que, constitue le socle sur lequel il est possible de construire durablement. Je ne parle pas de l'histoire d'un club, ce qui est encore autre chose. Non, juste de ce qui agrège une poignée de joueurs dans la traversée d'un championnat. Nous évoquions ce ciment dans une précédente chronique avec l'exemple de Brive qui passa de la gloire au fossé en deux ans de campagne européenne. Aujourd'hui, c'est Grenoble qui m'inquiète.
Pas que je sois particulièrement attiré par ce club, ni spécialement concerné, encore que j'y ai passé de bien belles soirées, que ce soit aux côtés de Jean Liénard, puis Jean de La Vaissière, Jacques Fouroux, Rico Rinaldi et enfin Fabrice Landreau, entrecoupées de virés mémorables, dont une en compagnie de Fred Velo, à qui j'ai sans doute sauvé la vie. Mais ceci une autre histoire.
Non, ce qui m'inquiète, devant les sièges vides en Isère, c'est d'assister à l'exode massif de l'effectif actuel alors que la saison vient tout juste de basculer dans sa deuxième moitié. J'ai compté, ils sont quatorze à quitter le FCG. Série en cours. De quoi constituer une équipe d'exilés. Entre autres Desmaison, Hand, Jolmes, Farrell, Batlle, Mignot, Bosh, McLeod, Grice, Diaby, Bouchet, Jammes et jusqu'au capitaine Wisniewski, ce qui en dit long sur ce délitement.
Je veux bien que le rugby soit devenu professionnel et donc libéral, que les internationaux analysent le marché et draguent le mieux disant financier, que les clubs se comportent en vulgaires entreprises, que les présidents traitent les joueurs comme du bétail, et les joueurs leurs mécènes comme des vaches à lait, mais quand même : une quinzaine de départs plombent l'ambiance alors que tout est encore jouable. Le signal est confondant : il n'y a plus de grimpeurs encordés.
Je ne dis pas ça pour faire de la peine à Sylvie, loin de moi cette idée, mais cette débandade organisée me choque. Certes, les caisses du club sont vides, le Stade des Alpes se désemplit, les résultats tombent mal, mais ces reflux condamnent Grenoble avant même l'expiration de la saison et l'officialisation du classement. Comment constituer une équipe quand chacun sait qu'il ne portera plus son maillot, la saison prochaine ?
Bayonne, pourtant en difficulté, ne connait pas une telle saignée ; le Stade Français, en chute libre, voit partir quelques vedettes mais rien de comparable à l'asséchement de l'effectif isérois. Le torrent de montage n'est qu'un mince filet d'eau. Le beau projet est noyé. Ainsi va le rugby pro. Au plus offrant. Le métier de journaliste consiste, figure imposée, à visiter régulièrement les sites des clubs pour voir qui est annoncé partant ou qui risque d'arriver. Beaucoup de mes confrères passent leur temps au téléphone avec les agents de joueurs pour anticiper les signatures. Personnellement, je ne m'y reconnais pas.
Alors que faire pour booster les désirs du chaland ? Quitte à foncer dans le mur de l'argent autant organiser une vente aux enchères des meilleurs marqueurs d'essais, un comice agricole des avants de devoir, ou un concours de tirs au but genre On achève bien les chevaux pour savoir quel réalisateur restera le dernier debout ! De quoi gonfler l'audimat, faire du chiffre et animer les mornes semaines entre deux journées de Top 14 polymusclé.
Pour prendre du plaisir, il faudrait que je sois Irlandais tant le Munster, le Leinster et le Connacht nous régalent. Je demeure Rochelais de coeur, cette saison devrait me contenter, mais la raison m'impose de rester neutre, à distance. Frustration. Clermont et Bordeaux-Bègles donnent, eux aussi, parfois (mais ce n'était pas ce dimanche) à rêver.
Parmi les très bonnes nouvelles, Tautor nous invite à constituer un Quinconces. Ceci est bel et bon. La date ? Du vendredi 21 avril 17 h pour l'apéro au dimanche 23, après le déjeuner pour ensuite aller voter au premier tour de la présidentielle. Il y a trois hôtels, des mobil-homes et un B&B à Treignac (cerca Brive) et dans les environs. Chacun pourra apportera ses spécialités régionales. Pour l'instant, nous sommes une dizaine, série en cours...
dimanche 15 janvier 2017
mercredi 4 janvier 2017
Elie nous abandonne
Bloggeurs de Côté Ouvert, Charles, Nini,
André et François étaient accoudés au comptoir quand ils ont appris la disparition d’Elie Cester. C'est Sergio qui l’a
annoncé le premier à la cantonade en entrant dans notre club-house. «Ce 3 janvier est
décédé un grand n° 4 : Elie Cester !» En 1968, il fit effectivement partie avec Jean Trillo, Christian Carrère, Walter Spanghero et André Campaes, des cinq internationaux français qui disputèrent les
quatre rencontres – c’était le Cinq Nations – victorieuses. Avant d’être nommé à
trois reprises en 1974 capitaine du XV de France. «C'était ce qu'on appelle communément
un grand monsieur», ajoute Sergio.
Le premier, Charles ouvre la boîte aux souvenirs avec sa «minuscule anecdote» : «Dans le Mercure d'Air Inter Orly-Toulouse, il prend place à
côté de moi. Impression immédiate : être assis dans un dessin de Pellos, genre «l'Homme
au Marteau attend Bobet ou Gaul dans l'Izoard»... Evidemment, on échange
quelques mots, pareillement ravis de constituer un îlot ovale dans une
carlingue où tout le monde lisait les pages roses du Figaro. L'impression d'un
homme éminemment sympathique, porté sur le bon côté des choses. Toulouse était
trop près de Paris. Une heure dont je me souviens avec émotion.»
Après avoir salué les membres du club,
Sergio raconte à son tour : «Au sein du Valence Sportif, son second club de cœur, le premier étant le T.O.E.C., j'ai eu l'occasion de le côtoyer
entre 1979 et 1981, entraîneur et joueur. Il avait treize ans de
plus que moi. Ce n'était pas ce qu'on appelle un taiseux : le mec était
discret. Abnégation et humilité, ça lui parlait. Mais quand il vous racontait
ses histoires dans son accent en torrent de cailloux, là il était malicieux.
Fallait faire gaffe pour lui serrer la pogne parce qu'il en avait de grosses.
En fait, un gros nounours en dehors des terrains. Avec lui, on pouvait voyager
tranquille sur un terrain.»
Au chapitre des hommages, Nini
apporte le sien. «Galles-France 1966. Trois «voyous» de la pire espèce, nommés
Benoit Dauga, Guy Boniface et Elie Cester, en goguette pour fêter le rugby
après la défaite, se retrouvent plutôt moins que plus entraînés dans une grosse
bagarre. Ils ont fini la nuit au gnouf. Z'avaient déjà perdu d'un point au
planchot, l'après-midi, carton rouge le soir, sacrée déplacement ! Ca
promet, là-haut, dans le Walhalla de l'ovale, de sacrées retrouvailles et une
troisième mi-temps à faire trembler tous les Dragons rouges du Pays de Galles.
Bon vent Monsieur Cester. Je ne pense pas que des joueurs de votre trempe,
devoir et humanité, on n'en revoit d'ici peu. Eh, le Guy savait s'entourer,
quand-même ; m'étonnerait pas que ce soit lui qu'ait allumé la première
offensive d'une biscouette landaise… Et les deux copains au soutien,
indéfectibles.»
Charles a soudain une idée. Ou plutôt une offrande
musicale, pour rester avec Bach : «Allez, jeunes gens, une minute de
silence en hommage à Elie, grosse caisse claire s'il en fut.» Les jeunes gens, malheureusement, ne savent
pas qui fut Elie Cester. Il suffit pour s'en rendre compte de parcourir certaines notices nécrologiques
publiées, la plupart maigres, imprécises et sans âme, quand elles ne sont pas tardives. «C’est générationnel,» note François, magnanime, pour évoquer ce décalage. Et de poursuivre : «Je le voyais dans mon quartier quand j'habitais Toulouse. A treize ans, c'était
comme un rêve de voir ce Monsieur devant moi - il travaillait à la voirie - et de
le revoir sur le terrain avec le T.O.E.C. J'en parle à un mes fils, qui a 35 ans, et
il me dit : «Elie qui ?» Pas surprenant non plus, ni décevant. Je garde bien
au chaud ces images du mec normal bossant avec ses collègues. Autre temps,
autre mœurs.»
Elie Cester, André l’a bien connu, «à
l'époque où je jouais en juniors au T.O.E.C.,» glisse notre cycliste. «Quel pack, avec lui!
Salles-Bousses-Gallo - Cester-Dubor – Antia, j’ai oublié le nom du numéro huit,
et Salut, tous protégeant le petit Richard Astre... Et le Stade des Minimes...Et
le président si sympa, Georges Aybram...On pourrait aussi se souvenir de
quelques colosses, style Daniel Orluc à Tulle et du «Breton» Jean Le Droff
d'Auch... Je retombe, au moindre coup de Trafalgar, dans mes travers et mes
souvenirs frais comme une éponge bien humide !»
Alors j’ai appelé Jeannot Salut, privilège
du journaliste que d’être proche de ceux avec lesquels il n’a pas joué. Quand je lui demande qui était le troisième-ligne centre du T.O.E.C. (Toulouse Olympique Employés Club. Non, Sylvie, ce n'est pas un test d'anglais...) qui poussait au cul d'Elie, il lâche immédiatement : «Antoine
Bertoldo ! Un drôle de mec ! Il prévenait les adversaires qui
déconnaient : «Attention, toi, tu vas connaître le tapis.» Et il ajoutait :
«Les prédictions de Saint-Antoine se réalisent toujours…» Quelques minutes plus
tard, tu entendais un bruit sourd…» Jeannot a joué avec Elie. «Nous étions fâché.
Une connerie.» Une histoire de capitanat, «jalousie d’adolescent» qui a
poussé Cester à partir vers la Drôme en 1970. «C’était un grand joueur, avoue sans ambages
Salut. Un colosse qui se déplaçait à grande vitesse. Je n’ai pas vu un deuxième-ligne de
son gabarit - il mesurait 1,91m et pesait 121 kilos, je le sais, je me suis pesé à ses côtés dans un hôpital néo-zélandais - courir aussi vite. Il avait des avant-bras d’Italien
du nord, monstrueux. Aussi gros que ses mollets…»
Elie Cester est donc parti. A 74 ans. Abandonnant le rugby à ses affres professionnelles. A nous avec lui. De cet athlète, Fred
Allen, entraîneur des All Blacks et ancien cinq-huitième international, disait : «Avec huit Cester, la France aurait
le meilleur pack du monde.» Treize ans plus tard, un Gersois comme Elie, Jacques Fouroux, lancera le même compliment concernant Roland Bertranne, mais à l’échelle de toute une équipe. Allen, lui, n’exagérait pas. Il avait vu Cester
à l’œuvre deux fois face aux All Blacks en 1968, dans un pack qui comptait
Walter Spanghero, Christian Carrère, Jean Salut, Benoit Dauga... Un pack qui pensait à jouer
avant de combattre.
Cester, aussi rapide que ses lumineux
coéquipiers, prenait plus que sa part de travail dans l’ombre. C’est parce que
le ciel est noir que les étoiles brillent et que nous pouvons nous diriger dans
la nuit, disent les Maoris. Cester, 35 sélections entre 1966 et 1974, faisait briller les autres. Quand je l’ai
rencontré, il y a de cela une quinzaine d’années, chez lui, il avait quelques
mots pour parler de lui et beaucoup plus pour évoquer ses coéquipiers. C’est à
cette aune qu’on évalue les bons hommes.
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