L'été en pente raide a été, donc, marqué à l'évidence par le Tour de France. Qu'il nous a fallu quitter à regret. Comme une métaphore roulante de nos aspirations, de nos rêves et surtout de nos limites, la perspective qu'un coureur français remporte la Grande Boucle - soulignée par les médias comme jamais depuis que Bernard Hinault s'est éloigné du peloton et portée sans discontinuer par un public transi d'émotions - s'est évanouie au fil des ascensions alpines comme s'efface au réveil un songe doucereux, lovée dans les recoins de nos fantasmes.
Aussi vite que les aspirations élevées s'effacent en ce mois d'août de reprise footballistique où la haine des pseudo-supporteurs parisiens, toujours en quête d'un sujet de rupture pour écoper leurs échecs, se déverse d'entrée en tombereaux sur un certain Neymar dont la cheville n'est plus si ouvrière et inflige au destin du PSG les mêmes tourments que le nez de Cléopâtre à l'Egypte et ses roseaux. L'esprit de finesse du Clermontois Blaise Pascal n'aurait pas manqué de préciser que l'ex-idole des kops n'était "ni ange, ni bête".
Nul besoin, cependant, de se plonger dans les lectures philosophiques quand il suffit d'écouter quelques champions de la sueur, des larmes et du sang. Une fois soulagés de leurs promesses difficiles voire impossibles à tenir, il leur arrive de plonger parfois dans les profondeurs sincères d'où ils ressortent transformés, c'est-à-dire revenus à l'authentique, comme si l'échec avait chez eux des vertus curatives. Il en est ainsi de Romain Bardet, transparent comme une peau tendue, supplicié dans le Tourmalet et libéré de ses ambitions si fragiles.
Que dit-il, Bardet, l'oublié, battu, relégué, au minuscule gruppetto de journalistes qui l'interrogent ? "Toute performance est éphémère : ce qui reste, ce sont les comportements." L'attitude et l'esprit, en quelque sorte. La position qu'on occupe dans l'espace et dans le temps, la ligne de vie qu'on choisit de tracer mais aussi les convictions qu'il est nécessaire de modeler comme une pâte à mesure que l'évidence socratique s'impose : "Je sais que je ne sais rien."
Le 14 août sort en librairie (50 stars du rugby mondial, éditions Solar) mon énième ouvrage ovale - quand on aime, on ne compte plus -, voulu comme un recueil de courts portraits, histoire que le lecteur se familiarise avec les figures du Mondial japonais. A l'évidence, le mythe du héros est en panne d'étincelle. A l'image des comètes qui frôlent la Terre et s'éloignent, cette édition 2019 manque cruellement d'étoiles stables dans le ciel médiatique. Même Beauden Barrett, baladé d'un poste à l'autre, n'a pas trouvé son socle.
En revanche, j'ai aimé découvrir au fil des entretiens effectués et de mes recherches la passion de Robbie Henshaw pour l'accordéon, celle de Tito Tebaldi pour les voyages, d'Aphiwe Dyantyi pour l'économie, de Semi Radradra pour le gospel, de Demba Bamba pour l'électronique, de Jefferson Poirot pour l'hypnose, de Maro Itoje pour la poésie, de Finn Russell pour la maçonnerie, d'Alun Wyn Jones pour le droit, d'Eben Etzebeth pour la course automobile et de Maxime Médard pour la peinture. Le rugby mène à tout, à condition d'en sortir.
Au jeu d'avant, les joueurs hypocritement amateurs, c'est-à-dire rémunérés en dessous-de-table, occupaient des professions diverses et parfois à l'avenant mais toujours au contact de la vraie vie, reliés socialement, impliqués dans la "chose" publique (res publica), détournés ainsi du cent-pour-cent ovale dont on commence à percevoir clairement ce qu'il a d'abrutissant pour les apprentis de la nouvelle génération formatée au professionnalisme. Pour s'épanouir sans doute est-il indispensable de disposer d'un violon d'Ingres et pour ce faire, comme l'indique un affranchi philosophe reconverti dans le négoce de l'étape, "on ne devrait jamais quitter Montauban."
lundi 12 août 2019
dimanche 4 août 2019
Une ferme conviction
Au secours, ils me poursuivent ! J'ai déniché au sud de Valencia, en Espagne, un bout de plage de sable presque blanc, mer translucide et pas le moindre touriste à deux kilomètres à la ronde, et voilà vingt ans que j'y passe mes vacances d'été loin du rugby et de ses miasmes, vraie belle rupture salvatrice qui me permet de suivre à l'heure de la sieste le Tour de France, bien allongé au frais dans mon canapé quand tombe dehors une chaleur de plomb derrière les dunes.
Et bien que croyez-vous qu'ils sont parvenus à faire, ces Tricolores pour lesquels je n'éprouve, comme nombre de mes confrères, qu'un intérêt très mesuré ? S'entraîner à moins de quinze kilomètres de mon lieu de villégiature alors que ne me passionnent à cette date que les corridas torrides. Poursuivi, je suis. Heureusement, je suis remonté à temps vers les plateaux franciliens afin de ne pas avoir à résister à la tentation d'aller prolonger mon footing vers l'hôtel qu'ils ont investi.
En chemin, j'ai appris la disparition, samedi, de Sir Brian Lochore, le plus magnifique des fermiers néo-zélandais, archétype du All Black terrien, de ceux qui ont bâti la réputation d'un pays à travers son équipe de rugby, son jeu et surtout son éthique. Au point que l'anoblissement des rugbymen par la Reine Elisabeth II semble avoir été inventé pour des hommes de cet acabit, larges, charismatiques, discrets, solides, posés, investis et bien éduqués.
J'ai rencontré Brian Lochore pour la première fois au mois de novembre 1986, frais engagé que j'étais à L'Equipe pour rédiger un article quotidien sur la tournée des All Blacks. J'avais alors demandé, au culot, à celui qui était pour la première fois manager de l'équipe nationale le privilège de suivre au plus près ce que je considérais comme une épopée. Brian Lochore, monstre du rugby kiwi, ne refusa pas l'idée à condition que je me présente devant les joueurs et que je leur expose mon souhait. Ce sont eux qui devaient accepter que je sois huit heures par jour à leurs cotés, pas lui. Ce que je fis.
C'est ainsi que je pus entrer en contact avec John Kirwan, David Kirk, Sean Fitzpatrick, Gary Whetton, Buck Shelford et le futur président de la NZRU, Jock Hobbs, capitaine de ces All Blacks qui se firent étriller en fin de voyage, à Nantes. Brian Lochore avait la voix douce, le débit mesuré, les mots choisis, le regard bienveillant, des paumes si larges et si râpeuses qu'il n'avait nul besoin de vous broyer les phalanges pour vous saluer : vous saviez qu'en face de vous se tenait un authentique homme de la terre. Je dis cela car des journalistes de ma génération encore en activité, nous sommes désormais vraiment très peu à l'avoir vraiment connu autrement que sur Wikipédia au moment de rédiger sa nécrologie.
J'avais huit ans quand les All Blacks dont il était le capitaine affrontèrent le XV de France et l'emportèrent. Après cette rencontre télévisée en noir et blanc, mon père et ses amis passèrent la soirée du samedi à évoquer le jeu de cette équipe tout de noir vêtue, un rugby d'horloger, pensé, réfléchi, exprimé sans une seule faute de goût, si ce n'est le coup de pompe de Colin Meads dans la poitrine de Pierre Villepreux, au sol, dans la foulée d'un arrêt de volée.
Quand je me rendis en Nouvelle-Zélande pour la première fois - en 1989 -, la première chose que je fis en débarquant de l'avion fut d'aller à la rencontre de Brian Lochore. C'était l'époque où les sponsors se battaient pour s'afficher sur ce fameux maillot noir. "Quand j'ai appris qu'une marque voulait coudre son logo à côté de la fougère argentée, je me suis rendu compte que j'avais offert tous mes maillots d'international. J'ai paniqué, m'avoua-t-il. Mais mon épouse m'a dit qu'il m'en restait un au grenier. Je suis monté immédiatement m'en assurer et quand j'ai constaté qu'elle avait raison, je suis redescendu soulagé et je l'ai remisé dans mon armoire." Il y est resté.
Brian Lochore vouait une admiration sans bornes à Jo Maso, qu'il avait été voir jouer en vétérans du côté d'Aimé-Giral, et plaçait au-dessus de tout l'idée qu'il se faisait des All Blacks. Quand ceux-ci, baptisés à juste titre les Cavaliers, se rendirent en Afrique du Sud en avril 1986 affronter les Springboks lors d'une tournée pirate rémunérée, c'est avec la ferme conviction d'œuvrer pour le bien commun qu'il accepta de remplacer Colin Meads, compromis dans ce montage, au poste de manager de l'équipe nationale.
C'est avec lui à leur tête que les All Blacks furent pour la première fois sacrés champions du monde, l'année suivante. C'est toujours avec lui que fut rédigée en 2005 la charte de bonne conduite qui gère encore aujourd'hui non seulement la vie quotidienne de l'équipe nationale mais aussi ses objectifs, son décor et son jeu. Davantage que Colin Meads ou Jonah Lomu, Sir Brian Lochore incarnait le All Black dans toute ses dimensions, et pas seulement sportives.
Pour que Ritchie McCaw parvienne un jour à supplanter cet ancien numéro huit dans notre imaginaire, il lui faudra s'investir fort et sans cesse durant les trente prochaines saisons au sein du staff all black et de la fédération néo-zélandaise, ce qu'il n'est pas encore prêt à faire. Car l'effort du terrain est finalement peu de choses face à la postérité en comparaison des forces mises en jeu dans les valeurs et les vertus dont on assure soi-même la transmission. Une fois les crampons remisés, le cœur parle. Celui de Brian Lochore, gentleman farmer, comme celui du boxeur Jean-Claude Bouttier, gentleman puncheur, battront fort en écho longtemps encore.
Et bien que croyez-vous qu'ils sont parvenus à faire, ces Tricolores pour lesquels je n'éprouve, comme nombre de mes confrères, qu'un intérêt très mesuré ? S'entraîner à moins de quinze kilomètres de mon lieu de villégiature alors que ne me passionnent à cette date que les corridas torrides. Poursuivi, je suis. Heureusement, je suis remonté à temps vers les plateaux franciliens afin de ne pas avoir à résister à la tentation d'aller prolonger mon footing vers l'hôtel qu'ils ont investi.
En chemin, j'ai appris la disparition, samedi, de Sir Brian Lochore, le plus magnifique des fermiers néo-zélandais, archétype du All Black terrien, de ceux qui ont bâti la réputation d'un pays à travers son équipe de rugby, son jeu et surtout son éthique. Au point que l'anoblissement des rugbymen par la Reine Elisabeth II semble avoir été inventé pour des hommes de cet acabit, larges, charismatiques, discrets, solides, posés, investis et bien éduqués.
J'ai rencontré Brian Lochore pour la première fois au mois de novembre 1986, frais engagé que j'étais à L'Equipe pour rédiger un article quotidien sur la tournée des All Blacks. J'avais alors demandé, au culot, à celui qui était pour la première fois manager de l'équipe nationale le privilège de suivre au plus près ce que je considérais comme une épopée. Brian Lochore, monstre du rugby kiwi, ne refusa pas l'idée à condition que je me présente devant les joueurs et que je leur expose mon souhait. Ce sont eux qui devaient accepter que je sois huit heures par jour à leurs cotés, pas lui. Ce que je fis.
C'est ainsi que je pus entrer en contact avec John Kirwan, David Kirk, Sean Fitzpatrick, Gary Whetton, Buck Shelford et le futur président de la NZRU, Jock Hobbs, capitaine de ces All Blacks qui se firent étriller en fin de voyage, à Nantes. Brian Lochore avait la voix douce, le débit mesuré, les mots choisis, le regard bienveillant, des paumes si larges et si râpeuses qu'il n'avait nul besoin de vous broyer les phalanges pour vous saluer : vous saviez qu'en face de vous se tenait un authentique homme de la terre. Je dis cela car des journalistes de ma génération encore en activité, nous sommes désormais vraiment très peu à l'avoir vraiment connu autrement que sur Wikipédia au moment de rédiger sa nécrologie.
J'avais huit ans quand les All Blacks dont il était le capitaine affrontèrent le XV de France et l'emportèrent. Après cette rencontre télévisée en noir et blanc, mon père et ses amis passèrent la soirée du samedi à évoquer le jeu de cette équipe tout de noir vêtue, un rugby d'horloger, pensé, réfléchi, exprimé sans une seule faute de goût, si ce n'est le coup de pompe de Colin Meads dans la poitrine de Pierre Villepreux, au sol, dans la foulée d'un arrêt de volée.
Quand je me rendis en Nouvelle-Zélande pour la première fois - en 1989 -, la première chose que je fis en débarquant de l'avion fut d'aller à la rencontre de Brian Lochore. C'était l'époque où les sponsors se battaient pour s'afficher sur ce fameux maillot noir. "Quand j'ai appris qu'une marque voulait coudre son logo à côté de la fougère argentée, je me suis rendu compte que j'avais offert tous mes maillots d'international. J'ai paniqué, m'avoua-t-il. Mais mon épouse m'a dit qu'il m'en restait un au grenier. Je suis monté immédiatement m'en assurer et quand j'ai constaté qu'elle avait raison, je suis redescendu soulagé et je l'ai remisé dans mon armoire." Il y est resté.
Brian Lochore vouait une admiration sans bornes à Jo Maso, qu'il avait été voir jouer en vétérans du côté d'Aimé-Giral, et plaçait au-dessus de tout l'idée qu'il se faisait des All Blacks. Quand ceux-ci, baptisés à juste titre les Cavaliers, se rendirent en Afrique du Sud en avril 1986 affronter les Springboks lors d'une tournée pirate rémunérée, c'est avec la ferme conviction d'œuvrer pour le bien commun qu'il accepta de remplacer Colin Meads, compromis dans ce montage, au poste de manager de l'équipe nationale.
C'est avec lui à leur tête que les All Blacks furent pour la première fois sacrés champions du monde, l'année suivante. C'est toujours avec lui que fut rédigée en 2005 la charte de bonne conduite qui gère encore aujourd'hui non seulement la vie quotidienne de l'équipe nationale mais aussi ses objectifs, son décor et son jeu. Davantage que Colin Meads ou Jonah Lomu, Sir Brian Lochore incarnait le All Black dans toute ses dimensions, et pas seulement sportives.
Pour que Ritchie McCaw parvienne un jour à supplanter cet ancien numéro huit dans notre imaginaire, il lui faudra s'investir fort et sans cesse durant les trente prochaines saisons au sein du staff all black et de la fédération néo-zélandaise, ce qu'il n'est pas encore prêt à faire. Car l'effort du terrain est finalement peu de choses face à la postérité en comparaison des forces mises en jeu dans les valeurs et les vertus dont on assure soi-même la transmission. Une fois les crampons remisés, le cœur parle. Celui de Brian Lochore, gentleman farmer, comme celui du boxeur Jean-Claude Bouttier, gentleman puncheur, battront fort en écho longtemps encore.
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