lundi 31 octobre 2016

Pour le plaisir

Quel lien entre Flair Play, les élections présidentielles de la FFR, le rugby français amateur, les Côtes de Gasgogne et Michel Crauste ? Un passionné, Philippe Chalvet, ancien première-ligne du RC Plaisir jusqu'en 1984, dont il est le vice-président bénévole depuis quinze ans ; aussi secrétaire général du comité départemental des Yvelines de 2000 à 2010, et dont le grand projet, mené à bien, fut d'accompagner des enfants handicapés mentaux et physiques  à l'ensemble des matches de la Coupe du monde 2007 disputés au Stade de France et au Parc des Princes.

Philippe, je l'ai rencontré au travers de sa collection d'ouvrages commencée il y a une dizaine d'années sur le rugby, «plus de quatre cents références, des ouvrages de langue française, à partir du Grand Combat» jusqu'à La Confrérie des Gros qu'il trimballe avec lui chaque fois qu'il passe par L'Equipe afin de le faire dédicader par Jean-Chrisophe Collin.

Parce que la particularité de sa collection c'est que chaque ouvrage est dédicacé par son auteur. C'est ainsi que Philippe Chalvet tisse du lien. Supporteur inconditionnel du FC Lourdes, lui l'ancien pilier et talonneur de Plaisir, il a créé une relation privilégiée avec Michel Crauste. «J'ai rencontré Christophe Schaeffer après avoir acheté son livre, Le rugby raconté à mon fils...» En quête de dédicace. «Ce livre je l'ai envoyé à André Boniface, Guy Novès, André Herrero et Michel Crauste, qui l'a relayé auprès de ses amis, à Lourdes. Christophe et lui se sont rencontrés et de là est né Le Testament du Mongol, sorti l'an dernier

Vous imaginez bien que Flair Play, Philippe, il va aider à sa sortie (ne manquent que 5 % de budget pour lancer le premier numéro en décembre) en allant oeuvrer sur https://www.kisskissbankbank.com/flair-play-le-magazine-aux-regards-uniques-sur-le-rugby. «Car Christophe est un homme d'engagement. Et en plus on a joué dans le même club, Plaisir.» Plaisir, Fédérale 3. Ecoutez plutôt ce qu'il a à dire, comme Tautor avant lui, du rugby. A toi, Philippe !

Sur le rugby amateur en général, pour commencer ? «Hors des zones «historiques», trop de clubs font le yoyo d’une division à l’autre. Les assises financières sont difficiles à trouver. Des montées rapides sont suivies de descentes toutes aussi rapides. C’est épuisant pour les dirigeants et les joueurs. Qui plus est, il n’y a toujours pas de lecture de feuilles de match à code-barres. On remplit ça comme lors d’un tournoi de pétanque de quartier. L’informatique, ça soulagerait. Et ça gommerait les histoires de fausses licences. Entre autres...»

Concernant la crise du bénévolat, Philippe Chalvet alerte : «Il faut du sang neuf. Mais on ne trouvera plus quelqu’un au service d’un club pendant soixante ans. On vit dans la civilisation des loisirs. Le samedi, on appelle les dirigeants et on s’entend répondre : «Ah, non, je ne peux pas venir, je vais à la piscine… » Le rugby, c’est un sport d’engagement et pas seulement pour se balader habillé en Eden Park…» Les voilà habillés, du coup.

Au sujet du calendrier amateur : «Il serait souhaitable d'éviter de jouer de novembre à février, assure notre collectionneur. On n’attire personne. Ce serait plus sympa d’organiser le Championnat à partir du printemps, avec des saisons plus courtes et des distances moins grandes. Car on fait l’étoile, un coup au nord, puis au sud, puis à l’est. Pour un trésorier, c’est terrible. Le meilleur sponsor du club, c’est le propriétaire d’une compagnie de bus. Sur un budget, toutes équipes confondues, c’est 50 000 euros car un bus coûte entre 700 et 1000 euros à chaque fois.»

Concernant les élections : «Les clubs ont des difficultés à exprimer leurs difficultés, avoue ce dirigeant bénévole. Parce qu’à l’intérieur, on ne se rend pas compte de tout. Je regarde en quoi les candidats se distinguent. Mais les promesses sont électorales. Pas un ne dit : «La première année, je fais un audit des clubs. La deuxième année, j’obtiens une aide du ministère pour avoir des conseillers techniques,» et ainsi de suite. Il y a des effets d’annonce mais pas de langage de vérité. Mieux vaut cinq clubs dans un petit périmètre que dix. Mais il faut préserver les dix écoles de rugby. Si les cinq clubs élèvent leur niveau, on élèvera le niveau de formation et donc de technique individuelle. Cela dit, si on appelle formation se rentrer dedans en utilisant la différence de gabarit, c’est pas comme ça qu’on rattrapera le décalage qu’on a avec d’autres nations.»

Alors qui choisir comme président de la FFR ? «Les trois qui se présentent ne sont pas des hommes neufs dans le rugby, note comme nous tous celui qui s'occupe de tenir la buvette et de préparer le déjeuner, chaque dimanche, quand Plaisir évolue à domicile. Alain Doucet a été Secrétaire Général de la FFR pendant 14 ans. Pierre Camou, son seul fait d’arme c’est d’avoir rapproché Saint-Jean-Pied-de Port et Saint-Etienne de Baïgorry. Bernard Laporte, c’est un meneur d’homme, mais en dehors de ça ? J’ai l’impression qu’on est dans une logique de Clochemerle. Une élection, ça se prépare deux ans avant avec un projet explicité. Ca ne consiste pas à envoyer un courrier aux clubs.»

Nous avons terminé notre café, puis récupéré des pages Vintage à L’Equipe, Salut, Sitjar, Guillard, Fourniols, Lafond, Herrero, Conquet, Barrière... Philippe m’a offert une bouteille de Côtes de Gasgogne de chez Joël Pellefigue, un domaine jadis cultivé en vigne par les Romains. Merlot, Cabernet Sauvignon et Cabernet franc. Avec quoi me conseillez-vous de le déguster à notre santé et à celle de tous les bénévoles et passionnés qui peuplent le rugby ?

lundi 24 octobre 2016

Ordo ab chao

World Rugby va devoir modifier sa nomenclature qui veut que trois tiers constituent le tissu mondial. Cette hiérarchie instruit principalement les records et si les All Blacks comptent désormais une nouvelle ligne à leur palmarès, à savoir le nombre de rencontres remportées d’affilée - dix-huit depuis samedi dernier - ça évite d’avoir à signaler que c’est faux puisque le record absolu appartient à Chypre, vingt-quatre victoires consécutives. A placer dans les miscellanées ovales, certes, mais rafraîchissant par les temps qui courent aussi vite que Julian Savea.
Depuis que le rugby s’est mondialisé sont apparus les Japonais ; et Ohata en tête des meilleurs marqueurs d’essais devant David Campese. Il a fallu donc modifier la hiérarchie et c’est heureux puisque les Brave Blossoms sont capables de faire chuter l’Afrique du sud en match officiel, comme ce fut le cas à Brighton, l'année dernière à pareille époque. On hésitera cependant à faire se rencontrer les Chypriotes et les All Blacks. En parlant de rencontre, j’avais eu le temps de discuter avec Daisuke Ohata à Brighton, justement. Il était assis aux côtés de François Pienaar et de George Gregan, très courtisés par les médias dans cette salle de presse du Falmer Stadium dont je garde un chouette souvenir.
Ohata stoïque, visage émacié, regard ébloui comme celui d’un faon dans les phares d’une voiture en pleine nuit, réduit à se placer dos au mur pour ne pas déranger, accompagné d’une traductrice qui ne connaissait rien au jeu de balle ovale et souffrait pour nous proposer une version anglaise des propos de celui qui est considéré comme une relique sacrée au pays du soleil levant, mais incapable d’aligner deux mots dans la langue du rugby.
Un débit façon Kazuo Ishiguro pour la douceur du phrasé, lumière pâle sur la colline de Brighton, l'allure de Yukio Mishima pour la confession poussive derrière le masque et la posture raidie par l’embarras d’avoir à se livrer. Pour vous dire que les records ne sont pas ce qu’on leur donne, c’est-à-dire beaucoup de pouvoir d’évocation dans ce rugby contemporain marqué par les statistiques, les analyses chiffrées et les géolocalisations par GPS. Que tout cela est très satellite...
Je préfère aux créations assistées par ordinateur le lâcher prise d’un Clermont – Bordeaux en version européenne, désaxé à l’heure de jeu, cette libération soudaine des carcans pour laisser libre cours à l’imagination, à l’improvisation et aussi au bricolage d’un Rougerie troisième-ligne centre réalisant une performance de premier choix, lui le remplaçant décentré.
A l’origine, je pensais vous livrer ce qui ressemble à un cauchemar, celui des joueurs bientôt casqués avec deux écouteurs intégrés pour écouter les directives du coach et prendre connaissance de statistiques et d’indications. Du genre, à Clermont : «Morgan, tente la pénalité, elle nous qualifie pour la phase finale» ; à Montpellier, «Jacques, jump on 3, they’ll throw there» ; à Toulouse, «Jean-Marc, l’ailier côté ouvert est avancé, tape profond !»
Tout est parti d’une phrase de Mike Ford, le nouveau manager du RC Toulon en lieu et place de Diego Dominguez, vendredi dernier, dans L’Equipe : «Il faut jouer à partir du chaos. La clé est qu’au premier coup d’œil chaque joueur sache ce qu’il doit faire.» Le ordo ab chao des Anciens, chaos conçu comme l’opposé du cosmos, construction divine et parfaite. Ce chaos qui permit l’explosion de onze essais, autant d’irruptions volcaniques. Je vous laisse avec cette pensée : déstructurer pour (re)créer. En nous y prenant bien, ça peut nous occuper la semaine.
Post scriptum, ce rappel au soutien du nouveau magazine rugby, Flair Play, bimestriel qui attend votre obole pour assurer sa parution, début décembre. Plus que 13 % de budget à trouver. Œuvrez en allant sur https://www.kisskissbankbank.com/flair-play-le-magazine-aux-regards-uniques-sur-le-rugby.