Même encore aujourd'hui, difficile de rouler plus qu'un kilomètre dans le Kerry sans passer devant un drapeau rouge qui flotte aux rafales, solidement accroché devant l'entrée d'une maison. En Irlande, soutenir le rugby est un choix de vie qui n'a rien d'anodin. Pour autant, la défaite du Munster face au Racing 92 en demi-finale de Coupe d'Europe n'a laissé personne aigri dans cette partie de la Verte Erin. Des déçus, en revanche, il y en a. Pas attristés par la défaite, non, mais par son contenu. A tel point qu'au bout de vingt minutes, les supporteurs irlandais au milieu desquels j'ai partagé ce petit morceau de rugby - ici avec Bernie (aka Bernadette), de Tralee - plongeaient leur nez dans la Guinness pour ne le relever qu'en fin de partie, quant il s'est agi de marquer pour l'honneur. Parce que ça, l'honneur, et la fierté aussi, les Irlandais en sont friands. Ils ne refusent pas la défaite car perdre fait partie du jeu, mais celui-ci implique qu'on lui donne tout.
D'une baie à l'autre, l'Irlande donne l'impression d'être toujours en avance d'une marée quand les quatre saisons viennent vous secouer dans une même journée par vagues incessantes. Il faut avoir à la fois l'âme d'un skipper pour choisir d'aller ou non dans le sens du vent et celle d'un fermier les pieds dans la terre des sentiers qui ne bifurquent jamais et préfèrent s'en prendre à la boue. Il faut savoir s'accommoder de tout, d'un feu de cheminée à la tourbe, d'un whiskey à la menthe poivrée, de ce drizzle (bruine) qui ne mouille que les touristes et qui fait office de "beau temps, vous verrez" en avril. Jean-Pierre Rives aurait aimé jouer pour l'Irlande s'il en avait eu l'occasion, sacrifier ainsi à sa passion des causes perdues et donc glorieuses qui font aujourd'hui du Trèfle le parangon de la réussite professionnelle. Et pas seulement en ce qui concerne le rugby.
Hasard de mes déplacements professionnels, en trente-cinq ans de carrière, je n'avais jamais eu l'occasion de me rendre à Thomond Park, l'antre du rugby irlandais. C'est désormais chose faite à l'initiative de ma fille ainée, Jade, qui vit non loin de Killarney. Son compagnon, Niall, a porté le maillot du Munster. Visite guidée, donc, riche d'enseignements. Dans la salle de presse - et je suis surpris qu'aucun de mes confrères n'ait relevé ça - sont imprimés au mur les titres à la une des grands moments ovales de cette province irlandaise. Victoires, certes, tant le palmarès du Munster est conséquent face aux All Blacks, à l'Australie, en Coupe d'Europe comme en Ligue Celte, mais aussi défaites marquantes, de celles qui forgent les caractères et construisent de meilleurs lendemains. Elles ne sont pas occultées : mieux, elles font partie de l'histoire et, à ce titre, mises en avant. J'ai toujours pensé que ce ne sont pas nos réussites mais nos échecs qui nous constituent : le Munster m'en a apporté une preuve, si besoin était.
Quand deux poteaux émergent d'une haie, bientôt suivis par une deuxième paire verticale, n'imaginez pas qu'il est question de balle ovale : vous venez simplement de longer un terrain de gaélique. A leurs pieds, un but de football. Ce jeu de balle n'a pas choisi entre les pieds et les mains, le rond ou l'oblong ; aucune dispute, aucune controverse. Il a pris les deux. Il est toujours bon de se souvenir que monsieur Ellis père, militaire, était caserné à Tipperary quand son fils William Webb, très jeune, accompagné de sa mère, lui rendit un jour visite. Les voyages forment la genèse mais si le rugby, en Irlande, est un lien puissant entre le Sud et le Nord, il ne porte pas en lui l'expression d'un pays, comme c'est le cas en Nouvelle-Zélande, au pays de Galles ou en Ecosse. Juste le souvenir d'une pratique liée à l'éducation, l'enseignement privé et le cursus universitaire dans les grandes villes. La campagne en est exclue.
Devant un match de football gaélique, j'ai imaginé William Webb Ellis gardant dans ses mains le ballon qui était grossement rond au lieu de taper un grand coup de pied dedans et filer seul au milieu des défenseurs en prenant le risque de se faire casser le tibia et le péroné d'un grand coup de botte ferrée, ce qui était à son époque le moyen choisi pour arrêter les inconséquents qui s'imaginaient percer. Le 12 mai à Bilbao, le Leinster et le Racing 92 se rencontreront comme s'affrontent deux idées de ce jeu. Il sera question d'organisation et d'inspiration, de jeu au pied millimétré et de passes dans l'intervalle, de relances et de percussions, tout cela porté au plus haut degré de précision. Entre temps, dans l'agitation lardée de déclarations dont on peut se passer et de révélations qui n'en sont pas pour qui se tient informé, la ProD2 (on y a à peine touché) aura livré ses finalistes et le Top 14 (déjà presque à moitié vide) ses barragistes. Nous y reviendrons.
vendredi 27 avril 2018
dimanche 15 avril 2018
Quinconces intercalés
Ca a commencé comme ça, par un poème déposé vendredi 13 sur le comptoir de l'hôtel. Sergio était donc arrivé le premier à ce troisième rendez-vous des Quinconces. "De l'envie ; à (re)faire la vie ; quand le gendarme rit ; au lac de la Marcousserie ; bouches et vols qui rient ; vous avez dit bizarrerie ? ; Comme c'est bizarre, contrepèteries. Chevaliers de la table qui rit ; et de l'Ovalerie ; le bonheur est donc l'épicurie. Pas de bénis oui-oui ; ni de dichotomie ; dans cette naissante fratrie ; mais de l'espièglerie ; pour un rugby qui rit. Denses, les souris ; show must go zonerie."
Rite de passage, nous avons découvert d'entrée vendredi soir le vin de Georges, rouge plus rustre que rustique issu des coteaux du Tarn-et-Garonne. Personne n'a échappé au goût de pruneau et de noix mêlés. Dehors il faisait frais. Tombaient des gouttes sur le cigare. Nous avons surtout habillé le Top 14 lors d'un dîner frugal sur les protéines mais copieux en liquides. Après avoir remarqué lors de la promenade apéritive que le niveau du lac des Bariousses avait considérablement baissé depuis l'année dernière, l'explication se trouvait sans aucun doute dans l'évaporation brutale des fluides telle que constatée à l'heure du digestif. On dit effectivement Bas-Armagnac.
Le lendemain matin, nous nous sommes comptés cinq (Nini et Sergio, Pipiou, Michel et Ritchie, ci-dessous) pour un "petit jeu" sur la plage ; Lulure en impact player et Georges à l'arbitrage vidéo. Nous avons beaucoup croisé mais pas tellement redoublé, aménageant surtout quelques combinaisons aux noms évocateurs extraites du rugby écossais, telles la Knockando et la Glenlivet, en hommage aux chevaliers du malt tombés la veille au soir aux chants donneurs. Pendant nos rebonds capricieux, Pimprenelle et Le Gé assuraient au village le ravitaillement, que quoi tenir quelques semaines au cas où les bombardements en Syrie déclencheraient un conflit jusqu'en Corréze.
Quinconces III, donc. Rehaussé par la présence de Pierre Villepreux venu de Limoges tout proche partager agapes et fruits de la passion trois heures durant à L'Hôte du Lac, notre épicentre. Les titulaires (ci-dessus Pipiou, Sergio, Georges, Nini, Christian, Pimprenelle, Lulure, Vincent, Michel, le Gé et Ritchie) levèrent leur premier verre aux absents, éloignés ou forfaits (aka équipe des toasts) avant de boire les paroles du conférencier centrées sur trois thèmes : équipe de France, haut niveau et formation française. Entre autres confidences qui resteront à Treignac - désolé, mais on a promis - Pierrot précisa en guise de biographie succincte avoir accepté, junior, ouvreur et ancien footballeur, de jouer arrière à Brive, "à condition de faire ce que je veux !" Ou comment cerner un caractère en une phrase de je.
Si riche qu'il est vain de la résumer, l'intervention d'un des plus grands penseurs du rugby vous est ici livrée en "best of". Le prologue ? "Les règles conditionnent la pratique et le noyau central n'a jamais changé : aller derrière la ligne, passer la balle en arrière et assurer son rapport d'équité. Priorité est donnée au mouvement. Les autres règles sont complémentaires et ce sont elles qui ont changé, et ça concerne par exemple la mêlée, la touche..." Joueur, capitaine puis entraîneur tricolore, ce héros local définit ainsi les conditions de la performance en équipe de France : "Créer un groupe qui partage la même conception de jeu, qui dispose de liberté pour l'exprimer et qui s'y reconnaît collectivement et individuellement". Ce qui, pour lui, reste vrai à travers les époques.
Seul changement, précisa-t-il, le poids désormais (trop) important des entraîneurs au motif qu'ils "sont devenus des managers, créant autour d'eux un staff technique de plus en plus spécialisé et élargi." Ah si, il avouera que s'il avait puisé sa connaissance systémique auprès de René Deleplace, il n'avait rien compris au contenu de son livre. Ca nous a rassuré, parce que nous non plus. Pourtant, il devait se l'infuser pour obtenir son professorat d'EPS. "Mais comme René était membre du jury, je suis allé deux années de suite à ses stages d'Arras afin de comprendre sa méthodologie. J'y ai pris ensuite ce qu'il y avait de plus pertinent, sans pour autant le suivre à cent pour cent..." Vous connaissez la suite de son parcours ascensionnel : Tahiti, l'Italie, Toulouse, Brive, Trevise, Marcoussis, l'IRB (devenu World Rugby) et les Quinconces.
Le haut niveau, assure-t-il, "ce sont des exigences technique et tactique. Depuis l'âge de dix ans. La période entre 14 et 18 ans est la plus propice à l'apprentissage. Il faut commencer par la technique mais ensuite la compréhension du jeu, palier par palier, oblige à acquérir une technique à chaque fois supérieure. Pour autant, le développement de la technique ne favorise pas une meilleure compréhension tactique." Ensuite, "il faut réinvestir sans concession le progrès acquis à l'entraînement dans la compétition. Sans transiger sur le projet de jeu." Pour lui, "les bons joueurs ne se trompent pas : ils créent de l'incertitude sur la défense."
Avant cela, à l'heure des mizoulettes (figues au foie-gras de chez Badin), passant avec fluidité de la boue de Wellington au mythe de l'Arms Park durant une bagarre (presque) générale, évoquant son ami Wayne Smith aussi bien que son adversaire Barry John (pour le plus grand bonheur de Nini), l'alerte Pierrot (entouré par Michel, Christian, Pipiou, Lulure, Pimprenelle, Ritchie, Nini, Sergio et le Gé) nous avait gratifié de quelques anecdotes savoureuses. Signe de respect autant que d'admiration, l'assemblée avait fait silence lors de ses prises de paroles aussi tranchantes que ses interventions d'arrière quand il s'intercalait. Pas un couvert ne cliquetait, pas une mâchoire ne mastiquait.
"Les valeurs du rugby sont les valeurs de l'affrontement que ça génère" : tel avait été son coup d'envoi d'une journée pas ordinaire. Alors que nous étions encore à table, Pierrot regretta le rugby coupé en tranches - "comme le magret mais c'est peut-être pas si bon, glissait Lulure, malicieux - et lâchait un aveu qui à lui seul méritait le déplacement : "Je n'ai jamais été un fan de Fouroux mais je dois reconnaître qu'il avait raison" concernant la création de sélections de provinces comme niveau intermédiaire entre les clubs et le XV de France.
Alors qu'un rideau de pluie voilait l'horizon sur Treignac, fut abordé le troisième et dernier point : la formation française. Pierre Villepreux assure : "Il ne faut pas dispenser la méthode par la théorie mais par la pratique. Il faut donner aux enfants le goût du jeu, retrouver la dimension ludique du rugby au sens premier du terme." Christian Badin, aussi impliqué, d'ajouter : "La compréhension passe par la cerveau, pas par les bras." Villepreux poursuit : "Nous avons 300 000 licenciés, notre modèle de formation est apprécié ailleurs qu'en France, des clubs formateurs, comme Massy (ProD2), sont parfaitement encadrés, avec des éducateurs compétents, formés au professerat d'EPS, comme par hasard... Mais trop de clubs veulent des joueurs de plus en plus lourds et privilégient le physique. C'est bien pourquoi il ne faut pas laisser la formation des jeunes aux clubs pros..."
Après trois heures d'échanges fructueux au cours desquels Michel - qui bâtit en Espagne le château du champion parfait - buvait du petit lait en notant les aphorismes qui fusaient, vînt l'heure de conclure. L'émotion n'était pas feinte : Pierre Villepreux apprécia - magnifique compliment - la pure passion qu'il avait reçue des Quinconces qui lui faisaient face, aussi émus que concentrés. Nous étions passés au tutoiement et Sergio lui déclara : "Il y a de la vertu dans ta pensée". Preuve de son implication, Pierre se plia alors à la dégustation du Mirabel de Georges : c'est vous dire s'il est des nôtres !
Forme d'épilogue, Pierrot, qui avait su "rendre simples des concepts complexes", dixit Lulure, s'interrogea sur le futur du Top 14, qu'il imagine en ligue fermée, avec "pourquoi pas un système de draft à l'américaine" pour équilibrer les effectifs; et voit même les clubs européens se constituer très prochainement en championnat... Il apporta ensuite plusieurs pierres à notre projet commun de proposition de nouvelles règles pour améliorer ce sport devenu de collisions "sans édulcorer le jeu ni ressembler au treize." Par exemple : "Ne pousser les mêlées que sur un mètre ? Placer systématiquement la défense à cinq mètres ? Revenir au tenu debout ?"
Ce coquin de Lulure mit un terme en rires au samedi intercalé que tous auraient aimé sans fin : "En fait, il faudrait réfléchir à des règles afin que la France se remette à gagner, non ?" Pierrot parti avec la promesse de revenir l'an prochain en voisin, l'écho de ses propos alimenta notre soirée (ci-dessus Pimprenelle, Sergio, Lulure et Georges au piano) autour d'épaisses côtes de bœuf grillées par Le Gé et de beaux flacons de tous cépages à déguster. Nous terminâmes en tout petit comité bien au-delà du temps réglementaire par la dégustation du rhum arrangé à la vanille transmis tout en douceur par JanLou. Transmettre, voilà bien ce qui nous a animé durant ce week-end magique.
On parle de profondeur et du jeu à plat quand il s'agit d'attaque. Effectivement, nous avons profité de ce Quinconces pour descendre au plus profond de nos sentiments, pour ouvrir nos cœurs et notre esprit. Beaucoup de choses ont été mises à plat, et les prochaines chroniques de Côte Ouvert devraient en porter les lignes bien constituées. Nos liens, naguère ténus, se sont affermis et affirmés. De nouveaux visages nous ont rejoint, s'intégrant au réel dans ce blog comme s'ils en étaient à l'origine. Le mouvement n'est pas prêt de s'arrêter. A l'année prochaine, et c'est demain, notez-le bien...
Rite de passage, nous avons découvert d'entrée vendredi soir le vin de Georges, rouge plus rustre que rustique issu des coteaux du Tarn-et-Garonne. Personne n'a échappé au goût de pruneau et de noix mêlés. Dehors il faisait frais. Tombaient des gouttes sur le cigare. Nous avons surtout habillé le Top 14 lors d'un dîner frugal sur les protéines mais copieux en liquides. Après avoir remarqué lors de la promenade apéritive que le niveau du lac des Bariousses avait considérablement baissé depuis l'année dernière, l'explication se trouvait sans aucun doute dans l'évaporation brutale des fluides telle que constatée à l'heure du digestif. On dit effectivement Bas-Armagnac.
Le lendemain matin, nous nous sommes comptés cinq (Nini et Sergio, Pipiou, Michel et Ritchie, ci-dessous) pour un "petit jeu" sur la plage ; Lulure en impact player et Georges à l'arbitrage vidéo. Nous avons beaucoup croisé mais pas tellement redoublé, aménageant surtout quelques combinaisons aux noms évocateurs extraites du rugby écossais, telles la Knockando et la Glenlivet, en hommage aux chevaliers du malt tombés la veille au soir aux chants donneurs. Pendant nos rebonds capricieux, Pimprenelle et Le Gé assuraient au village le ravitaillement, que quoi tenir quelques semaines au cas où les bombardements en Syrie déclencheraient un conflit jusqu'en Corréze.
Quinconces III, donc. Rehaussé par la présence de Pierre Villepreux venu de Limoges tout proche partager agapes et fruits de la passion trois heures durant à L'Hôte du Lac, notre épicentre. Les titulaires (ci-dessus Pipiou, Sergio, Georges, Nini, Christian, Pimprenelle, Lulure, Vincent, Michel, le Gé et Ritchie) levèrent leur premier verre aux absents, éloignés ou forfaits (aka équipe des toasts) avant de boire les paroles du conférencier centrées sur trois thèmes : équipe de France, haut niveau et formation française. Entre autres confidences qui resteront à Treignac - désolé, mais on a promis - Pierrot précisa en guise de biographie succincte avoir accepté, junior, ouvreur et ancien footballeur, de jouer arrière à Brive, "à condition de faire ce que je veux !" Ou comment cerner un caractère en une phrase de je.
Si riche qu'il est vain de la résumer, l'intervention d'un des plus grands penseurs du rugby vous est ici livrée en "best of". Le prologue ? "Les règles conditionnent la pratique et le noyau central n'a jamais changé : aller derrière la ligne, passer la balle en arrière et assurer son rapport d'équité. Priorité est donnée au mouvement. Les autres règles sont complémentaires et ce sont elles qui ont changé, et ça concerne par exemple la mêlée, la touche..." Joueur, capitaine puis entraîneur tricolore, ce héros local définit ainsi les conditions de la performance en équipe de France : "Créer un groupe qui partage la même conception de jeu, qui dispose de liberté pour l'exprimer et qui s'y reconnaît collectivement et individuellement". Ce qui, pour lui, reste vrai à travers les époques.
Seul changement, précisa-t-il, le poids désormais (trop) important des entraîneurs au motif qu'ils "sont devenus des managers, créant autour d'eux un staff technique de plus en plus spécialisé et élargi." Ah si, il avouera que s'il avait puisé sa connaissance systémique auprès de René Deleplace, il n'avait rien compris au contenu de son livre. Ca nous a rassuré, parce que nous non plus. Pourtant, il devait se l'infuser pour obtenir son professorat d'EPS. "Mais comme René était membre du jury, je suis allé deux années de suite à ses stages d'Arras afin de comprendre sa méthodologie. J'y ai pris ensuite ce qu'il y avait de plus pertinent, sans pour autant le suivre à cent pour cent..." Vous connaissez la suite de son parcours ascensionnel : Tahiti, l'Italie, Toulouse, Brive, Trevise, Marcoussis, l'IRB (devenu World Rugby) et les Quinconces.
Le haut niveau, assure-t-il, "ce sont des exigences technique et tactique. Depuis l'âge de dix ans. La période entre 14 et 18 ans est la plus propice à l'apprentissage. Il faut commencer par la technique mais ensuite la compréhension du jeu, palier par palier, oblige à acquérir une technique à chaque fois supérieure. Pour autant, le développement de la technique ne favorise pas une meilleure compréhension tactique." Ensuite, "il faut réinvestir sans concession le progrès acquis à l'entraînement dans la compétition. Sans transiger sur le projet de jeu." Pour lui, "les bons joueurs ne se trompent pas : ils créent de l'incertitude sur la défense."
Avant cela, à l'heure des mizoulettes (figues au foie-gras de chez Badin), passant avec fluidité de la boue de Wellington au mythe de l'Arms Park durant une bagarre (presque) générale, évoquant son ami Wayne Smith aussi bien que son adversaire Barry John (pour le plus grand bonheur de Nini), l'alerte Pierrot (entouré par Michel, Christian, Pipiou, Lulure, Pimprenelle, Ritchie, Nini, Sergio et le Gé) nous avait gratifié de quelques anecdotes savoureuses. Signe de respect autant que d'admiration, l'assemblée avait fait silence lors de ses prises de paroles aussi tranchantes que ses interventions d'arrière quand il s'intercalait. Pas un couvert ne cliquetait, pas une mâchoire ne mastiquait.
"Les valeurs du rugby sont les valeurs de l'affrontement que ça génère" : tel avait été son coup d'envoi d'une journée pas ordinaire. Alors que nous étions encore à table, Pierrot regretta le rugby coupé en tranches - "comme le magret mais c'est peut-être pas si bon, glissait Lulure, malicieux - et lâchait un aveu qui à lui seul méritait le déplacement : "Je n'ai jamais été un fan de Fouroux mais je dois reconnaître qu'il avait raison" concernant la création de sélections de provinces comme niveau intermédiaire entre les clubs et le XV de France.
Alors qu'un rideau de pluie voilait l'horizon sur Treignac, fut abordé le troisième et dernier point : la formation française. Pierre Villepreux assure : "Il ne faut pas dispenser la méthode par la théorie mais par la pratique. Il faut donner aux enfants le goût du jeu, retrouver la dimension ludique du rugby au sens premier du terme." Christian Badin, aussi impliqué, d'ajouter : "La compréhension passe par la cerveau, pas par les bras." Villepreux poursuit : "Nous avons 300 000 licenciés, notre modèle de formation est apprécié ailleurs qu'en France, des clubs formateurs, comme Massy (ProD2), sont parfaitement encadrés, avec des éducateurs compétents, formés au professerat d'EPS, comme par hasard... Mais trop de clubs veulent des joueurs de plus en plus lourds et privilégient le physique. C'est bien pourquoi il ne faut pas laisser la formation des jeunes aux clubs pros..."
Après trois heures d'échanges fructueux au cours desquels Michel - qui bâtit en Espagne le château du champion parfait - buvait du petit lait en notant les aphorismes qui fusaient, vînt l'heure de conclure. L'émotion n'était pas feinte : Pierre Villepreux apprécia - magnifique compliment - la pure passion qu'il avait reçue des Quinconces qui lui faisaient face, aussi émus que concentrés. Nous étions passés au tutoiement et Sergio lui déclara : "Il y a de la vertu dans ta pensée". Preuve de son implication, Pierre se plia alors à la dégustation du Mirabel de Georges : c'est vous dire s'il est des nôtres !
Forme d'épilogue, Pierrot, qui avait su "rendre simples des concepts complexes", dixit Lulure, s'interrogea sur le futur du Top 14, qu'il imagine en ligue fermée, avec "pourquoi pas un système de draft à l'américaine" pour équilibrer les effectifs; et voit même les clubs européens se constituer très prochainement en championnat... Il apporta ensuite plusieurs pierres à notre projet commun de proposition de nouvelles règles pour améliorer ce sport devenu de collisions "sans édulcorer le jeu ni ressembler au treize." Par exemple : "Ne pousser les mêlées que sur un mètre ? Placer systématiquement la défense à cinq mètres ? Revenir au tenu debout ?"
Ce coquin de Lulure mit un terme en rires au samedi intercalé que tous auraient aimé sans fin : "En fait, il faudrait réfléchir à des règles afin que la France se remette à gagner, non ?" Pierrot parti avec la promesse de revenir l'an prochain en voisin, l'écho de ses propos alimenta notre soirée (ci-dessus Pimprenelle, Sergio, Lulure et Georges au piano) autour d'épaisses côtes de bœuf grillées par Le Gé et de beaux flacons de tous cépages à déguster. Nous terminâmes en tout petit comité bien au-delà du temps réglementaire par la dégustation du rhum arrangé à la vanille transmis tout en douceur par JanLou. Transmettre, voilà bien ce qui nous a animé durant ce week-end magique.
On parle de profondeur et du jeu à plat quand il s'agit d'attaque. Effectivement, nous avons profité de ce Quinconces pour descendre au plus profond de nos sentiments, pour ouvrir nos cœurs et notre esprit. Beaucoup de choses ont été mises à plat, et les prochaines chroniques de Côte Ouvert devraient en porter les lignes bien constituées. Nos liens, naguère ténus, se sont affermis et affirmés. De nouveaux visages nous ont rejoint, s'intégrant au réel dans ce blog comme s'ils en étaient à l'origine. Le mouvement n'est pas prêt de s'arrêter. A l'année prochaine, et c'est demain, notez-le bien...
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