dimanche 19 décembre 2021

Dans l'ombre apaisée

La vie d'Alain Estève est un roman écrit au sang d'encre. Remué, tordu puis assommé dans un regroupement : c'est ainsi que je suis sorti de l'ouvrage qu'a mis entre mes mains Jean-Luc Fabre, l'ancien président du Rugby Olympique Agathois. Même si la voix du géant se fait entendre, ce n'est pas une biographie au sens classique qui traverse les trois-cent-quarante pages de ce conte d'auteur, mais plutôt la chronique d'une époque, celle du grand Béziers et du rugby des années soixante-dix, de l'inexorable et du démesuré. D'un rugby qui ne reviendra pas, comme a disparu celui de Lourdes.

L'histoire de ce joueur hors-normes, ses racines, sa famille, l'enfance qui lui a été arrachée, les coups et les douleurs, l'abandon et l'oubli, forment une première partie qui fait écho aux Saisons de Maurice Pons, à La conjuration des imbéciles de John Kennedy Toole, et à La montagne morte de la vie de Michel Bernanos ; c'est un récit qui vous prend aux tripes et vous les arrache avant de les disperser. Vient ensuite la construction d'un homme par le rugby, ses liens, ses vertus, ses baumes, au sein d'une génération dure aux mâles qui éleva presque ce jeu au rang de discipline scientifique. 

On y croise des figures et des amis, on assiste à des querelles qui ne sont pas toutes de Brest mais sentent la sueur et le défi, la rance et parfois le pardon. Ce n'est un secret pour personne, Alain Estève dispute les prolongations avec l'énergie de ceux qui ne veulent pas abdiquer, même si l'adversité a pris le dessus. Ce livre (Alain Estève, le géant de Béziers), publié à compte d'auteur et préfacé par Richard Astre, est un trait de lumière posé sur d'imposants pans d'ombre, et cet éclairage a le doux éclat de la bienveillance, Jean-Luc Fabre y veille à chaque page. 

Ce n'est pas une hagiographie, loin s'en faut : tout est écrit, tout est dit, raconté sans sous-texte, mis à nu, parfois à vif. Rien n'est laissé sous le tapis de ces souvenirs qui parfois embellissent même le pire. Vous ne saurez pas, en revanche, qui a fracassé André Herrero lors de la finale 1971. J'ai cherché, je n'ai pas trouvé. Mais vous comprendrez au moins une chose : ce n'est pas Alain Estève, contrairement à ce qui a été raconté un peu partout, qui lui brisa les côtes. Celui qui fut montré du doigt, hué, vilipendé, partira avec ce secret plutôt que de le livrer, même au moment où le grand arbitre, celui qui décide de qui joue et de qui sort, s'apprête à siffler la fin. 

Cet ouvrage, honnête et enveloppant, nous en apprend pourtant de belles. Les anecdotes ne manquent pas, les révélations non plus. Sans fard, ni débordements. J'y vois surtout un hommage aux deuxième-lignes de devoir, ces hommes de l'ombre, sans pour autant verser dans l'apologie du coup de casque. On y entend la parole des silencieux, on y voit le partage des tâches. On comprend pourquoi Béziers fut si grand et si craint et, au milieu d'une équipe devenue tribu, jusqu'à quel point une tête dépasse. 

Ce long récit parle de fraternité d'armes et de jeu, cerne les secrets d'un groupe, celui qui part devant, au combat, soudé malgré tout ce qui sépare, uni contre tout ce qui l'écarte. C'est Brennus, c'est Paul Riquet, c'est l'Aude et l'Hérault, Raoul, Jo, Jeff, Pépito, Richard, Albert, Alain, Walter et Claude. Toute une vie de rugby et de nuit blanches. Ce sont les murs d'une prison, celle dans laquelle nous sommes parfois enfermés à notre corps défendant, cette prison construite autour de nous, parfois même nous y prêtons une main, et contre les murs de laquelle nous nous heurtons.

Si le poète anglais Maro Itoje a considérablement amélioré ce que le fermier all black Sam Whitelock avait inauguré dans le registre du deuxième-ligne contemporain, redécouvrir l'aventure rugbystique d'Alain Estève rappelle que dès 1971 un géant patibulaire avait déjà transformé la fiche de poste, au point d'évoluer à tous les postes de la troisième-ligne une décennie durant aux côtés des meilleurs avants français. Dans son roman inaugural, Louis-Ferdinand Céline écrit : "Ce serait pourtant pas si bête s'il y avait quelque chose pour distinguer les bons des méchants." Ce n'est à un voyage au bout de la nuit que nous invite ce livre, mais au bout de la vie, plutôt. Dans l'ombre désormais apaisée d'un géant. 

Pour se procurer Alain Estève, le géant de Béziers, au prix de 26,90 euros : contacter Jean-Luc Fabre à son adresse postale (10, chemin des abreuvoirs, 34300 Agde) ou par SMS au 06 07 59 78 82.

25 commentaires:

  1. Tout d'abord, après avoir évoqué l'ouvrage consacré à Alain Estève, remercier ceux de mes ami(e)s qui se sont retrouvés jeudi 16 décembre, rue Soufflot, librairie Pedone, pour la dernière séance de dédicaces, cette année, de Jeux de Lignes.
    Denis, Noël, Esther, Florian, Laurent, Olivier, Bernard, Daniel, Pierre, Ian, Alexandre, Philippe, Aziz, Sébastien, François, Jean-Philippe, César, Fixou, Gilles, Gaby, sans oublier les amis de Benoît.
    Ca fait chaud au coeur.

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  2. Oui ben Louis Ferd il connaissait pas mon tonton Roger, pillier droit de devoir à l'époque où tous les devoirs étaient permis!
    Le "Grand "était un mauvais, un assassin contre Agen ou Toulouse, mais un bon, un héros face aux Gallois ou autres Irlandais.
    Allez, voir un demi Dieu devant les Rosbifs!

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  3. un loock a la chabal mais en ce temps la les commentateurs n avaient pas besoin d assistance
    un sacre athlete pas maladroit balle en mains
    je me souviens d une visite a sa boite de nuit a beziers a la lueur d une faible lampe de table j ai vu vu surgir sur la table deux mains velues de gorille et je compris de suite la bete de zoo qu il etait mais bien sympa et convivial
    il etait tres actif sur le terrain au sein de ce terrible pack bitterois
    un monument sur qu avec les medias actuels il survolerai avec les superlatifs
    que le blog rende hommage a ces joueurs bravo

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  4. Pas un côté ouvert le gadjo, plutôt de la catégorie des taiseux. On parle pas chez nous monsieur, on agit. On agit pour marquer son territoire, l'assoir, se faire respecter. Bon d'accord, parfois ça dérape côté fermé, côté poings et crampons.
    Boss des bosses, PDG de la nuit, barbu à la Nicholson, pré chabalien, de ces jeunes filles bulgares chez lui à Sébastien chez Isabelle Ithuburu, il a moins bien fini. Le petit écran ne fut pas le même.
    Un dur, un vrai, bafoué par la vie, mais tatoué par le rugby qui force un certain respect quand même.

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  5. Visiblement Alain Esteve ne suscite pas beaucoup de commentaires...mais je ne tomberai pas dans le piège de l'équipe type de l'année.
    Je préfère le grand chêne aux marronniers de fin d'année ;-)

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    1. Pourtant avec les tètes de gondole de ce blog on a de quoi faire déjà un p'tit pack, non!
      Allez, joyeux noël à tous

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    2. Oui, d'autant que cette chronique est une des plus lues de l'année 2021... Et la moins commentée. Paradoxe interessant à déchiffrer.

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  6. le blog frappe du variant oh macron
    richard remet une dose de vaccin
    Noel joyeux aux survivants

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  7. https://images.app.goo.gl/iduL1RgnT1jMdCMi6
    Bonnes fêtes

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  8. Bon, finalement, je n'ai pas pu résister.
    Voici mon XV type de l'année en Top 14. Argumenté.
    15 : Buros, ses relances, son inspiration, ses initiatives. Tranchantes.
    14 : Tuisova, très difficile à arrêter de façon classique, bulldozer au centre de gravité très bas. Fort finisseur.
    13 : Ahki, parce qu'il y a une ligne de trois-quarts avec et sans lui, ce qui compte tenu de la densité d'internationaux toulousains, est en soit révélateur.
    12 : Moefana, Là aussi de l'inspiration, du soutien. Il est là quand il le faut, sur la brêche.
    11 : Favre, juste le meilleur marqueur d'essai français.
    10 : Jalibert, parce qu'on parle là de Top 14, pas du XV de France. Un leader d'attaque aux jambes de feu et aux choix courageux.
    9 : Dupont, pas besoin de commentaire, en fait.
    7 : Woki, gros abattage dans tous les domaines. Fort à l'impact.
    8 : Macalou, révélation du Championnat, excellent finisseur en supplément.
    6 : Diallo, tonique, vif, bien placé, gros défenseur. Monte en puissance.
    5 : Skelton, incontournable, bloque trois défenseurs sur chacun de ses percussions.
    4 : Arnold, Ro. ou Ri, c'est du pareil au même. Décathloniens du pack, en toute fraternité.
    3 : Faumuina, parce qu'on ne gagne pas un titre sans un fort pilier droit. Surtout à Toulouse.
    2 : Mauvaka, le remplaçant de luxe, l'impact player, le sérial marqueur. Une grosse vitalité, terriblement opportuniste.
    1 : Wardi, parce que mon ami Claude Saurel dit de lui que c'est le meilleur, et comme je n'y connais pas grand chose dans ce domaine spécifique, je lui fais confiance.

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  9. Ntamack en 10,parce qu'on parle là de Top 14 qui finalement se joue sur deux, trois matchs de niveau international.
    Sans rancune et bon Noël

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  10. Ha la la le réflexe du supporter toulousain....
    Ahki/Moefana une belle paire... de centres. A qui ça profite ?... Macalou 8, j'y vois pas un grand spécialiste. Allez je me lance sur Tolofua. A propos de Tamack, son frère qu'on dit grand espoir en 8, risque de manquer de gabarit à l'échelon supérieur.
    Mauvaka marche sur les étoiles ces derniers temps.
    Après pour le reste, c'est Noël...!!!🤣🤣🤣, à part Dupont lui c'est le Père Noël.

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  11. Ouaip, belle équipe:

    Le p'tit Wardi a gauche, c'est surement l'avenir, demandez donc aux Warriors !
    Pour autant il figurera dans mon équipe si Baille est retenu par la Word Team 2021.
    Les flankers c'est un peu porte d'Auteuil sur le coup des 17h, embouteillage, et que Jelonch s'en extirpe le premier me conviendrait pas mal.
    Mon coup de cœur des 8 c'est Amosa, un client, à la lutte avec Aldritt
    Du monde aussi a centre au centre avec Fikou sur l'expérience
    Une petite place pour Lebel sur une aile?
    Jaminet est peut être "la" révélation de l'année, incontournable.

    Allez les talons, Marchand titulaire, sans hésiter, et Mauvaka pour finir, mais le p'tit Barlot viendra sous peu bousculer cette hiérarchie.

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  12. je vais de ce pas commander le livre afin de mettre une vie sur sa légende de joueur ; je suis en train de lire le livre sur François Moncla d'olivier Dartigolles , je le recommande vivement pour les plus de 65 ans car ils vivront leur jeunesse et pour les moins de 65 ans , ils verront ce qu'était ce rugby qui a enflammé nos cœurs et surtout les noms de ces joueurs, véritables héros des années 50 et 60 ; de Jean Prat à Lucien Mias en passant pas Crauste , Marquesuzaa, Martine, Vannier et tant d'autres, Alfred Roques , Domenech etc.. légendes malheureusement inconnus de nos jeunes car l'histoire et la tradition se perdent dans nos sociétés de consommation immédiate ....le grand Béziers fut la dernière légende succédant à Lourdes... Pour ceux qui ne connaitraient pas " François Moncla récits de vie et d'Ovalie"

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  13. quand à l'équipe de l'année , je suis désolé mais cela ne m'intéresse pas autant que cela , je retiens juste 2 choses , la victoire contre les blacks et l'insolence de Dupont ballon en main

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  14. Sergio ...
    ce n'est pas la même chose , pour moi la suprématie de toulouse n'a rien à voir avec celle de Lourdes et Béziers , car depuis l’avènement du professionnalisme , la donne a changé et toulouse est grand car capitale économique du grand sud ouest avec des moyens que n'ont plus les équipes historiques d'avant ! il suffit de regarder le top 14 et ses derniers champions , il y a l'exception la rochelle et toulon ; la rochelle par son sa capacité a voir réuni les entrepreneurs locaux et toulon bastion historique du sud ouest , sinon les belles équipes ne s'en srtent pas Bayonne, agen , perpignan , biarritz etc ...et donc pour moi la domination de toulouse n'a pas la même saveur que celle de lourdes ou béziers

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  15. J'aime bien cette chronique parce que j'aime bien les deuxièmes lignes, ces géants encombrés de longues pattes qui semblent toujours errer sur le terrain à la recherche d'un autre géant ... las ! Ils n'y a que des nains autour alors ils continuent leur quête . Bien sûr Botha mais surtout Matfield, ou Itoje ont ajouté le fighting spirit et une certaine élégance dans la distribution des marrons .
    Non je n'oublie pas Arnaud Mela . Sans doute ces gars-là sont ceux qui approchèrent le plus l'âme des guerriers Maoris .
    Cette fin d'année me laisse mélancolique avec le départ de Gourdon - magnifiques adieux sous la pluie - encore une page qui se tourne ... à se demander s'il restera des joueurs hors normes, différents, pas dans les cases comme l'était Estève . Les entreprises que sont devenus les clubs, me paraissent moins poétiques que tous ces clubs-villes que vous évoquez . On y a gagné en efficacité et professionnalisme, qu'en est-il du rêve, bordel !

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    1. Bon, je dirais pas "et la tendresse bordel", mais un peu de poésie dans ce monde assoiffés de puissance et d'argent n'est pas pour me déplaire. Et comme par hasard on a affaire là, à des taiseux...
      Sinon au pire, je prendrai bien une petite camonmille..

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    2. Y a des signes comme ça. ...
      On ne s' attendait pas à une année 2022 flamboyante mais si Sergio se met à la camomille, on est pas bien, du tout !
      Sinon, gente dauphinoise, on a pas du croiser les mêmes grands dépendeurs d'andouille .
      Les miens cherchaient plutôt , poétiquement
      , le pif du talon d'en face.
      L'efficacité y gagnait ce que l'élégance égarait.
      Côté mélancolie c'est plutôt le départ du vieil archevêque a la soutane rose qui doit peiner mes si vaillantes copines du Limpopo, déjà moins dans les clubs house de Prétoria, terre de contrastes!
      Allez, ils me manquent, tous, mais alors....

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  16. OK certes, mais il n'empêche que pour l'instant l'histoire continue et que Toulouse en fait partie avant et depuis le professionnalisme. Ce n'est pas forcément un supporter affirmé qui te le dit. on ne peut pas comparer les époques car tout a évolué d'amateurisme à professionnalisme. Sachant que les grands clubs dont tu parles avaient su réunir aussi à leur époque les moyens nécessaires pour imposer leur suprématie avec notamment une formation et un recrutement local qui n'est plus trop le cas aujourd'hui. Et des acccompagnements professionnels pendant ou post sportifs pour les meilleurs entre autres.
    Après avec la fugacité des moments il est clair que la société actuelle a vite agi pour nous faire passer à autre chose. Juste il faudrait s'efforcer que ces moments ne disparaissent pas et que les jeunes aient conscience de l'histoire de leur sport. Transmission dirons nous...


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  17. Et bien, comme Gariguette, de retour parmi vous après quelques révisions mécaniques. J'ai suivi l'ensemble des chroniques et des commentaires sans pouvoir y participer; ce qui m'a donné l'occasion de me demander pourquoi écrire à la lecture du panel de points de vues et d'idées déployé. J'ai envoyé mon chèque à l'adresse indiquée par Richard la semaine dernière et j'attends avec impatience de lire ce bouquin sur ce personnage et son époque que j'ai vécue moi-même.
    Marc, ne pas oublier "La Vierge Rouge"! Le Stade Toulousain déjà champion de France dès 1912, puis entre les deux guerres, puis, bien sûr, après le seconde guerre et jusqu'à aujourd'hui. Bien entendu, les historiques comme Lourdes, Béziers et consorts n'ont pas les mêmes moyens mais il me semble que c'est un petit peu plus compliqué que çà. Bref! Je vous souhaite à tous de passer de bonnes fêtes de fin d'année et à bientôt se relire sinon se revoir....

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    1. Et ben André qui revient sur son petit vélo pour appuyer de ses connaissances... Suis d'accord avec toi sur Toulouse. Désolé Marc😉. Et la vierge rouge... l'avais oubliée celle là.
      Bonnes fin d'année à tous, bien sûr, et sortir de cette ombre nauséabondeuse...

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    2. je n'avais pas oublié évidemment "la vierge rouge" mais là encore c'était une autre époque ou il y avait quand même moins d'équipes compétitives ...mais ne pas leur enlever le mérite d'avoir dominer les années 20

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  18. la richesse economique est le seul determinant pour s acheter un palmares qu il en soit du foot ou du rugby le pire de tout ces clubs demandent des aides publics pour pouvoir verser des salaires astronomiques il ne faut pas oublier que c est le consommateur qui regle l adddidtom payant cher des produits afin que les grands financiers genereusement se paient et entretiennent leurs caprices
    ce qui m inquiete j ai peur que les joueurs aient des carrieres courtes au vu des collisions endurees a chaque match
    que l annee nouvelle soit propice aux plaisirs retrouves

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