Pour parvenir à se hisser sur la dernière marche européenne il a manqué sous le pluie au Racing 92 un ballon derrière un ruck, un dégagement en touche et un drop-goal face aux poteaux. A la fois peu et beaucoup dans un match verrouillé par les défenses au cœur d'un écrin joyeux. Le rugby n'est pas un spectacle. Sinon, il y a l'opéra, le théâtre... Pour la puissance des alexandrins et l'originalité d'une mise en scène contemporaine suis allé à l'Odéon voir Bérénice la semaine dernière. Bilbao ? Pour le rugby dans toute l'acceptation du terme, sans doute l'un de mes meilleurs souvenirs de finale européenne depuis 1996. Pour le suspense, l'intensité, la majesté du stade, la sportivité du public, les bérets basques made in Showbiz portés par les joueurs à leur entrée sur le terrain, la fête autour, la beauté du pays basque.
San Mamès est situé à une portée de drop du musée Guggenheim et les habitants de Bilbao craignaient le pire : avant d'accueillir les finales de Coupes d'Europe, Challenge et Champions, ils avaient assisté, calfeutrés derrière leurs fenêtres, au déferlement des fadas marseillais et des hordes russes de Kiev, laissant le centre-ville de la cité basque à moitié détruit. Grande fut leur surprise quand ils virent des supporteurs venus des toutes les provinces d'Espagne et d'au moins vingt clubs d'Europe fraterniser au bar et dans les rues.
Dès le vendredi, tous les maillots de rugby disponibles coloraient les avenues de Bilbao, et les accents, du plus chantant au plus rocailleux, formaient la mosaïque du rugby de l'hémisphère nord dans ce qu'il a de plus fraternel. Pas un angle de rue, une place, un parc d'où ne sortaient des chants, des rires, quelques accords de musique. Un vrai bonheur ovale pour la première fois que les trophées européens étaient décernés en dehors des zones traditionnelles, Irlande, Grande-Bretagne et France.
A l'occasion des deux finales - Cardiff-Gloucester et Leinster-Racing 92, les amateurs de football, et ils étaient nombreux dans un San Mamès hérissé de poteaux de rugby aux couleurs du pays basque, avouaient avoir pris une leçon de sportivité : pas un mot de la part des joueurs aux arbitres quelle que soit leur décision, des chocs telluriques et des plaquages destructeurs sans le moindre geste d'énervement ou de frustration. Ils avaient un mot à la bouche en même temps qu'ils vidaient leurs pintes : chevaleresque. Au pays de Cervantès, ça a du sens.
Pendant que Grenoble atomisait Oyonnax et prouvait que la ProD2 n'est pas un enfer ni même un purgatoire mais bien une compétition de qualité qu'il est possible d'apprécier quand on sature de Trop 14, les Russes d'Enisei venaient à bout des Allemands d'Heidelberg, l'ancien club du président Wild. L'Europe en paix est une construction à chérir, surtout après avoir visité, recueilli, le musée de la paix à Guernica et croisé des amoureux entrelacés au creux de la sculpture monumentale d'Henry Moore sur les hauteurs de la ville hier détruite et aujourd'hui lumineuse.
Voyez le tableau : Guernica s'est imposé naguère comme le grand club de rugby du moment : Pedro nous précise qu'il s'agit d'Ordizia, désormais. Dont acte. Le gouvernement de cette province souhaiterait créer une ligue basque transfrontalière à l'horizon 2020, ce qui prolonge la montée en puissance de l'équipe nationale espagnole qui a failli se qualifier directement pour la Coupe du monde 2019 au Japon, n'était un arbitrage roumain plus que suspect et une fin de match houleuse indigne du rang international qui vaut aux joueurs espagnols, la plupart français, de perdre toute possibilité de faire entendre leur voix à force d'avoir trop et mal gueulé.
C'était historique, donc et en deux finales, San Mamès mérite en Ovalie son surnom de Catedral - comme le temple de Twickenham a gagné le sien au fil de l'histoire - pour ses tribunes vertigineuses montant dans le ciel à la façon des stades argentins et son silence respectueux sur les tentatives de tirs au but. Cette œuvre d'art sur les hauteurs de la ville en viendrait presque à plonger le musée Guggenheim et ses façades dorées dans son ombre tant elle s'est construite de mille intensités.