lundi 7 septembre 2020

Debout, l'effort

Le retour de l'Ovale s'accompagnerait donc d'une tendance au sifflet, et les pénalités - ainsi que les cartons - se sont davantage multipliées que les décalages en bout de ligne durant cette si attendue première journée d'un Top 14 dont nous avions perdu le goût depuis plus de six mois. La faute, entend-on derrière les talenquères, à la nouvelle - une de plus - interprétation de la règle du jeu au sol. Cette fois-ci, elle privilégierait le défenseur et non plus l'attaquant. 
J'adore le rugby pour de multiples raisons, dont les premières remontent à l'enfance et la dernière à l'attitude très digne de Romain Ntamack à l'issue d'un match que son caractère domina. Mais aussi - c'est plus récent car il m'a fallu le comprendre comme un changement de paradigme vital par essence - pour ses contre-pieds incessants, ses inflexions, ses réadaptations au règlement tellement complexe qu'il peut alimenter mille subtilités pour qui veut bien les replacer sur l'enclume. 
L'arbitre est au marteau ce que le sifflet est à la philosophie : si vous n'y comprenez pas grand chose, on vous l'inculquera de force que vous le vouliez ou non, à grand renfort de pénalités pour ce qui nous concerne, et elle furent nombreuses. N'allez donc pas imaginer que les joueurs soient devenus par nature plus indisciplinés, à l'exception notable le week-end dernier - mais c'est un peu endémique quand même - des Toulonnais noyés dans leur élan désordonné entre ces deux tours du port de La Rochelle que sont Skelton et Vito. 
La résolution de ce souci qui hache les matches est pourtant d'une étonnante simplicité : il suffit de décréter le jeu debout ! Tout devient alors plus simple et plus fluide. Car enfin, pas besoin d'avoir un BE2 pour comprendre que la fin du jeu au sol, cette solution de facilité, cette pauvre tactique conservatrice, a été décrétée. Etait-ce d'entrée si difficile à formaliser balle en mains ? 
Le législateur, à l'évidence, a décidé d'éradiquer "la guerre des étoiles", ces arrivées en planches avec gros coups de casques dans les cervicales du gratteur. Elle annonçait un drame de plus en plus probable pour qui voulait disputer au sol le ballon. Je reste surpris qu'il faille un tel temps d'adaptation pour comprendre que le choix réflexe de se coucher devant un défenseur pour protéger son ballon plutôt que de rechercher intelligemment l'intervalle ou le créer pour un partenaire lancé, est désormais périmé. Cette première journée aura vu les succès du Racing 92, de Pau et de Castres à l'extérieur, trois équipes "caméléon", c'est-à-dire excellentes dans l'adaptation et la reconfiguration, trois équipes qui disposent de points forts, à savoir des facteurs X côté francilien, une mêlée puissante chez les Béarnais et une charnière manœuvrière en ce qui concerne les Castrais. Sans doute trop proches de ce qui faisait leur charme il y a six mois, Lyon, Montpellier et Agen se sont inclinés devant leur public, ce qui toujours vexant. 
Puisqu'aucun bonus offensif n'a été décroché, les Rochelais se trouvent en tête de l'expédition. Go West ! Comme le jeune prodige Antoine Hastoy à l'ouverture de la Section et le génie calédonien du Racing 92, Finn Russell, le zébulon néo-zélandais au prénom de héros de collection verte, Ihaia, a tranché les défenses, boosté ses partenaires, additionné les points et régalé les connaisseurs. Aucun doute là-dessus, le jeu debout favorise les prises d'initiatives, et s'il subsiste quelques rucks, qu'ils passent aussi vite que l'éclair tant le sol se dérobe. 
  En écrivant cela, je pensais au Stade Toulousain qui a fait du jeu debout son viatique depuis presque quarante ans quand surgit dimanche au bout de la nuit l'essai fulgurant d'Antoine Dupont génialement initié par deux ouvreurs : Thomas Ramos et Romain Ntamack, avec le relais sur un pas de Sofiane Guitoune et sa passe laser sans laquelle rien n'aurait été possible. Apprécions, en ces temps de retour à la normale, le rugby quand il remet son avenir entre des mains.

mardi 1 septembre 2020

Ordre dispersé

Depuis la controverse pied/main qui anime le rugby et rééquilibre en permanence sa pratique, alimentée par la fameuse déclaration du génie gallois Barry John qui assurait que "une bonne attaque à la main se prépare au pied", axiome que tous les ouvreurs du monde valident, les réflexions sur la finalité de ce jeu ne cessent d'enrichir nos réflexions. Décalage versus combat, conquête avant utilisation, contact contre évitement, priorité à l'avancée des avants ou au déploiement des arrières, l'exploitation de la balle ovale par l'homme - et la femme - en short et en crampons recèle des trésors de contradictions et d'antagonismes, et c'est bien tout son charme. 
De la même façon qu'il n'existe pas de démocratie véritable sans liberté d'expression et donc de débat contradictoire, le rugby ne peut vivre, c'est-à-dire aujourd'hui respirer sous masque, sans s'alimenter d'avis contraires. Rien dans sa structure, et c'est son charme si l'on veut bien s'extraire des visions partisanes, ne favorise le conservatisme, né qu'il est d'un profond dédain pour les us et coutumes qui consistaient à frapper du pied dans le ballon et de courir pour le rattraper à la volée, ancêtre du up-and-under si cher à nos adversaires Anglo-Saxons éduqués sous la pluie et dans le vent froid. 
Pour autant, à l'heure où débute les Championnats professionnels après six mois d'arrêt complet pour cause de virus chinois, les clubs de Top 14, principalement, attaquent en ordre dispersé cette première journée alors même que la solidarité s'imposerait ne serait-ce que pour faire face à cette adversité sournoise et destructrice qu'est le Covid-19 et ses effets liberticides, ses craintes sanitaires, son stress environnemental. Au lieu de quoi se multiplient les petites phrases assassines tant elles jettent le doute là où devrait naturellement s'extraire des médias un front commun, un rideau hermétique ou seulement une position soudée, à l'image de ce que dessine une équipe en défense. 
Alors que personne ne sait aujourd'hui quelle sera la réalité du Championnat à la fin de l'année, et que chacun s'interroge sur le nombre de matches reportés à Noël - savoir donc si le Top 14 sentira le sapin -, à l'heure où l'économie du rugby professionnel pourrait souffrir de la jauge imposée aux spectateurs même si certains préfets s'arrangent pour la hausser, l'image renvoyée par le rugby pro français depuis le début de la crise Covid ne s'est pas améliorée. Double langage, interets personnels, critiques incessantes, silences assourdissants, calculs d'apothicaires, menaces de scission : l'arsenal a de quoi faire tout exploser. 
Heureusement, des mains tendues enrichissent la palette. Celles d'Ovale Citoyen, pour ne prendre qu'un exemple, actives malgré la distanciation sociale. Les effets du coronavirus ne sont pas tous néfastes ni anxiogènes. Et si le rugby d'élite a perdu en ce débl'occasion dont'rimer des vertus, à commencer par le devoir d'exemplarité en direction des jeunes générations qui prendront un jour prochain le relais, le monde amateur et associatif reste, silencieux et discret, ce socle sans lequel aucune pratique ne peut se targuer d'exister.