Nous sommes conditionnés par le cadre d'une année - encore que les sportifs, les élèves, les étudiants et quelques autres associés bourgeonnent au rythme de la saison -, et il nous faut en célébrer la fin avant que d'en fêter la naissance dans une ronde renouvelée que d'aucuns trouvent lassante. Le temps n'a pas le même sens que l'on soit à l'orée d'une carrière ou dans la paix automnale. Il se contracte ou s'étire, ne résonne pas de la même façon. Nous interprétons différemment ce qui apparait comme des situations identiques selon les expériences et les événements que l'existence nous présente au fur et à mesure.
Comme on déguste un Redbreast 12, j'apprécie le temps des toutes petites lampées qui captent les arômes subtils et font voyager mon esprit à l'appel d'une invitation de bruyère, de menthe poivrée, du toucher rassurant d'un vieux cuir gonflé, des silences amis, des mots choisis, des lignes mélodiques entremêlées, instants libérés des contingences.
N'attendez pas dans ce blog de classement, de rappels, d'historique, de bilan à l'image du vestiaire transformé en bestiaire pour forcer le trait d'une année écoulée qui laisse des traces et annonce derechef à quel point la prochaine pourrait nous faire regretter les affres de celle passée. Entre Noël à la bûche et le Réveillon aux cotillons, les cadeaux emprisonnés et la nouvelle année souhaitée dans l'euphorie trop souvent factice, il existe un espace à trouer.
Nous avons fait ensemble le pari, ici, de nous retrouver pour construire à plusieurs mains un espace privilégié à l'écart du tapage médiatique, du buzz, des propos toxiques. Je nous imagine réunis sous une tribune. Les bancs sont râpeux, la lumière chiche. La table de massage craque. Comme la peinture aux murs. Dans cet entre nous s'échange le meilleur ; suffisent les présences, les regards. 2017 sera notre rencontre la plus importante, j'en suis persuadé.
"Il me semble que l'essentiel de la musique (on pourrait écrire aussi de la vie, et du rugby, pourquoi pas) me touche vraiment profondément, j'aimerais l'entendre et évidemment aussi la jouer moi-même dans un tempo très pensif et très lent. Voyez-vous, autrefois, ce qui était capital pour moi, c'était la course rythmique précipitée; mais en vieillissant, j'ai eu de plus en plus nettement l'impression que de nombreuses interprétations dont, certainement, la majorité des miennes étaient beaucoup trop rapides."
Ainsi écrivait Glenn Gould, évoquant la différence entre l'enregistrement 1955 des Variations Goldberg et celui de 1981, réflexion qui tend de la réalisation d'une perfection technique vers la recherche spirituelle. En lisant ces quelques lignes je pensais à notre ovale devenu tellement rugbystique, obéissant à des lois de marché autant qu'aux canevas tactiques sans autre accomplissement que celui de la mécanique qu'il génère.
Ce qui le sauve se nomme tempo. C'est aussi ce qui distingue du commun les grands équipes. Savoir ralentir pour entrer en profondeur, puiser un nouvel élan dans la lenteur maîtrisée puis accélérer quand nécessaire pour dégager les mélodies de leurs gangues, présenter de nouvelles combinaisons... Façonner dans chaque match une œuvre unique animée de ses développements logiques; pour paraphraser un exégète de Gould, constituer un seul et même matériau par une croissance organique et enchevêtrée.
A force d'écouter Jean-Sébastien Bach, il m'est apparu que le rugby était un sport contrapunctique. A l'évidence, différentes lignes courent, s'alignent, se croisent, s'articulent, se mêlent. La force des All Blacks, par exemple, des Irlandais et sans doute plus prosaïquement celle de La Rochelle et de Clermont dans leurs exemples les plus récents est principalement constituée d'une capacité collective à modifier le rythme central, vital, déterminant, "pulsation fondamentale, un point de référence rythmique immuable" dont parle Gould.
Regardez donc les rencontres prochaines en pensant au phrasé de Glenn Gould. Les techniciens éclairés nomment cela le momentum, que l'on peut traduire par élan au sens de courses d'élan, mouvement d'accélération collective sensé vaincre la défense adverse non pas en la brisant mais en la dépassant, en la débordant.
Cette pulsation, je la capte aussi dans vos commentaires entremêlés ; ils se répondent pour créer de nouvelles mélodies nées de vos imaginations, de vos expériences, de vos envies, pensées en contrepoint qui dressent haut la poutre maîtresse, bloggeurs. Nous avons un contrat ovale : il combine harmonieusement nos valeurs. Puisse 2017 maintenir l'élan qui compose Côté Ouvert. A toutes et tous santé, amour et lumière.
mardi 27 décembre 2016
lundi 19 décembre 2016
Bande de frères
Vingt ans après, ou l'ambition du terroir. Quand ce jeu de rugby demandait un supplément d'âme et qu'en guise de tiroir-caisse le président mettait la main à la poche, la sienne, sans revendiquer avoir acheté du club, sinon lui permettre de respirer. Ce sport et ses serveurs n'étaient alors la propriété de personne. Il y a vingt ans, Brive était à l'affiche, éclairant la nuit de Cardiff, le Brive de Coco Alegret et d'allégresse, d'Alain Penaud, Sébastien Viars et Titou Lamaison, celui les frères Carrat purs joyaux, de Kacala et de Casa, de Travers et de Carbo.
Quand l'histoire repasse les plats, le repas sur papier se compose de soixante-trois entrées ! Vous m'en direz des nouvelles. Un repas ? Que dis-je, un banquet ! François Duboisset, passé par les Nuls et Canal Plus, écrit avec verve, humour, dérision, talent et émotion - il a créé sa propre maison d'édition parce qu'on est jamais mieux servi que par soi-même - un ouvrage-hommage* aux Champions d'Europe 1997. A dévorer en cette fin d'année contrastée.
L'aventure de cette bande de frères, nous avons été quelques uns à la traverser, chacun à notre façon, à notre place. Et quand François m'a demandé de lui pondre un texte sur le titre, Cardiff, le voyage et son ivresse, mon cœur a pris le ballon de volée et j'en ai livré deux ! Vingt ans, bon sang, c'est hier tellement les vibrations continuent de jouer ce joli petit morceau de vie ovale.
Je regarde autour de moi et me dis que vingt ans, finalement, ce n'est pas si loin. Nous pouvions alors voyager avec les joueurs, aller et retour ; nous partagions tout, y compris le coup de poing. C'est comme ça que mon collègue Jean Crépin, accoudé au Toulzac avant la bagarre, sauva la vie d'un Corrézien mordu au sang au prix d'une fracture de la main. Il avait le crochet facile, le Jeannot. L'Europe, c'était un supplément, une aventure comme celle vécue il y a peu par les Barbarians Toulonnais.
Les Brivistes avaient inauguré la formule en recrutant de drôles de clients, tels Ross et Venditti. Mais que ce soit à Toulon ou à Brive, la clé reste toujours la même : créer du lien. Dans son livre-souvenir qui sort au moment où le CAB a fait du Challenge européen son objectif de la saison-anniversaire, mon ami François raconte tout (ou presque) avec drôlerie. La maquette est jouissive, décalée, terriblement vivante, et on y croise Moscato, Rousset, Fitzpatrick, Farr-Jones, Albaladejo.
Si vous cherchez un cadeau de Noëls vintage, celui-ci raconte le rugby des gaillards d'avants mais pas que : aussi les sorties débraillées et les entrées au casque. Avec le recul, il n'est pas étonnant que le plus beau des voyages que ces champions-là effectuèrent en fin de saison les fit dériver jusque vers l'île de la Réunion après s'être perdus toute une nuit dans les Pyrénées espagnoles, mauvais versant, en stage d'oxygénation, anecdote qui aurait pu virer tragique, qui ne fut jamais écrite et acheva de constituer une équipe de Coupe.
Je ne suis pas nostalgique - c'est une maladie. J'avoue simplement un penchant pour les parenthèses ovales qui sentent le camphre et respirent le sentiment. Envoyons le ballon en bout de ligne : c'est aussi le cas du numéro un de Flair-Play qui regroupe une belle collection de fondus (Aymond, Jeantet, Boully, Habib et bientôt Colliat, Pére-Lahaille et Mazzella, soit la quasi intégralité de la Comme Fou) autour de Christophe Schaeffer, comme le note Letiophe à la relance.
"Une philosophie réjouissante". C'est ainsi que François Duboisset conclut la saga à laquelle il participa, sacré sacre né de "souffrances durant les entraînements". Et l'auteur-flanker de préciser : "Nous n'étions pas invincibles, nous étions indivisibles". On lui doit donc la plus belle définition de la notion d'équipe. Ce que devraient méditer quelques clubs engagés (ou pas) dans les compétitions européennes den ce moment. Fort de ce viatique, ami(e)s de Coté Ouvert, je vous souhaite de joyeuses fêtes où que vous créchiez, en famille ou en Quinconces.
* ENTREZ DANS (la petite) HISTOIRE, par François Duboisset. Editions Les Livres de L'Îlot.
www.leslivresdelilot.fr ou contact@leslivresdelilot.fr
Quand l'histoire repasse les plats, le repas sur papier se compose de soixante-trois entrées ! Vous m'en direz des nouvelles. Un repas ? Que dis-je, un banquet ! François Duboisset, passé par les Nuls et Canal Plus, écrit avec verve, humour, dérision, talent et émotion - il a créé sa propre maison d'édition parce qu'on est jamais mieux servi que par soi-même - un ouvrage-hommage* aux Champions d'Europe 1997. A dévorer en cette fin d'année contrastée.
L'aventure de cette bande de frères, nous avons été quelques uns à la traverser, chacun à notre façon, à notre place. Et quand François m'a demandé de lui pondre un texte sur le titre, Cardiff, le voyage et son ivresse, mon cœur a pris le ballon de volée et j'en ai livré deux ! Vingt ans, bon sang, c'est hier tellement les vibrations continuent de jouer ce joli petit morceau de vie ovale.
Je regarde autour de moi et me dis que vingt ans, finalement, ce n'est pas si loin. Nous pouvions alors voyager avec les joueurs, aller et retour ; nous partagions tout, y compris le coup de poing. C'est comme ça que mon collègue Jean Crépin, accoudé au Toulzac avant la bagarre, sauva la vie d'un Corrézien mordu au sang au prix d'une fracture de la main. Il avait le crochet facile, le Jeannot. L'Europe, c'était un supplément, une aventure comme celle vécue il y a peu par les Barbarians Toulonnais.
Les Brivistes avaient inauguré la formule en recrutant de drôles de clients, tels Ross et Venditti. Mais que ce soit à Toulon ou à Brive, la clé reste toujours la même : créer du lien. Dans son livre-souvenir qui sort au moment où le CAB a fait du Challenge européen son objectif de la saison-anniversaire, mon ami François raconte tout (ou presque) avec drôlerie. La maquette est jouissive, décalée, terriblement vivante, et on y croise Moscato, Rousset, Fitzpatrick, Farr-Jones, Albaladejo.
Si vous cherchez un cadeau de Noëls vintage, celui-ci raconte le rugby des gaillards d'avants mais pas que : aussi les sorties débraillées et les entrées au casque. Avec le recul, il n'est pas étonnant que le plus beau des voyages que ces champions-là effectuèrent en fin de saison les fit dériver jusque vers l'île de la Réunion après s'être perdus toute une nuit dans les Pyrénées espagnoles, mauvais versant, en stage d'oxygénation, anecdote qui aurait pu virer tragique, qui ne fut jamais écrite et acheva de constituer une équipe de Coupe.
Je ne suis pas nostalgique - c'est une maladie. J'avoue simplement un penchant pour les parenthèses ovales qui sentent le camphre et respirent le sentiment. Envoyons le ballon en bout de ligne : c'est aussi le cas du numéro un de Flair-Play qui regroupe une belle collection de fondus (Aymond, Jeantet, Boully, Habib et bientôt Colliat, Pére-Lahaille et Mazzella, soit la quasi intégralité de la Comme Fou) autour de Christophe Schaeffer, comme le note Letiophe à la relance.
"Une philosophie réjouissante". C'est ainsi que François Duboisset conclut la saga à laquelle il participa, sacré sacre né de "souffrances durant les entraînements". Et l'auteur-flanker de préciser : "Nous n'étions pas invincibles, nous étions indivisibles". On lui doit donc la plus belle définition de la notion d'équipe. Ce que devraient méditer quelques clubs engagés (ou pas) dans les compétitions européennes den ce moment. Fort de ce viatique, ami(e)s de Coté Ouvert, je vous souhaite de joyeuses fêtes où que vous créchiez, en famille ou en Quinconces.
* ENTREZ DANS (la petite) HISTOIRE, par François Duboisset. Editions Les Livres de L'Îlot.
www.leslivresdelilot.fr ou contact@leslivresdelilot.fr
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