Depuis la défaite du XV de France face au Japon (23-23), défaite morale s'entend, les constats se multiplient comme des rocking-chairs qui bougent d'avant en arrière ; ça ne nous avance pas. Avant de savoir où l'on va, il est bon de savoir d'où l'on vient, certes, mais ça fait un bout de temps - depuis la Coupe du monde 2011 - que même les plus lents à la détente sont parvenus à se faire une idée du marasme dans lequel pataugent les Tricolores.
Passons à l'étape suivante : trouver au mal des remèdes qui pourraient être mis en œuvre rapidement et donner des résultats probants sans attendre la Coupe du monde 2023. D'autres nations ont connu des périodes difficiles, pour ne pas dire troublées. Elles ont su, avec courage et intelligence, prendre des décisions parfois radicales. Passées au tamis français, en voici dix.
1- Former des gamins au plus haut niveau ; pas seulement au jeu mais aussi à ce qui l'entoure. Action mise en œuvre au sein des clubs de Top 14 et de ProD2 à condition d'être suivie par l'encadrement du XV de France (voir 6 et 8). Davantage que le rapport taille-poids en fonction des postes, développer les conditions de réussite au plus haut niveau en axant le travail dans quatre domaines : psychologique, technique, tactique et physique.
2- Choisir un nouveau capitaine. Guilhem Guirado est rôti. Trop habitué à la défaite. Ressorti abattu de ce novembre calamiteux. Qui fait suite à une tournée manquée en Afrique du Sud. Il suffisait de l'écouter au coup de sifflet final sur le bord de touche de la U Arena pour constater qu'il est au bord de la dépression. Dix-huit capitanats: six succès. Dont une série de six défaites d'affilée.
3- Tirer un trait sur les «anciens» qui stagnent depuis 2012. Exit Slimani - visé par les arbitres, il coûte cher -, Maestri, Picamoles - qui fonctionne au diesel -, Trinh-Duc, Bastareaud, Huget et Spedding. Le présent ne leur appartient plus. Ils font du sur-place, et ça ne date pas de samedi dernier.
4- Lancer une nouvelle vague bleue en lui conservant un crédit d'apprentissage. Jeunes, débridés, neufs et enthousiastes, Priso, Pélissié, Colombe, Iturria, Lambey, Jelonch, Galletier, Couilloud, Carbonel, Jalibert, Boudehent, Regard, Dupichot et Cordin, entre autres, ne sont pas traumatisés par les échecs.
5- Comportements déplacés, bagarre entre membres du staff, retards, absences, manque de concentration, coups de gueule, coups de blues : le régime carcéral de Marcoussis est contre productif. Regrouper des personnalités (Berbizier, Villepreux, Rufo, Onesta, Yachvili, Tillinac, Guillard, Albaladejo) autour du nouveau capitaine bleu, deux ou trois joueurs clés et d'un bon scribe pour rédiger une charte éthique. Les grandes nations en ont une, plus utile qu'un cahier de jeu sur disque dur.
6- Pas besoin de passer les diplômes d'entraîneur en quarante heures chrono. Il suffit de regarder les tests internationaux pour s'inspirer du rugby qui gagne. Quel est-il ? Attitude à la percussion et au plaquage afin que les soutiens ne se consomment pas dans les rucks, déplacement pertinent des joueurs en défense, attaque avec des leurres en deux vagues, combinaisons autour des conquêtes en première main, angles de courses précis, jeu au pied de pression...
7- Armer l'équipe de France d'un préparateur mental indépendant. Gilbert Enoka chez les All Blacks, Eric Blondeau avec l'Ecosse de Cotter. Pas de salarié fédéral mais un développeur de performance qui libére les esprits, évite que les joueurs évoluent avec une boule au ventre, un poids sur les épaules, la peur de mal faire. Il s'attaquera d'abord au staff, souvent porteur de tensions inutiles et corrosives.
8- De nombreuses nations (à l 'exception de l'Afrique du Sud et de la Nouvelle-Zélande) se sont ouvertes à l'étranger. Avec succès. Quelques pistes ? Wayne Smith - qui adore la France et le jeu à la toulousaine -,Vern Cotter, Jake White... L'Anglais Ben Ryan s'occupe bien de France 7 ! C'est donc possible. Rien de honteux à casser la routine française, même si Olivier Magne, Fabrice Landreau, Christophe Urios, Laurent Travers, Xavier Garbajosa, Fabien Galthié, Jean-Baptiste Elissalde ou Raphaël Ibanez sont légitimes.
9- Au départ, quand on m'a annoncé que les Barbarians Français devenaient la succursale du XV de France, j'ai craint que le stress qui habite les locataires de Marcoussis fondent sur le dernier concept de rugby en liberté tel que souhaité par Jean-Pierre Rives. Il n'en a rien été et le match contre les Maori a été un régal pour l'esprit comme pour les yeux. Développer cette ouverture Barbarians en offrant l'opportunité à de jeunes talents de s'exprimer sans retenue lors de rencontres internationales bis, encadrés par quelques ainés, comme le furent Fred Michalak puis Aurélien Rougerie.
10- Persévérer dans la veine des JIFF - même si ce n'est pas la panacée - et un minimum de seize joueurs sélectionnables sur une feuille de match de Top 14 et de ProD2. L'étendre à la Fédérale 1 poule Elite, puis à toute la Fédérale (1,2,3). En ce qui concerne les trois divisions pros et semi-pros, acter une incitation financière chaque fois qu'un Espoir est titularisé.
mercredi 29 novembre 2017
dimanche 26 novembre 2017
Chant du refus
Tout ça pour quoi ? Je reprends à dessein le titre de l'entretien accordé par Yannick Bru à François Trillo dans le magazine Flair Play, sixième du nom et promis à une nouvelle vie, l'année prochaine. Beaucoup de bruit pour rien, souffle aussi le grand Bill - pas Beaumont, l'autre, celui qui entraînait Stratford-Upon-Avon. Si peu de rugby et beaucoup de bleus à l'âme. Rien de tranchant. Le XV de France est-il toujours le cœur de notre passion ? Je suis furieux d'avoir à y répondre car le mystère des échecs bleus répétés, dévastateur, me plonge dans un abîme de perplexité brutale.
Qu'est-ce que le rugby sinon un élargissement de la vie, une métaphore visant à amplifier nos pensées, une geste propre à nous extraire de l'humaine condition, champ lexical qui déborde, obère les frontières, agrandit la circulation des liens, regroupe les énergies, estompe le brouillard qu'on croyait scellé, dénonce le médiocre contrat, chasse la sécheresse et la solitude et le froid. Frère de littérature, le rugby est une poésie ; une langue qui s'invente de tout son corps.
Tu as bien fait de partir, Jean Trillo ! Tes passes et tes percées «réfractaires à la malveillance, à la sottise» des sélectionneurs de Toulouse, de la Cité d'Antin, de la rue de Liège puis de Marcoussis, «ainsi qu'au ronronnement d'abeille stérile» des réseaux sociaux un peu fous, «tu as bien fait de les éparpiller aux vents du large.» Tu as bien fait de partir, Pierre Albaladejo ! Vous aussi, André Herrero, Walter Spanghero, Didier Codorniou, Patrick Nadal, Max Barrau, Jean-Luc Sadourny.
«Vous avez eu raison d'abandonner le boulevard des paresseux, les estaminets de pisse-lyres (...) pour le bonjour des simples.» Tu as bien fait de partir, Jo Maso, André Boniface, Jean-Michel Aguirre, Alain Paco ! «Nous sommes quelques-uns à croire sans preuve le bonheur possible avec toi. (...) Si les volcans changent peu de place, leur lave parcourt le grand vide du monde et lui apporte des vertus qui chantent dans ses plaies.»
La prose poétique de ce monument qu'est René Char, 1,92m, ancien deuxième-ligne dans l'Hérault, nous transperce comme un ballon porté. Un stade lui rend hommage, et c'est heureux, à Bédarieux, au cœur de ce triangle dessiné entre Montpellier, Castres et Béziers qu'on appelle pays d'Orb. Au milieu, nous y revenons toujours, coule une rivière. Constatons avec ce géant que notre automne est une agonie. Personnellement, je ne la trouve pas très affable.
René Char écrit dans Feuillets d'Hypnos dédiés gardien de but Albert Camus - la main, toujours : «On ne se bat bien que pour les causes qu'on modèle soi-même et avec lesquelles on se brûle en s'identifiant.» Ce à quoi Camus répond : «Ce que je sais de la morale, c'est au football que je le dois.» Char prolonge l'échange en précisant que «toute l'autorité, la tactique et l'ingéniosité ne remplacent pas une parcelle de conviction au service de la vérité.» Nous y voilà.
C'est bien de conviction dont manque cruellement ce XV de France de triste figure. L'atonie qui prévalait sous Philippe Saint-André est encore présente sous Guy Novès, la peur de mal faire en plus. Avouons-le, les joueurs appelés aujourd'hui n'ont aucun charisme : de Poirot à Spedding, en passant par Picamoles, ils suivent les consignes, apprennent mollement le cahier de jeu installé sur disque dur qu'ils récitent ensuite comme les élèves peu inspirés ânonnent des alexandrins trop longs pour leur respiration naturelle.
Il est bien fini le temps des légendes. Quel international français inspire notre élan et les générations à venir, refaçonne le mythe ovale ? J'ai beau chercher, je ne trouve pas. Ce XV de France est composé de soldats, pas de figures, de personnalités ni d'hommes aux couleurs vives. Olivier Margot, chantre et ami, publie justement chez Lattès un recueil de mémoires sauvées du vent (Le temps des légendes), déclarations d'amour à quelques champions croisés ou choyés - Jazy, Cerdan, Kopa, Mimoun, Anquetil, Ostermeyer, Killy - au milieu desquels s'élèvent regroupés Albaladejo, Boniface et Herrero.
Le rugby est âme collective. Sans elle point d'ancrage, de cap à tenir, de voyages effectués, de vie rêvée. Tout ce qui construit la différence entre une sélection et une équipe se trouve dans le lien tissé par les individus qui se comptent quinze, ou vingt-trois. On parle de projet de jeu mais seules quelques nations réussissent à l'exprimer au point de le rendre facile à observer. Ce n'est pas le cas des Français depuis plus de dix ans.
«Ne t'attarde pas à l'ornière des résultats», écrit le poète. Ils sont pourtant la conséquence de tout ce qui précède : confiance, plaisir, union, appropriation, liberté, charte, aspiration, inspiration, équilibre, harmonie, humilité, engagement, identité. Ce qu'on aime quand jouent l'Ecosse ou la Nouvelle-Zélande, par exemple. Ne nous attardons pas, donc. Tant que la nuit nous appartient, accélérons le pas sans nous retourner sur l'aurore qui tarde à se lever.
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