samedi 26 août 2023

A double tranchant ?

Après le résultat probant du XV de France face à l'Australie, dimanche (41-17) et puisque les observateurs invoquent la dimension historique de ce tour de chauffe après la défaite (35-7) qu'infligèrent les Springboks aux All Blacks vendredi à Twickenham et l'euphorie fidjienne sur cette même pelouse qui laissa les Anglais battus (22-30), aphones et inquiets, précisons que le Mondial a débuté quinze jours avant le coup d'envoi du match d'ouverture. Une première.

Angleterre, Nouvelle-Zélande... A l'occasion des matches de préparation - qui peuvent être aussi ceux de la déconstruction - nos meilleurs ennemis ont singulièrement perdu de leur superbe, un peu de leur jeu et surtout l'occasion d'enclencher la compétition avec cette confiance qui sied aux grandes équipes. J'écris "meilleurs ennemis" car depuis 1987, Néo-Zélandais et Anglais ont toujours été l'écueil contre lequel se sont brisées les illusions tricolores. Cette fois-ci, ils sont en plein bouillon, ballotés. Faut-il y voir un signe encourageant ?

Privée de son capitaine Owen Farrell pour affronter d'entrée l'Argentine dans une poule qui comprend aussi les Samoa, l'Angleterre est logée - comme la Nouvelle-Zélande - à l'hôtel des joueurs brisés, le staff kiwi devant pour sa part reconstruire une deuxième-ligne après le carton rouge récolté par Scott Barrett et l'absence de Brodie Retallick ; sans parler de la blessure au genou des piliers titulaires, Tyrel Lomax et de Ethan de Roodt.  

A contrario, les avants springboks ne souffrent pas d'un manque de puissance. C'est même à grands coups d'épaules qu'ils ont concassé leurs homologues, vendredi soir, et il fallait voir le visage des All Blacks au coup de sifflet final pour mesurer l'intensité des impacts. Fidèles à leur ADN, les Sud-Africains ont ajouté ces appogiatures au large et dans les intervalles qui les rendent actuellement irrésistibles, en tout cas idéalement placés pour un doublé mondial. 

Nos blogueurs ont du talent. "Pour une fois, tous d'accord pour expliquer qu'il n'y rien à dire, ce qui devrait quand même prendre un peu de temps !" lâche Jan Lou, habitué des lieux qui ne sont jamais communs. La déconfiture des Kiwis nous interroge, et il n'est pas avisé de s'en réjouir tant que n'aura pas été mesuré sur leur mental l'effet à double tranchant de cette large défaite face au grand rival. Les All Blacks ne perdent jamais longtemps leurs moyens et, même après s'être débarrassés sans coup férir de Wallabies courts sur pattes, les Tricolores s'attendent à une réplique de haute intensité dans deux semaines.

Sortira début novembre aux éditions Passiflore le recueil des meilleures chroniques de ce blog.

dimanche 16 juillet 2023

L'été en pente douce

 

Maintenant, on sait. Pour espérer remporter le dixième trophée Webb-Ellis dans deux mois, mieux vaut miser sur la conservation que sur la dépossession, jouer des appuis sur les "un contre un" pour éviter l'arrêt-buffet, aligner les temps de jeu pour rebattre la défense et poser le plus rarement possible le ballon au sol. Samedi 15 juillet face aux champions du monde sud-africain, les All Blacks ont donné le ton. Le jeu sera de mouvement ou ne sera pas, ou alors trop peu. Voilà le XV de France prévenu.
Qu'on s'entraîne à dompter la canicule à Monaco ou du côté de Seignosse, la préparation physique n'a jamais été l'unique clé du succès : elle n'est qu'une condition nécessaire. Ce qui importe c'est de savoir quel jeu elle doit servir. Et ce d'autant que les zones de ruck sont désormais dangereuses : le plaqué n'a pas la certitude de conserver son ballon et le plaqueur à l'interdiction de bouger le petit doigt, sans parler des soutiens offensifs et des gratteurs dont les positions au contact sont scrutées de très près par le corps arbitral. Mieux vaut rester debout, donc.
Match d'ouverture réussi ou pas, le XV de France passera le cut en quart de finale en affrontant la nation numéro un au classement World Rugby, à savoir l'Irlande, ou les Springboks, champions du monde en titre, écueils de taille. Avant de retrouver les All Blacks en finale si la logique sportive est respectée, ce qui est rarement le cas. Pourquoi s'inquiéter ? S'ils veulent entrer dans l'Histoire en étant les premiers Français à soulever le trophée Webb-Ellis, Antoine Dupont et sa bande doivent être capables de terrasser n'importe lequel des adversaires qui seront sur leur route. C'est aussi simple que ça.
Comme a été limpide le parcours des Bleuets lors du championnat du monde des moins de vingt ans disputé en Afrique du Sud. Douze, cinq et six essais plantés en phase de classement aux Gallois, aux Néo-Zélandais et aux Japonais, puis cinquante-deux points aux Anglais et cinquante aux Irlandais en finale. De la belle ouvrage. Gazzotti, Depoortère, Jauneau, Julien, Reus, Tuilagi, Nouchi, Costes, Ferté... : pas d'inquiétude, la relève est déjà prête. Et le meilleur joueur de la compétition, le troisième-ligne centre grenoblois Marko Gazzotti, s'est même permis de déclarer "source d'inspiration" ce titre mondial junior à l'usage de ses aînés qu'il sera très bientôt appelé à rejoindre...
Rendons hommage ici à Didier Retière qui décida, lorsqu'il était DTN, de supprimer le Pôle Espoirs de Marcoussis - vase-clos hebdomadaire des meilleurs jeunes au CNR - pour renvoyer l'élite juniors se former dans les clubs et s'aguerrir au contact de la Pro D2 et du Top 14. Vision gagnante, quoique décriée à l'époque. Champions du monde en 2018, 2019 et 2023 entre une longue période d'annulation pour cause de crise sanitaire, les Bleuets symbolisent l'excellence de la formation française. Reste maintenant à faire fructifier cette manne au plus haut niveau.
Trente-six ans d'attente, ça commence à suffire ! Toutes les nations majeures ont été au moins une fois sacrées. Serions-nous finalement plus cons que la moyenne ? Mis à part 2011 - et encore dans des conditions pour le moins baroques et après avoir été volé par l'arbitre -, jamais le XV de France n'a été en position d'être titré champion du monde, surclassé par la Nouvelle-Zélande en 1987 et éteint à petit feu par l'Australie en 1999. Que manque-t-il pour franchir ce dernier cap ? J'ai, comme vous, ma petite idée sur la question.
Est champion celui qui peut suivre sa stratégie de jeu qu'il pleuve ou qu'il vente, celui qui dispose d'assez de marge pour réduire à epsilon la part de l'arbitrage, celui qui envisage l'exploit comme un hochet pour les médias, celui qui considère la victoire comme le résultat et non comme une finalité, celui qui voit dans le tout quelque chose de supérieur à la somme des parties. Etre champion, au sens étymologique, c'est représenter le meilleur des autres.

Je pars écouter les oiseaux, bronzer à l'ombre, savourer quelques puros et m'abreuver de lectures. Bonnes vacances à vous. Reprise du blog juste après France-Australie, dernier match de préparation avant le Mondial.