lundi 5 septembre 2016

La gloire des tortues


Parti en vacances depuis longtemps et loin, voilà que vous revenez, parce qu'il le faut, et vous découvrez le classement du Glop 14 : premier Brive et son plus petit budget ; deuxième ex-aequo La Rochelle. Devant le champion de France. Bam ! Vous tombez le cul sur la chaise qui, fort heureusement, se trouve juste derrière vous, sans quoi vous finissiez comme Rorott Kockyx.

Bien sûr que ce n'est pas fait pour durer, que Toulon va virer Don Diego Dominguez - ce que je vous annonçais il y a peu - avant de repartir en haute mer, que le G 6 (G comme gros, gros le budget, gros l'effectif, grosse l'ambition, gros comme l'ego des présidents) va reprendre la main sur le haut du panier ; bien sûr que l'aventure brivo-rochelaise n'est qu'une passade d'été à l'ombre et dans l'herbe haute. Mais elle nous fait du bien.

Qu'on n'aille surtout pas remarquer que les Corréziano-Maritimes pratiquent l'étouffade solidaire : ils aèrent, développent, animent et relancent aussi. Certes, rien de tout cela ne pourrait déstabiliser l'adversaire s'il n'y avait ces chers fondamentaux sans lesquels le rugby (on parle du XV, hein ?) ne serait alors qu'un divertissement olympique. Mais ils ne s'y limitent pas, et c'est là où ils intéressent.

Brive et La Rochelle ont ceci de commun que leur modèle économique ne repose pas sur le grand mécénat, l'actionnariat majoritaire, le pouvoir présidentiel, le miroir médiatique, le recrutement tapageur, la délocalisation avantageuse, le dépassement masqué du salary cap. C'est même tout l'inverse et c'est sans doute ces raisons qu'ils interpellent une société ovale qu'on sent bien actuellement en recherche de repères.

Alors oui, Brivistes et Rochelais ont recommencé très tôt l'entraînement. Mais c'est aussi le cas de Grenoble et de quelques autres clubs qui se trouvent aujourd'hui en détresse. Attaquer la saison fin juin n'a jamais été une garantie de réussite en août et encore moins en septembre, il suffit pour s'en convaincre de regarder les précédents classements après trois journées.

Brive se motive pour fêter les vingt ans de son sacre européen quand La Rochelle attaque le coeur de son projet "élite" après s'être maintenu à flot. Mais pour trouver du sens à ce crime de lèse-majestés qui consiste à s'inviter au banquet des nantis quand il n'y a que six places autour de la table à gâteau, sans doute faut-il plonger plus profondément dans ce qui constitue l'âme de ces deux clubs.



Après l'épisode "Belle et Sébastien", l'équipe briviste a compris à ses dépends qu'il n'y a pas d'homme providentiel qui dure, et d'ailleurs la Corrèze hors rugby paye là aussi pour savoir. Les Rochelais, eux, ont su s'adapter et faire de leur enclavement une identité remarquable depuis la visite de Richelieu, point cardinal de leur histoire. "On n'expliquait pas le rugby avant, on ne va pas l'expliquer maintenant ; sinon, on va passer pour des cons !", grimage Patrice Collazo, le Long John Silver rochelais.

Citez le nom du président briviste ? Citez le principal sponsor rochelais ? Nous sommes là à rebours du courant dominant. Et il se pourrait que cette saison soit celle qui rééquilibrera peut être durablement les tendances. Oh, certes, en mai, les gros auront fait ce qui leur plait, à savoir se hisser en phase finale, mais je suis certain qu'il restera deux ou trois repoussés sur le perron, à regretter de n'être point partis à temps.

Voilà, c'est ça : Brive et La Rochelle sont les tortues d'Ovalie, une carapace sur le dos, beaucoup d'abnégation, de volonté, d'humilité ; pas glamour pour deux euros, un peu de gras sur le bide (n'est-ce pas Rico ?), les mains cagneuses, le poil dru joli thorax, et pas rasés avec ça. Rien pour faire la couverture d'un calendrier. Cela dit, elles s'en foutent bien, les tortues, au moment de prendre leurs distances dès l'ouverture de la saison.

On ne s'en lasserait pas tant c'est rafraichissant. On pense à notre Gariguette nationale (aka Sylvie). Dimanche midi, elle sait où se rendre. Nous serons avec elle en pensée, au Stade des Alpes croiser pour de vrai son idole Arnaud Méla qui affrontera (pas sûr qu'il joue, cela dit) ses protégés. Double parfum à savourer. Parce que le coup d'après, je monterai en première ligne, Brive recevant La Rochelle...

On rêve, non ? Exit Montpellier, Toulon, Toulouse, Bordeaux, Clermont et le Racing ; place aux forçats de la pelouse, aux oubliés des premières pages. Ce qui est en bas est en haut. Un monde à l'envers et c'est bon. Nous allons suivre cette ascension. Comme toute montée elle appelle une descente. On la souhaite aux Brivistes et aux Rochelais la plus tardive possible.

Quoi qu'il en soit par la suite, ces deux-là auront envoyé un message d'espoir à ceux qui triment en silence, qui œuvrent dans l'ombre, qui suent sans rien demander. Andy Warhol, qui aurait fait un bon troisième-ligne à l'image du talentueux Mr. Ripley, annonçait un quart d'heure de gloire à tous. Sans abuser, si on peut pousser l'éclairage pendant un mois, personne ici ne s'en plaindra.

jeudi 1 septembre 2016

Mens sana

Il arrive que père et mère se décident au dernier moment pour choisir le prénom de leur enfant. D'ailleurs, si vous avez l'occasion de prendre le Dernier train pour Busan, vous vivrez cet épisode assez mordant. Les nouveaux licenciés de rugby, ceux de la génération Trop 14, travailleurs immigrés recrutés par fax et sur vidéo, semblent avoir trouvé la solution.

Prénommer leur enfant du nom de la ville dans laquelle ils s'illustrent. Rochelle Botia, donc. Comme avant lui Brive Nepia - le neveu de l'immense George, celui dont un de ses coreligionnaires, arrière international, disait : "La question n'est pas de savoir qui est meilleur que lui mais plutôt qui mérite de lui lacer ses chaussures..."

J'aime vraiment beaucoup cette anecdote. Sa longue carrière terminée, - il jouait encore en championnat des provinces de Nouvelle-Zélande à 35 ans - Nepia s'est tourné vers l'arbitrage. Puis, l'âge aidant - il devait bien avoir cinquante-cinq ans -, là-aussi arriva le moment de mettre fin aux coups de sifflets en short dans la boue - il pleut souvent en Nouvelle-Zélande et à cette époque les terrains, d'anciens champs de ferme, étaient gras.

A la fin d'un match disputé entre Hawke's Bay (là où Big Ben Tameifuna a appris le rugby, soit dit en passant) et je ne sais plus quelle équipe (j'ai la flemme d'aller chercher son nom dans un des livres qui meublent les murs de mon bureau au sous-sol), l'arrière de l'équipe visiteuse qui venait de marquer un essai s'approcha de l'arbitre, natif de la région, et lui demanda en guise d'hommage et de cadeau de retraite s'il voulait bien tenter la transformation. Ce qu'il fit, sous l'ovation du public. C'était George Nepia. Et Bob Scott (arrière d'Auckland, ça y est j'ai retrouvé), un genou à terre, lui tenait le ballon.

J'attends donc comme vous avec impatience la naissance d'Oyonnax Weepu, de Robinson Williams, Grenoble Jackman, Bayonne du Plessis, aussi de Loup Pienaar (vous voyez, on en revient toujours à Montpellier). Pour Paris, c'est déjà fait même si je doute qu'on jouait au rugby à Troie. A l'époque, cela dit, c'était déjà du recrutement sauvage et le match s'éternisa, jusqu'à ce ballon porté des Grecs dans le côté fermé bien au-delà des arrêts de jeu...

En 1962 est né en Nouvelle-Zélande au sein de la famille Miller un petit André Boniface, soit après le passage de la tournée tricolore, sans doute en souvenir ému des cadrages-débordements du Montois. Depuis c'est tout, à ma connaissance (Matthieu me parle d'un Maso en Afrique du sud). Ah, les Néo-Zélandais, ! Outre qu'ils dominent le rugby mondial sur le terrain, en coulisses et sur tapis vert, ils ont la plus drôle des histoires de prénom. Vous la voulez ?

En aidant mon ami Antoine Aymond à rédiger une des légendes de son prochain ouvrage - Nemer Habib est lui aussi dans le coup - qui racontera en octobre et par le menu les plus beaux tests-matches de l'histoire de ce jeu qui nous relie, je suis tombé sur un deuxième-ligne All Black, Tori Reid. Pour les Maoris, il est considéré, avec Tiny Hill, comme le plus grand à ce poste.

A Tokomaru Bay, sur la pointe est de l'île du nord, minuscule port coincé entre deux montages, ses parents, une fois devant le registre des naissances, cherchèrent dans l'urgence un prénom. Ne trouvant rien, ils se souvinrent du dispensaire où madame Reid venait d'accoucher. Tori Reid, car c'est de lui dont il s'agit (de la tribu des Ngati Porou, comme Nepia), a fait ensuite une immense carrière à Hawke's Bay et chez les All Blacks. Sans pour autant atteindre la notoriété du grand George. Tori, donc. Contraction de Sana Torium.
 
Si l'on considère que le rugby contemporain a pris naissance dans les salles de musculation à remarquer l'épaisseur des biceps, la configuration des pectoraux et le découpé des abdominaux de nos licenciés du Glop 14 dont la besogne consentie pour accoucher de matches au forceps semble ne plus forcer notre admiration, quel prénom donneriez-vous à un enfant né sous fonte ?