Parti en vacances depuis longtemps et loin, voilà que vous revenez, parce qu'il le faut, et vous découvrez le classement du Glop 14 : premier Brive et son plus petit budget ; deuxième ex-aequo La Rochelle. Devant le champion de France. Bam ! Vous tombez le cul sur la chaise qui, fort heureusement, se trouve juste derrière vous, sans quoi vous finissiez comme Rorott Kockyx. Bien sûr que ce n'est pas fait pour durer, que Toulon va virer Don Diego Dominguez - ce que je vous annonçais il y a peu - avant de repartir en haute mer, que le G 6 (G comme gros, gros le budget, gros l'effectif, grosse l'ambition, gros comme l'ego des présidents) va reprendre la main sur le haut du panier ; bien sûr que l'aventure brivo-rochelaise n'est qu'une passade d'été à l'ombre et dans l'herbe haute. Mais elle nous fait du bien.
Qu'on n'aille surtout pas remarquer que les Corréziano-Maritimes pratiquent l'étouffade solidaire : ils aèrent, développent, animent et relancent aussi. Certes, rien de tout cela ne pourrait déstabiliser l'adversaire s'il n'y avait ces chers fondamentaux sans lesquels le rugby (on parle du XV, hein ?) ne serait alors qu'un divertissement olympique. Mais ils ne s'y limitent pas, et c'est là où ils intéressent.
Brive et La Rochelle ont ceci de commun que leur modèle économique ne repose pas sur le grand mécénat, l'actionnariat majoritaire, le pouvoir présidentiel, le miroir médiatique, le recrutement tapageur, la délocalisation avantageuse, le dépassement masqué du salary cap. C'est même tout l'inverse et c'est sans doute ces raisons qu'ils interpellent une société ovale qu'on sent bien actuellement en recherche de repères.
Alors oui, Brivistes et Rochelais ont recommencé très tôt l'entraînement. Mais c'est aussi le cas de Grenoble et de quelques autres clubs qui se trouvent aujourd'hui en détresse. Attaquer la saison fin juin n'a jamais été une garantie de réussite en août et encore moins en septembre, il suffit pour s'en convaincre de regarder les précédents classements après trois journées.
Brive se motive pour fêter les vingt ans de son sacre européen quand La Rochelle attaque le coeur de son projet "élite" après s'être maintenu à flot. Mais pour trouver du sens à ce crime de lèse-majestés qui consiste à s'inviter au banquet des nantis quand il n'y a que six places autour de la table à gâteau, sans doute faut-il plonger plus profondément dans ce qui constitue l'âme de ces deux clubs.
Après l'épisode "Belle et Sébastien", l'équipe briviste a compris à ses dépends qu'il n'y a pas d'homme providentiel qui dure, et d'ailleurs la Corrèze hors rugby paye là aussi pour savoir. Les Rochelais, eux, ont su s'adapter et faire de leur enclavement une identité remarquable depuis la visite de Richelieu, point cardinal de leur histoire. "On n'expliquait pas le rugby avant, on ne va pas l'expliquer maintenant ; sinon, on va passer pour des cons !", grimage Patrice Collazo, le Long John Silver rochelais.
Citez le nom du président briviste ? Citez le principal sponsor rochelais ? Nous sommes là à rebours du courant dominant. Et il se pourrait que cette saison soit celle qui rééquilibrera peut être durablement les tendances. Oh, certes, en mai, les gros auront fait ce qui leur plait, à savoir se hisser en phase finale, mais je suis certain qu'il restera deux ou trois repoussés sur le perron, à regretter de n'être point partis à temps.
Voilà, c'est ça : Brive et La Rochelle sont les tortues d'Ovalie, une carapace sur le dos, beaucoup d'abnégation, de volonté, d'humilité ; pas glamour pour deux euros, un peu de gras sur le bide (n'est-ce pas Rico ?), les mains cagneuses, le poil dru joli thorax, et pas rasés avec ça. Rien pour faire la couverture d'un calendrier. Cela dit, elles s'en foutent bien, les tortues, au moment de prendre leurs distances dès l'ouverture de la saison.
On ne s'en lasserait pas tant c'est rafraichissant. On pense à notre Gariguette nationale (aka Sylvie). Dimanche midi, elle sait où se rendre. Nous serons avec elle en pensée, au Stade des Alpes croiser pour de vrai son idole Arnaud Méla qui affrontera (pas sûr qu'il joue, cela dit) ses protégés. Double parfum à savourer. Parce que le coup d'après, je monterai en première ligne, Brive recevant La Rochelle...
On rêve, non ? Exit Montpellier, Toulon, Toulouse, Bordeaux, Clermont et le Racing ; place aux forçats de la pelouse, aux oubliés des premières pages. Ce qui est en bas est en haut. Un monde à l'envers et c'est bon. Nous allons suivre cette ascension. Comme toute montée elle appelle une descente. On la souhaite aux Brivistes et aux Rochelais la plus tardive possible.
Quoi qu'il en soit par la suite, ces deux-là auront envoyé un message d'espoir à ceux qui triment en silence, qui œuvrent dans l'ombre, qui suent sans rien demander. Andy Warhol, qui aurait fait un bon troisième-ligne à l'image du talentueux Mr. Ripley, annonçait un quart d'heure de gloire à tous. Sans abuser, si on peut pousser l'éclairage pendant un mois, personne ici ne s'en plaindra.