lundi 14 novembre 2016

Casse du siècle

 Le tribut payé samedi soir à Toulouse aux Samoans lestés de plus de cinquante points est lourd. Jefferson Poirot épaule déboitée, Kevin Gourdon jambe amochée, Loann Goujon crête iliaque touchée, François Trinh-Duc radius fracturé… Après avoir été si dangereux qu’il en fut interdit sous la forme de Soule par Philippe V au début du XIVe siècle, le rugby était devenu une discipline sportive de contact (s). Depuis dix ans, il a accédé au rang de sport de collisions. Le groupe France, pourtant bien préparé physiquement durant deux semaines de mise au bleu, s’en est aperçu à ses dépens.


Il est si exigeant, ce rugby d’élite, que le staff australien, dans sa grande prudence, a décidé d’appeler d’Australie cette semaine huit joueurs en renforts. Soit une moitié d’équipe. Dont l’énorme ailier des Waratahs, Taqela Naiyaravoro et ses cent vingt-trois kilos. Ce qui monte le contingent aussie à quarante joueurs au motif que les Wallabies devront disputer quatre rencontres en deux semaines, cadence infernale particulièrement dangereuse qui profite à qui ? A quoi ? Aux fédérations, aux sponsors ? Sans doute pas à la santé des sélectionnés.


En faisant du «un contre un» le parangon du jeu contemporain, les techniciens inspirés du rugby à XIII ont incité leurs joueurs à défier frontalement leur adversaire plutôt que de viser ou de créer des intervalles dans lesquels s’engouffrer. Percuter c’est souffrir et faire souffrir. Mais surtout utiliser son corps, que l’on soit ailier, arrière, centre, voire même ouvreur, comme une arme de destruction massive sur la ligne d’avantage, à casser très vite. C’est éprouvant pour tout le monde, attaquant, défenseur.


Soumis à la dictature de la percussion, l’attaquant qui ne s’échappe pas est ainsi découpé en deux, un plaquage en haut, un autre en bas et son corps tordu. En préconisant cet arrêt à deux lames, les coaches ont trouvé la meilleure façon de briser un élan en empêchant le porteur de la balle de la passer dans la défense, arme fatale. La première illustration remonte à 2007, quart de finale historique et mémorable à Cardiff.


Alors, dans ces conditions, considérant le rôle du choc dans la clarification du jeu, l’importance du télescopage dans l’ivresse technique, la part de la charge dans l’élaboration tactique, et jusqu’à l’influence dans le coaching de l’«impact player» - l’expression distille assez de sens, difficile de s’étonner que l’effectif le plus conséquent pointe à l’infirmerie et que le principal sponsor des clubs professionnels et semi-professionnels se trouve être à son corps défendant la Sécurité Sociale, bonne fille de la République des reîtres.


Certains d’entre vous ont prolongé d’un petit commentaire amical et touchant le reportage publié dans L’Equipe du vendredi 11 novembre sur les traces et les racines de Scott Spedding. Je prolonge à mon tour ce lien en partageant avec vous le sms que m’a envoyé dimanche Yolanda Zafi, responsable du foyer d’hébergement pour enfants abandonnés, Footprint’s, situé non loin de Lansaria, au nord de Johannesburg.


«Les enfants aiment regarder Scott jouer. Ils aiment la France à travers lui. Ils ne considèrent pas Scott comme un Sud-Africain, en tout cas ils ne le voient pas comme tel, et ils sont supporteurs de l’équipe de France. Ils disent que son pays, c’est la France. Les soirs de match, c’est vraiment très amusant de les regarder l’encourager devant la télévision….» Des enfants abrités, nourris et chauffés grâce à la générosité de Scott, leur mentor, leur idole, «leur ami», assure Yolanda; un discret dont la générosité a permis d'acheter un système thermique d’eau chaude avec des panneaux solaires.


Solaire. Voici bien le mot qui convient pour conclure une belle action. De celles aussi initiées, samedi en face de Drouot, à Paris, par notre ancien confrère et ami Serge Laget, vente aux enchères caritative d'objets ovales en faveur de la lutte contre la maladie de Lyme et en direction de Jean-Paul Rey qui se bat comme un lion aux pieds des Pyrénées. Donner n'est pas céder.

lundi 7 novembre 2016

Verts de contact

Ainsi, tout est possible. Comme vaincre les All Blacks en leur infligeant quarante points. Les terrasser à Chicago. Sans Brian O'Driscoll ni Paul O'Connell. Tout est possible, donc. Comme diffuser ce test-match de tous les superlatifs sur la chaîne d'un opérateur téléphonique. Pour 3 000 téléspectateurs, me dit-on. Et cependant enregistrer une secousse tellurique de 10 sur l'échelle de Ritchie.
 
Tout, ou presque, a été dit sur ce succès historique, plus d'un siècle d'attente et vingt-huit tentatives infructueuses. Le 6 novembre 2016 s'inscrit en lettres vertes sur fond noir de Guinness comme le 14 juillet 1979 à l'Eden Park. Restera néanmoins aux Irlandais à faire chuter les All Blacks un 17 mars, comme l'ont fait les Tricolores de Jean-Pierre Rives, jour de fête nationale, Bastille Day.
 
Frappant, samedi, que les All Blacks s'affichent sans deuxième-ligne. Au pays qui a fait de Colin Meads sa figure tutélaire, cette légèreté parait coupable. Enfermer Jérôme Kaino dans la cage, c'est bon pour le Racing 92 qui monte Bernard Le Roux d'un cran pour du Top 14, ou pour Philippe Saint-André qui l'a essayé à ce poste trois fois remplaçant en équipe de France puis titulaire contre la Roumanie. Mais les All Blacks, s'avancer sans deuxièmes-lignes de métier, associer Kaino et Tuipulotu, sans rire ?

La réalité est donc plus terrible qu'on ne le croit. Les doubles champions du monde se permettent de s'amuser en test international, de participer à une rencontre de gala pour la promotion du rugby aux Amériques sans se soucier du résultat, de mettre fin à une série de victoires consécutives, dix-huit, sans y attacher la moindre importance. Pour tout cela c'est bien le 19 novembre à Dublin que l'on se fera une idée plus précise de l'amplitude du fiasco, ou pas, de Chicago.

On ne badine pas avec la composition d'un cinq de devant. Sans Brodie Rettalick ni Sam Whitelock, les All Blacks ont visiblement perdu leur assise, leur dureté, leur puissance, leur impact, leur dimension. Quelle équipe peut se permettre de jouer sans ses deuxièmes-lignes titulaires ? Et quel signal envoie-t-elle ? Gary Whetton et Ian Jones ont dû tousser, et je crois bien qu'ils ont encore mal à la gorge... Hissez haut la poutre maîtresse, charpentiers !

Alors oui, les All Blacks ont perdu. Ils ne gagnent pas toujours. Fort heureusement. Il faut les priver de ballons en touche, les plaquer à deux, les empêcher de négocier des passes au et après contact, les impacter à chaque collision, batailler au sol, marquer à chaque occasion, pousser toutes les mêlées, les défier sur des angles de courses à géométrie variable. Ce qu'avaient fait les Tricolores de Thierry Dusautoir en 2007 à Cardiff, en 2009 à Dunedin. Et aussi à l'Eden Park en 2011, échouant à deux points du titre mondial.

Les recettes sont connues. Encore faut-il affronter une équipe aussi démobilisée qu'expérimentale, comme ce fut le cas dimanche à Chicago pour y parvenir en inscrivant quarante points. Je veux bien que dans le rugby contemporain des temps de jeu multipliés, de l'essai à cinq points et des arbitres enclins à siffler la moindre pénalité en faveur de buteurs métronomiques, le tableau d'affichage s'épaississe rapidement mais quand même, quarante points...

De tous temps, le principe immuable des entraîneurs néo-zélandais consistait à aligner la meilleure équipe all black possible, à charge pour les remplaçants de montrer qu'ils étaient meilleurs que les titulaires. C'est comme cela que Zinzan Brooke a fait longtemps banquette quand Wayne Shelford portait le numéro huit. Il semble que la philosophie de Steve Hansen soit différente de celle de ses prédécesseurs : il n'hésite pas à lancer des gamins au milieu des adultes.

L'objectif des All Blacks n'est pas d'arriver au Mondial avec un record de quarante tests sans défaites mais bien d'accrocher un troisième titre mondial d'affilée et pour cela tester quarante internationaux quitte à en prendre quarante, de points, en puisant dans un vivier pour verrouiller une génération qui n'ira pas représenter les Samoa, les Fidji ou les Tonga. Voyez, j'explore toutes les pistes parce que cette défaite à Chicago m'interroge. Par son amplitude, son contenu, son contexte.

Qui aurait parié sur un tel résultat ? Pas moi, en tout cas. J'ai même encore un peu de mal à me le figurer. Au moment où les tests de novembre commencent sur le sol britannique par le succès facile des Australiens à Cardiff, je me demande bien de quoi augure, au Soldier Field, cette incroyable et large victoire irlandaise sur la plus grande équipe de tous les temps ovales...

Nous voilà en bout de ligne. Belle action : nous sommes quelques uns, Cormier, Lalanne, Dolet, Bonnot, Artigas, Redon, Montaignac, Garcia, mais aussi Albaladejo, Mias, Maso, Mesnel, Debet, Serrière, et j'en oublie, à soutenir notre confrère et ami Jean-Paul Rey qui lutte contre la maladie de Lyme par une vente aux enchères caritative. Elle se tiendra ce samedi 12 novembre, salle VV, 3 rue Rossini, Paris 9ème, à partir de 20h. En face de Drouot. Maître Vermot sera au marteau. Vous avez la possibilité de participer sur le net en vous inscrivant à www.vermotetassocies.com.