mardi 14 novembre 2017

Rongé au mythe

Une Marseillaise monte dans la nuit de Saint-Denis, des drapeaux tricolores volent dans le vent sibérien venu de la plaine pour envelopper trois essais : accepté, refusé et de pénalité. Puis quitter le Stade de France sans être transformé, partir comme on est venu, ni subjugué, ni transporté ni même rempli. Peut-être un peu gonflé. Il n'y a qu'un compte-rendu à écrire. Pas de récit.

Il nous manque un pilier droit qui ne serait pas cartonné, une touche d'élévation dans l'alignement, du rôle dans le ruck et une ouverture symphonique. Il nous manque, ô mon capitaine, un leader majuscule qui saurait mettre du baume sur les mots. Sans doute aussi une partition qui éviterait de trop faire sonner les percussions. Nous sommes d'accord.

Après tout qu'importe le score quand on a l'ivresse. Car ce qui fait le plus défaut au rugby français ce n'est pas un titre mondial mais bien une épopée épique qu'on moulerait dans la gothique, une histoire bien illustrée à se transmettre sur un pas, une chanson de geste pour lier l'obus et l'aigu, le pré et le large, celui qu'on croyait frêle et celui qui n'y croyait pas.

Bordeaux, Saint-Denis, Lyon, Nanterre... Nous traverserons l'automne en novembre sans avoir vibré autrement qu'en découvrant ces petits Barbarians se livrer sans retenue dans le sillage vintage d'Aurélien Rougerie, perçant au centre et s'envoyant comme à ses plus belles heures, je veux parler d'un certain soir de finale à Auckland. C'était en 2011. Déjà si loin.

Je n'ai pas l'impression que nous ayons beaucoup vibré depuis l'essai de Thierry Dusautoir au pied des poteaux de l'Eden Park. Six ans d'une traversée du désert, de Marc Lièvremont à Guy Novès en passant par Philippe Saint-André. Aucune remède au bleu pâle. De courtes victoires en lourdes défaites, les test-matches s'enchaînent sans être reliés à un dessein unique qui ferait sens.

Esprits chagrins et chroniqueurs critiques se gaussent depuis une décennie du French Flair. Peut-on leur donner tort ? Pour autant l'abandon de ce qui était encore craint par nos adversaire entre 1994 et 2009 - pour ne parler que de la période récente qui va de Thomas Castaignède à Cédric Heymans - signale la fin d'un savoir-faire, d'une marque, d'un label. Aussi d'une exigence autant que d'une lignée.

Ce récit, j'ai essayé de le tracer et de le transmettre pendant plus de trente ans, de le mettre en musique tout au long d'une rangée de livres. Voilà qu'ils moisissent maintenant dans ma cave entre une caisse de Château La Lagune 2000 et des maillots en épais coton. L'âge, sans doute. Mais je n'ai plus envie d'écrire d'ouvrages sur le XV de France. Il ne m'inspire plus.

Il suffirait pourtant que Teddy Thomas ou Gabriel Lacroix continuent de déborder, qu'Antoine Dupont, Baptiste Couilloud et Sekou Macalou percent encore pour qu'une étincelle jaillisse d'un brandon qu'on croyait éteint. Mais aucun retour de flamme n'a jamais alimenté durablement un feu de joie. Il faut davantage que des sursauts, des réactions d'orgueil et d'amour-propre, des engueulades à la mi-temps dans le vestiaire pour reconstruire un identité.

Coupe du monde 2023 ou pas, Novès, Galthié ou Tartempion, le rugby français a d'abord besoin d'être régénéré. Vous avez entendu le coup de gueule de Rougerie à l'issue de la victoire des Barbarians français sur les Maori All Blacks ? «Faites-les jouer !» Il s'adressait aux clubs de Top 14 en parlant des jeunes talents qui l'entouraient. De quoi nous mettre l'alarme à l'œil.

Mais les faire jouer à quoi ? Au concours de démonte défense ? Le XV de France manque d'essence et d'idées. Aveuglé, il n'a pas de projet, malgré ce qu'on entend à longueur de conférences de stress, et ce n'est pas un cahier de combinaisons enregistré sur le disque dur des ordinateurs de la Résidence à Marcoussis qui lui redonnera corps et âme.

La seule question qui vaille désormais dans le marasme dans lequel s'enlise le rugby de France, c'est le pourquoi?. Pourquoi je joue au rugby et pourquoi suis-je sélectionné en équipe nationale ? Quel sens je donne à mon investissement personnel ? Comment puis-je, grâce à ce formidable levier qu'est le rugby, devenir une meilleure personne ?

Cent chantiers s'ouvriraient pour relancer un jeu «à la française». Tous les jours chaque joueur consentira ne serait-ce qu'à améliorer de 1% chacune des composantes de sa performance individuelle, chaque entraîneur 1% de son management et de son rôle d'éducateur, chaque dirigeant 1% du contenu de ses tâches administratives, marketing et stratégiques.

Les All Blacks, littéralement tombés dans le caniveau en 2004, sont parvenus à se réinventer, s'enfermant à huit (dont Henry, Hansen, Smith, Umaga, McCaw et Lochore) pendant trois jours à Wellington pour repartir d'une page presque blanche. Sont sortis de leur brain storming le Kapa O Pango, de nouveaux commandements, une charte éthique, des rituels fédérateurs, un cadre de vie et un management participatif qu'ils questionnent et font évoluer chaque saison.

Homère propose des dieux et des mythes, des métaphores et des symboles, des aspirations et des tâches. Un récit double propre à forger notre imagination mais aussi notre âme humaine. D'autres auteurs ont ensuite creusé cette veine pour nous laisser en héritage douze travaux. Il n'est pas anodin que l'un d'eux consiste à nettoyer les écuries d'Augias.

mercredi 8 novembre 2017

Haere whakamua

Davantage que l'Angleterre - c'est un défi viscéral surnommé The Crunch - ou que l'Afrique du Sud - longtemps aux antipodes de nos canons, c'est face à la Nouvelle-Zélande que le XV de France passe de plus en plus régulièrement son test de solidité. Et nous sommes tous à la fois inquiets et intrigués avant l'annonce du résultat.

Samedi soir, nous saurons donc si la chute de la maison bleue s'intensifie, si nous amorçons un redressement notable, ou si les All Blacks en fin de saison n'apprécient pas le froid sibérien de la plaine Saint-Denis au point de lâcher une rencontre internationale. Ce dont ils ne sont pas coutumiers, il faut bien l'avouer.

Cette chronique de transition nous permet d'attendre au chaud le bilan des trois rencontres organisées sur quatre jours par la FFR. Soixante-neuf joueurs sont de la revue, certains d'entre eux ayant regagné leurs pénates depuis longtemps sur blessures, preuve que notre jeunesse pratique la dissimulation, celle des microtraumatismes de toutes sortes.

Depuis 1999, les anciens joueurs, les dirigeants et les leaders de jeu néo-zélandais n'ont eu de cesse d'améliorer leurs outils. De John Kirwan à Richie McCaw, quatre générations successives de All Blacks ont cogité pour reconnecter tactique, stratégie, physique, mental mais aussi culture et management. Tout a été refondu puis écrit. Noir sur blanc.

Tout y compris le haka, celui d'une tribu maori ayant été supplanté par une nouvelle version inventée de toute pièces par les joueurs eux-mêmes pour s'approprier le mythe dont ils sont les garants et les messagers. Ca vous en dit beaucoup sur leur investissement. On dépasse là le simple cadre du jeu de balle ovale pour aller vers une quête de sens.

Il arrive aux All Blacks de ne pas gagner des matches. Une fois toutes les dix rencontres. Mais ils ne perdent pas au jeu. Chaque échec est l'occasion pour eux d'avancer vers l'excellence. Il suffit de voir comment ils ont renouvelé leurs formes de jeu et engagé une nouvelle génération après avoir concédé une défaite à Wellington face aux Lions britanniques et irlandais.

Notre histoire récente et la leur sont intimement liées. Depuis la demi-finale de Coupe du monde 1999, d'ailleurs, et l'humiliation de Twickenham. Puis en  2007 à Cardiff, en quart de finale. Deux brasiers qui furent mis à profit pour brûler de vieilles certitudes et renforcer la conviction que - c'est Wilson Whineray qui l'affirmait à François Moncla dès 1961 - les grandes équipes ne meurent jamais.

Avons-nous la charité de croire que le XV de France qui dépérit sur son lit d'hôpital depuis 2012 va pouvoir se lever et marcher ? La naïveté d'imaginer Gabrillagues, Cancoriet, Dupont, Belleau et Doumayrou, lancés par obligation fédérale et injonction du président Laporte quoi qu'on en dise, ré-enchanter une triste réalité qui nous abime depuis maintenant six ans ?

Va de l'avant. Tel est le titre de cette chronique. C'est un des mantras des All Blacks. Pratiquer ce sport fait de solidarité, de dureté mentale, de sacrifices et d'intelligence, et pas seulement au plus haut niveau, c'est se définir en tant qu'être. Le match de Saint-Denis n'est pas simplement une rencontre internationale entre une nation double championne du monde et un XV de France constitué par hasard et nécessité. Non, c'est  un test de caractère.