Découvrant, adolescent, l'existence d'un courant artistique, le Dadaïsme, représenté par Max Ernst, Jean Arp, Man Ray, Francis Picabia, Marcel Duchamp et Tristan Tzara, mon regard sur l'art et surtout sur l'existence s'en est trouvé immédiatement aiguisé. Ainsi donc, il était possible de jouer décalé, hors des conservatoires, des règles classiques, des conventions. A la même époque, après avoir fait swinguer en version In the mood la sonate Au clair de lune de Beethoven, je quittais les romantiques (Schubert, Schumann, Chopin) pour me diriger vers le jazz.
Dans les années folles du siècle dernier, les Dadas - on appréciera l'allusion d'Henri Salvador - privilégiaient le présent sybarite plutôt que le progrès technologique. J'ai tout de suite aimé ces râleurs, ces coupeurs de beauté en quatre, leur dérision, leur liberté d'expression, tout ce qu'il pouvait y avoir d'hétéroclite autour d'eux. S'ils inspirèrent les Surréalistes, vis-à-vis de ces iconoclastes rafraichissants notre dette est grande, et pas seulement dans le domaine de l'art mais surtout dans celui de la jouissance au monde.
Rien n'est donc inattaquable, tout peux être questionné voire déconstruit. Les neurosciences sont désormais convoquées dans la préparation au meilleur du rugby, et les connexions neuromusculaires déclenchées par l'état de fatigue maximale et d'extrême pression pourraient donc assurer une amélioration corticale susceptible de préparer les joueurs à l'expression de ce jeu épanoui, résolument contemporain et spectaculaire que nous attendons, en France, depuis dix saisons.
En 1919, profitant de la mobilisation des troupes, les sélectionneurs tricolores avaient réunis l'élite rugbystique à Joinville, l'ailier Adolphe Jauréguy se chargeant au quoditien de la condition physique et le centre René Crabos de l'approche tactique au tableau noir, histoire d'attaquer le Tournoi des Cinq Nations l'année suivante sans complexe, première révolution qui permit au XV de France de remporter la première victoire à l'extérieur (Dublin) de son histoire tout en posant les bases d'un rugby d'attaque qui allait faire florès.
Douze ans plus tard et une semaine avant d'affronter l'Angleterre à Colombes, le XV de France, bravant toutes les conventions et le règlement de l'International Board en matière d'amateurisme, se retrouva à Quillan, épicentre du rugby professionnel - le chapelier Bourel payait ses joueurs pour qu'ils assurent en marge des matches la promotion de ses produits - pour se préparer. Le résultat fut désastreux : motivés à l'extrême, les Tricolores livrèrent une performance située au-delà des règles de bienséance, une sorte de boucherie ovale qui leur valut l'exclusion du Tournoi.
L'intensité, maître mot. Et si possible augmentée. On le sait - pas besoin d'être data scientist et de s'abreuver d'anglicisme type ball en play pour faire branché - le niveau général du XV de France se situe en dessous des normes internationales, que ce soit pour la précision technique, la maîtrise tactique, la dureté mentale et la condition physique. Depuis deux semaines, Fabien Galthié et son équipe de séquenceurs alignent les surcharges de travail "pour que tout soit ensuite plus facile en match", assurent-ils, en auscultant les données.
Affronter l'Angleterre en match d'ouverture, le dimanche 2 février, est déjà un sérieux écueil en soi. Les revanchards du Mondial japonais sont remontés comme quinze Big Ben et, sans faire de bruit, se préparent sur fond de grève des Saracens pour être à l'heure au rendez-vous fixé. Ils n'auront pas besoin, si j'en crois mes sources anglaises, de GPS pour trouver à Saint-Denis l'emplacement prévu pour garer leur gros camions blancs et tout donner.