La vieille année s'en va, vive 2025, donc. Le temps s'écoule et ce n'est souvent qu'au moment où il atteint sa butée que nous percevons la vitesse à laquelle il file et, surtout, nous glisse entre les doigts. Quel est donc, à ce titre, le chemin parcouru par le rugby depuis qu'il a quitté sa gangue amateur en 1995 ? Trente ans, déjà. Est-ce un autre jeu ? Sans aucun doute. L'activité économique qu'il génère a-t-elle dépassé la pratique sportive ? On peut sincèrement en douter quand se mesure en dizaines de millions d'euros le déficit financier qui plombe son bilan.
mardi 31 décembre 2024
2025 : que le jeu demeure
dimanche 22 décembre 2024
Cantilènes de Noël
Voici quelques cadeaux à déposer autour du sapin en cette période de fêtes de fin d'année pour jouer au "Qui a dit ça ?", en attendant de nous retrouver en 2025 avec les idées fraîches et sans doute une nouvelle version de ce blog, qui a besoin de se réinventer. Depuis le temps que j'en parle, ça va arriver. Mais n'anticipons pas : jouez, jouez, comme dirait Pierre Villepreux.
1- C'est un joueur de la première ligne. "Avec l'équipe de France, j'étais parti à Bucarest pour affronter la Roumanie. Dans l'hôtel où nous étions logés, je faisais chambre commune avec Robert Paparemborde. Le matin, veille du match, il s'était levé fiévreux et soudain, j'entends des insultes en béarnais. Je vais voir ce qui se passe et je le vois dans la salle de bains se rincer la bouche en gueulant. Quant il a pu parler, il m'a dit : C'est le dentifrice ! J'ai pris le tube d'Akileïne (crème à base d'arnica pour le soin des pieds) ! J'ai bien ri, ce matin-là..."
2- C'est un trois-quarts aile. "En 1991, Jean-Baptiste Lafond avait pris des somnifères. Il n’arrivait pas à dormir, la veille du match à Twickenham. Le médecin de l’équipe de France lui avait prescrit un demi-comprimé et lui en avait avalé deux d’un coup. Le matin, je n’arrivais plus à le réveiller. Il avait loupé le petit-déjeuner et, à onze heures, on est arrivé en retard au briefing d’avant-match. Sur le terrain, il avait pris un cadrage-débord’ et m’avait lancé en plein match avec son accent de titi parisien : « Avec le courant d’air que je viens de prendre, ça y est, je suis réveillé… »
3- C'est un talonneur. "Mon meilleur souvenir, c'est un mercredi soir de novembre 1987, quand mes entraîneurs, Jean-Philippe Carriat et Jacques Berland, m'ont annoncé que j'étais titulaire en équipe première d'Angoulême. J'étais junior et je jouais troisième-ligne aile. C'était face à Bagnères-de-Bigorre, au stade Chanzy. J'y pense tout le temps. Je me suis dit ce jour-là : j'ai commencé le rugby à neuf ans, jouer en première avec Angoulême, c'est le seul objectif que je me suis fixé, je peux arrêter ma carrière, maintenant..."
4- C'est un troisième-ligne aile. "Notre plaisir, c'était de prendre le bus la veille du match pour effectuer de longs voyages, vers Aurillac, Clermont, Bourg-en-Bresse, Le Creusot, Grenoble... Chacun apportait des victuailles et on mangeait pendant qu'on roulait. On ne voulait pas aller au restaurant. Je me souviens d'un déplacement à Tulle où le main du match, j'étais allé cueillir des champignons. Je n'avais pas vu l'heure passer et l'équipe avait quasiment fini le repas de midi quand je suis revenu à l'hôtel avec un cageot de cèpes. Mais personne ne m'a engueulé. C'était un autre rugby."
5- C'est un arrière. " Lors de la finale de 1983, contre Nice, le public envahit le terrain. Nos supporteurs déferlent alors comme une vague, avec des gourdes, des trompettes, des drapeaux… L’arbitre arrête le jeu. Armand Vaquerin est à trois mètres de moi. Un supporteur passe en courant, une gourde à la main. Armand l’attrape par le col et lui lance, avec son accent inimitable : « J’ai soif ! » Vous imaginez bien qu’il n’y avait pas d’eau, dans cette gourde… Et voilà Armand qui boit une grande gorgée de vin, à la régalade. Mais il restait dix minutes à jouer (rires). Et pendant ces dix dernières minutes, il a été extraordinaire… »
6- C'est un demi d'ouverture. " En 2003, à Toulouse, en période d’halloween, après un match, la connerie nous prend et on décide de faire une soirée déguisée. Jean-Baptiste Elissalde arrive maquillé en femme et monte direct au club-house. Son déguisement était tellement réussi que le président René Bouscatel ne l’a pas reconnu et s’est mis à le draguer… On est ensuite allés dans un bar. Nicolas Jeanjean et Jean Bouilhou étaient eux aussi déguisés en femmes : les pompiers se sont arrêtés pour les faire monter dans leur camion… Personne ne les avait reconnus (sourire). Emile Ntamack, qui n’a jamais été un grand déconneur, était déguisé en Dark Vador et derrière son masque, il s’est complétement lâché : ça a été pour lui une révélation (rires)."
7- C'est un trois-quarts centre. "Je me souviens d’un match rugueux avec Brive - mais j'ai oublié contre qui - durant lequel les deux paquets d’avants s’étaient bien expliqués. L’arbitre arrête la bagarre, demande aux deux équipes de s’écarter, appelle les capitaines et parle avec eux pour calmer les esprits. Au bout d’un moment, on voit Jean-Claude Roques, qui était notre demi d’ouverture et aussi notre capitaine, revenir vers nous. On lui demande : « Alors, qu’est-ce qu’il a dit, l’arbitre ? » Et Jean-Claude lâche, le plus sérieusement du monde : « Il a dit qu’il fallait continuer ! » (rires). »
8-C'est un arrière. "Mon plus bel essai, c'est celui de 1994 dont tout le monde parle encore, lors du deuxième test face aux All Blacks. Même si je n’ai que trois mètres mettre à parcourir... Heureusement que je ne commets pas un en-avant, sinon je ne serais pas rentré en France (rires). Collectivement, c’est le plus beau. Quand Philippe Saint-André amorce la contre-attaque, je suis à côté de lui. Il doit me la donner, il ne le fait pas et se fait croquer ; moi, je continue ma course tout droit. Quand je vois qu’Abdel (Benazzi) feinte et passe dans le dos alors que d’habitude, il fait des saucisses, je me dis qu’il va se passer quelque chose de fabuleux. Je ne pensais pas recevoir le ballon de Guy (Accoceberry) et il reste encore Philippe (Saint-André) derrière moi. Mais j’ai préféré marquer (rire)..."
9-C'est un troisième-ligne centre. "Jamais je ne me suis mis en colère. En revanche, avant les matches, il m'arrivait de motiver mes coéquipiers et de monter un peu dans les tours (rires). Sur le terrain, je me souviens d'un troisième-ligne aile du Racing-Club de France, Patrice Péron, qui avait étendu Jo Maso et Lucien Pariès au plaquage. Celui-là, je voulais me le chercher ! Je suis monté sur un fond de touche pour l'exploser mais il s'est baissé et je me suis cassé la main sur son genou : cinq fractures, et l'os qui sortait. J'ai disputé le reste du match dans cet état, et puis le soir, au comptoir, on s'est retrouvé lui et moi, bras dessus, bras dessous..."
10-C'est un deuxième-ligne. "A dix-huit ans, lorsque j'étais Espoirs à La Rochelle, il manquait un joueur et j'ai été appelé à participer à l'entraînement de l'équipe première. C'était l'époque où Jean-Pierre Elissalde entraînait. Sur une action, il me dit : "Julien, il ne faut pas faire ça !..." Et je lui réponds : "Oui mais..." avant de me lancer dans une explication. Heureusement, un de mes partenaires passe à côté de moi et me glisse : "Ici, on ne dit pas "oui mais". J'ai bien compris la consigne et je me suis arrêté de parler. J'ai beaucoup appris, ce jour-là..."
vendredi 13 décembre 2024
Martial et solaire
Pianiste virtuose éclectique, il était inclassable tant il embrassait tous les styles et toutes les formes. En trio - avec basse et batterie-, il ne demandait rien d'autre que de la fusion. Il n'effectuait aucune annonce, pas même le titre du morceau qu'il souhaitait interpréter. Ses "coéquipiers" devaient posséder l'oreille absolue et le rythme dans la peau (de leurs caisses claires). Une fois lancé, il changeait de thème et passait à un autre standard, choisissait une tonalité différente, modifiait le rythme, ajoutait ou retranchait des mesures. Ses solos s'étiraient jusqu'à ce qu'ils aient tout livré.
dimanche 1 décembre 2024
Lignes de rupture
Alors que le feuilleton du Top 14 reprenait vie après la parenthèse des tests de novembre, voilà qu'il nous faut basculer d'un seul coup sur la Coupe d'Europe et de l'Afrique du Sud, dont on se demande encore quel sens géographique il faut lui donner, si ce n'est l'aligner sur un fuseau horaire pour trouver un peu de cohérence. Bien marri après sa défaite à domicile face à Vannes, lanterne rouge du Championnat, le Stade Rochelais a domestiqué cette rupture en remportant les deux éditions charnière, preuve qu'une compétition même réaménagée reste un défi à relever.
J'aurais aimé ne pas vous parler d'arbitrage dans cette chronique, grand sujet de la semaine passée, débat qui comme le tonneau des Danaïdes, est sans fond, plutôt sans fondement au sens où il n'a pas lieu d'être. Certifier que l'arbitre a tort, c'est comme regretter que le ballon soit ovale et qu'il ne rebondisse pas toujours là où on l'attend. Il faut croire que les entraîneurs qui fulminent sur le bord de touche dans leur petit rectangle collé au grand trouve le défouloir avantageux. C'est en tout cas le bouc-émissaire idéal. Et ça ne date pas de hier.
Surpris aussi qu'un joueur important du XV de France décide de quitter le rassemblement de l'automne et Marcoussis pour rentrer chez lui, saturé, miné par l'impression d'être incompris ou mal compris. Les malentendus se transforment souvent en sous-entendus, à moins que ce ne soit l'inverse. Et voici la Ferrari tricolore qui rentre au garage. Que dit du groupe France ce mal-être du talentueux Matthieu Jalibert, préférant hypothéquer sa carrière plutôt que de souffrir sous la férule de Fabien Galthié ?
Si l'on écoute bien ce qu'a déclaré Ronan O'Gara à l'issue de la défaite de son équipe à Marcel-Deflandre face à Vannes, samedi dernier, le rugby est d'abord une histoire de "bonne attitude, d'engagement, d'agressivité et de volonté..." De confiance, aussi. Et de rythme. Certains équipes, comme Toulon et Clermont, y ajoutent de la précision technique pour faire bonne mesure, et beaucoup de liberté dans la prise d'initiatives. On ne parlera pas de Toulouse, qui a compris cela depuis plus de quarante saisons. Pas étonnant que ces trois clubs occupent à l'heure actuelle les premières places.
Le jury du prix La Biblioteca s'est réuni jeudi dernier à l'heure du déjeuner dans une agréable auberge parisienne feutrée pour désigner le meilleur ouvrage de rugby de l'année 2024. Une œuvre a été plébiscitée mais les deux autres ouvrages restés en lice jusqu'à la fin n'ont pas démérité, loin s'en faut. Le choix du jury - qui devrait être annoncé au Sénat mi-janvier 2025 - fera un beau vainqueur, qui ne manquera pas d'ouvrir de nouvelles perspectives. Elles ont nourri nos échanges, elles devraient ravir les amoureux de ce jeu.
Sous la présidence avisée du sénateur Philippe Folliot, ce fut un réel plaisir d'écouter l'ami Benoît Jeantet - lauréat 2023 - défendre le style à fond la forme, de profiter de la verve de Pierre Berbizier, de l'engouement de Laura di Muzio et de la malice de Jean-Christophe Buisson. Les mots choisis de Max Armengaud ont pesé dans les débats. Même absent, Jean Colombier a su faire entendre sa voix. Emmanuel Massicard (Midi-Olympique), David Reyrat (Le Figaro) et moi avons choisi le diapason pour nous accorder. Ces moments chaleureux pimentés d'opinions disputées ne seraient rien sans l'efficacité de Marie-Dominique Hérail, bienveillante secrétaire.
On l'a vu, on l'a lu, la multiplication des prix littéraires consacrant les meilleurs livres de sport a donné lieu cette année à un embouteillage, le Jules-Rimet et le Grand Prix Sport et Littéraire choisissant Andrea Marcolongo. Du coup, l'unification s'impose. Mais pas pour le rugby. Le prix La Biblioteca est unique dans son genre, le premier et à ce jour le seul. Qui récompense d'authentiques auteurs et pas des porte-plumes... Créé il y a quatre ans dans le sillage de Jeux de Lignes pour récompenser le rugby à l'ouvrage, il ne s'arrêtera pas en si bon chemin.
En parcourant l'éventail des sites rugbystiques anglais, j'ai appris que la fédération sud-africaine préparait activement ses futurs arbitres internationaux, et que cet objectif était même une priorité. Non contents d'avoir décroché consécutivement deux trophées Webb Ellis, les Springboks vont aussi essaimer au sifflet, sous la responsabilité de Marius Jonker. Pendant qu'en France, consultants, techniciens et anciennes gloires s'opposent au sujet de la probité de nos directeurs de jeu, l'Afrique du Sud fait l'union sacrée autour de ses arbitres. On ne s'étonnera donc pas d'avoir un peu de retard à l'allumage...