On l'avait laissé en Nouvelle-Zélande dans un pub. Pour se délasser entre deux entraînements du XV de la Rose durant le Mondial 2011, il organisait des concours de tee-shirt mouillés et des lancers de nains. Sans que la Cour d'Angleterre s'en offusque. Il sera quand même exclu à vie de la sélection nationale. Avant de voir sa peine annulée. Qu'on le retrouve prêt à lancer un circuit professionnel en marge de l'IRB hors des fenêtres internationales n'est finalement pas si surprenant. Epoux surmédiatisé de Zara Phillips, fille de la Princesse Anne et petite-fille de feu la Reine Elisabeth II, Mike Tindall reprend ses faux airs de Jason Statham sur la scène rugbystique.
Rien ne pouvait célébrer l'anniversaire du professionnalisme avec autant de mauvais goût que l'annonce d'un circuit international dont la trame, si peu originale, n'est qu'un vulgaire "copier-coller" du projet d'un journaliste australien, David Lord. En 1984, cette compétition - à l'époque novatrice - transforma à jamais le paysage ovale en poussant l'International Rugby Board (ancêtre compassé de World Rugby) dès l'année suivante à entériner la création d'une Coupe du monde avec, dix ans plus tard, les effets que l'on sait, à savoir l'abandon de l'amateurisme.
Considéré comme le championnat de clubs le plus relevé de la planète, le Top 14 doit faire face à la concurrence de la Coupe des champions - qui ne le sont pas tous - et très prochainement d'un championnat du monde des clubs à l'image de ce que le football propose actuellement sur les stades étasuniens. Les équipes nationales, elles, qui disputent Tournoi des Six nations dans l'hémisphère nord et Rugby Championship dans le sud, sans oublier les tournées d'été et d'automne, seront bientôt engagées dans un championnat du monde dont la date sera fixée entre deux Mondiaux.
Que vient donc faire dans un calendrier déjà bien surchargé le "R360" - nom de code de ce cirque ovale - dont l'Anglais Mike Tindall est le représentant si peu crédible ? Selon notre confrère Sud-Ouest, douze franchises - huit masculines, quatre féminines - s'affronteraient seize week-ends durant dans diverses capitales mondiales avec méga-concerts à la clé et, pour les joueurs/joueuses les plus bankables, un contrat d'un million de dollars signé dans ce paradis fiscal qu'est Dubaï. N'en jetez-plus.
La question existentielle que me posait l'ami Jean-Fabrice Kamina me taraude : verra-t-on Antoine Dupont chanter en duo avec Beyoncé ? Plus prosaïquement, où diable les stars ovales trouveront-elles le temps d'honorer leurs engagements en club et en équipe nationale ? Valseront-ils pour une très grosse poignée de dollars pendant leurs vacances obligatoires et leurs périodes de récupération, au risque de mettre leur santé en danger et finir par patauger dans le dopage pour se maintenir à niveau ?
Trente ans après s'être séparé des principes de l'amateurisme, qui avait viré du blanc immaculé au marron foncé, le rugby d'élite continue de se jeter dans les bras du plus offrant. On achète les joueurs comme on achève les chevaux ! Meurtrie par la Grande Dépression de 1929, l'Amérique du nord n'avait rien trouvé de mieux pour s'amuser que de monter des immenses barnums au milieu desquels dansaient jusqu'à expiration des couples recrutés parmi les chômeurs et les laissés-pour-compte du capitalisme titubant.
Un siècle plus tard, la crème du rugby mondial pourrait s'exhiber sur les cinq continents jusqu'à saturation, offrant l'image d'un spectacle qui tourne en boucle. Restera toujours un trophée de cuivre damasquiné vissé sur une plaque de bois pour nous rappeler que les valses ont mille temps, que les saisons s'étirent. Les destins souvent contraires, les décisions d'arbitres parfois iniques - de moins en moins mais quand même -, le rebond capricieux et l'odeur enivrante de l'herbe coupée ras complètent nos petits plaisirs. Bayonne, Toulon et Castres espèrent pouvoir le soulever. Mais avant cela, ils devront passer par les derniers tours de piste.