La vieille année s'en va, vive 2025, donc. Le temps s'écoule et ce n'est souvent qu'au moment où il atteint sa butée que nous percevons la vitesse à laquelle il file et, surtout, nous glisse entre les doigts. Quel est donc, à ce titre, le chemin parcouru par le rugby depuis qu'il a quitté sa gangue amateur en 1995 ? Trente ans, déjà. Est-ce un autre jeu ? Sans aucun doute. L'activité économique qu'il génère a-t-elle dépassé la pratique sportive ? On peut sincèrement en douter quand se mesure en dizaines de millions d'euros le déficit financier qui plombe son bilan.
mardi 31 décembre 2024
2025 : que le jeu demeure
dimanche 22 décembre 2024
Cantilènes de Noël
Voici quelques cadeaux à déposer autour du sapin en cette période de fêtes de fin d'année pour jouer au "Qui a dit ça ?", en attendant de nous retrouver en 2025 avec les idées fraîches et sans doute une nouvelle version de ce blog, qui a besoin de se réinventer. Depuis le temps que j'en parle, ça va arriver. Mais n'anticipons pas : jouez, jouez, comme dirait Pierre Villepreux.
1- C'est un joueur de la première ligne. "Avec l'équipe de France, j'étais parti à Bucarest pour affronter la Roumanie. Dans l'hôtel où nous étions logés, je faisais chambre commune avec Robert Paparemborde. Le matin, veille du match, il s'était levé fiévreux et soudain, j'entends des insultes en béarnais. Je vais voir ce qui se passe et je le vois dans la salle de bains se rincer la bouche en gueulant. Quant il a pu parler, il m'a dit : C'est le dentifrice ! J'ai pris le tube d'Akileïne (crème à base d'arnica pour le soin des pieds) ! J'ai bien ri, ce matin-là..."
2- C'est un trois-quarts aile. "En 1991, Jean-Baptiste Lafond avait pris des somnifères. Il n’arrivait pas à dormir, la veille du match à Twickenham. Le médecin de l’équipe de France lui avait prescrit un demi-comprimé et lui en avait avalé deux d’un coup. Le matin, je n’arrivais plus à le réveiller. Il avait loupé le petit-déjeuner et, à onze heures, on est arrivé en retard au briefing d’avant-match. Sur le terrain, il avait pris un cadrage-débord’ et m’avait lancé en plein match avec son accent de titi parisien : « Avec le courant d’air que je viens de prendre, ça y est, je suis réveillé… »
3- C'est un talonneur. "Mon meilleur souvenir, c'est un mercredi soir de novembre 1987, quand mes entraîneurs, Jean-Philippe Carriat et Jacques Berland, m'ont annoncé que j'étais titulaire en équipe première d'Angoulême. J'étais junior et je jouais troisième-ligne aile. C'était face à Bagnères-de-Bigorre, au stade Chanzy. J'y pense tout le temps. Je me suis dit ce jour-là : j'ai commencé le rugby à neuf ans, jouer en première avec Angoulême, c'est le seul objectif que je me suis fixé, je peux arrêter ma carrière, maintenant..."
4- C'est un troisième-ligne aile. "Notre plaisir, c'était de prendre le bus la veille du match pour effectuer de longs voyages, vers Aurillac, Clermont, Bourg-en-Bresse, Le Creusot, Grenoble... Chacun apportait des victuailles et on mangeait pendant qu'on roulait. On ne voulait pas aller au restaurant. Je me souviens d'un déplacement à Tulle où le main du match, j'étais allé cueillir des champignons. Je n'avais pas vu l'heure passer et l'équipe avait quasiment fini le repas de midi quand je suis revenu à l'hôtel avec un cageot de cèpes. Mais personne ne m'a engueulé. C'était un autre rugby."
5- C'est un arrière. " Lors de la finale de 1983, contre Nice, le public envahit le terrain. Nos supporteurs déferlent alors comme une vague, avec des gourdes, des trompettes, des drapeaux… L’arbitre arrête le jeu. Armand Vaquerin est à trois mètres de moi. Un supporteur passe en courant, une gourde à la main. Armand l’attrape par le col et lui lance, avec son accent inimitable : « J’ai soif ! » Vous imaginez bien qu’il n’y avait pas d’eau, dans cette gourde… Et voilà Armand qui boit une grande gorgée de vin, à la régalade. Mais il restait dix minutes à jouer (rires). Et pendant ces dix dernières minutes, il a été extraordinaire… »
6- C'est un demi d'ouverture. " En 2003, à Toulouse, en période d’halloween, après un match, la connerie nous prend et on décide de faire une soirée déguisée. Jean-Baptiste Elissalde arrive maquillé en femme et monte direct au club-house. Son déguisement était tellement réussi que le président René Bouscatel ne l’a pas reconnu et s’est mis à le draguer… On est ensuite allés dans un bar. Nicolas Jeanjean et Jean Bouilhou étaient eux aussi déguisés en femmes : les pompiers se sont arrêtés pour les faire monter dans leur camion… Personne ne les avait reconnus (sourire). Emile Ntamack, qui n’a jamais été un grand déconneur, était déguisé en Dark Vador et derrière son masque, il s’est complétement lâché : ça a été pour lui une révélation (rires)."
7- C'est un trois-quarts centre. "Je me souviens d’un match rugueux avec Brive - mais j'ai oublié contre qui - durant lequel les deux paquets d’avants s’étaient bien expliqués. L’arbitre arrête la bagarre, demande aux deux équipes de s’écarter, appelle les capitaines et parle avec eux pour calmer les esprits. Au bout d’un moment, on voit Jean-Claude Roques, qui était notre demi d’ouverture et aussi notre capitaine, revenir vers nous. On lui demande : « Alors, qu’est-ce qu’il a dit, l’arbitre ? » Et Jean-Claude lâche, le plus sérieusement du monde : « Il a dit qu’il fallait continuer ! » (rires). »
8-C'est un arrière. "Mon plus bel essai, c'est celui de 1994 dont tout le monde parle encore, lors du deuxième test face aux All Blacks. Même si je n’ai que trois mètres mettre à parcourir... Heureusement que je ne commets pas un en-avant, sinon je ne serais pas rentré en France (rires). Collectivement, c’est le plus beau. Quand Philippe Saint-André amorce la contre-attaque, je suis à côté de lui. Il doit me la donner, il ne le fait pas et se fait croquer ; moi, je continue ma course tout droit. Quand je vois qu’Abdel (Benazzi) feinte et passe dans le dos alors que d’habitude, il fait des saucisses, je me dis qu’il va se passer quelque chose de fabuleux. Je ne pensais pas recevoir le ballon de Guy (Accoceberry) et il reste encore Philippe (Saint-André) derrière moi. Mais j’ai préféré marquer (rire)..."
9-C'est un troisième-ligne centre. "Jamais je ne me suis mis en colère. En revanche, avant les matches, il m'arrivait de motiver mes coéquipiers et de monter un peu dans les tours (rires). Sur le terrain, je me souviens d'un troisième-ligne aile du Racing-Club de France, Patrice Péron, qui avait étendu Jo Maso et Lucien Pariès au plaquage. Celui-là, je voulais me le chercher ! Je suis monté sur un fond de touche pour l'exploser mais il s'est baissé et je me suis cassé la main sur son genou : cinq fractures, et l'os qui sortait. J'ai disputé le reste du match dans cet état, et puis le soir, au comptoir, on s'est retrouvé lui et moi, bras dessus, bras dessous..."
10-C'est un deuxième-ligne. "A dix-huit ans, lorsque j'étais Espoirs à La Rochelle, il manquait un joueur et j'ai été appelé à participer à l'entraînement de l'équipe première. C'était l'époque où Jean-Pierre Elissalde entraînait. Sur une action, il me dit : "Julien, il ne faut pas faire ça !..." Et je lui réponds : "Oui mais..." avant de me lancer dans une explication. Heureusement, un de mes partenaires passe à côté de moi et me glisse : "Ici, on ne dit pas "oui mais". J'ai bien compris la consigne et je me suis arrêté de parler. J'ai beaucoup appris, ce jour-là..."
vendredi 13 décembre 2024
Martial et solaire
Pianiste virtuose éclectique, il était inclassable tant il embrassait tous les styles et toutes les formes. En trio - avec basse et batterie-, il ne demandait rien d'autre que de la fusion. Il n'effectuait aucune annonce, pas même le titre du morceau qu'il souhaitait interpréter. Ses "coéquipiers" devaient posséder l'oreille absolue et le rythme dans la peau (de leurs caisses claires). Une fois lancé, il changeait de thème et passait à un autre standard, choisissait une tonalité différente, modifiait le rythme, ajoutait ou retranchait des mesures. Ses solos s'étiraient jusqu'à ce qu'ils aient tout livré.
dimanche 1 décembre 2024
Lignes de rupture
Alors que le feuilleton du Top 14 reprenait vie après la parenthèse des tests de novembre, voilà qu'il nous faut basculer d'un seul coup sur la Coupe d'Europe et de l'Afrique du Sud, dont on se demande encore quel sens géographique il faut lui donner, si ce n'est l'aligner sur un fuseau horaire pour trouver un peu de cohérence. Bien marri après sa défaite à domicile face à Vannes, lanterne rouge du Championnat, le Stade Rochelais a domestiqué cette rupture en remportant les deux éditions charnière, preuve qu'une compétition même réaménagée reste un défi à relever.
J'aurais aimé ne pas vous parler d'arbitrage dans cette chronique, grand sujet de la semaine passée, débat qui comme le tonneau des Danaïdes, est sans fond, plutôt sans fondement au sens où il n'a pas lieu d'être. Certifier que l'arbitre a tort, c'est comme regretter que le ballon soit ovale et qu'il ne rebondisse pas toujours là où on l'attend. Il faut croire que les entraîneurs qui fulminent sur le bord de touche dans leur petit rectangle collé au grand trouve le défouloir avantageux. C'est en tout cas le bouc-émissaire idéal. Et ça ne date pas de hier.
Surpris aussi qu'un joueur important du XV de France décide de quitter le rassemblement de l'automne et Marcoussis pour rentrer chez lui, saturé, miné par l'impression d'être incompris ou mal compris. Les malentendus se transforment souvent en sous-entendus, à moins que ce ne soit l'inverse. Et voici la Ferrari tricolore qui rentre au garage. Que dit du groupe France ce mal-être du talentueux Matthieu Jalibert, préférant hypothéquer sa carrière plutôt que de souffrir sous la férule de Fabien Galthié ?
Si l'on écoute bien ce qu'a déclaré Ronan O'Gara à l'issue de la défaite de son équipe à Marcel-Deflandre face à Vannes, samedi dernier, le rugby est d'abord une histoire de "bonne attitude, d'engagement, d'agressivité et de volonté..." De confiance, aussi. Et de rythme. Certains équipes, comme Toulon et Clermont, y ajoutent de la précision technique pour faire bonne mesure, et beaucoup de liberté dans la prise d'initiatives. On ne parlera pas de Toulouse, qui a compris cela depuis plus de quarante saisons. Pas étonnant que ces trois clubs occupent à l'heure actuelle les premières places.
Le jury du prix La Biblioteca s'est réuni jeudi dernier à l'heure du déjeuner dans une agréable auberge parisienne feutrée pour désigner le meilleur ouvrage de rugby de l'année 2024. Une œuvre a été plébiscitée mais les deux autres ouvrages restés en lice jusqu'à la fin n'ont pas démérité, loin s'en faut. Le choix du jury - qui devrait être annoncé au Sénat mi-janvier 2025 - fera un beau vainqueur, qui ne manquera pas d'ouvrir de nouvelles perspectives. Elles ont nourri nos échanges, elles devraient ravir les amoureux de ce jeu.
Sous la présidence avisée du sénateur Philippe Folliot, ce fut un réel plaisir d'écouter l'ami Benoît Jeantet - lauréat 2023 - défendre le style à fond la forme, de profiter de la verve de Pierre Berbizier, de l'engouement de Laura di Muzio et de la malice de Jean-Christophe Buisson. Les mots choisis de Max Armengaud ont pesé dans les débats. Même absent, Jean Colombier a su faire entendre sa voix. Emmanuel Massicard (Midi-Olympique), David Reyrat (Le Figaro) et moi avons choisi le diapason pour nous accorder. Ces moments chaleureux pimentés d'opinions disputées ne seraient rien sans l'efficacité de Marie-Dominique Hérail, bienveillante secrétaire.
On l'a vu, on l'a lu, la multiplication des prix littéraires consacrant les meilleurs livres de sport a donné lieu cette année à un embouteillage, le Jules-Rimet et le Grand Prix Sport et Littéraire choisissant Andrea Marcolongo. Du coup, l'unification s'impose. Mais pas pour le rugby. Le prix La Biblioteca est unique dans son genre, le premier et à ce jour le seul. Qui récompense d'authentiques auteurs et pas des porte-plumes... Créé il y a quatre ans dans le sillage de Jeux de Lignes pour récompenser le rugby à l'ouvrage, il ne s'arrêtera pas en si bon chemin.
En parcourant l'éventail des sites rugbystiques anglais, j'ai appris que la fédération sud-africaine préparait activement ses futurs arbitres internationaux, et que cet objectif était même une priorité. Non contents d'avoir décroché consécutivement deux trophées Webb Ellis, les Springboks vont aussi essaimer au sifflet, sous la responsabilité de Marius Jonker. Pendant qu'en France, consultants, techniciens et anciennes gloires s'opposent au sujet de la probité de nos directeurs de jeu, l'Afrique du Sud fait l'union sacrée autour de ses arbitres. On ne s'étonnera donc pas d'avoir un peu de retard à l'allumage...
dimanche 17 novembre 2024
Sacrée défense
Heureux élus, vous pourrez dire avec un plaisir non dissimulé : "J'y étais". C'est donc bien au Stade de France qu'il fallait être pour jouir du plus lumineux spectacle jamais offert sous la pleine lune ovale. Car j'ai beau chercher, je ne trouve pas plus bel écrin d'avant-match que ce samedi 16 novembre 2025 au Stade de France dans l'enchaînement d'une Marseillaise a capella et d'un haka immaculé durant lequel le respect réciproque, l'émotion transmise par un public conquis et une enveloppe pyrotechnique de toute beauté hissèrent sur un sommet cet affrontement toujours aussi attendu.
Avoir vécu 1986 à Nantes où pour la première fois, le XV de France décida de relever le défi de façon frontale dans le sillage de son corsaire le plus endiablé, à savoir Eric Champ; pour avoir vibré à Cardiff en 2007 quand la ligne bleu-blanc-rouge tracée par Serge Betsen enfla dans les yeux néo-zélandais ; et pour avoir compris en 2011 que le réponse française en forme de pointe acérée perturbait jusqu'aux tréfonds de leur psyché le mental des All Blacks, tout cela est peu en comparaison de ce que ce nocturne a projeté.
Comparaison n'est pas raison, écrivait Gustave Flaubert, et il n'est pas besoin d'avoir le cœur compliqué au point d'opposer en miroir à ce France - Nouvelle-Zélande l'immonde France-Israël de football de l'avant-veille au même endroit. Ces deux sports, lointains cousins, évoluent depuis longtemps maintenant dans des mondes différents, c'est entendu, et seul le hasard d'un calendrier porte la responsabilité d'offrir ce contraste saisissant qui raconte néanmoins à quel point le sport est le plus grand vecteur de sentiments, qu'ils soient nourris de joie ou pétris de haine.
Il faut remonter à 1954 pour trouver trace de la première victoire française sur les All Blacks. Déjà là, elle fut le fruit d'une défense acharnée face à des Néo-Zélandais particulièrement offensifs mais maladroits au moment de conclure balle en mains leur domination territoriale. 3-0, tel est le score de ce premier exploit. On ne fait pas plus maigre. Soixante-dix ans plus tard, le 30-29 démontre une nouvelle fois qu'un succès de prestige ne tient qu'à un fil, celui que les coéquipiers d'Antoine Dupont tissèrent et qui ne craqua pas, même lors que les All Blacks de blanc vêtus tirèrent fort dessus en première période puis dans les derniers instants.
Lucien Mias aurait sans aucun doute apprécié la performance tricolore, lui qui considérait que la force d'une équipe se mesure à l'intensité de la contagion qui la traverse. L'équipe est tout ou n'est rien, disait-il. Et son ciment n'est rien d'autre que la défense, tous les entraîneurs et les joueurs qui terrassèrent un jour les All Blacks vous le diront et n'ont cessé de le répéter. La défense, c'est à la fois la première idée qui s'impose, la plus facile à mettre en place, certes, mais la plus difficile à maintenir sur la durée quand tout, dans le rugby français, incite au panache de l'attaque pour décrocher la Lune.
De ce côté-là, aucun doute : le French Flair n'est pas mort car il brille encore. Il suffit pour s'en convaincre d'admirer les inspirations du jeune Louis Bielle-Biarrey, vingt-et-un ans, neuf essais en treize sélections, meilleur ratio tricolore de tous les temps. Ses courses supersoniques réduiraient n'importe quel adversaire au rang de piéton. Et que dire de l'étonnant Peato Mauvaka, joueur protée s'il en est, capable dans le même mouvement d'évoluer talonneur, demi de mêlée, troisième-ligne aile et trois-quarts centre, de plaquer et de franchir pour finir par sauter tel un zébulon sur la tête d'un All Black qui dépasse de l'ultime maul et provoquer le coup de sifflet final de ce match de légende.
Vous trouvez que j'en fais un peu trop ? Que j'ai la dithyrambe facile ? Que ce succès mérite moins d'éloges ? Mais à ne voir le futur que par la lorgnette des Coupes du monde qui se succèdent tous les quatre ans, à ne mesurer la valeur d'une équipe qu'à l'aune du trophée Webb Ellis, on finit par ne plus avoir goût à rien. D'accord, les belles victoires face aux All Blacks empochées par le XV de France n'ont jamais débouché sur le grand sacre, ce titre mondial qui lui échappe. Et alors ? Faut-il pour autant bouder notre plaisir ? Comme disait Lucien Mias, toujours lui, quand on lui reprochait de verrouiller le jeu de Mazamet, son club : "Si vous voulez voir du spectacle, allez à Lourdes !" Pour ma part, en regardant l'inéluctable machine sud-africaine éteindre l'Ecosse, l'Angleterre et sûrement demain le pays de Galles, je me dis qu'il y a encore, effectivement, un peu de chemin à parcourir pour aller de la Terre à la Lune.
samedi 9 novembre 2024
Agape the blues
Personne n'a jamais osé affirmer que pratiquer le rugby proposait le plus court chemin vers la béatitude ou la canonisation. Il aura donc fallu attendre une tournée bidon en Argentine avec un contingent de Marie-Louise encadré par un quarteron de fêtards en guise de staff technique pour que trente ans après l'avènement du professionnalisme le rugby d'élite s'inquiète du rugby des litres au point d'interdire la troisième mi-temps pour ce qu'elle a de fatalement dionysiaque.
jeudi 17 octobre 2024
V.
Ainsi donc, V est une piste à suivre jusqu'à Stockholm ? Un dédale de suppositions décalées transportant le real deal madrilène dans les froidures suédoises et les dorures d'un poulailler de luxe ? Le séducteur a plaidé la défense de ses adducteurs et profité d'un répit accordé pour jet setter dans le froid gras tandis que ses copains les coqs poussaient péniblement le rond de cuir sans lui... Trouvera-t-on plus pathétique que cette escapade en bonnet enfoncé jusqu'au nez, volée à l'âge adulte par un millionnaire du short, enfant prodige sans but aux lacets lassés ?
J'aime V., son univers déjanté, foisonnant, extravagant, tribulant, déconcertant, pétaradant, débordant, ambitieux, intriguant ; cette quête aux confins de la folie épistolaire, quand l'imagination copule avec l'énigme. Mais qui est V ? Un pays, un femme ? Un homme ? Un secret, à coup sûr. Une interrogation qui grossit à mesure qu'elle défile. Une parodie, plus certainement, comme si Louis-Ferdinand Céline, James Joyce et John Kennedy Toole avaient décidé de s'en jeter un derrière la cravate chaque fois qu'ils accostaient dans un port ou croisaient un alligator dans les égouts.
Allez, jetez-vous sur vos étagères. Qui connait V. ? Ce roman de Thomas Pynchon large comme un fleuve, furieux comme un dégel, bardé de mille écueils, riche de références, rédigé à la dynamite quand elle pulvérise les cloisons. Ceci n'est pas une discothèque. Et personne n'a tracé de trait d'union entre une incartade pour réseaux sociaux et cet authentique chef d'œuvre. Triste époque. Franchement, qu'avons-nous à faire d'un capitaine dégradé quand la littérature nous offre en miroir l'un des romans les plus kaléidoscopiques du genre, qui ne manque pourtant pas d'étrangetés dans le genre ?
Pas un jour sans une ligne, scandait le peintre. Puis l'écrivain. Chaque phrase est un dessein. Ou une ligne mélodique selon qui trace le chemin. Allons-nous évoquer l'urne ou la rune, le vote ou la magie, l'élection ou l'incantation ? Jamais campagne ne fut si tourmentée, comme si un mauvais génie avait tordu la lande sur laquelle nous jouons, ce terreau naguère propice aux bonnes graines sur lequel ne poussent désormais que fiel, amertume et ressentiment, crainte et rejet.
Samedi à midi et demi, la FFR se sera dotée au forceps d'un président, ancien ou nouveau, sortant ou débutant. Il en sera de quelques voix, d'une poignée de clubs passés de l'un à l'autre au moment de choisir, ou d'éviter de le faire. Qui saura ? Le rugby amateur se meurt. Il crève de primes et de transports, de règlements et d'assurances. Dans dix ans, si n'est pas rendu au rugby des villages ce qu'il a offert au XV de France, ne survivront que les grandes usines ovales conçues pour préparer de la chair à rucks.
Ils iront vomir dans les couloirs, uriner dans leurs lits, croupir dans des geôles ; ils dépasseront la ligne, hurleront grossiers quand la nuit tombe, s'imagineront arrivés alors qu'ils ne sont pas encore partis; ils confondront s'enflammer et se consumer, la gloire et l'éclat, la transformation et l'essai. Ils entreront dans une discothèque sans savoir que ce qui scintille aux néons à l'entrée d'un bouge kitsch porte le nom d'une œuvre écrite au noir de l'encre mythique.
Il y a un an et quelques jours - je ne suis pas amateur d'anniversaires - le XV de France s'inclinait en quart de finale face aux Springboks, plus rusés. Quatre ans plus tôt, les Gallois nous avaient ramassés. Et avant eux les Néo-Zélandais nous avaient humiliés. Le Quart ! Ah, Nikos Kavvadias... Voilà trois fois consécutivement que nous passons à la trappe et, visiblement, personne ne s'en inquiète. Ce Top 14 cache la forêt et quand La Rochelle reçoit l'UBB, Marcel-Deflandre affiche complet pour la quatre-vingt-seizième fois d'affilée. Ainsi va notre rugby.
Nous disposons du meilleur joueur du monde, auréolé de sa médaille d'or. Du championnat le plus lucratif et aussi le plus indécis. Le plus chronophage. Exigeant. C'est notre force et, il faut le croire, notre limite. Avant de partir vers le Bharat la semaine prochaine, je vous livrerai les noms des sept nominés pour le prix La Bibliotèca du meilleur ouvrage de rugby pour l'année 2024. Qui succèdera à Didier Cavarot et à Benoit Jeantet ? Sans doute aurez-vous quelque idée. En attendant qu'elle jaillisse, sachez que "la littérature, écrivait Alfred Capus, n'a pas été créée pour servir la vie, ni même la traduire, mais pour lui échapper." Courage, fuyons !
lundi 23 septembre 2024
Spectacle sportif
Les actes du colloque organisé en mai 1980 à Limoges et intitulé Le spectacle sportif ont, certes, pris quelques rides mais leur introduction, signée par Antoine Blondin, reste toujours d'actualité. En voici quelques extraits choisis, avant Stade Toulousain - Union Bordeaux-Bègles, dimanche soir, qui promet d'être très show.
samedi 7 septembre 2024
Eclats et lumière
J'ai les doigts gourds et l'azerty bancal, l'esprit tourné ailleurs et l'humeur sans rebond. Pas sûr que le Top 14, qui débute ce jour, soit l'oasis idéale - même en situation de reformation - pour que je me reconstitue. Entre Buenos Aires et Le Cap, cet été alourdit nos pensées. Il nous faut panser et les mots sur les maux ne sont pas suffisants. Si la récupération est une des constituantes essentielles du haut niveau, elle peut aussi s'avérer toxique quand elle sert de bouclier à ceux qui feignent de maîtriser les événements alors qu'ils nous dépassent.
Nous reste, fort heureusement, le gout des livres. En 2002, pour conclure la préface de l'ouvrage de Jacky Adole intitulé "Mon sac de rugby" dont je vous conseille de nouveau la lecture, si ce n'est déjà fait, l'immense Pierre Albaladejo, véritable sage d'Ovalie aujourd'hui retiré des tribunes, écrivait cette phrase qui ne cesse de résonner en moi depuis deux mois au fil d'une actualité qui a fini par nous déciller : "Et si le rugby a emboité le pas de la vie, qu'il nous soit permis de regretter que ce ne fût point le contraire."
vendredi 23 août 2024
A l'un, de loin
Bien sûr, Le Samouraï, ne serait-ce que pour la séquence animalière. En présence du canari, le silence, comme avec Mozart, est d'abord celui de Delon, sa marque de fabrique. Chez lui, pas besoin de dialogues pour nourrir l'intrigue : elle avance de son pas faussement nerveux. Mais surtout, pour les cinéphiles, il y a Le Guépard, inoubliable monument du septième art dans lequel l'apprenti-charcutier de Bourg-la-Reine interprète le magnétique Tancrède. Quant à ses sentiments personnels, l'acteur plaçait Rocco et ses frères sur la première marche de son podium.
lundi 12 août 2024
Jeux est un autre
dimanche 28 juillet 2024
Un zébre en or
vendredi 19 juillet 2024
Les ténébreux en pleine lumière
mercredi 3 juillet 2024
Un pour tous
Le rugby a, depuis longtemps, - et au-delà du cas particulier de la balle ovale le sport en général - associé la loi du sang et celle du sol. Argentins, Tongiens, Ecossais, Anglais, Australiens, Japonais, Américain, Espagnol, sans oublier un Français évoluant pour l'équipe nationale d'Italie, illuminèrent la dernière finale du Top 14 remportée de façon spectaculaire par le Stade Toulousain face à l'Union Bordeaux-Bègles dans un stade vélodrome porté à incandescence. Œuvre au rouge, au noir et de toutes les couleurs que cette rencontre - le mot est beau - dans la nuit marseillaise dont on sait qu'elle porte à toutes les exagérations.
La première édition de cette quête du Bouclier de Brennus en 1892, et celles qui suivirent, associaient sur le terrain Brésiliens, Péruviens, Anglais et Allemands, tandis qu'en coulisses, un Ecossais, Cyril Rutherford, et un Américain, Allan Muhr, tentaient de rallier à la cause du rugby français le sévère aréopage britannique qui était alors à la tête de l'IRB, réfractaire à l'entrée d'un peuple Bandar-Log - c'est ainsi que Rudyard Kipling que l'on qualifie généralement d'humaniste décrivait les Français - sur la scène internationale. Il y parvinrent. Merci à eux.
Avant de venir au monde en janvier 1906, le XV de France portait donc en lui un métissage salutaire. Et il a continué dans la foulée. Il n'y a qu'à se rappeler du capitanat d'Abdelatif Benazzi en 1996, pour ne prendre qu'un seul exemple qui signale qu'en rugby les frontières sont abolies, et je ne parle pas là seulement de barrières géographiques. Je pourrais évoquer aussi la Nouvelle-Zélande, qui trouva au XIXe siècle dans la pratique du rugby le lien capable d'unir colons et maoris sous un même maillot pour le résultat que l'on connait, rehaussé hier par la diaspora samoane et aujourd'hui par l'immigration tongienne et fidjienne.
En ces temps troublés où, au pays des Lumières, le rejet de l'autre fait malheureusement débat, où le droit à la différence - religieuse, sentimentale, etc. - est bafoué au nom de principes conservateurs et rétrogrades, il est bon de se replonger dans ce qui fait société. Eduqué dans mes jeunes années selon les principes de liberté, d'égalité et de fraternité au sein d'un club de rugby, - comme tous les lecteurs de ce blog, j'imagine -, j'ai compris très tôt que ce qui nous rassemblait en tant que partenaires d'une même équipe était beaucoup plus fort que ce qui nous éloignait par ailleurs.
Mais surtout, j'ai éprouvé au plus haut point la notion d'émancipation par le collectif à travers la solidarité et l'équité. Tous pour un, un pour tous, écrivait le coach Alexandre Dumas au tableau noir. Etre là où se trouve le ballon mais aussi l'autre, l'équipier, ou plutôt le coéquipier, celui avec lequel on partage le jeu. Donner et recevoir. Ne jamais s'accaparer le ballon mais le transmettre. Autant de valeurs qui deviennent au fil des matches des vertus. Accepter, aussi, le nouveau venu, celui qui vient pour jouer avec nous, l'intégrer, lui faire place. S'apercevoir qu'aussi fort qu'est le meilleur d'entre nous il n'est pas grand chose sans ceux qui l'entourent.
De tous temps, l'équipe de France a tendu la main à ses adversaires. Elle a aidé les nations éloignées du courant britannique dominant à émerger, je pense ici à l'Argentine - où elle est actuellement en tournée - mais aussi à l'Uruguay, dont elle a soutenu l'éclosion ovale et pour lequel elle a trouvé un rendez-vous en milieu de semaine. Chili, Brésil, Maroc, Tunisie, Algérie, Madagascar, Espagne, Portugal, Italie, Roumanie, Russie et Géorgie, entre autres, doivent beaucoup au rugby de France. A l'heure où s'érigent des clôtures afin d'empêcher les voyageurs de traverser une planète qui, rappelons-le, n'appartient à personne en particulier, il est bon de savoir que notre patrie, c'est le rugby.
samedi 22 juin 2024
Sur un coup de tête
A quoi reconnaît-on un "classique" ? A sa récurrence et au son que composent les supporteurs quand ils sont réunis pour le vivre. Il draine des vagues de passionnés, tonne, éructe, secoue les travées. Ses fanions volent sous une armée de voix. La raison disparait au coup d'envoi, emportée par un flot de vibrations.
Toulouse versus La Rochelle : l'affiche est devenue depuis 2019 l'affrontement le plus prisé et certainement le plus intense du rugby français, dépassant Bayonne-Biarritz. Il faut remonter au Dax - Mont-de-Marsan des années 60, puis au Narbonne-Béziers des années 70 pour trouver trace d'un tel volcan en activité.
Jamais cinq sans six. Les Rochelais ne sont pas parvenus à vaincre leur bête noire - c'est sa vocation - en phase finale d'une compétition, qu'elle soit domestique, continentale ou internationale. Ils étaient pourtant bien partis pour réaliser l'exploit mais cette fois-ci, ce n'est pas une percée qui a scellé leur sort, mais deux coups de trop.
Un coup d'épaule, d'abord, puis un coup de tête. Que Uini Atonio ne puisse pas se baisser avec l'âge, lui qui brise les mêlées et les lignes d'avantage, personne ne lui en tiendra rigueur. Rouge, jaune, on pourra discuter longtemps de la couleur du carton qu'il a ou qu'il aurait dû recevoir, mais on n'enlevera pas aux Rochelais le courage, l'abnégation et l'envie dont ils firent preuve pour tenter de redresser la barre à quatorze.
En revanche, rien n'est plus impardonnable que le coup de tronche qu'asséna Reda Wardi au visage de son adversaire du soir et coéquipier en équipe de France, le talonneur toulousain Julien Marchand. C'est à la fois bête et méchant, triste et décevant. Je croyais ce type de réaction gommé du musée des horreurs à l'heure où le professionnalisme a lissé les comportements, policé les attitudes.
Un pilier restera toujours un pilier. On peut en rire. Après tout, à l'heure où, en France, la moitié des détenteurs d'une carte d'électeur s'apprête à voter pour le représentant d'un parti situé à l'extrémité du spectre politique, ce n'est qu'un sport, ce n'est que du rugby, mais, dans l'isoloir ou au sortir d'une mêlée, tout peut basculer sur un coup de tête.
Il est des victoires sans saveur et des défaites utiles, mais "pourquoi gagne-t-on ? " demeure la seule et unique question qui mérite d'être posée lorsqu'on pratique un sport ou tout autre activité, y compris politique. Pourquoi gagne-t-on, ou plutôt, "gagner, certes, mais pour en faire quoi ?" Additionner les ballons portés comme on collectionne les perles, multiplier les percussions axiales jusqu'à la nausée, peser de tout son poids sur la balance pour étouffer l'adversaire ?
Ce n'est pas ma conception du jeu de balle ovale tel que pratiqué au pays de Montaigne. Nous voulons des "Essais", dirait le sage de Dordogne, du haut de sa tour, mais "bien faits". Décoré de citations grecques et latines, son cabinet de réflexion raconte sous forme d'extraits plusieurs siècles de pensée. Si l'essai est une tentative qu'il faut oser, les initiatives déployées par les Rochelais et les Toulousains auraient plu à ce fin lettré.
"L'homme est intelligent parce qu'il a des mains", assurait Anaxagore. "Et parce ce qu'il s'en sert avec intelligence", répliqua Aristote. "C'est une belle harmonie quand le dire et le faire vont ensemble" : en livrant cet apophtegme, Michel de Montaigne relie les deux géants comme la passe au pied de Romain Ntamack déplace loin et large le jeu par-dessus la défense.
La demi-finale de vendredi soir entre Toulousains et Rochelais nous rappelle que deux préambules accompagnent depuis toujours le rugby : il s'agit d'un jeu de balle au pied (football) qui commence devant. Ce qui n'exclut pas d'y jouer à la main, ce que les Toulousains font à merveille ; ce qui n'autorise pas à cantonner l'action au près et au combat, ce dont les Rochelais abusèrent.
Pour la première fois de sa jeune histoire débutée en 2006, l'Union Bordeaux-Bègles sera en fusion, direction Marseille et une finale face à son meilleur adversaire, le Stade Toulousain. Deux fois, les Bèglais (1969, 1991) l'affrontèrent et l'emportèrent. Jamais deux sans trois ? Difficile mais pas impossible, même si on a vu les Unionistes piocher dans leurs réserves en fin de match face au Stade Français dont le jeu, rude et direct, n'offrit qu'une porte de sortie, le ballon porté, arme fatale conçue il y a un quart de siècle par Yves Appriou et ses Rapetous.
mercredi 5 juin 2024
Chasse au trésor
lundi 20 mai 2024
Enfants du pays
jeudi 9 mai 2024
Le tempo de l'éveil
Le jeu de rugby ne manque pas d'avatars. Quel que soit le contexte - Top 14 ou Coupe des Champions - , il nous faut répondre à la même question : que se passe-t-il dans ce théâtre à l'ancienne ? Le coup d'envoi est donné comme un rideau se lève, nous regardons, nous attendons, nous recevons et nous comprenons, pourrait répondre Roland Barthes. Le match est terminé, gagné ou perdu selon nos attentes de supporteur ou d'observateur, et nous nos souvenons. Ce faisant, nous ne serons plus les mêmes qu'avant.
Les philologues grecs auraient aimé le rugby. Il correspond parfaitement à leur vocabulaire. Pour qu'une rencontre se joue sur la scène d'un terrain, il doit se passer plusieurs choses. Par ordre chronologique un fait, une action, un hasard, une surprise, une issue. Rien ne vient à nous, en rugby, qui ne soit immédiatement accompagné du sens que nous lui donnons. Mais le jeu qui se déploie devant nous demeure une substance entêtée.
Et si l'art du rugby consistait à faire voir, simplement, les choses telles que manipulées par les joueurs au moment où ils disposent en une fraction de seconde seulement du ballon ? Comme un secret partagé qu'ils laisseraient passer, comme un grain que le peintre disperse sur la toile. Si nous voulions philosopher, nous dirions que le jeu de balle ovale est dans la légèreté et non dans la lourdeur, dans l'espace utilisé et non dans la conservation obtuse du ballon, dans l'éphémère et non les datas.
Victorieux dimanche dernier des Harlequins, le Stade Toulousain produit son effet dans un dosage de répartition, de combinaisons, phases de jeu inimitables ponctuées de gestes qui sont autant de griffures dans la défense adverse. Parfois un fouillis de passes emporte tout le monde, dirait mon parrain de cœur Jacky Adole chez qui, à Limeuil, je regardais cette demie. Ces passes, debout, sont un va-et-vient parfois intense, et à d'autres moments une approximation, des trainées de courses sortantes, entrantes, au large, au ras, qui se recouvrent parfois.
Il faut feindre de rater pour mieux réussir, et de tous ces ratages superposés nait une sorte de palimpseste qui donne au jeu collectif la profondeur d'un réseau, quand les joueurs passent des uns aux autres ce ballon. Pour autant, chaque geste a pour but d'installer une matière rugbystique. Faut-il lui donner un nom, comme on nomme une toile ? L'évocation ne peut-elle pas suffire ? Il existe toujours dans le jeu une forme de hasard : on appelle aussi cela l'inspiration. Et cette force créatrice est un bonheur d'étonnement.
Au cœur d'un collectif s'émancipe souvent une individualité. Celle du Stade Toulousain se nomme Antoine Dupont. D'une passe, d'une course, d'un soutien, dans l'intervalle ou l'interstice, il produit l'événement, aère le jeu, énergie subtile qui permet à son équipe de mieux respirer. Le philosophe Gaston Bachelard appelait cela "l'imagination ascensionnelle". Le XV de France n'a pas pu, pas su, en profiter pleinement l'année dernière quand la Coupe du monde fouettait nos attentes. Toulouse d'ici fin juin, et France 7 dans les semaines qui suivront, auront sans doute plus de chance que quinze coqs enfoncés dans le purin.
L'homme providentiel ne fait jamais rien éclore seul. Sans lui, les autres avancent peu, avec lui ils peuvent tout. Ce qui a manqué au PSG dans sa quête toute ronde d'un Graal européen ? Que Kylian Mbappé montre le chemin en se mettant au service de ses coéquipiers avant de les tirer vers le haut, vers le but... C'est bien le poids d'un démiurge qui différencie aujourd'hui le Stade Toulousain de tous ses adversaires. Mais c'est à la fois gracieux et dangereux.
Si l'on veut bien mettre entre parenthèses le temps de cette chronique la fin haletante d'un Top 14 qui délivrera au compte-gouttes ses tickets d'entrée en phase finale, pour mieux se projeter sur la finale de la Coupe des Champions entre la province irlandaise du Leinster et la pléiade toulousaine qui ne manquera pas de bientôt surgir, l'opposition des écoles - la dublinoise et celle de la ville rose - propose les deux faces d'une même pièce.
A l'organisation huilée, millimétrée, calibrée, très apollonienne du rugby, se distingue une façon plus dionysiaque d'aborder le jeu. Antoine Dupont serait alors ce feu dans les jambes dont chaque foulée joue un rôle si particulier, ce fils de Webb Ellis dont on attend qu'il fertilise la balle quand il surgit par surprise. Dernier passeur, premier soutien, dit mon ami Philippe Glatigny, éducateur landais. Rien n'est lisible qui puisse profiter à l'adversaire. De tous, Antoine Dupont est bien celui qui met le plus en valeur, aujourd'hui, une culture ovale née dans le triangle Bordeaux-Toulouse-Bayonne, il y a plus d'un siècle, de l'offrande et du crochet. On espère juste qu'il parviendra à aller au bout de sa course.
mercredi 17 avril 2024
Dédé Boni d'un trait
Boris Vian, qui n'y connaissait rien en rugby, se demandait qui ou que choisir entre la comotive et le zoizillon. André Boniface, poète à ses heures, n'a vraisemblablement pas lu Cantilènes en gelée, mais s'il avait connu le trompettiste de Saint-Germain-des-Prés dans les lieux qu'ils fréquentèrent tous deux, il lui aurait évité d'avoir à effectuer ce choix. En effet, l'Apollon de la Chalosse fut à la fois la locomotive du rugby français et cet oiseau rare, voire unique, dont on ne retrouvera pas le moule de sitôt.