dimanche 25 février 2018

Né du mouvement

Le (magnifique, fulgurant, formidable, remarquable, tonitruant : choisissez) succès écossais face à l'Angleterre, sans oublier l'excellent Irlande-Galles bourré jusqu'au bout de suspense, place la victoire tricolore dans un vélodrome de Marseille vide au tiers très loin des canons actuels du rugby international. Et encore ne parle-t-on ici que de la pratique de l'hémisphère nord et pas encore de la tournée dantesque qui attend le XV de France en Nouvelle-Zélande dans quatre mois.

Au lendemain de ce vilain succès bleu qui met fin, enfin, à une série de huit rencontres infructueuses, une partie du staff échangeait avec une poignée de journalistes dans le club-house du stade d'Aix-en-Provence. Dehors, une pluie fine. Dedans, un voile posé sur ce match de bas de gamme. A côté de moi Jérôme Bianchi, debout et à l'écart. Discret. Trente ans d'amitié indéfectible. Le genre de mec avec lequel tu es en phase une fois pour toutes, sans avoir à régler de nouveau la longueur d'onde.

Ostéopathe pour les équipes de France de Coupe Davis et de Fed Cup, membre du staff de Sharapova et maintenant de celui de Wawrinka, Jérôme vit moitié au sud de Los Angeles moitié à Aix, sa vie d'après rugby consacrée au tennis, sport dans lequel il excelle. Nous avons quitté un peu avant la fin la conférence de presse tricolore pas vraiment convaincus par ce que nous y avions entendu. Une phrase faisait néanmoins écho chez Jérôme, habitué au très haut niveau international.

«On a des problèmes pour jouer ensemble». Je ne sais plus qui a prononcé cette phrase; Jean-Baptiste Elissalde, peut-être, qui débute dans la profession d'entraîneur national. Elle a enclenché chez Jérôme Bianchi la machine à remonter le temps. «Je me souviens de ce que nous disait Daniel (Herrero, bien sûr) : "L'initiative, c'est ce qu'il y a de plus important en rugby. On ne fait que 10% de bons choix dans un match. Alors, pour que l'équipe tourne dans le bon sens, on fait comment avec les 90% restant ? Et bien on s'adapte. Et le plus vite possible." Il faut réagir. Ce qui permet que la mauvais choix devienne le bon.» Je me serais cru de retour à Toulon, dans les années 80.

Comme tout le monde depuis vendredi soir et cette victoire sans âme ni neurones du XV de France face à de vaillants mais limités Italiens, Jérôme Bianchi, qui n'a pas perdu sa fibre ovale, tente de comprendre ce qui cloche. «La qualité des joueurs est là», assure-t-il en évoquant les Tricolores, ses frères, lui qui fut international en 1986. «Mais ce qui me frappe, c'est qu'ils ne réagissent pas les uns en fonction des autres. Un joueur prend une option mais personne autour de lui ne la comprend en temps réel

Il est bien placé pour le mesurer. Passé du sport le plus collectif qui soit, le rugby, au sport éminemment individuel qu'est le tennis, Jérôme Bianchi insiste sur ces notions de «réaction au partenaire» qui fait, pour lui, «la différence entre un sport individuel et un sport collectif.» Implacable. «Dans un sport individuel, il n'y a pas d'autres intervention que la tienne. Il n'y a pas de mouvement, pas de spirale ascendante ou descendante. Cette spirale, ajoute-t-il, qui est la clef du plaisir du jeu de rugby, par exemple, et du plaisir d'être ensemble pour le pratiquer. Dans un sport collectif, il y a du mouvement. Et il est créé par l'adaptation.»

Le haut niveau, précisent les experts, se construit à partir de la vitesse et la précision. Dans tous les domaines. La vitesse, c'est souvent ce qui fait qu'un excellent joueur de club ne peut pas franchir le cap international. On y ajoutera le mental. A ce sujet, j'y reviens, le XV de France n'a toujours pas de préparateur mental intégré, de développeur de la performance. Même les Ecossais s'y sont mis. Depuis quatre saisons. Et ça a l'air de leur réussir. Mais ils n'ont pas chez les joueurs d'ego à protéger et du côté du staff de pouvoir à maintenir. Là aussi, le rugby français est dépassé.

mercredi 21 février 2018

Rugby à l'estomac

Une fois, une seule dans l'histoire du Tournoi des Cinq Nations, une rencontre a quitté ses écrins parisiens habituels, à savoir le Parc des Princes et le stade de Colombes baptisé Du-Manoir. C'était en 1924. Des pluies diluviennes s'étaient abattues sur la capitale jusqu'en sa lointaine banlieue au point que le terrain de Colombes avait été transformé en rizière. Du-Manoir n'était pas Kings Park et ce match contre l'Ecosse fut déplacé au stade Pershing, là où quelques années plus tôt, s'était déroulée une rencontre restée à la postérité grâce aux écrits d'Adolphe Jauréguy, signalant qu'il avait vu là ce qui se faisait de mieux "sans couteaux ni révolvers".

Pershing, donc, terrain militaire, pour y disputer France-Ecosse. Incongru. Mais utile. Il s'agissait de rester intra muros ou presque car les Ecossais, entre autres adversaires, adoraient jouer à Paris, ce "Gai Paris" qui va de la Gaité Montparnasse aux Folies-Bergères, et que par renversement nous appelons "Paris by night". Aux temps pionniers, les internationaux calédoniens se payaient même le déplacement. Etaient sélectionnés ceux qui avaient les moyens de voyager, rugby réservé à l'élite des écoles et des universités privées, jeu de nantis où perdre n'avaient pas vraiment beaucoup d'importance du moment où les règles d'engagement avaient été respectées.

Aujourd'hui me voilà transporté en train vers Marseille. Une avancée dans le passé à l'heure où tout s'effectue en avion. Je vous écris d'un wagon qui fonce vers le destin qui prend place dans l'Orange Vélodrome pour un France-Italie de tous les dangers, match de stress qui a de quoi nouer les viscères bleues au plus serré. Qui aurait écrit que nous craindrions un jour de chuter dans l'abîme par nos voisins transalpins ? Qui aurait imaginé aussi que l'Argentine puis désormais les Fidji seraient un jour devant la France au classement mondial ?

Reconnaissons que le jeu pratiqué par les Italiens, en ce début d'année, est de bien meilleure facture que celui du XV de France. Et seules quelques faiblesses individuelles en défense ne permettent pas aux coéquipiers de Sergio Parisse - lequel a travaillé d'arrache-pied son drop-goal depuis deux ans - d'envisager encore et pour vendredi soir une victoire historique en terre de football. Je dis ça, mais à l'époque où Jean Dop n'était pas confondu avec un shampoing, le rugby à XIII était sport d'élection au vélodrome, laissant au ballon rond le soin d'évoluer en lever de rideau.

En 1955, une foule en liesse accompagnait de la Canebière au stade les vainqueurs du Goodwill Trophy, deux tests à un, en Australie, exploit retentissant sous le capitanat de Jacky Merquey, trois-quarts centre et ouvreur de Toulon et de Cahors à XV, de Marseille, d'Avignon (au moment, où j'écris cela, mon train fait une halte en gare d'Avignon, justement) et de Villeneuve-sur-Lot, international dans les deux codes entre 1950 et 1960. Tout en ayant exercé la profession de pharmacien. Un authentique personnage ovale. Méconnu.

Paris-Marseille avec un expresso. Et un court séjour à Aix-en-Provence où s'entraîne l'équipe de France. Aix qu'on annonçait ce matin recouvert d'un manteau de neige (cf. photo). Quand ça veut pas rigoler, hein ? Mais en arrivant vers midi, magie des tableaux de Cézanne, la Rotonde luisait de soleil sous l'air frais d'un parfum de vacances. Si ce n'est le bruit assourdissant des machines à éventrer la chaussée puisqu'il s'agit de faire passer bientôt en centre-ville un tramway. Nommé désir ?

Le désir, il est pour ces Tricolores d'arracher enfin un succès, et tant pis si c'est la peur au ventre, ils ne sont plus regardants. Reste que surgit un paradoxe au pire, une incertitude au mieux, à associer un tandem Bastareaud-Doumayrou s'il faut par ailleurs aligner Bonneval, Grosso et Fall en triangle arrière. Option prise en force du milieu du terrain - peur au centre, donc - et développement au large dans un deuxième, voire un troisième temps.

Que vaudrait un paseo à Aix-de-Provence sans évoquer deux heures durant en compagnie de Lucien Simon lui Juan Belmonte, moi José Bergamin, l'art de la transmission et du toreo, son silence assourdissant; aussi le sens des passes - et oui toujours - et la mort en face. Lucien Simon qui brigua un temps la présidence de la FFR et pour lequel allait mes suffrages, si j'en avais eu. A deux pas de ce cours Mirabeau dînaient dans le calme et l'oubli qu'il procure les joueurs du XV de France.

Trouve un capitaine et tu auras ton équipe, avons-nous dit : elle sera à l'image de celui qui l'incarne. Faite de pleins et de déliés, ou de vide abyssal, c'est selon. Guilhem Guirado officiait en conférence de presse jeudi au vélodrome de Marseille. Touché, affecté, a-t-il avoué, par la sortie d'Edimbourg, laissant son téléphone éteint pour ne pas répondre aux sollicitations mais affamé, désormais. Aujourd'hui sera un moment de vérité. A porta gayola !

 

jeudi 15 février 2018

L'image renvoyée

Fouillant dans les archives documentaires du quotidien qui m'emploie, lesquelles regorgent de trésors enfouis et bientôt perdus faute de place pour les conserver, j'ai déniché une lourde somme en deux tomes qui retrace l'histoire des clubs du Périgord. J'y ai d'abord  trouvé traces des racines de mon père Jean-Claude à Ribérac, maillot vert et jaune, et de Laurent Travers, actuel coach du Racing 92, dont j'ignorais qu'il fut sacré champion de France scolaire avec le lycée Pré-de-Cordy en 1985.

Guy Lagorce rédigea en 1992 la préface d'un de ces ouvrages. Passé par le rubrique rugby de L'Equipe du temps où officiaient rue du Faubourg-Montmartre des esthètes de l'écriture du calibre de Jean-Pierre Lacour, Henri Garcia, Denis Lalanne et Christian Montaignac - qui furent par chance pour moi des mentors une dizaine d'années plus tôt - il reçut pour une de ses œuvres le prix Goncourt de la nouvelle, entre autres distinctions.

Las et loin des frasques bleues, je me suis mis à lire cette ouverture avec l'envie de vous la partager. "Le rugby ne se laissera pas enfermer dans la simple notion de mètres, de secondes et de points marqués. Le rugby n'est pas un propos, mais un climat", lançait-il avant d'ajouter : "D'une laïcité sourcilleuse (au contraire du football et du basket, souvent prêchés par les curés), il incarnait les véritables vertus républicaines : humanisme, courage, générosité, solidarité. Car une équipe de rugby est une démocratie peuplée d'aristocrates."

Ancien sportif de haut niveau, Lagorce poursuivait : "Aucun autre sport d'équipe - par nature même du jeu - ne réclame autant de qualités différentes au service d'autant de solidarité obligatoire, mécanique dirons-nous. Ce jeu, au contraire du football qui s'importe et s'exporte facilement, est celui d'une communauté. L'équipe n'est pas constituée d'artificielles idoles de "one man show" mais des délégués naturels d'une société. C'est le miracle joyeux d'être à la fois différent et ensemble. C'est pourquoi le cadet qui lace ses premiers souliers à crampons et le retraité exalté ou grognon qui discute le soir sur les bancs de la promenade ont, à travers les âges, le même Eldorado derrière la tête. Quand quinze hommes entrent sur le terrain, c'est toute une communauté qui y pénètre avec eux, à la manière des indissociables cellules d'un organisme vivant."

Les germes du professionnalisme n'étaient pas encore plantés dans le terreau de l'ère open, et tout préfacier digne de ce nom convoquait au soutien les chantres de l'Ovalie qu'étaient Antoine Blondin et Pierre Mac Orlan. Guy Lagorce ne dérogea pas à cette règle tacite. "Antoine Blondin l'a souvent expliqué : "génération après génération, les joueurs reviennent du terrain marqués d'un sceau, où même les blessures conservent cet éternel parfum des fleurs cueillies dans un jardin secret", poursuivait-il.

"Ce n'est pas le jeu qui révèle l'homme, c'est la vie qui accouche du joueur. Etre joueur de rugby, c'est aussi (surtout?) être capable de l'oublier pour déboucher sur d'autres valeurs. Pierre Mac Orlan ne l'ignorait pas qui, en 1922, écrivait dans "La clique du Café Brebis" : "les filles, même bourgeoises, ont une inclination pour ceux qui savent atteindre à une liberté qu'elles ne désirent pas pour elles-mêmes." Bientôt un siècle plus tard, l'inflexion est en pente raide.

Puis Guy Lagorce de conclure par ce paragraphe d'une douloureuse profondeur en ces temps chargés : "Le rugby, en dépit de ses règles apparemment complexes, n'est en rien artificiel. Il ne se situe pas dans les marges de la vie. Au contraire, il la prolonge, il la dilate. Il renvoie à l'homme tel qu'il est l'image de celui qui veut ou doit être. Rien de plus. Mais rien de moins..." Je vous laisse savourer l'écho de ce regard plein et délié porté sur le sport que nous aimons.

lundi 12 février 2018

Même pas malt

 
J'aurais aimé décrire l'arbre Teddy qui cache la forêt bleue mais l'envie me manque. L'apologie d'un double exploit individuel laisse parfois chanter des vertus galopantes et buissonnières, titille l'inspiration qui illumine la morne plaine balayée de froid et d'en-avants, et me sort de la léthargie dans laquelle une rencontre de troisième division internationale pourrait m'avoir plongé, mais non, décidément, les échappées belles du nouveau héros tricolore n'enclenchent pas ici mon azerty.

J'ai le souvenir diffus d'un match du Tournoi, c'était en 1972, j'avais treize ans et déjà beaucoup d'appétit pour la geste ovale et particulièrement celle du XV de France. J'accompagnais mon père chez un ami qui disposait d'un poste de télévision et nous nous apprêtions à regarder un Ecosse-France. La discussion entre connaisseurs autour de moi portait sur le choix des sélectionneurs de grandir l'alignement tricolore pour priver l'adversaire de munitions, option stratégique dont nous attendions beaucoup en terre hostile.

Saisset, Boffelli, Claude Spanghero, Bastiat et le capitaine Dauga : que des preneurs de balle en touche longue, courte ou en milieu d'alignement. La France était équipée pour le combat aérien. Ce que les Ecossais, victorieux 21-9, trois essais à un, avaient bien perçu : ils furent débordant de vitalité au sol, dans les regroupements, déréglèrent l'organisation française qui ne comptait que trois premières-lignes pour étayer les sauts et bousculèrent le pack tricolore à la retombée, dans ces mêlées spontanées qui emportèrent à chaque fois sur dix mètres nos illusions.

Il y avait pourtant du beau monde, derrière : Villepreux, Trillo, Lux, Cantoni, Bérot... Je reçu ce jour-là ma première leçon de rugby, à savoir qu'une composition d'équipe tend toujours vers la recherche d'équilibre entre sauteurs, coureurs, perforateurs, soutiens, botteurs, gratteurs, créateurs, finisseurs, pousseurs... Quinze joueurs suffisent bien à regrouper autant de talents en un tout, et si leur objectif commun, à savoir le sens qu'il donne à leur participation, parvient à être supérieur à la somme de leurs qualités, alors on se trouve en face d'une équipe, une vraie ; pas une sélection.

Certes les jeux gallois, anglais et irlandais, pour rester focalisé sur ce Tournoi des Six Nations, sont de nature à nous emballer mais j'admire l'Ecosse - et depuis longtemps - pour cette raison simple qu'elle propose souvent autre chose que du rugby : une façon d'être au monde, perchée en haut de l'hémisphère nord, les pieds dans la tourbe et le tête devant les sommets enneigés, le tout balayé par un vent polaire qui incite à la dégustation de single malt devant la cheminée.

L'Ecosse est un petit pays par sa superficie et son nombre de licenciés - pas même 40 000 - soit dix fois moins que la France et, comme l'écrivait mon parrain Jacky Adole en parlant des Calédoniens, "ils pratiquent modestement mais avec originalité un rugby directement issu de leur culture." J'y ai gardé de solides amitiés, Scott Hastings, John Rutherford, Roy Laidlaw, Finlay Calder, Ian McGeechan, du temps où j'effectuais des reportages dans les Borders, terreau fertile et chaleureux.

Par effet miroir, les Calédoniens nous obligent à regarder ce que nous sommes. Ce n'est pas un hasard si leur entraîneur, le disert et enjoué Greg Townsend, a effectué l'essentiel de sa carrière en France (Brive, Castres, Montpellier), s'abreuvant de l'essence de notre rugby pour en tirer ensuite la quintessence de retour chez lui comme on tire le meilleur de l'alcool de grains fermenté à travers l'alambic puis le vieillissement en tonneaux choisis.

Quelle est notre culture ? Celle du Top 14, à l'évidence ; celle du profit économique et financier, de l'image marketing et de la médiatisation des clubs. Sans parvenir à effectuer un transfert intelligent vers cette vitrine qu'est l'équipe nationale. Ce qui a fait la force du rugby français entre 1950 et 1990, à savoir un championnat de clubs à fortes identités régionales, est depuis dix saisons son tombeau. Il faut d'urgence un visionnaire pour le ressusciter avant que le Japon puis la Géorgie nous dépassent, comme a su le faire l'Australie juste avant l'avènement du professionnalisme, puis l'Argentine il y a peu.

J'ai vécu ce match dans mon salon, devant mon écran de télévision, entouré d'amis choisis, Laurent, Seb, Fred, Michel, Jean-Marc, et j'ai aperçu petit à petit passer l'espoir, la surprise, la joie, puis le doute, la frustration, la fatalité. Il y avait plus à voir sur leurs visages que sur le terrain quand les Tricolores attaquaient ou défendaient, s'emmêlaient, se ridiculisaient, s'indisciplinaient, s'enfonçaient. Que restera-t-il de ces deux défaites au moment de rouler vers Aix-en-Provence puis Marseille, dans deux semaines ? La perspective humiliante de jouer face à l'Italie pour s'éviter une cuillère de bois.

Au train où vont les choses, il faudra bien se demander alors si la France a toujours sa place dans le Tournoi, non ?

dimanche 4 février 2018

Année zéro

On a belle mine d'avoir ainsi trainé les pieds et laissé échapper cette victoire qui nous tendait les bras, samedi soir, à deux minutes de la fin d'un triste match seulement éclairé par le trait de génie de Teddy Thomas filant comme une étoile noire dans la nuit de Saint-Denis au milieu d'Irlandais un court instant éblouis. D'un point, le succès s'offrait à ce XV de France de petite envergure mais de gros cœur, de peu de talents mais de beaucoup d'efforts.

Peu de talents car seuls Mathieu Jalibert pendant ses trente premières minutes, Teddy Thomas sur cinquante mètres chrono et Antoine Dupont en neuf minutes avant son KO ont montré quelque chose d'intéressant. Les autres pas. Sébastien Vahaamahina a coûté six points, ce qui n'est pas rien dans une rencontre aussi serrée, et Belleau a manqué l'immanquable qui aurait scellé un succès gagné en défense face à des Irlandais qu'on a connu plus tranchants.

C'était sympa, Marcoussis, avant que ce XV de France version Brunel's Band ne se mette à jouer. On se plaignait des stratégies de Marc Lièvremont, de Philippe Saint-André et de Guy Novès, mais là, franchement, c'est le degré zéro de l'animation offensive. Une vraie purge. Pourtant, ce match restera dans les mémoires comme celui qui vit Thomas strier Saint-Denis comme un Blanco et Sexton crucifier les Tricolores d'un drop à la Wilko.

Savons-nous bien pourquoi nous jouons au rugby ? Je n'en suis pas persuadé. Si l'on en croit la nouvelle gouvernance fédérale, le rugby est une combat, c'est écrit sur les présentations de compositions d'équipes. Que signifie combat ? Pour les Irlandais, victorieux 13-15 d'un XV de France petite cuvée à ne surtout pas garder, il serait avant toute chose question d'intelligence tactique, de volonté collective, de précision et de persévérance.

Je suis sans doute un mauvais Français, pas assez supporteur ni chauvin, mais j'ai vraiment beaucoup aimé les quatre minutes de remontée de terrain irlandaises, quarante temps de jeu pour trente-cinq mètres gagnés, une fois le temps réglementaire terminé. Chrono dans le rouge, ils ont su se placer pour forcer le destin, ces Irlandais ; ce que nous, Français, ne savons plus faire depuis maintenant neuf saisons. Ca commence à faire long.

Ce qui me surprend, ce sont les 75 000 spectateurs qui ont payé leur billet pour revenir de la plaine Saint-Denis pétrifiés de froid et déçus. A ce rythme, huit matches sans victoire depuis juin dernier, ils vont finir par se fatiguer, les cochons de payeurs. Pour recevoir l'Angleterre, c'est déjà à guichets fermés, mais en novembre prochain, par exemple, il faudra sans doute se redécaler à la U Arena parce que seulement 30 000 supporteurs accepteront d'assister à de tristes performances.

La magie du Tournoi, visiblement, ne fait plus de miracles dans les rangs français. On sent juste poindre un élan populaire, ce qui est déjà pas si mal. Et il faudrait se rendre peut-être à Marseille pour éviter l'humiliante cuillère de bois ? Marseille, le Tournoi... Désolé, ça ne sonne pas. Ce sera sans moi. Demain, France-Irlande à Lille, France-Galles à Nantes, France-Ecosse à Clermont, France-Angleterre à Bordeaux ? Au train où avancent nos désillusions, c'est à envisager.

Dimanche midi, je suis allé écouter Jacques Brunel trouver des points positifs à cette défaite, défense, solidarité, etc... J'ai l'impression d'entendre ça depuis dix ans à chaque défaite. Ce qu'il y avait de bien avec Laporte entraîneur, c'est que les lendemains d'échec, il raclait les fautifs au gant de crin sans ménagement. Au moins, il ne prenait pas ses interlocuteurs pour des enfants de chœur. Voyez où j'en suis : regretter Bernie le Dingue...

Et puisqu'il faut revenir vers le futur au passé recomposée, voilà que coach Jack rappelle Lionel Beauxis. Ca doit faire plaisir à Boucherie Ovalie. Comme quoi, moquez-vous, il en reste toujours quelque chose. Beauxis donc, débuts en 2007, éclipse depuis 2012, joker médical relancé à Lyon, présenté comme un potentiel Wilkinson à ses débuts en 2003 à la sauce béarnaise. Je rêve ou bien ?

A l'usage de Jacques Brunel et de ses adjoints, nous composons un vivier de plus que trentenaires au cas où les blessures continueraient à décimer l'actuel groupe France. Médard - Clerc, Fritz, Mignardi, Andreu - (o) Michalak, (m) Kockott - Ouedraogo, Puricelli, Nyanga - Pierre, Lamboley - Poux, Kayser, Domingo. On ne sait jamais, ça peut servir d'ici la fin d'un Tournoi qui voit davantage de ruptures des ligaments que de passes croisées...

Le premier dimanche de février, pour moi depuis 1985, c'est Super Bowl. Depuis une dizaine d'années, rendez-vous était pris chez l'ami Nemer. Où nous fûmes reçus, ses amis, comme des princes jusqu'au petit matin pour accompagner cette finale remportée par les Eagles sur les Patriots de Tom Brady, lequel n'est pas entré dans la légende. N'est pas Sexton qui veut.

samedi 3 février 2018

En attendant Guirado

Il reste encore des places à vendre au Stade de France, qui ne fera pas le plein pour l'ouverture de ce Tournoi, et plus d'un Français sur deux ne connaît aujourd'hui aucun des joueurs qui composent le XV de France. Une série de sept matches successifs sans succès plombe la montée vers ce France-Irlande qui, autour de moi, ne déchaîne pas vraiment de passion, à peine un intérêt poli. Et j'en connais qui l'année dernière encore allumaient leur téléviseur et ne savent pas, ce samedi, à quelle heure se dispute le match.
 
Nous en sommes là, assez bas, il faut l'écrire. Et si du côté des édiles fédéraux perquisitionnés et d'une FFR cernée par différents soucis, le silence radio est de mise, on attend le grand cri de révolte des Tricolores avec un mélange d'anxiété, de distance, de résignation et d'interrogation. Le XV de France a déjà connu semblable creux, dans les années 70 par exemple, mais n'a jamais suscité autant de désintérêt.
 
Parmi les baromètres que j'utilise, celui de l'amphithéâtre de Marcoussis est assez significatif. Nous n'étions que quatre journalistes de presse écrite samedi dernier pour le deuxième point presse des joueurs, à une semaine pile du coup d'envoi. Et encore quatre, mais pas les mêmes, vendredi midi pour le briefing de Guilhem Guirado. A tel point que le capitaine tricolore n'a pas souhaité prendre place derrière son pupitre et s'est assis dans une des travées, nous proposant de le rejoindre.
 
Paradoxalement, c'est au coeur de ce désintérêt des médias et du grand public pour cette équipe qu'elle n'a jamais été aussi agréable à suivre pour ceux qui en font profession. Visages avenants, confidences éclairantes, discussions impromptues, réponses intelligentes, pour la première fois depuis 2011 débarrassée de cette langue de bois des sportifs de haut niveau qui pollue tout. 
 
Avouez-le, il faut être gonflé ou alors à court de solutions - mais ce n'est pas le cas - pour lancer à l'ouverture, poste stratégique, un gamin de 19 ans face à la troisième meilleure nation mondiale et son chef d'orchestre madré Jonathan Sexton au moment où l'exigence d'une reconquête oblige à une victoire, impératif catégorique qui supplante toute envie de contenu.
 
Car il est là, le paradoxe de ce XV de France. Le Brunel's Band s'est mis dans les conditions de libérer le jeu et les chakras de joueurs hier tétanisés par la peur de mal faire mais demande un succès à n'importe quel prix pour briser très vite la spirale des défaites dans laquelle macère cette équipe tricolore qu'on a vue incolore durant toute l'année passée.
 
Marc Lièvremont - qui était pourtant bien parti en 2008 pour lancer son XV de France sur des chemins buissonniers -, Philippe Saint-André et Guy Novès se sont plantés dans les grandes largeurs à la tête de l'équipe nationale. Je vais me rendre au Stade de France ne serait-ce que par curiosité, voir si Jacques Brunel est capable d'écrire un prologue enchanteur avant que de se lancer pendant deux ans dans l'écriture d'un chapitre.
 
Jacques, c'est un humaniste, un vrai. Un mec qui fabrique son Armagnac, un terrien qui jouait la tête dans les étoiles, zébulon devenu altruiste, arrière de relance qui connait désormais tout du jeu d'avants et des subtilités renfermées dans l'univers des premières lignes. C'est un entraîneur qui a toujours su mettre l'humain au cœur de ses interventions technico-tactiques, un homme de mots choisis.
 
Alors, sous la pluie et dans le froid de Saint-Denis, devant un public venu par habitude davantage que par passion bleue, dans l'indifférence générale - n'hésitons pas à le dire -, le XV de France va livrer face à l'Irlande un de ses matches les plus importants. Pour l'image du rugby français plongé dans les "affaires" mais aussi pour ne pas descendre à la dixième place du classement IRB (ça fait vintage, je sais) - ce qui n'est encore jamais arrivé.
 
Pour l'espoir aussi que portent en eux Iturria, Jalibert, Chavancy, Palis et compagnie. Mais aucun des sélectionnés, pas même Guirado, ne figurerait dans une sélection mondiale, voire dans un simple quinze type du Tournoi avant le coup d'envoi. La France joue pour ne pas ressembler à l'Italie, désormais, alors qu'il y dix ans, elle était crainte des Anglais et hachait les Irlandais. En regardant le calendrier de l'édition 2018, on grimace à l'idée d'avoir à affronter la Nazionale à Marseille pour éviter une cuillère de bois.
 
En attendant, Guirado, capitaine fracassant, prédit une entame de match pleine de furia. Le monde à l'envers puisque le Fighting Spirit est une particularité irlandaise. Désormais, les Diables Verts ont du flair et, si j'en crois le talonneur toulonnais, nous avons d'abord du combat, c'est-à-dire de la sueur, des ecchymoses et des percussions, à offrir pour faire honneur au maillot, ce samedi en fin de journée.
 
Cette chronique s'autodétruira dans quelques instants - ou pas -, quand ce bon Nigel sifflera le coup d'envoi. Et vous retrouverai ici même dimanche soir pour un débrief avant d'aller passer la nuit blanche devant la finale de Super Bowl entre amis choisis, comme de coutume depuis 1985. Tom Brady, le Barry John des Patriots, dix-huit ans de carrière, a la possibilité de lever pour la sixième fois le trophée Vince Lombardi. Un homme ne fait pas une équipe. Mais il peut faire l'histoire.