samedi 19 juillet 2025

Comme les pierres

Posons avec soulagement un point final, sans risque de se tromper car s'en est terminé d'une saison ovale bien de chez nous, aussi longue que les tables à rallonge qu'on installe sous les arbres, l'été, pour accueillir les amis et la famille à l'heure du pastis et au son des grillons, sauterelles, criquets et cigales, selon. Mais à la notable différence des hémiptères du sud et du midi, le rugby tricolore constitué un peu n'importe comment sous un maillot bleu pour satisfaire à des obligations contractuelles n'a pas fait grand bruit. Il est même passé sous les radars estivaux, compte tenu de sa diffusion cryptée. C'est peut-être mieux ainsi.

Il n'y a pas grand chose à retenir de ce voyage au pays du long nuage blanc des maillots noirs, périple impossible d'affubler du nom de "tournée" puisqu'il ne s'agit que d'une série de trois test-matches sans rencontres intercalaires face à des provinces ou des sélections, comme c'est le cas pour les Lions britanniques et irlandais qui se coltinent au même moment l'intégrale des représentations rugbystiques australiennes, sans oublier une invention de dernière minute composée d'aborigènes et de guerriers du Pacifique pour palier, mardi, le forfait des Melbourne Rebels en cessation de paiement.

En sélectionnant contraint et forcé par le dictat du calendrier domestique l'arrière-ban du Top 14 pour offrir une ou deux sélections à quelques valeureux troupiers méritants du Championnat comme Napoléon Ier décernait des médailles à ses fidèles grognards, Fabien Galthié sait désormais pouvoir compter sur un deuxième-ligne au poste de numéro huit en cas de besoin et sur un arrière-ailier que les observateurs néo-zélandais en mal de superlatifs comparèrent à Serge Blanco, ce qui reste tout de même un peu exagéré quand on connait la place qu'occupe notre Pelé du rugby dans la mythologie ovale.

Pour le reste, trois défaites de faible relief si ce n'est du courage en défense - comment faire autrement quand on n'a pas le ballon en mains ? - et quelques éclairs, voire un ou deux moments d'espoirs au moment de mener au score, offrent peu. Depuis Dunedin en 2009, l'exploit se fait attendre. Cela dit, aucun d'entre nous ne sera surpris par ce gâchis : on ne part pas défier les All Blacks chez eux en série de tests avec une troupe de néophytes, nonobstant le talent affiché par certains d'entre eux. Certes, le rugby français dispose du plus grand, riche et profond réservoir de joueurs au monde, mais la formation ne suffit pas : pour remporter des matches d'importance, pour répondre présent aux rendez-vous fixés, une équipe doit disposer de ressorts stratégiques que, visiblement, ce XV de France "bis" voire "ter" - n'en déplaise à son coach - n'avait pas.

Il n'y a pas beaucoup d'enseignements à tirer de ces trois tests perdus - 14 essais à 7 - dans la perspective de la prochaine Coupe du monde, celle de 2027 qui se disputera en Australie, même en essayant d'être le plus positif positif pour ne pas insulter l'avenir... Mais l'objectif est si lointain qu'il est vain d'imaginer disposer aujourd'hui des leviers utiles pour soulever ce trophée jusqu'ici inaccessible. Laissons donc cette parenthèse néo-zélandaise reposer là où elle se trouve, c'est-à-dire au milieu de nulle part, et profitons plutôt de la chaîne L'Equipe - c'est gratuit - pour suivre la tournée de l'élite britannique et irlandaise au pays des Wallabies. Elle, au moins, a remporté un test-match, le premier, en érigeant une heure durant un mur hermétique avant de se relâcher au moment de l'entrée de remplaçants australiens bien plus toniques et inspirés que les titulaires.

En 1979, Jean-Pierre Rives avait tancé le jeune Serge Blanco lors de cette fameuse tournée en Nouvelle-Zélande au motif qu'il n'avait pas cherché à passer du statut de remplaçant à celui de titulaire, laissant à Jean-Michel Aguirre, voire à Jean-Luc Averous et Frédéric Costes, l'honneur d'affronter les All Blacks, préférant découvrir du pays. Serge Blanco n'a pas oublié le coup de gueule de son capitaine flamboyant, et c'est ainsi qu'il devint quelques mois plus tard l'étoile du XV de France et ce pendant plus d'une décennie. Mais y avait-il cet été un Rives inspirant pour booster les jeunes pousses tricolores ? Je n'en suis pas certain. 

Il leur reste pour finir l'été la lecture du dernier ouvrage de Jean-Paul Basly, Elastoplast 70, publié aux éditions La Biscouette, dont je vous livre un extrait, chronique sous le titre Perdu...On a perdu...On est perdus... :  "Et parfois il restait, pierre dans le silence. Vide, impuissant, surtout convaincu que ce temps avait été perdu, qu'il lui avait été offert mais qu'il n'avait pas su le prendre à bras le corps. Un peu comme ces amours impossibles, cette femme que l'on a si peu connue, à peine entrevue mais dont on avait senti, dès le premier regard, qu'elle nous était peut-être depuis longtemps destinée. (...) Ainsi étions-nous parfois dans ces vestiaires, assis dans les voix à peine perceptibles des amis, les coudes sur nos genoux, la tête basse, les yeux cherchant loin entre les silhouettes étrangères, comment et pourquoi on n'avait pas agrippé cet amour-là. Et combien on se retrouvait alors, pauvre âme sans écho, solitaire. Nu. Et malheureux comme les pierres."

mardi 1 juillet 2025

Grandeur nature

Il arrive parfois que les mots, même ordonnés de la meilleure des façons, ne parviennent pas à rendre une émotion dans ce qu'elle a de sauvage, de viscéral, quand elle fait remonter une exaltation primale du plus profond. Et cette impuissance à décrire une vibration jubilatoire est encore plus criante lorsque cette transe est portée par un mouvement collectif. Ainsi l'amplitude du succès toulousain, samedi 28 juin, n'a pas trouvé le superlatif qui lui correspond. Sans doute parce qu'il n'a pas encore été inventé. Ou alors faudrait-il placer nos plus belles formules dans l'Athanor, et laisser l'Alchimie du Verbe effectuer la transformation.

Que le coach Ugo Mola associe cette saison au recueil de poèmes d'Arthur Rimbaud publié à compte d'auteur pourrait nous aider à comprendre les méandres dans lesquels le Stade toulousain, touché par les disparitions et les blessures, est passé. Jusqu'aux Délires qui enflammèrent le ciel dionysien. N'importe quel autre club se ferait du Mauvais Sang à l'idée de perdre celui que les observateurs ovales considéraient il y a peu comme le meilleur joueur du monde, son capitaine, son perceur de défense le plus tranchant, et parfois son unique lumière, L'Eclair capable de déverrouiller en trois foulées une rencontre.

Pour cette équipe toulousaine qui souffrit jusqu'à la fin de la prolongation dantesque s'offrit cette finale, L'Impossible n'était pas une option. Jusqu'au Matin, quelques heures avant le coup d'envoi, l'UBB pouvait croire en son étoile mais l'évidence s'imposa très vite, dès la première mêlée, quand le pack girondin recula de cinquante centimètres. Rien de spectaculaire, mais les Bordelais comprirent alors que la Nuit en Enfer venait de commencer. De là à dire Adieu au bouclier, le chemin était long et, à grands coups de courage, ils parvinrent à pousser - à leur tour - l'adversaire dans ses derniers retranchements.

Ce qu'assurait le pilier All Black Wilson Whineray à son homologue tricolore François Moncla, un soir de grande défaite du XV de France à Auckland en 1961, est sans doute valable pour les grands clubs : ils ne meurent jamais. On a, effectivement, assisté à la renaissance du Stade Français et du Racing, vu Toulon retrouver vie, l'UBB agréger le SBUC et le CABBG pour ressusciter, et la grenouille Montpellier se faire aussi grosse qu'un bœuf. Mais que dire du Stade toulousain, invaincu il y a un siècle de cela pour gagner le surnom de Vierge Rouge, et devenir Vierge folle après avoir glané de haute lutte un vingt-quatrième titre ?

Richard Astre a eu la bonne idée, hier, de m'appeler. Nous échangeons souvent et c'est toujours enrichissant d'écouter celui qui porta haut l'AS Béziers. "L'UBB et le Stade toulousain dominent actuellement le rugby français et leur rivalité, qui n'est pas prête de s'éteindre, me rappelle celle qui nous a opposé au CA Brive. Nous nous sommes affrontés à de nombreuses reprises en phase finale durant les années 70 et jamais les Brivistes ne sont parvenus à nous battre pour la bonne raison que leur pack était au service de leurs brillants trois-quarts alors que le nôtre était la clé de voute de notre jeu." Il y a là matière à réflexion, dans le miroir d'époques pas si lointaines, quand un club dominant suscite crainte et jalousie.

A l'évidence, les avants toulousains furent premiers au combat, premiers en défense mais aussi premiers servis en attaque, en témoignent les trois essais qu'ils inscrivirent en force par les troisième-lignes Anthony Jelonch (31e) et Jack Willis (39e et 45e) au plus près de l'en-but bordelais. Trois essais d'aurochs qui ne brisèrent pas pour autant le mental de Maxime Lucu et des siens, mental construit par mon ami Eric Blondeau, ancien trois-quarts centre de l'équipe universitaire de Poitiers des années 80, passé ensuite maître dans l'art subtil d'optimiser les peurs pour mieux nourrir l'excellence. Qu'ainsi martyrisés devant, les Girondins parviennent à imposer une prolongation à leur bourreau en dit long sur la force mentale qui les habitait. Le Brennus est à leur portée, pour peu qu'ils parviennent à tenir cent minutes d'intensité maîtrisée.

S'ouvrent maintenant le périple des Lions britanniques et irlandais en Australie - et j'aurai le plaisir d'en commenter deux petits épisodes sur la chaîne L'Equipe en ce mois de juillet - ainsi que la série de trois tests-matches d'un XV de France "nouvelle génération" en Nouvelle-Zélande. Nul doute que les forces vives du rugby français auraient aimé s'étalonner grandeur nature au pays du long nuage blanc, mais notre calendrier domestique en a décidé autrement. On peut le regretter, surtout quand les quatre nations d'outre-Manche savent, tous les quatre ans et désormais entre deux Coupes du monde, mettre à disposition leur élite pour alimenter une histoire.