Posons avec soulagement un point final, sans risque de se tromper car s'en est terminé d'une saison ovale bien de chez nous, aussi longue que les tables à rallonge qu'on installe sous les arbres, l'été, pour accueillir les amis et la famille à l'heure du pastis et au son des grillons, sauterelles, criquets et cigales, selon. Mais à la notable différence des hémiptères du sud et du midi, le rugby tricolore constitué un peu n'importe comment sous un maillot bleu pour satisfaire à des obligations contractuelles n'a pas fait grand bruit. Il est même passé sous les radars estivaux, compte tenu de sa diffusion cryptée. C'est peut-être mieux ainsi.
Il n'y a pas grand chose à retenir de ce voyage au pays du long nuage blanc des maillots noirs, périple impossible d'affubler du nom de "tournée" puisqu'il ne s'agit que d'une série de trois test-matches sans rencontres intercalaires face à des provinces ou des sélections, comme c'est le cas pour les Lions britanniques et irlandais qui se coltinent au même moment l'intégrale des représentations rugbystiques australiennes, sans oublier une invention de dernière minute composée d'aborigènes et de guerriers du Pacifique pour palier, mardi, le forfait des Melbourne Rebels en cessation de paiement.
En sélectionnant contraint et forcé par le dictat du calendrier domestique l'arrière-ban du Top 14 pour offrir une ou deux sélections à quelques valeureux troupiers méritants du Championnat comme Napoléon Ier décernait des médailles à ses fidèles grognards, Fabien Galthié sait désormais pouvoir compter sur un deuxième-ligne au poste de numéro huit en cas de besoin et sur un arrière-ailier que les observateurs néo-zélandais en mal de superlatifs comparèrent à Serge Blanco, ce qui reste tout de même un peu exagéré quand on connait la place qu'occupe notre Pelé du rugby dans la mythologie ovale.
Pour le reste, trois défaites de faible relief si ce n'est du courage en défense - comment faire autrement quand on n'a pas le ballon en mains ? - et quelques éclairs, voire un ou deux moments d'espoirs au moment de mener au score, offrent peu. Depuis Dunedin en 2009, l'exploit se fait attendre. Cela dit, aucun d'entre nous ne sera surpris par ce gâchis : on ne part pas défier les All Blacks chez eux en série de tests avec une troupe de néophytes, nonobstant le talent affiché par certains d'entre eux. Certes, le rugby français dispose du plus grand, riche et profond réservoir de joueurs au monde, mais la formation ne suffit pas : pour remporter des matches d'importance, pour répondre présent aux rendez-vous fixés, une équipe doit disposer de ressorts stratégiques que, visiblement, ce XV de France "bis" voire "ter" - n'en déplaise à son coach - n'avait pas.
Il n'y a pas beaucoup d'enseignements à tirer de ces trois tests perdus - 14 essais à 7 - dans la perspective de la prochaine Coupe du monde, celle de 2027 qui se disputera en Australie, même en essayant d'être le plus positif positif pour ne pas insulter l'avenir... Mais l'objectif est si lointain qu'il est vain d'imaginer disposer aujourd'hui des leviers utiles pour soulever ce trophée jusqu'ici inaccessible. Laissons donc cette parenthèse néo-zélandaise reposer là où elle se trouve, c'est-à-dire au milieu de nulle part, et profitons plutôt de la chaîne L'Equipe - c'est gratuit - pour suivre la tournée de l'élite britannique et irlandaise au pays des Wallabies. Elle, au moins, a remporté un test-match, le premier, en érigeant une heure durant un mur hermétique avant de se relâcher au moment de l'entrée de remplaçants australiens bien plus toniques et inspirés que les titulaires.
En 1979, Jean-Pierre Rives avait tancé le jeune Serge Blanco lors de cette fameuse tournée en Nouvelle-Zélande au motif qu'il n'avait pas cherché à passer du statut de remplaçant à celui de titulaire, laissant à Jean-Michel Aguirre, voire à Jean-Luc Averous et Frédéric Costes, l'honneur d'affronter les All Blacks, préférant découvrir du pays. Serge Blanco n'a pas oublié le coup de gueule de son capitaine flamboyant, et c'est ainsi qu'il devint quelques mois plus tard l'étoile du XV de France et ce pendant plus d'une décennie. Mais y avait-il cet été un Rives inspirant pour booster les jeunes pousses tricolores ? Je n'en suis pas certain.
Il leur reste pour finir l'été la lecture du dernier ouvrage de Jean-Paul Basly, Elastoplast 70, publié aux éditions La Biscouette, dont je vous livre un extrait, chronique sous le titre Perdu...On a perdu...On est perdus... : "Et parfois il restait, pierre dans le silence. Vide, impuissant, surtout convaincu que ce temps avait été perdu, qu'il lui avait été offert mais qu'il n'avait pas su le prendre à bras le corps. Un peu comme ces amours impossibles, cette femme que l'on a si peu connue, à peine entrevue mais dont on avait senti, dès le premier regard, qu'elle nous était peut-être depuis longtemps destinée. (...) Ainsi étions-nous parfois dans ces vestiaires, assis dans les voix à peine perceptibles des amis, les coudes sur nos genoux, la tête basse, les yeux cherchant loin entre les silhouettes étrangères, comment et pourquoi on n'avait pas agrippé cet amour-là. Et combien on se retrouvait alors, pauvre âme sans écho, solitaire. Nu. Et malheureux comme les pierres."