Les actes du colloque organisé en mai 1980 à Limoges et intitulé
Le spectacle sportif ont, certes, pris quelques rides mais leur introduction, signée par Antoine Blondin, reste toujours d'actualité. En voici quelques extraits choisis, avant Stade Toulousain - Union Bordeaux-Bègles, dimanche soir, qui promet d'être très show.
"J'avance tout de suite que ce titre - spectacle sportif - ne me satisfait pas pleinement, dans la mesure où lorsqu'on dit que des athlètes commencent à faire du spectacle, c'est bien souvent qu'ils cessent de faire du sport (...)
En même temps qu'il est fugitif, le spectacle sportif est un conservatoire du genre, des gestes, qui avait aux origines une vocation utilitaire. Il implique donc que le spectateur soit capable de souscrire à un système de références. En d'autres termes, le spectacle sportif, à côté de la culture physique, est créateur d'une culture sportive qui pourrait bien constituer un département important de la culture générale. L'homme est une partie du monde par son corps mais il peut faire tenir le monde entier dans son esprit et c'est cette double relation entre ce corps contenu dans le monde et cet esprit dans lequel le monde entier est contenu qu'il tire sa dimension de grandeur.
Maintenant se pose la question amusante, objet de sarcasmes et de quolibets, la question de savoir si le sportif assis doit finalement être ou avoir été un pratiquant. Nous répondrons que s'il fallait avoir poussé le contre-ut pour apprécier l'opéra ou si l'accès des Folies-Bergères n'était ouvert qu'à ceux qui se sont mis une plume au derrière, ces nobles institutions se produiraient devant des banquettes vides. Ou mieux encore, comme le disait notre confrère Jean Eskenazi : "Je n'ai pas besoin d'avoir pondu l'œuf pour pouvoir juger s'il est frais ou non."
Le baron de Coubertin nous donne un bon coup de main lorsqu'il dit : "Pour que cent se livrent à la culture physique, il faut que cinquante fassent du sport. Pour que cinquante fassent du sport, il faut que vingt se spécialisent. Pour que vingt se spécialisent, il faut que cinq soient capables de prouesses étonnantes." Cette phrase souligne que si l'immense vertu de la haute-compétition est d'offrir à ces cinq-là les circonstances de contact et de ferveur nécessaires à l'accomplissement de fabuleux exploits, elle remplit également une fin capitale : celle qui consiste à faire entrer l'homme du sport dans la cité.
A cette époque, la recette du succès l'emportait sur le succès de la recette, qui était inexistante. (...) Au sport de l'aristocratie, l'ère contemporaine a substitué une aristocratie du sport, issue d'un formidable écrémage en forme de sélection naturelle, voire artificielle, à travers toutes les couches sociales et les cinq continents. Se présente alors l'écueil du professionnalisme qui ferait se retourner dans leur vestiaire du Père Lachaise les barons de la Belle Epoque et, pire encore, celui d'un amateurisme rétribué.
L'ampleur mondiale de la besogne sportive, les responsabilités et les prestiges attachés au champion, les terribles astreintes quotidiennes qu'implique l'accomplissement de sa vocation, font qu'il ne peut en aller autrement : le professionnel est un homme qui fait du sport pour gagner de l'argent ; l'amateur est un homme à qui l'on donne de l'argent pour qu'il fasse du sport.
Au regard des grandes enchères techniques qui poussent le monde et d'un train de vie infléchi dans le sens de la conjuration mécanique, l'objet de l'athlète n'apparait pas d'emblée avec clarté mais s'inscrit avec l'éclat de la contradiction. Ses gestes, qui ont répondu si longtemps à une ancestrale nécessité vitale, perdent chaque jour de l'actualité dans une civilisation qui s'applique à lui épargner de courir, de s'élever, de porter, de lancer : son propos apparait d'abord comme celui d'un facteur rural égaré dans un central électronique, son éminente dignité est celle du superflu.
Toutefois, aux progrès vertigineux de la civilisation du moindre effort, le sport, civilisation du plus grand effort, oppose ses propres progrès, non moins grandioses. Les sentiments diffus que l'espèce s'améliore affleure à travers la trajectoire humaine du champion et déjoue les pessimismes : on disparaîtra en beauté parce que des êtres consacrent chaque jour, quatre à cinq heures à la plus grande gloire de la volonté et du corps.
Le sport redevient alors, selon la belle définition de Jean Giraudoux, "une épidémie de santé".