Quatre buts de pénalité signés Handré Pollard, rappelé en cours de compétition pour palier la déficience de Manie Libbok, meilleur attaquant mais buteur imprécis. Lui n'a pas tremblé. Les All Blacks, plus entreprenants, ont refusé de convertir deux pénalités face aux poteaux sud-africains, Richie Mo'unga a manqué une transformation en coin sur son bon pied et Jordie Barrett un but longue portée. 29-28 face à la France en quart, 16-15 devant l'Angleterre en demie, et 12-11 en finale face aux All Blacks : les Springboks, qui savent pratiquer le "rudeby", ont maîtrisé le suspense à grands coups d'épaules et de mental.
J'en connais, des Tricolores, qui se sont mordus les doigts à défaut d'autre chose devant leur téléviseur vendredi soir au moment où les Anglais d'Owen Farrell - sifflés au Stade de France dans une triste unanimité anti-sportive - accrochèrent autour de leur coup cette dérisoire médaille de bronze mais si importante pour eux, remontés des enfers dans lesquels ils étaient descendus en mars dernier, humiliés à Twickenham dans le Tournoi des Six Nations par le XV de France pour finir par reconquérir La Malvinas au terme d'un remugle qui correspond bien à leur genre de beauté.
En attendant la sortie de Côté Ouvert prévue le 2 novembre, et pour diverses raisons dont la première touche à la défaite française en quarts de finale, j'ai repris "Le Grand Combat du Quinze de France" et relu ceci de saisissant : "Il est bien entendu que le rugby est une petite guerre anglaise, aux règles et aux dimensions anglaises, une guerre où les Anglais ont tiré les premiers parce qu'elle ne se réinvente pas comme les autres guerres", écrivait ainsi Denis Lalanne durant l'été 1958. Ce constat n'a, malheureusement, pas pris une ride.
Et le Pape d'Ovalie de poursuivre : "Le petit empire du rugby dans le grand empire britannique, les Français en ont fait pendant plus de cinquante ans le tour, musique en tête, sans être plus avancés (...) Les Français croyaient jouer au rugby parce qu'ils jouaient avec un ballon ovale, ils croyaient même un peu vaniteusement avoir réinventé ce jeu en l'adaptant à leur "tempérament latin", ce sacré bon vieux tempérament latin qui nous a si souvent servi d'excuse. La vérité, la triste vérité, c'est qu'ils n'avaient pas encore pénétré le véritable sens du rugby." Soixante-cinq ans plus tard, un extrait du compte-rendu d'Afrique du Sud - France à Saint-Denis n'aurait pas été mieux rédigé.
En conclusion de la première tournée victorieuse du XV de France sur la terre des Springboks, Denis Lalanne livrait ce mode d'emploi qu'il serait sans doute bon d'inscrire dans tous les vestiaires si d'aventure nous souhaitons, un jour, remporter le trophée Webb-Ellis : "Ce n'est jamais la dispersion des inspirations qui pourraient rendre ce jeu plus amusant, mais au contraire une méthode stricte et dépouillée : demandez plutôt aux vainqueurs. Notre rugby ne doit plus tant se nourrir de fantaisie et d'improvisation que de technique et de sobriété. L'inspiration viendra toute seule, à qui ne la recherche pas à tout prix."
A l'heure où l'organisation retrouvée a permis aux Anglais de se hisser à la troisième place, où la rigueur tactique demeure la matrice dans laquelle les Springboks forgent leurs victoires, la disparition jeudi soir de Guy Camberabero, à l'âge de 87 ans, nous rappelle qu'il fut, et d'abord au pied, l'artisan du premier Grand Chelem français dans le Tournoi des Cinq Nations 1968 aux côtés de Jo Maso, Jean Gachassin et Pierre Villepreux, Jean Trillo mais aussi Jean Salut et Walter Spanghero, mémoires vivantes de cet exploit en quatre actes étalés sur deux mois. La LNR, mieux que World Rugby, lui rendra hommage dimanche sur les terrains de reprise du Top 14.
Jeudi 2 novembre sort le livre Côté Ouvert, recueil des meilleures chroniques de ce blog sur deux cents pages, aux éditions Passiflore. N'hésitez surtout pas à le commander chez votre libraire !